Limp Bizkit craint toujours et on adore ça !

Il y a des groupes qui, au fil des années, cristallisent malgré eux une certaine haine gratuite et un rejet de la part des chantres du bon goût. Limp Bizkit en est l’exemple parfait, ce qui n’a jamais empêché le groupe originaire de Jacksonville de remplir les salles et de tourner à travers le monde. Dix ans après Gold Cobra, la bande de Fred Durst est de retour et le nom de l’album annonce la couleur : Limp Bizkit Still Sucks. Et en un sens, c’est sans doute la meilleure nouvelle de l’année.

Selon le commun des mortels, nos goûts évoluent avec le temps. On change, on apprend et parfois on regarde avec un peu de mépris et de dégoût ce qu’on aimait avec une foi inébranlable des années auparavant. On se jure qu’on a appris de nos erreurs et qu’on ne nous y reprendra plus. Cette idée assez répandue n’a pas encore atteinte nos oreilles et nos esprits.

On peut le dire sans honte, 20 ans plus tard Chocolate Starfish and the Hot Dog Flavored Water reste l’un de nos albums de chevet. Le genre qu’on se réécoute de manière régulière et qu’on adore toujours autant, de la même manière qu’on continue d’écouter très fort System Of A Down ou My Chemical Romance.
On pourrait appeler ça de la nostalgie, se dire qu’on cherche dans l’écoute de ces albums à retrouver une partie de notre adolescence. C’est sans doute vrai mais il y a plus. Au fond si on aime Limp Bizkit, c’est tout simplement parce que pour nous, dans leur spectre musical, ils font de la bonne musique. On y voit quelque chose de bon, quelque chose qui nous plait et on n’a pas envie de l’intellectualiser plus que ça.

Alors on ne va pas retourner notre veste et notre amour pour le groupe perdure, surtout que la bande de Fred Durst porte en elle une chose toute simple : l’entêtement. En effet, en plus de 25 ans de carrière, le groupe n’a pas bouger d’un iota, persistant encore et encore dans cette idée de nu-metal désormais hors d’âge, de ballade un peu bancale et pas toujours de bon goût et de grosses guitares made in Wes Borland qui nous explose les oreilles.

Alors oui pour certains Limp Bizkit craint toujours, mais nous on adore ça et le pire dans tout ça, c’est qu’ils en ont pleinement conscience, ce qui transforme ce Limp Bizkit Still Sucks en étrange objet méta.

Cela est saisissant dès le premier morceau intitulé Out Of Style. Avec ce premier titre, Durst semble avoir bien conscience que le temps a passé, mais il n’en foncièrement rien à foutre, que ce soit en balançant un légendaire « DJ Lethal ! » qu’en nous offrant un morceau qui semble tout droit sorti des 00’s avec son ambiance lourde, ses guitares distordues et ses changements rythmiques incongrues. Et puis, il résume l’équation en une sentence assez évidente : pourquoi changer de style alors qu’on est bien dedans, qu’on le maitrise et qu’on l’apprécie ? Limp Bizkit Still Sucks se résume alors totalement avec ce premier titre : on aime ce qu’on fait, on le fait et c’est très bien ainsi.

Cette étrange introspection sera encore plus évidente par la suite avec l’excellente Dad Vibes, mais surtout dans deux morceaux étranges et s’amusant à faire exploser le quatrième mur, en s’adressant directement à ses détracteurs et à des journalistes qui n’ont toujours rien compris à ce qu’était Limp Bizkit.

Il y a d’abord la bien nommée Love The Hate. Ici se joue sur un étrange dialogue entre deux personnes qui crachent toute leur haine du groupe. On écoute se déchainement de violence et on image bien Fred Durst se marrer à écrire la moitié de ces horreurs sur lui. Surtout, le bonhomme a l’intelligence d’apporter un point de vue assez intéressant : dans ce genre de relation, le rejet et la haine semble gangréner plus fort celui qui la porte que ceux vers qui elle est orientée, parfaitement résumé par cette le « refrain » du morceaux :

Joke’s on you
You missed one clue (We don’t give a fuck)
From what I see
You always do

Love The Hate – Limp Bizkit

L’autre moment bizarre intervient sur Snacky Poo. Alors que la première partie du morceau se la joue hip hop à l’ancienne, le morceau bascule complètement à sa moitié et se transforme en une interview particulièrement étrange et malvenue. Un grand moment de gêne qui semble pointer la vacuité des intervenants qui interviewent le groupe.

Pour le reste, l’album remplit clairement le cahier des charges attendus par les fans mais délivre par moment un surplus de profondeur qu’on attendait pas forcément tant le groupe nous avait parfois habitué à une certaine superficialité. On tombe ainsi des nues face à la sincérité brutale de Empty Hole ou la vibe douce amère qui émane de Goodbye, qui termine l’album.

Mais on en revient vite aux fondamentaux chez Limp Bizkit et c’est donc avec un bonheur non dissimulé qu’on se prend en pleine gueule des missiles tels que l’improbable Dirty Rotten Bizkit (qui dans certaines sonorités nous ramène à l’époque de Chocolate Starfish) ou les puissantes Pill Popper et Barnacle ou la fusion étrange et réjouissante de You Bring Out The Worst In Me.

On appréciera aussi l’autre versant du groupe avec Turn It Up, Bitch qui prouvera, même si on en a souvent douté, que Fred Durst a un flow plus que solide qu’on retrouvera d’ailleurs en grande forme sur la première partie de Snacky Poo. Enfin, on n’échappera pas à l’appétence certaine de Limp Bizkit pour les balades un brin sirupeuses avec Don’t Change, même si, on doit bien l’avouer, le morceau passe étrangement bien lors des premières écoutes.

Vous l’aurez compris Limp Bizkit Still Sucks est un album étrange qui semble avoir étrangement conscience de ce qu’il est et en joue allégrement. Plaisir régressif, les douze morceaux nous rappellent avec bonheur pourquoi on continue de tant aimer le groupe alors qu’ils continueront à créer des poussées d’urticaires à ses détracteurs. C’est sans doute là tout le talent de Limp Bizkit : continuer à offrir un produit qui les représente bien, sans chercher à s’ouvrir à un nouveau public ou à évoluer musicalement.

Certains y verront une qualité, d’autre un défaut, on n’a pas besoin de vous dire dans quel camp on se trouve, on est certains que vous l’avez compris.