Live Report: Fame Jane au bateau El Alamein

C’est au son de la country de Fame Jane que la péniche El Alamein a vibré en cette première soirée Folk & Friends de l’année.

Les soirées Folk & Friends, c’est le rendez-vous incontournable des amateurs de folk et de country à Paris. Et pour cette première soirée de 2023, les deux organisateurs Pileos et Jeff Mailfert n’ont pas fait les choses à moitié, avec trois artistes en ‘spotlight’ avant un concert complet de Fame Jane.

La chanteuse et compositrice basée à Paris était accompagnée par son groupe de musiciens composé de Greg Novan (guitare électrique), Ben Poilvé (pedal steel), Alexis Thalamy (basse) et Hugo Berthier (batterie). S’inscrivant résolument dans l’univers country, Fame Jane compose des chansons qui se veulent tantôt entrainantes et sautillantes, dignes des vieux bars de Nashville où l’on danse le two-step chaque soir, tantôt languissantes et touchantes, capables d’attendrir les plus endurcis sur leurs amours passés.

Après des sets en solo d’Ulysse Manhes et sa chanson française épurée, Nahhu, puis la talentueuse Charlie Boi, il est un peu plus de 22h lorsque Fame Jane et ses musiciens montent sur la scène de la péniche, devant une salle remplie d’un public attentif.

De gauche à droite: Greg Novan, Hugo Berthier, Fame Jane, Alexis Thalamy, et Ben Poilve / Crédit photo: Arnaud Pedersen
Fame Jane / Crédit photo: Arnaud Pedersen

Le concert commence avec le morceau Meant to Keep, qui fera partie du premier EP de l’artiste, attendu pour le printemps. Fame Jane démarre seule à la guitare, prononçant les premières paroles de cette chanson autobiographique comme une réflexion personnelle à voix haute: « I was born a make-believer / given sparkle, lent leather ». Puis le groupe la rejoint progressivement, avec une montée de batterie après le premier refrain qui vient apporter une tonalité plus conflictuelle et plus assumée à la chanson. Le refrain de la chanson se termine sur « Gold was never meant to keep », un message de la narratrice que rien ne peut durer et qu’il faut l’accepter, que tout est cyclique. Le groupe intensifie son jeu quand Fame Jane prononce les paroles « They say trouble is my friend / and our road to hell is long / that I’m a runner, just like him / unashamed of what I’ve done », sonnant comme une rébellion contre des voix intérieures culpabilisantes, faisant ainsi coïncider le fond et la forme.

S’en suit la chanson Eyes Like That, plus légère et uptempo, qui raconte l’histoire d’une fille qui reste chez elle le soir parce qu’elle pense que l’amour ne se trouve pas à tous les coins de rue. Le public se met à bouger au rythme sautillant du morceau, et le solo de guitare de Greg Novan sur un son clinquant rajoute une touche encore plus dansante à cette chanson aux inspirations rock pop.

Fame Jane nous propose ensuite sa première reprise de la soirée : le délicieux Stupid Cupid de Wanda Jackson, sorti sur le label Capitol Records en 1961. Fame Jane interprète à la perfection cette chanson déjantée aux accents théâtraux, avec des arrêts instrumentaux au moment des fameuses paroles « Stupid Cupid / Stop pickin’ on me ! », suivis d’un appel de tous les instruments pour entamer le refrain ou le solo.

Puis avec Tomorrow Takes Its Time, deuxième chanson extraite de l’EP, Fame Jane nous offre une balade inspirée des classiques de la country. Sur le thème emblématique de l’attente amoureuse, la chanson ne rentre toutefois pas complètement dans le moule de la balade pure, les solos de guitare électrique (Greg Novan) et de pedal steel (Ben Poilvé) creant du relief par un effet de call and response entre les deux instruments, jouant chacun un bout de phrase du solo. La basse (Alexis Thalamy) joue également dans cette chanson un rôle clé, annonçant de façon saillante la reprise du couplet.

Ben Poilve / Crédit photo: Arnaud Pedersen
Greg Novan / Crédit photo: Arnaud Pedersen

A la fin de la chanson, Fame Jane évoque avec fierté sa superbe veste rose à franges argentées fabriquée par ses soins, au dos de laquelle sont cousues ses initiales, tandis que ses musiciens portent tous la même chemise noire à franges blanches, elles aussi créés par cette artiste aux multiples talents.

La transition est toute trouvée pour la prochaine chanson, la reprise de Coat of Many Colors de Dolly Parton. Sortie en 1971 sur RCA records, il s’agit d’un chanson éminemment autobiographique, qui évoque l’enfance de la chanteuse dans l’est du Tennessee, où elle est née et a grandi. C’est une chanson particulièrement touchante pour Fame Jane, qui nous en parle dans son ADN musical. Le changement de tonalité au milieu de la chanson, quand tous les instruments passent du sol en mi, apporte un bel effet sur scène.

Pour la chanson suivante, Lawless Ballad in C Major, Fame Jane invite le public à chanter avec elle. La chanson parle d’un cowboy hors-la-loi et mystérieux qui va de ville en ville, toujours en cavale mais toujours une chanson aux lèvres ; c’est justement ce petit air entêtant que la chanteuse apprend au public, qui ponctue toute la chanson et précède chaque solo de pedal steel ou de guitare électrique. Un passage au rythme ternaire marque un retour au temps présent pour le narrateur de la chanson, qui évoque la mort du cowboy, puis la chanson reprend en rythme binaire plus rapide : « He took my hand and for a second looked me in the eye / He said ‘I’ve sang my whole life through, won’t you sing while I die ?’ », marquant un moment où la dynamique s’inverse et où c’est au tour du narrateur de bercer le cowboy mourant de ce même petit air. A la fin du morceau, tous les musiciens s’arrêtent de jouer sauf Fame Jane, prenant par le biais du narrateur le public à partie: « So now you know the story / But son, just one more thing / Don’t take it all from me / Go listen to the wind / As it blows ooooouh ooooouh » , repris en coeur par le public.

Alexis Thalamy / Crédit photo: Arnaud Pedersen
Hugo Berthier / Crédit photo: Arnaud Pedersen

Vient ensuite le moment de la dernière reprise de la soirée, Good Time Charlies Got the Blues. Cette chanson a connu plusieurs enregistrements, le plus connu étant celui de 1972 par Danny O’Keefe, qui sortit en tant que single et connut un large succès. Ayant d’abord entendu la version du musicien country Charley Crockett il y a plusieurs années, Fame Jane a craqué pour la vibe mellow de la mélodie et la beauté des paroles de cette chanson qui évoque la solitude avec poésie.

Puis c’est au tour de la chanson phare de l’EP, I Don’t Wanna Get Up Again, inspirée par des classiques de Patsy Cline et Tammy Wynette. Une balade puissante, avec des moments de douceur et une montée crescendo dans le refrain qui propulse l’idée de douleur et de refus exprimée dans les paroles : « I don’t wanna get up again / Don’t wanna face the day / Cause when I try to get up again / It feels like falling ». Apres le premier refrain, Ben (pedal steel) et Greg (guitare électrique) se partagent un long break instrumental, jouant l’un après l’autre à la perfection.

Le groupe termine avec Remember to Forget, dernière chanson qui sera présente sur l’EP. Une chanson d’amour uptempo dans laquelle la narratrice s’adresse à celui qu’elle a quitté. La chanson commence sur « You can look for me / Down in your memories » puis dit à ce « you » que la version qui restera de la narratrice ne sera rien de plus qu’un souvenir. Les paroles douce-amère « The tears I cry will be your own / Remember to forget me when I’m gone » ponctuent le premier refrain, puis arrive le double-solo de Ben et Greg , et c’est le moment de groover et de danser. Fame Jane conclut sur : « But all of this I’m sure you know / So I guess this is goodbye before I go ». Ces dernières paroles marquent la fin de la chanson elle-même, et la fin du concert.

Les musiciens sortent alors de scène, puis après le rappel d’un public enjoué, Fame Jane s’installe seule avec sa guitare et entonne sa chanson No One Will Grow Up (to be you), sortie sous forme de single l’an dernier. Elle explique que cette chanson découle directement de quelque chose que son père lui a dit un jour où elle avait de la peine à trouver de la valeur à ses actes. On comprend le choix de cette chanson qui fonctionne bien en guitare/voix et retient l’attention, parce qu’elle n’est pas structurée de façon classique, n’ayant pas de refrain mais trois couplets qui se ponctuent par une variation du même thème. C’est peut-être la chanson qui se rapproche le plus d’une balade traditionnelle dans la lignée de Clay Pigeons de Blaze Foley. Elle est simple, jolie, et marche sans artifice.

La chanson terminée, c’est sous les applaudissements nourris du public que Fame Jane et ses musiciens, le sourire aux lèvres, saluent longuement la salle, concluant ainsi cette belle soirée où le temps d’un concert nous fûmes tous transportés en Amérique; celle que l’on s’invente, celle qui permet de chanter sur soi tout en chantant sur les autres; celle qui, comme la country, appartient à tous ceux qui s’autorisent à y croire.

Retrouvez Fame Jane sur Facebook et Instagram