Lewis Ofman : « Aujourd’hui je vais bien plus dans le cœur du poulet »

Il nous avait manqué Lewis Ofman, prodige du melodic groove et animateur principal de nos soirées endiablées ces dernières années. Il est de retour avec l’EP Dancy Party, un disque composé de cinq morceaux gorgés d’énergie, d’attitude et d’une irrésistible envie de se déhancher.
Pour l’occasion nous avons échangé avec l’artiste sur son ressenti lié à la longue attente de la sortie de ses morceaux, son évolution depuis le début de sa carrière et sur cette énergie qui transpire de sa musique, l’affirmation de soi. Morceaux choisis…

Lewis Ofman



LFB : Comment ça va Lewis ?

Lewis Ofman : Là ça va, le début de la semaine était un peu déprimant puisque je n’ai vu personne, je vais partir à Barcelone pour tourner deux clips et j’ai besoin d’un test PCR clean pour ne prendre aucun risque. Quand tu ne vois vraiment personne pendant 5 jours en restant dans ton studio, il y a des moments ou tu frises une certaine folie, mais qui est toujours intéressante d’un point de vue créatif, ça reste une expérience d’aller dans ces contrées obscures de nous même.

LFB : Tu arrives à créer en ce moment ?

Lewis Ofman : Disons que je m’entraine, je ne suis pas en train de travailler sur des sons comme ceux qui vont sortir, j’essaye d’aller vers d’autres styles que je ne connais pas trop.
Je m’amuse un peu en attendant, parce que je sais que quand on sort quelque chose on est pas à 100% dédié à ce qu’on fait donc c’est le moment d’aller vers des trucs un peu drôles.

LFB : Comment as- tu vécu le fait de devoir repousser tes sorties ?

Lewis Ofman : C’est atroce, je dirais même que c’est une névrose qui me fait souffrir tous les jours. Heureusement là on sort quelques uns des sons, mais tu vois par exemple quand je reçois des messages qui me disent “alors tu nous sors un nouveau son?” j’ai l’impression que les gens se disent que je suis en train de rien foutre et d’être dans un bain au calme. Alors que je bosse tous les jours, je fais des sons, beaucoup de sons et plus j’en fais plus je souffre parce que je me demande comment je vais sortir tout ça alors qu’on a un an de retard.

LFB : Il y a ce truc hyper pervers avec les réseaux où on te voit en studio, même faire des sessions lives etc alors qu’à côté rien ne sort, c’est hyper frustrant.

Lewis Ofman : C’est normal, j’en souffre vraiment, ça fout le seum mais bon, je suis déjà content qu’on arrive à sortir l’EP avec des nouvelles chansons..

LFB : A mon sens cet EP va être bien reçu et pour une raison toute simple, c’est que ta musique est nécessaire, pour ce qu’elle représente. Avoir un disque qui aide les gens à se laisser aller, à danser, bouger c’est tellement crucial en ce moment.

Lewis Ofman: C’est trop bien si c’est le cas, ça me fait plaisir de l’entendre en tout cas.

LFB : En préparant l’interview j’ai regardé de vieux entretiens que tu avais pu donner, dont un qui date de 2017 et dans lequel tu expliquais qu’avoir trop de temps pour la création ça pouvait être un peu piégeux et venir parasiter l’inspiration.
Du coup je me demandais vu la situation de cette dernière année, comment tu as vécu ça ? Parce que du temps tu en as eu en rab comme tout le monde.

Lewis Ofman : J’en ai profité pour grandir, vivre des choses qui font écrire, une bonne partie de la création passe vraiment par des trucs qu’on vit pour avoir quelque chose à exprimer. Pendant longtemps j’ai été avec ma copine, 4 ans exactement, tu vis des choses différentes de quand t’es célib et que tu te mets dans plein de situations ou tu vas rencontrer du monde, des filles, aller à des soirées. Ressentir les émotions en sachant que tu vas aller à une soirée parce que tu sais qu’il y aura cette fille et toute cette rêverie là, tu découvres plein de nouveaux trucs.
Je suis aussi parti en Italie dans une résidence d’artistes où je prenais le temps de réécouter mes chansons et de réaliser qu’est ce que cette chanson voulait dire expressément, par exemple quand je réécoute quelque chose comme Un amour au Super U c’est très cool et super joli mais il n’y a pas un vrai statement à l’intérieur, c’est plus de l’esthétique parce qu’à l’époque j’étais jeune et ça me faisait kiffer de faire des chansons comme ça avec Milena.
Aujourd’hui je vais bien plus dans le cœur du poulet si tu veux et c’est le temps qui m’a permis de réaliser ça.
Donc je me permets de dire au Lewis d’il y a 4 ans, “Nuance tes propos !”. Rires


LFB : D’une manière générale c’est une période qui aura permis à chacun de repenser sa conception des choses…

Lewis Ofman : Exactement, même si c’est très difficile en ce moment, il y a des choses intéressantes, même au niveau des relations, par exemple je ne vais plus perdre mon temps avec des gens qui me saoulent et a contrario je vais approfondir avec les gens que j’aime parce que je ressens leur importance.

LFB : Pourquoi sortir un EP avant ton premier album ?

Lewis Ofman: Moi ça me fait chier, si je pouvais je sortirais des sons tout le temps, mais c’est pas stratégique.
Sortir des sons tout le temps c’est comme dire à une fille que tu es amoureux d’elle tout de suite, elle va s’enfuir en courant parce que tu la fais flipper.
Là c’est pareil, faut être plus malin et sortir les sons pour créer une attention pour que tout ce que tu vas balancer après ne soit pas vertigineux.
Vu que dans l’album il y a beaucoup de choses, avec cet EP là je peux donner un avant goût et orienter vers ce que sera l’album.
En plus comme les temps sont durs, j’ai le sentiment que si je sors l’album maintenant ça va être compliqué.
Après c’est stressant mais je préfère sortir mon album à un moment vraiment bien foutu, que les gens soient dans les meilleures conditions après cet EP.
Déjà l’EP devait sortir il y a un petit moment mais on s’est vite rendu compte qu’il n’y aurait pas ce “bon moment” et qu’il fallait aussi sortir des sons au bout d’un moment. Et comme tu l’as bien dit c’est nécessaire, même pour moi, j’ai besoin de “balancer” mes sons, j’en peux plus.

LFB : Ils datent de quand les sons de cet EP d’ailleurs?

Lewis Ofman : Las Banistas je l’ai fait avant Attitude, c’était il y a deux ans..

LFB : Donc j’imagine que dans ton processus créatif t’es déjà loin de tout ça ?

Lewis Ofman : Oui et non, ok ça fait déjà deux ans mais ces sons je les aime toujours autant et ça me rassure dans la sincérité de ces créations parce que si j’en suis encore content et fier c’est que j’ai fait les choses bien. C’est intéressant et c’est un bon enseignement surtout.

LFB : Tu parles du “bon moment” pour sortir les sons, il y a cette dimension avec ta musique où elle a besoin d’être vécue, c’est quelque chose de très physique et je pense que c’est nécessaire d’avoir la possibilité de faire du live au moment ou tu sortiras ton album.

Lewis Ofman : C’est ça, et surtout que c’est un album ou je scande beaucoup de choses, chaque chanson est un peu un statement à chaque fois et j’ai envie que ce soit bien compris et que ce soit exprimé sur scène parce que pour l’instant tout ce qui est sorti était plus ou moins en surface de qui je suis vraiment et là ce qui arrive va encore plus dans l’expression de chaque sentiment distinct, il y a la rage, le bonheur ultime, l’amour, le fait de se sentir énergique, plein de trucs différents et je veux les exposer comme il se doit.

LFB : L’EP je le définirais comme un EP d’Attitude, sans vouloir reprendre le nom du morceau, il n’y a pas de couplets chantés, c’est surtout de la musique pour danser et se laisser aller, c’est beaucoup d’affirmation de soi, être soi même.

Lewis Ofman : Exactement, c’est un EP que j’ai fait à Barcelone, je suis parti un an là bas avec la volonté de trouver mon son, et dans l’EP on entend souvent les mêmes sons de synthés notamment, à ce moment là j’avais décidé que le son qui fait les mélodies, les leads, ça allait être ma voix.
Mon but ultime c’est de faire ce qu’on va appeler une chanson sans chanson, sans voix, sans quelqu’un qui chante, et que ça ne nous dérange pas, que l’âme du truc puisse permettre au morceau d’être écouté comme une chanson avec un chanteur, c’était mon but à ce moment là, je voulais essayer de faire des morceaux sans forcément qu’il y ait une voix qui explicite l’émotion. C’est un peu comme de la peinture abstraite.

LFB : Cette idée de transmettre des émotions sans forcément chanter ça se ressent beaucoup au travers de la danse, déjà dans les clips d’Attitude et de Dancy Boy où il y a cette notion d’affirmation de soi et de plaisir à faire ce qu’on aime et où la musique est extrêmement communicative. La danse joue un rôle clé là dedans et j’imagine que ce n’est pas un hasard si l’EP s’appelle Dancy Party…

Lewis Ofman : La danse c’est un des meilleurs moyens pour s’affirmer, je suis pas un bon danseur même si j’adore danser mais pour moi l’affirmation de soi est la chose la plus importante et la danse en est l’exemple parfait, je respecte profondément les danseurs parce que je trouve magnifique qu’ils puissent s’abandonner comme ça dans des démonstrations pareilles.
Dancy Party c’est comme une métaphore, Dancy pour l’affirmation de soi et Party pour moi ça incarne la rêverie, une fête c’est comme un rêve, on ne sait pas comment ça va être et c’est quelque chose qui n’arrivera jamais de la même façon. C’est un peu ça le message codé, un rêve dansant.

LFB : Cette idée de moment qui ne se reproduira jamais c’est hyper cohérent avec ce que dégage ta musique, il y a ce côté spontané qui créée un moment singulier à part entière et dans tes prestations lives j’imagine qu’il y a ça aussi. Pour autant tu arrives à embarquer assez facilement les gens dans cet univers fait de parenthèses, c’est assez fascinant.

Lewis Ofman :
C’est vrai que j’aime bien allier tout le monde, je ne me considère pas dans un style particulier de musique, je ne suis pas dans un mouvement. Ce que j’essaye de faire c’est le son que tu vas mettre à une fête et sur lequel tout le monde va se lever et dire “ah j’adore cette musique” même si ce n’est pas le type de musique que la personne écoute de base.
C’est un peu l’effet que j’essaye de transmettre, après c’est quelque chose que je suis allé chercher en moi, le moment ou je fais ces sons là je vais essayer de m’impressionner moi même en faisant quelque chose dans l’instant, dans le sens ou c’est une idée qui va me frapper d’un coup et je vais essayer de maintenir et prolonger cet instant. C’est quelque chose que tu ne contrôles pas, que tu n’as pas vu arriver, c’est là que ton inconscient prend le dessus et c’est dans ces moments que tu fais quelque chose qui touche les gens parce que c’est une énergie qui passe, c’est comme les ondes bluetooth, ça agrippe sans que tu t’en rendes comptes. C’est plus touchant parce que tu y as mis de l’honnêteté et de la sincérité, c’est comme un acteur qui joue mal et un acteur qui joue bien, tu ressens tout de suite la différence.


LFB : En regardant ton parcours, on a l’impression que tu as pris le temps de faire tes classes en collaborant, que ce soit avec Rejjie snow, avec Vendredi sur mer ou encore les Pirouettes, comme si ça t’avait permis de révéler ta créativité et ajuster la mire sur ce que tu voulais produire en tant que Lewis Ofman

Lewis Ofman : C’est fondamentalement vrai, avec Vendredi sur Mer et Rejjie, à chaque fois que la phase de création se finissait j’avais l’impression d’avoir des choses hyper bien et d’avoir mis plus de zèle que pour mon propre projet. J’ai découvert que je pouvais faire plein de choses que moi tout seul je ne me serais pas permis et ça m’a aidé à me dire que j’avais aussi envie de faire mon propre projet.
C’est en partie ça qui m’a permis de mettre le même investissement dans ce que je faisais avec d’autres que ce que je faisais seul, parce que quand tu collabores, tu as la personne avec toi dans la pièce et tu ne t’arrêtes pas de travailler, tu te motives, alors que seul il faut avoir de l’auto discipline et ça c’est plus compliqué.
Quand d’un coup tu essayes de mettre le même engagement tu comprends que t’as les capacités de faire quelque chose de vraiment intéressant.
Après avec The Pirouettes c’était un peu comme mon service militaire, pendant un an j’ai tourné avec eux en tant qu’intermittent, j’étais leur batteur, c’était une grosse tournée pour leur premier album.
D’un coup tu fais face à énormément de stress parce que tu joues devant beaucoup de gens et ça ça casse plein de choses en toi qui font qu’ensuite t’es comme Sangoku, t’es surentrainé, donc ouais c’est des gens avec qui j’ai beaucoup appris…