L’odyssée planante de Beach House

Le duo emblématique de Baltimore nous a délivré le 18 février un neuvième album attendu par tous les fans de dream pop. Après trois ans d’élaboration, One Twice Melody se présente en quatre chapitres qui ont été dévoilés au fur et à mesure à partir de novembre 2021. Près de quatre-vingt-cinq minutes de rêveries parcourent cette pièce musicale saisissante et inoubliable. Beach House a dix-huit ans et continue de prospérer avec sa recette inimitable

Chapter 1 – Pink Funeral

C’est par quelques notes de guitares acoustiques et quelques éparses effets gazeux de leurs synthés que nous plongeons dans l’antre nostalgique et pensif de Victoria Legrand et Alex Scally. Les paroles évoquent des couleurs chaudes «Out in the summer sun »   qui contrastent avec une obscurité croissante « There’ll always be your shadow » et donnent d’ores et déjà une idée du contenu. Les envolées du titre éponyme de l’album sont ici sublimées par ces cordes naissantes ajustées à la symphonie sixties dont David Campbell, leur arrangeur, en est l’initiateur.

Découvert très vite en novembre, le véritable bijou de ce premier chapitre est sans conteste le grandiloquent Superstar. D’une progressivité calme et émotive, le duo parvient à nous faire planer et encore une fois, de pleurer au sujet d’une relation finie qui s’éteint comme une étoile filante. Les premiers mots de ce titre répondent à ceux des Smiths sur There Is A Light That Never Goes Out : « There’s a light going out tonight ». Les changements de rythmes et d’accord sur la voix chill de Victoria nous surprennent. On se sent éloigner au fur et à mesure des liens qui nous raccroche à la terre ferme, avec ce sentiment ambivalent de tristesse et d’apaisement. Peu de groupe parvienne à créer une masterclass musicale de cette sorte, Beach House en fait partie.

Le voyage céleste se poursuit dans cette première partie avec la pop majestueuse et théâtrale Pink Funeral qui se base sur le ballet du Lac des Cygnes « Swans on a starry lake ».  Through Me gagne en synergie par ses lyrics simples et une batterie plus engageante. Là encore, Victoria évoque le violet, une couleur familière que l’on retrouvait déjà sur Days of Candy et One Twice Melody. Il est indéniable qu’il est la symbolique du mélange entre la plénitude et la tristesse pour elle. Cela ouvre la voie au renouveau…

Chapter 2 – New Romance

… porté par Runaway qui s’élance au bout d’une minute de palpitations. Il s’agit d’une ode à la liberté dont la voix vocodée marque cette envie de se transcender. Les clavecins glaçants qui ornent ce titre dénotent toutefois un poil de fatalité dans cette recherche de l’insouciance. Sans jamais exploser, ce premier titre du chapitre parvient à nous suspendre dans le temps.  ESP entame alors ses quelques accords d’acoustique pour nous plonger dans une mélancolie tout aussi fataliste.  D’une voix calme qui se cale dans une réverbération nocturne, Victoria tire la leçon sur les non-dits et les sentiments inavoués : « What Everybody know, not everybody show ».

Le synthé scintille enfin sur les premières secondes de New Romance et rayonne sur le refrain comme le chant des oiseaux à l’approche du printemps. Les sonorités s’ouvrent plus vers les aigus. Victoria nous offre un refrain assez jouissif et très vite entêtant « Last night I’m messing up, Now I feel like Dressing up / I-L-Y-S-F-M ».  Plus porté sur le sens de la vie, Over and Over s’évapore dans le thème astral avec ses analogies au Soleil et ce clavecin aux accents futuristes. La piste se termine par un long fil électro enivrant où on se laisse flotter dans le vide en train d’observer cet océan obscur rempli d’astres qui s’éteignent.

Chapter 3 – Masquerade

La troisième partie apporte un vent de fraîcheur dans Once Twice Melody jusqu’à présent bouleversant et nocturne. A contrario, si l’ensemble des pistes s’apprécie bien, les sensations sont ici moins fortes et imprégnées. Comme si le besoin de souffler se faisait ressentir. Sunset est d’une douceur angélique et fascinante. Only You Know nous fait le plaisir de regoûter aux sensations de la vague et du rythme des percussions qui fera rappeler les chefs d’œuvre shoegazing de M83. De son côté, Another Go Around se libère du brouillard synthétique pour une mélodie accrocheuse et un riff de basse berçante.

La piste la plus surprenante est ici Masquerade qui mixe entre la synth-pop eighty de Cocteau Twins et l’énergie ambiante de Massive Attack, renforçant l’aspect mystiques de ce passage de l’album. Les précédents titres laissaient entrevoir un léger espoir évasif sur les relations, Illusions of Forever, qui pourrait être un titre caché de leur album Myth, persiste dans cette croyance de conte de fée. Victoria semble prier pour un lendemain meilleur devant son miroir : « I Can’t Believe In Nothing just yet ».

Chapter 4 – Modern Love Stories

Beach House s’élance dans de nouvelles contrées avec des sonorités inédites pour un final magnifique. A commencer par … Finale qui n’est pas la fin de l’album. Le titre offre une jubilation apaisante face à la résilience que le bonheur est révolu. Le virage des années 80 est ici clairement assumé. La légèreté de The Bells est une d’une jolie balade sous forme de déclaration d’amour totalement assumée avec un refrain montant comme Hallelujah de Leonard Cohen.

Le duo concède dans l’électro-pop Hurts to Love que l’amour ne peut pas satisfaire à tout de nos jours. Les synthés robotiques s’installent pour appuyer cette conclusion émouvante. Many Nights vient consoler nos émotions avec son air dodelinant. Pour ceux qui auront résisté à toute cette charge mélodique poignante, Modern Love Stories offre un dernier saut vers le repos avec ces derniers accords de guitare atmosphérique. Le duo déterre les références à Cléopâtre ou encore à Cendrillon pour une clôture sombre : « The end is the beginning, beginning to an ending ». La boucle est bouclée.

Ce neuvième album rassemble toutes les qualités du groupe dans un format long et ficelé à la perfection sur chacune des partitions. Peu importe si on est des fans de la première heure, qui retrouveront des références aux précédents réalisations, ou aux novices dans la connaissance de leur style, on se laisse une nouvelle fois plonger dans les abymes de nos sentiments profondément dissimulés. Face à ces amertumes quotidiennes, le duo semble se donne un peu répit dans une nature envoûtante et spirituelle. Avec ces dix-huit titres, Beach House nous laisse le temps, le choix et la manière de retourner notre cerveau vers des frissons inconnus. Once Twice Melody est l’odyssée de 2022 qui vous fera planer.

Coups de cœur de l’album : Superstar, Runaway, New Romance, Masquerade, Finale, Hurts to Love, Modern Love Stories

Crédit photo: David Belisle