Stéphane Amiel: « L’avenir des Femmes S’en Mêlent commence maintenant »

À quelques jours du début des dates parisiennes nous avons discuté avec Stéphane Amiel qui a fondé le festival Les Femmes S’en Mêlent il y a déjà 24 ans. Un moment d’échange qui nous a permis de remonter le temps et aussi de comprendre pourquoi ce dispositif est toujours important aujourd’hui. Porteur de valeurs qui nous sont essentielles, musicalement ce festival est aussi l’occasion de découvrir de nouvelles artistes et de, toujours, se laisser surprendre par elles.

Embarquez et laissez vous emporter par Les Femmes S’en Mêlent, pour 12 soirées prometteuses, du 15 au 27 novembre entre Partis, Pantin et Montreuil mais aussi à Vendôme, La Rochelle, Ajaccio, Angers et Le Havre jusqu’au mois de décembre.

L'affiche du festival Les Femmes S'en Mêlent 2021

La Face B : Peux-tu nous expliquer le pourquoi du festival Les Femmes S’en Mêlent ?

Stéphane Amiel : C’est tellement loin, presqu’une vie. Le contexte du festival, c’était alors celui de l’insouciance. J’étais dans une association qui s’appelait Bandido et on cherchait à monter un événement. On était deux garçons et on voulait faire un festival européen. Puisqu’on était tous les deux fans des voix féminines dans le rock. On s’est dit : « Pourquoi on ne ferait pas un festival européen mais avec des artistes femmes ». C’est comme ça que l’idée des Femmes S’en Mêlent est arrivée. Mais on a vite vu que l’on avait du mal à en trouver.

Donc, le contexte initial n’était pas celui d’un constat militant. C’est devenu ensuite plus pointu. La première étincelle a donc plutôt été l’amour de la musique et, dans la musique, celui des voix de femmes. En plus nous étions deux garçons qui ne pensaient pas que des garçons pouvaient être féministes. Ça n’existait pas à l’époque, en 1997, ou en tout cas ça ne se disait pas. Pourquoi cela nous plaisait à tous les deux en tant que garçons ? Ça relève de la psychologie ou de la psychanalyse [Rires]. On n’ira pas plus loin.

La Face B : Dès le départ le festival s’appelait Les Femmes S’en Mêlent 

Stéphane Amiel : Oui, dès le départ. Un jeu de mot un peu pourri, comme ils pouvaient l’être dans les années 90. En même temps, beaucoup de noms de festival reposent sur des jeux de mots.

Les Femmes S’en Mêlent, c’est assez malin parce qu’il y a le côté : « Tu te mêles de quelque chose qui ne te regarde pas ». Les filles n’avaient pas voix au chapitre dans l’industrie musicale donc « qu’elles puissent s’en mêler » était l’idée du festival.

Le nom est aussi vieux que le festival. Je me suis posé la question de le changer plein de fois. Beaucoup de gens me disaient : « C’est vieillot, on en est plus là, … ». Mais en même temps c’est historique et je ne sais pas comment j’aurais pu l’appeler autrement : « Festival d’Artistes Femmes Indépendantes » ? Les Femmes S’en Mêlent, le nom reste toujours assez léger et évocateur. Donc on s’y retrouve et il existe un historique qui va avec.

La Face B : 24 ans, c’est un festival ancien !

Stéphane Amiel : Oui et il y a eu un trou dans la raquette. En 2000, il n’y a pas eu de festival. Il y a eu 22 éditions en 24 ans.

La Face B : Si on avait fait cette interview il y a 24 ans. En quoi en aurait- elle aurait été différente ?

Stéphane Amiel : 24 ans, c’est une vie, un voyage personnel dans le festival. Ce sont autant de connaissances, de rencontres. Le festival est devenu de plus en plus militant, de plus en plus attentif à ce que l’on propose : être inclusif. Je me suis très vite rendu compte qu’il fallait montrer plein de modèles différents.

Ça a toujours été quelque chose que l’on a fait en travaillant à côté. On ne s’est pas dit : « Quel bon filon les artistes femmes, on va gagner plein d’argent ». Ça n’a jamais été le cas. On était tous bénévoles. Derrière le festival, il y a de l’obstination – ne pas lâcher l’affaire – et du militantisme mais pas de façon ostentatoire. Ça l’est peut-être davantage aujourd’hui parce que l’époque l’est davantage et le demande.

Je ne suis pas le même homme que celui des débuts du festival. Je suis plus attentif à beaucoup de choses et je me mets aussi davantage en retrait, parce que c’est compliqué d’être un homme à la tête des Femmes S’en Mêlent. Pas personnellement parce que c’est intéressant. Mais est-ce à moi de prendre la parole aujourd’hui ? C’est parfois un peu délicat. Je me suis souvent dit : « Mais de quoi je me mêle dans cette affaire, qu’est-ce que j’ai à y faire, est-ce que c’est à moi de parler ? ». Et en même temps je suis toujours là. Mon positionnement peut être parfois compliqué mais il devient beaucoup plus affirmé. D’une part parce que ma situation personnelle est aujourd’hui différente et d’autre part parce que l’époque a aussi énormément changé. Il faut répondre à tellement de choses, être plus attentif, plus pointu, mais toujours le faire avec la même envie.

Depuis le début, on a toujours défendu des artistes indépendantes. Ce n’est pas le gros barnum avec les meilleures « Artistes femmes » de l’année. Le festival a toujours été très indé. On a programmé des artistes qui nous ressemblaient, qui ressemblaient au festival. C’est aussi une famille qui évolue, qui grandit, qui s’élargit. On intègre de plus en plus d’artistes d’horizons différents. Le contexte musical, lui aussi, a changé. Il y a dix il n’y avait que du rock et de la folk. Après nous avons eu de l’électro et maintenant le rap et le hip-hop arrivent en force et vont prendre une part de plus en plus importante parce que le discours est là aussi.

Les Femmes s’en Mêlent ont évolué et évoluent avec les styles musicaux et le mouvement de la société.

« Il faut aller voir, même ce que l’on n’a pas envie d’aller voir. C’est là où il peut y avoir les plus grosses surprises »

La Face B : Comment les spectateurs ont-ils évolué en 24 années de festival ?

Stéphane Amiel : Il y avait beaucoup plus d’hommes au départ. C’était un public très masculin sur les cinq premières éditions. Il y avait même des concerts où il n’y avait que des hommes. Parce que c’étaient des artistes féminines mais qui ne parlaient apparemment qu’aux hommes. Des trucs très Rock’n’roll, très Garage, comme Demolition Doll Rods. Je me rends compte qu’aujourd’hui que le public est beaucoup plus mixte. Cela inclut beaucoup de scènes différentes, les scènes LGBTQ+. Il est plus divers, plus éclectique et féminin. C’est vraiment visible depuis cinq, six ans.

En même temps, on se rend compte que pour certaines artistes femmes, leur public est essentiellement masculin. Et elles le revendiquent : « Moi mon public, c’est un public d’homme ». Elles ne disent pas qu’elles chantent pour les hommes mais elles ont constaté que leur public était majoritairement masculin. Il y aussi des voix féminines qui irritent les filles mais que les garçons aiment bien. Il y a des postures, des attitudes sur scène, qui peuvent aussi gêner les femmes.

Des fois, tu marches sur des œufs. Comme quand tu programmes une artiste comme Crystabell qui était l’égérie de David Lynch. Elle est dans une posture d’ultra féminité. Je n’avais pas peur de me faire taper sur les doigts mais de réactions du genre : « C’est quoi cette image de la féminité ? ». Et puis et ça a été une des surprises du festival, tout mon public LGBT a adoré alors qu’elle jouait sur une féminité, presque à la Jessica Rabbit, très lascive et un peu désuet. Et les retours que j’ai eus c’était plutôt : « C’est qui cette fille, elle m’a scotché ». Alors qu’au départ j’étais plutôt hostile, au final ce qui a dégagé était tellement intense, tellement vrai que ça avait bousculé les choses.

Ne pas avoir de choses formatées, c’est ce qui est intéressant. On pourrait dire que tel artiste est pour tel public. Mais non, il faut aller voir, même ce que l’on n’a pas envie d’aller voir. C’est là où il peut y avoir les plus grosses surprises. Il faut s’ouvrir. C’est mon histoire personnelle, ouvrir les horizons et ne pas aller que vers la sensibilité musicale sinon je fais du sur place et ça ne m’intéresse plus. Et puis on vieillit, on a donc besoin de nouveautés, d’être amené ailleurs.

Avec l’âge le public évolue aussi. J’aimerai surtout garder un public jeune. C’est mon gros souci. Où le trouver sans forcément programmer des artistes qui brossent dans le sens du poil. Ne pas donner ce que tout le monde attend et en même temps donner quelque chose dont les jeunes puissent s’emparer. 

Les affiches du festival Les Femmes S'en Mêlent de 1997 à 2004
Les Femmes S’en Mêlent de 1997 à 2004

La Face B : Tu constates un vieillissement de ton public ?

Stéphane Amiel : Oui je l’ai constaté. Aller en concert, tu le fais quand tu es jeune et tu t’arrêtes lorsque tu es en couple. Tu fais une pose. Il y en a qui m’ont dit : « On s’est rencontrés au concert de Kim Gordon en 2001 » et je les ai revu 10 ans après. Entre-temps, ils ont eu des enfants et tout ça. En même temps c’est l’histoire du public. Il faut toujours aller chercher des nouveaux publics. C’est ce qui est le plus compliqué. Moi aussi, je vieillis, j’ai eu des enfants.

« L’idée, en tant que programmateur, est de toujours trouver des alternatives et d’essayer de ne pas être là où tout le monde est »

La Face B : Est-ce qu’il est aujourd’hui plus simple de trouver des artistes qu’il ne l’était il y a 24 ans ?

Stéphane Amiel : Oui, il y en a davantage et françaises aussi. Pendant des années, il n’y avait que très peu, voire pas d’artistes françaises aux Femmes S’en Mêlent. Les seules que j’aurais pu programmer étaient trop connues, je n’avais pas besoin de les faire jouer. Le but était d’amener vers d’autres artistes et vers une alternative de programmation. Il fallait aller les chercher en Europe ou aux Etats-Unis. Depuis trois, quatre ans, la part d’artistes françaises a considérablement augmenté.

Cette année, on est à plus de 80%. C’est vrai qu’il y a l’impact Covid mais en même temps c’est la tendance. Je n’ai pas eu à me forcer. Des festivals ont fait une programmation 100% française mais sur scène tu revoies toujours les mêmes. Ce n’est pas le but. Dans les 80% de françaises programmées, il n’y en a pas 80% de connues. Ce sont des nouveaux projets ou des projets stoppés par la crise en mars 2020 qui devaient, alors, partir en promo comme pour Les Vulves Assassines, Minuit Machine ou encore Ausgang.

L’idée, en tant que programmateur, est de toujours trouver des alternatives et d’essayer de ne pas être là où tout le monde est. Même si la tendance est aux françaises, au rap/hip-hop, il faut montrer des alternatives. Donner la possibilité à d’autres artistes, plus jeunes, d’être sur scène et de participer à un festival comme Les Femmes S’en Mêlent qui représente pour elles quelque chose d’important, un tremplin, de bonne scènes, de bonnes conditions et une promo autour.

On sent qu’il existe encore une demande de jouer aux Femmes S’en Mêlent. Un moment, je me disais que cela pouvait être complètement has been pour des jeunes de 20 ans. Je me suis rendu compte que non. Même s’il s’agit d’un petit festival, dans de petites salles, venir aux Femmes S’en Mêlent, c’est participer à un festival qui est inscrit dans le paysage, qui a une image. Un peu comme les Trans, qui étaient mon modèle. Je l’appelais les « Trans Musicales de la Féminité » [Rires].

La Face B : En parlant de financement et de soutien, comment la vision de tes partenaires a évolué en 24 ans ?

Stéphane Amiel : Les sept premières années ont été compliquées. Tout le monde est parti. En 2000, il n’y a pas eu de festival parce qu’il n’y avait pas de moyens. On voyait bien qu’on n’aurait pas de subventions publiques. On avait essayé la Ville Paris, et ça s’est débloqué à l’arrivée de Delanoë.

Les Femmes S’en Mêlent ont toujours été un festival DIY. On recommence chaque année avec zéro en poche et on ne sait pas si on va pouvoir continuer l’année suivante. Tu ne peux pas te dire qu’un partenaire va te suivre pendant deux, trois ans. Ça n’a jamais été le cas. Soit les marques ne suivent plus, soit elles n’ont pas de vision sur plusieurs années. Quand elles t’aident, elles font des coups. Pendant très longtemps, il n’y avait pas non plus de volonté politique des pouvoirs publics. Elle est très récente, depuis Macron et le CNM (Centre national de la musique), l’égalité Femme-Homme dans la culture est devenue un enjeu politique et on y met maintenant des moyens. Je vais peut-être pouvoir enfin, après 24 ans, construire une trajectoire avec un horizon de deux/trois ans. Mais ce n’est pas encore gagné.

Quand j’ai vu qu’il se passait politiquement quelque chose, on s’est mobilisé. On a tellement galéré pendant toutes ces années. Avant, on avait bien quelques subventions mais sans vision d’ensemble. Il fallait la demander de nouveau l’année suivante sans savoir si tu allais avoir la même somme ou rien du tout. On repartait toujours à l’aveugle. Parmi les festivals, il y en a sans doute des plus gros qui ont une visibilité sur plusieurs années. Pour Les Femmes S’en Mêlent ce n’est pas le cas. Cela vient aussi de sa structure. C’est un festival monté par des bénévoles. Il n’y a pas de permanents. Il y en a eu pendant 10 ans, de 2004 à 2014. Après 2014, on s’est échoué au CENTQUATRE et c’était fini. On est retourné en asso et depuis ce n’est, de nouveau, que du bénévolat. Il n’y a que depuis septembre que l’on a embauché une permanente, Adriana Rausseo. Je ne suis pas dedans. J’essaye de me trouver un modèle économique [Rires]. Et oui, c’est un de mes objectifs. Mais bon, je travaillais à côté et je n’avais pas besoin de ça pour en vivre.

La Face B : C’est aussi une liberté

Stéphane Amiel : Oui, une liberté et des limites.

Les affiches du festival Les Femmes S'en Mêlent de 2005 à 2010
Les Femmes S’en Mêlent de 2005 à 2010

« Et là je me suis rendu compte que la part des femmes en concert sur des SMAC était à 17% »

La Face B : Comment sens-tu l’évolution de la femme dans la musique en 24 ans ?

Stéphane Amiel : Sur scène, on a l’impression qu’il y en a beaucoup. Le ressenti serait plutôt : « Ça va, des femmes il y en a partout ». Même moi, j’ai eu cette impression et je me suis demandé si Les Femmes S’en Mêlent servaient encore à quelque chose. Elles sont programmées partout, dans tous les festivals. Il y a de gros succès d’artistes femmes. Quand Alela Diane ou Camille sont arrivées, je me suis dit que plein de choses émergeaient et dans des esthétiques pas forcément évidentes.

Et puis en 2019, la FEDELIMA a publié des données chiffrées. Là je me suis rendu compte que la part des femmes en concert sur des SMAC était à 17%. Et on était sur des SMAC donc des scènes subventionnées par l’argent public. Dans les salles de répétition, cela descendait à 14%. Là je me suis dit qu’il y avait un problème. Dans les SMAC ou dans des festivals qui brassent de l’argent public, qu’il y ait aussi peu de femmes ce n’est pas compréhensible. Ça pose un problème à tous ces directeurs, directrices, programmateurs, programmatrices de juste représentation d’une société. Il y a encore beaucoup à faire.

À chaque fois, je veux arrêter en me disant : « C’est absurde de faire les Femmes S’en Mêlent ». Je me demande si c’est rendre grâce aux artistes de les faire jouer aux Femmes S’en Mêlent : « Venez, on va jouer et il n’y aura que des artistes femmes ». Au début, les reproches c’étaient ça. Créer un ghetto d’artistes femmes et dans quel but. Et certaines ont refusé de jouer. Tu es tiraillé entre le fait de l’arrêter et en même temps par cette nécessité de le continuer. Alors on continue et toujours avec la même ligne directrice : passion, défrichage, aller voir celles qui galèrent le plus et que l’on doit davantage aider : celles qui ne sont pas intermittentes, celles qui n’ont pas la carte, celles qui dérangent, celles qui sont à côté. C’est tout ça Les Femmes S’en Mêlent.

Aujourd’hui on parle de safe place, d’endroits sûrs pour les femmes. En réalité, Les Femmes S’en Mêlent c’était ça depuis le début. C’est aussi un endroit de rencontres entre artistes femmes. Il faut pouvoir se rencontrer et être en supériorité. C’est ce qui nous différencie d’autres festivals où elles viennent juste pour la caution féminine ou parce qu’artistiquement ça matche. Il y a beaucoup d’histoires qui se sont montées autour des plateaux, des soirées. Comme c’est un festival itinérant, même s’il l’est un peu moins aujourd’hui, les artistes se sont vues sur plusieurs dates. Ça a créé beaucoup de ce qu’on appelle aujourd’hui sororité. Tous ces mots dont on parle aujourd’hui : inclusion, safe place ou sororité étaient dans les gènes du festival.

L’inclusion on l’avait parce que la scène queer LGBT est présente depuis très longtemps aux Femmes S’en Mêlent même si elle n’était pas revendiquée en tant que telle ou alors pas aussi ostentatoire que maintenant. Idem pour la safe place ou la sororité.

Le fait que des filles viennent de plein d’horizons différents et se retrouvent entre elles, ça change complètement. Elles le disent : « C’est autre chose ». Tous ces genres de clichés : « Jamais tu ne pourras faire un plateau qu’avec des filles parce qu’elles vont se crêper le chignon » ou « Elles voudront se voler la vedette » qu’on nous opposait, je ne les ai jamais ressentis, sauf peut-être une fois en 24 ans. C’était trop un effet de sororité, sans le dire.

Donc pour l’évolution, il y a le ressenti mais les chiffres parlent.

La Face B : déjà de disposer d’un indicateur permet d’objectiver les faits.

Stéphane Amiel : Et de comprendre pourquoi les femmes ne sont pas présentes dans les studios de répétition. Il y a des studios incroyables, derniers cris, dans toutes les SMAC où je vais. Et les femmes ne s’en emparent pas. C’est vrai que, et j’ai fait plein de studios, ce sont des lieux de mecs. Tu n’es reçu que par des mecs, tes techniciens sont des mecs, ceux qui t’ouvrent les portes sont des mecs. Quand tu es une fille, ça doit être lourd.

S’il y avait davantage de filles techniciennes qui accueillaient les musiciennes cela changerait le rapport. Et les filles techniciennes qui travailleraient dans ces endroits pourraient faire venir leurs connaissances « Venez, c’est moi qui vous accueille, qui vous explique comment cela marche ». La technique, ce n’est pas plus compliquée que pour les mecs. Quand je suis arrivé dans les studios, je ne connaissais rien. Je m’en foutais, j’y allais. Je me sentais légitime parce que tout le monde y allait. Il y avait des larsens mais ce n’était pas important. Alors si les filles ont plus de mal à se sentir légitime ou l’impression d’en savoir moins sur la technique, même si c’est le cas, ce n’est pas gênant. Moi, je ne savais rien et j’y allais.

« Au début je trouvais ça extrême et puis j’ai compris »

La Face B : On parlait des artistes sur scène. Mais autour d’elles, Les Femmes S’en Mêlent embarquent elles aussi les femmes techniciennes ?

Stéphane Amiel : De plus en plus et maintenant sur toutes les salles. Dans le festival, il n’y a que des régisseuses depuis des années. En fait, dans ce festival tous les hommes sont des bénévoles, les salariés sont des femmes. Même dans les services de sécurité, on a déjà eu cette demande d’avoir un service de sécurité exclusivement féminin. De même pour que ce ne soit que des femmes qui gardent les loges. Au début je trouvais ça extrême et puis j’ai compris. C’est bien aussi d’avoir des femmes dans le service d’ordre et maintenant on en voit de plus en plus.

Dans Les Femmes S’en Mêlent, il y a toujours eu des femmes et pas qu’à la communication, elles sont présentes aussi à la technique. J’ai rencontré notre présidente des Femmes S’en Mêlent au Café de la Danse. Elle se formait à la lumière. Je crois même qu’elle était sur le premier concert des Femmes S’en Mêlent avec La Grande Sophie. Et c’est une nighteuse.

Les affiches du festival Les Femmes S'en Mêlent de 2011 à 2019
Les Femmes S’en Mêlent de 2011 à 2019

« LFSM, ça va être toute l’année, dès qu’il y en a besoin »

La Face B : On parle beaucoup des dates parisiennes et c’est vrai que cette année beaucoup de concerts se feront à Paris. Mais LFSM ce sont aussi des dates en province. C’est une volonté d’exporter ce festival ?

Stéphane Amiel : C’est obligatoire, sinon ça n’a pas de sens. Ne faire que Paris serait réducteur. Il faut justement que l’action des Femmes S’en Mêlent soit menée partout, à Saint-Etienne, à Vendômes, à Clermont-Ferrand, à Rennes. Ça a été notre parti pris depuis le début. Maintenant la nouveauté c’est de ne plus les considérer comme un moment fixe dans l’année. Ça va être Les Femmes S’en Mêlent toute l’année et partout. On va répondre à des demandes de programmation, d’accompagnement, d’actions culturelles toute l’année. Il va y avoir LFSM au mois de mai à Saint-Lô en Normandie, Roubaix et Lille au mois d’avril, à l’Astropolis de Brest en février. LFSM, ça va être toute l’année, dès qu’il y en a besoin. On travaille sur une vingtaine de villes.

Sans être prétentieux, je crois que ce sont Les Femmes S’en Mêlent qui ont inventé le festival itinérant en 1999. On était les premiers à dire qu’on allait faire LFSM ailleurs : LFSM Bordeaux, FLSM Alençon, FLSM à la Luciole à Alençon. C’était aussi un modèle économique. On ne pouvait pas faire qu’une date parisienne. Ça n’avait pas de sens quand on n’avait pas d’argent. On est devenu tourneur. Si on fait Kim Gordon, on ne peut pas la faire qu’à Paris. On l’a donc vendu à Bordeaux, à Nantes, … Après on est devenus producteurs.

Ensuite tout le monde a copié ce modèle, le Inrockuptibles et d’autres. Il faudra que je vérifie mais je crois vraiment qu’on a été un des premiers festivals à être itinérants.

La Face B : Par conséquent, tu as des compétences de tourneur.

Stéphane Amiel : Oui, on est devenu tourneur. On a monté Impérial en 2004. On avait des groupes comme CSS, Christine & The Queens dès le début, Nouvelle Vague quand il y avait Camille. Comme on ne nous laissait pas les artistes, on devait aller les chercher, on est devenu tourneur.

La Face B : C’est une organisation encore plus complexe à mettre en place

Stéphane Amiel : Oui et c’est à ce moment-là qu’on a embauché nos premiers salariés, entre 2004 et 2014. Et c’est aussi là où tout s’est arrêté au CENTQUATRE, trop de dettes.

« L’avenir des Femmes S’en Mêlent commence maintenant »

La Face B : LFSM sont devenues un peu plus qu’un festival. C’est un peu une labellisation qui est mise en place et qui va au-delà des concerts ?

Stéphane Amiel : Créer un endroit fédérateur, c’est ce que l’on aimerait faire et ce que l’on va faire. Ne pas avoir LFSM tout seul dans son coin à décider de ce que l’on doit voir, écouter, ou de ce que l’on doit penser. On est davantage dans l’optique d’inviter toutes les assos, tous les collectifs qui existent comme Band She, Future Female Sound et bien d’autres. Les faire participer aux Femmes S’en Mêlent, ne pas rester seuls de notre côté. Partager. Je crois beaucoup à la générosité or le milieu de la musique et surtout celui du live sont plutôt à couteaux tirés. Aujourd’hui, c’est là où est l’argent. Le live cristallise.

Je me suis rendu compte, en mars 2019, qu’il y avait énormément de collectifs qui montaient des soirées avec une esthétique similaire et qui faisaient intervenir des artistes femmes. Il est important qu’il y ait plein d’actions mais pas au même moment. On était en train de se tirer dans les pattes. Invitons-nous, faisons des choses ensemble et ne soyons pas les uns contre les autres. C’est ce que l’on essaye de mettre en place.

On a effectué un travail sur ce qui se fait en ateliers, en rencontres, en networking. On propose maintenant des ateliers menés par des artistes telles que Sônge, par des collectifs comme Musiciennes & Co ou par le label Fraca avec lequel on est en lien.

L’idée est vraiment de partager et grâce au label Les Femmes S’en Mêlent de ne pas rester dans son pré carré, dans sa communauté mais d’aller voir ailleurs. D’emmener des collectifs à Brest, à Saint-Etienne, et aussi d’en inviter comme Louder, un collectif de Lille et Roubaix et faire des choses avec eux. C’est prévu à Paris en 2022. Créer un réseau national d’entraide, c’est comme ça qu’on le voit. On est demandé un peu partout et sur des territoires compliqués, en Ardèche, à Annonay, à Valence, là où il y a des choses à faire avancer. C’est ce qu’on aimerait avoir comme rôle et qui va nous amener vers 2022, 2023, 2024.

L’avenir des Femmes S’en Mêlent commence maintenant. Une action plus en profondeur et au-delà des concerts. Des ateliers et pourquoi pas du vin militant [Rires]. L’idée est aussi de s’amuser et surtout de partager.

Retrouvez toutes les informations des Femmes S’en Mêlent sur leur site www.lfsm.net