Liraz : « Les Iraniennes se battent pour la liberté, elles veulent la liberté mais aujourd’hui elles sont la liberté. »

A l’occasion d’un concert lors du festival Les Femmes s’en mêlent, La Face B est partie à la rencontre de Liraz. Cette artiste, à la fois actrice et chanteuse, s’est dévoilée. Nous y avons parlé de l’importance d’avoir des modèles féminins, du processus créatif, de ses origines entre Téhéran et Tel Aviv, ainsi que de l’espoir que représente les manifestations actuelles en soutien aux femmes iraniennes.

La Face B : Ce n’est pas la première fois que vous jouez à Paris, comment trouvez-vous le public parisien ?

Liraz : J’aime toujours venir à Paris. C’est une ville que j’aime car les Parisiens ont l’air ouverts à la musique du monde, aux différents genres musicaux et à la pluralité des langues. C’est la ville de la culture ! Les Parisiens sont sincères et prennent le temps d’écouter mon histoire. 

LFB : Pour resituer, votre histoire se situe entre l’Iran et Israël – comment conciliez-vous cela ?

illustration : Camille Scali

Liraz : J’ai sorti mon premier album en persan, Naz, et il est très vite sorti en Iran. J’ai eu un grand soutien, des messages de personnes qui écoutent ma musique. Ensuite, je suis devenue amie avec des Iraniens sur les réseaux sociaux, en particulier des musiciens et des artistes. Je crois que l’on a une grande connexion, comme si on était des frères et sœurs. Alors, j’ai eu besoin d’enregistrer mon second album en collaborant avec eux.

Cet album s’appelle Zan, ce qui veut dire femme en persan. On a enregistré l’album à la fois en Iran et en Israël, de manière confidentielle et discrète car nous ne sommes pas censés pouvoir travailler entre nous. Mon pays est l’Iran, mais je n’ai pas le droit d’aller dans mon pays d’héritage. Cet album est dédié aux femmes qui sont réduites au silence depuis des décennies, qui ne sont pas autorisées à chanter.

Le dernier chapitre est la sortie de mon troisième album, Roya, qui signifie “fantaisie”,  en persan. Car mon rêve est de construire autour de la liberté, notamment en écrivant et en jouant de la musique. J’ai demandé à des musiciennes iraniennes d’enregistrer cet album avec les musiciens qui m’accompagnent sur la tournée. On a enregistré à Istanbul, en cachette. On était pris dans un mélange entre la peur et la joie.

LFB : Il est compliqué de comprendre les paroles de vos chansons, car elles ne sont pas toujours traduites. Est-ce un choix ? 

Liraz : J’explique un peu pendant les concerts, mais je pense que c’est beau que le public se laisse aller aux métaphores, aux ressentis et suivent les vibrations, plus que de comprendre les paroles dans leur détail. En ce sens, la musique est comme un langage universel. 

LFB : C’est assez beau dans cette universalité de la langue, car même dans le persan, il y a des proximités avec d’autres langues comme l’arabe, l’arménien ou l’hébreu. Je crois que votre nom est à la fois hébreu et persan. 

Liraz : Oui, “Li-” signifie “mon” en hébreu et “-raz” signifie “secret” en persan et en hébreu. C’est pour cela que mes parents ont choisi ce nom.  

LFB : De quels sujets parlez-vous dans votre dernier album? 

Liraz : Ce sont des chansons de protestation qui parlent de la liberté, des droits humains et de la puissance des femmes. Les paroles évoquent la manière de faire révolution en dansant, en chantant ou en ressentant de la pure joie. Je crois toujours que les femmes iraniennes sont les leaders de la révolution actuelle. Elles protestent dans la rue et je ne peux être plus fière de les honorer dans cet album. D’autant plus que ces chansons passent à la radio dans le monde entier. Les Iraniennes ont simplement besoin que les gens soient au courant de ce qu’il se passe en Iran. Elles se battent pour la liberté, elles veulent la liberté, mais aujourd’hui elles sont la liberté. Elles sont la liberté car la liberté est quelque chose que tu ressens quand tu n’as plus peur. Donc aujourd’hui, je crois qu’elles incarnent la liberté. Car la liberté est dans leur cœur, c’est sûr et certain. 

LFB : Est-ce que vous pensez que pour l’artiste c’est en devoir de montrer les inégalités et l’absence de liberté ?

Liraz : Oui, je crois que c’est un devoir, en particulier pour les artistes femmes qui ont un message à transmettre. Quand je suis devenue la femme que je voulais être celle, que je suis vraiment au fond de moi, j’ai eu besoin d’apporter quelque chose au monde. Alors, je me suis demandé ce que je pouvais faire pour les femmes, et en particulier pour ma grand-mère, qui a été mariée et a été mère très jeune, qui n’a pas pu profité de sa féminité. J’ai décidé de rompre ce cercle. Quand j’ai eu le courage d’être à mon tour mère, je voulais donner l’exemple à mes deux enfants, leur apprendre comment devenir une femme dans ce monde de fous. 

Illustration : Camille Scali

LFB : C’est important d’avoir des modèles. 

Liraz : Oui, c’est important et je crois que mon projet n’est pas qu’à propos de moi, il a une portée universelle. J’ai un sang de révolutionnaire qui est similaire à celui de mes sœurs en Iran, et j’ai le devoir d’être leur voix. A notre petite échelle, on peut aider les gens. 

LFB : Quels sont vos modèles artistiques ? 

Liraz : Googoosh est mon idole. Lorsqu’elle était au top de sa carrière, la Révolution de 1979 venait juste d’arriver. Elle a perdu sa carrière, car elle ne pouvait plus chanter. Quand elle a compris après 22 ans que la situation n’allait pas changer, elle a quitté l’Iran pour les États-Unis, où elle a pu continuer à chanter et à créer. Il y a quelque chose de particulier dans sa voix, c’est une grande inspiration pour moi. 

LFB : Pourtant dans ses textes, Googoosh ne parle jamais de révolution, mais plutôt d’amour. 

Liraz : Oui, mais je crois qu’aujourd’hui tout est lié à la révolte, la révolution. Par exemple, j’ai grandi dans l’idée que je ne pouvais pas découvrir mes racines, que je ne pouvais pas partir en Iran. Mes parents sont arrivés en Israël quand ils étaient très jeunes. Alors je ressens une grande confusion car je me sens coincée entre ces deux pays extrêmement différents. Quand j’ai pris la décision de chanter en persan, c’était comme une révolution personnelle et intime. 

Illustration : Camille Scali

LFB : Comment votre projet est-il perçu en Israël ?

Liraz : C’est rigolo et en même étrange. Les Israéliens me connaissent comme une chanteuse qui chante en hébreu ou une actrice qu’on voit au cinéma ou à la télévision [ndlr. Liraz est l’actrice principale de la série Téhéran]. Même si ma musique, comme la musique iranienne en général, est de plus en plus écoutée à la radio israélienne, j’ai le sentiment d’être plus diffusée à l’étranger, notamment en Allemagne.

LFB : Est-ce que vous pensez être plus écoutée par les Iraniens ou par les Israéliens ? 

Liraz : Je sais que les deux écoutent, mais je ne peux pas connaître l’audience en Iran, car le peuple n’as pas accès à tous les réseaux sociaux ou les plateformes de diffusion. 

LFB : Vos chansons sont-elles écoutées pendant les actuelles manifestations ou mouvements de protestation ?  

Liraz : Les Iraniens m’écoutent dans les mariages, les voitures, chez eux ; pas à la radio, car ce n’est pas autorisé. Mais je sais que mes chansons peuvent être écoutées en réaction aux  manifestations en faveur des droits des femmes iraniennes, en particulier à l’étranger.

LFB  : Que ressentez-vous par rapport à cela ?

Liraz : C’est vraiment puissant et en même temps choquant, car je ne pensais pas que le projet aurait cet effet. Je n’aurais jamais imaginé que mes chansons soient dans autant de manifestations. Car lorsque l’on crée quelque chose, on ne sait pas où notre art va aller. 

LFB : Qu’est-ce que vous pouvez me dire à propos de la chanson Roya et de sa version acoustique ?

Liraz : C’est une chanson importante, elle porte d’ailleurs le nom de l’album. Lorsqu’on la enregistré on s’apprêtait à déposer nos amies musiciennes à l’aéroport, elles devaient rentrer à Téhéran et nous à Tel Aviv. Je leur ai demandé de rester et on a enregistré une version acoustique. Et j’ai commencé à pleurer, je ne pouvais plus m’arrêter. Après à danser ensemble, pour se dire un dernier au revoir. Il y a quelque chose d’assez puissant dans cette chanson, c’est un moment mémorable. Son message est important car il s’agit de ne jamais perdre espoir qu’importe la situation. C’est comme un pacte que je me suis fait avec moi-même : de ne jamais perdre espoir et d’être le porte-drapeau de mon courage, puis, de monter ce drapeau de plus en plus haut.

Illustration : Camille Scali

LFB : Qu’ est-ce qu’on peut vous souhaitez pour le futur ?

Liraz : Je souhaite vraiment plus de paix dans ce monde, je me sens confiante, je sais qu’un jour je pourrais revoir mes amis iraniens… Je veux juste pouvoir aller en Iran et je suis sûre que cela arrivera un jour !