L’onde Caesaria à la Péniche Cancale

Un vent d’éther a soufflé jeudi 24 mars à la Péniche Cancale, lors de la venue de Caesaria. Les trois franc-comtois d’origine ont investi la cale pour nous inonder de leur club rock électrifiant, distillant au gré du set titres anciens et nouveautés de leur premier album, All we have is now.

Photos : Sarah Yarmond @sarah.yarmond

Cela fait maintenant plusieurs semaines que la Péniche Cancale a retrouvé la stabilité d’un chaland dont les vagues ne viennent plus frapper la coque. Un calme tranquille, une houle timide. Quelques soubresauts, peut-être. Mais plus aucun signe de ce vacillement qu’on a connu le soir du concert de Caesaria, quand leur effervescence vint rivaliser avec les tempêtes les plus vaillantes.

Pourtant, elle est toujours en nous, cette énergie. On la ressent encore depuis, cette urgence de se mouvoir, cette envie de réécouter les titres du groupe, bien fortes, toujours plus fortes, juste pour goûter encore à cette émulation qui coule dans les veines. La musique comme une drogue, en somme. La grandeur d’un groupe, surtout.

Je me souviens encore de la première fois où j’avais vu le groupe originaire de Belfort sur scène. C’était au Festival de la Paille, à Métabief. Un sentiment de bout du monde là où les scènes et ses infrastructures si métalliques et complexes détonnaient au milieu de la désolation sereine des pistes de ski en été. 

Ils n’étaient pas sur la scène principale, et pourtant, cet après-midi-là, le phénomène de proportionnalité du public s’est inversé. Ils étaient presque tous là, devant eux, Théo Chaumard, Thomas Fariney et Louis Arcens, à découvrir leur énergie communicative, leur fièvre, leur urgence de transmettre leur rock transgenre qu’on pourrait entendre tant en boite de nuit que dans un club underground de Londres. C’est là que ça a commencé, pour moi, l’envie de m’intéresser à eux, de suivre leur parcours, d’attendre avec impatience leur nouvelle sortie, convaincue qu’un jour, leur chanson seraient scandées par un public attroupé devant la scène principale. 

Ce jeudi 24 mars, c’est devant la Péniche Cancale qu’ils ont garé leur van pour décharger guitares, basses et pédales en tout genre.  C’est une excitation à la fois habituelle et reconsidérée : les automatismes se remettent rapidement en place, mais on prend la mesure, une fois de plus, de cette chance de pouvoir jouer à nouveau, rassembler du public. Et puis c’est une date symbolique : ce soir, quand ils auront terminé le set, que leur visage seront imprégnés de sueur et illuminés par la libération d’endorphines, leur premier album sortira. All we have is now. C’est un accomplissement, et quelle belle manière de le vivre qu’entourer de la famille proche ayant fait le déplacement pour eux. 

C’est Great Panic Roger qui les précèdera sur scène. Un choix cohérent, tant dans les liens que dans les sons, puisque le cousin de Théo interprète seul un capharnaüm aussi mélancolique que colérique. Une fusion entre organique et synthétique merveilleusement orchestrée où l’on sent l’engagement qui anime l’artiste. Créer, chanter, crier, clamer. C’est un son hybride, mené par la guitare mais complexifié par les machines. Et cela introduit parfaitement la suite. 

Et la suite, elle débute comme leur premier album par Watch your lies, et son introduction quasi orchestrale dont l’énergie percutante des premières secondes symboliserait presque une apparition providentielle. Lorsque tout s’envole lors du refrain, au loin les chœurs scandent « Can you see me in the dark », et vu les cris dans la salle, aucun doute ne subsiste sur leur incandescence dans la moiteur de la cale.  

Je pourrais raconter chaque titre. Satisfaire à la rigueur de l’exercice du live report qui relate l’enchaînement de chaque chanson. Je pourrais dire que j’ai ressenti tant de sentiments contradictoires en entendant Hope, un de mes sons favoris de l’album ; une joie terne, une douleur brillante, à la manière de l’espoir, en somme. Je pourrais dire que Bright m’a ravie autant en live qu’à l’écoute solitaire. 

Il me serait possible aussi de confesser comment j’ai eu le sentiment d’assister à un mouvement populaire au son de We never change, comme si chaque génération présente martelait ce mantra comme une revendication, comme porteuse des erreurs commises, des mots à jamais tus et des espoirs déchus. Une épiphanie à jamais renouvelée. 

Il y a eu Sometimes I Wanna Fight, aussi, qui m’a percutée tant sa dimension pour devenir d’ores et déjà un classique. Arcade, qui là encore montre toute la symphonie du groupe qui compose tant à trois qu’à l’infini, prenant presque en compte en avance l’impact du public sur la synchronie du live. Visionnaires, sans doute.

Tout est fiévreux, impatient, à la manière des mains de Théo au tremblement maîtrisé qui symbolise ce carburant musical qui nous saisit. On se sent parfois au milieu d’une boîte de nuit de Berlin puis, la chanson d’après, dans un repère de rockeur britannique. Eux aussi, sans doute. Ils ne sont plus vraiment à Dijon lorsque Thomas s’émancipe de la scène pour jouer sur le bar au loin. Ils ne se sentent sans doute pas dans une calle de péniche quand ils grimpent sur les banquettes, foncent dans la foule et agrippent le public surpris mais ravi.

Au final, tout s’enchaîne et se prolonge. Il se produit une sorte de confusion temporelle où l’on ignore si l’on est plongé dans un moment suspendu dans le temps ou si l’instant n’existe déjà plus. 
Caesaria en concert produit la même nébulosité qu’un orgasme : une onde fulgurante si puissante qu’elle fait espérer l’éternel, mais qui, quand elle disparaît, ne semble avoir eu que quelques secondes d’existence. 

Et comme après une nuit d’amour, l’individu ressort désorienté. Extatique mais éreinté, apaisé, et déjà avide de recommencer.

Et pour ça, Caesaria vous attend le 29 avril, en concert à la Boule Noire.