Leo Fifty Five – “je suis très fan de la première intention, je ne reviens jamais sur rien, même si ce n’est pas parfait”

Il a tourné en Belgique pendant près d’un an avec son single Ça tu le savais, jusqu’à ce que ce titre suave arrive jusqu’aux oreilles françaises ! Leo Fifty Five, né David Leo Blasband en Malaisie, arrivé en Belgique à l’âge de 7 ans, est un nouveau venu dans la scène belge qui cartonne en France. Ses influences sont fondamentalement américaines, il distille un RnB / soul très smooth, comme on en manque cruellement sur la scène francophone actuelle. Il vient d’être sélectionné par le Fair, le dispositif qui aide chaque année une poignée de talents émergents à se lancer. Et dire que Leo se prédestinait jusqu’à il n’y a pas si longtemps à une carrière de joueur de hockey professionnel… Il sort ce vendredi 27 septembre son deuxième (et premier véritable) EP Enchanté et on l’a rencontré à la terrasse d’un café pour en parler.

La Face B : Ton nom de scène Leo Fifty Five te vient du hockey puisque 55 est le numéro que tu avais l’habitude de porter quand tu jouais au hockey sur glace. Tu en as fait pendant de nombreuses années… Et on peut dire que ça t’as bien marqué pour que ce souvenir soit gravé sur ton blaze !

Leo Fifty Five : Ah oui ! Là c’est la première saison depuis très longtemps où je ne joue pas ! Ça fait un peu bizarre parce que d’habitude tous les étés je suis en préparation, je déménage pour intégrer tel ou tel club… Je ressens encore les mêmes anxiétés des reprises de saison, car c’est toujours au début qu’on fait tous les tests physiques etc… En fait l’an dernier je jouais encore dans un club ! Pas en pro mais pour dépanner mon ancien entraîneur. Et cette année j’ai vraiment tout arrêté. Je suis à un stade où je préfère faire une chose bien plutôt que deux choses à moitié. Et la musique, tout comme le hockey, ce n’est pas quelque chose où tu peux espérer t’y investir à moitié et t’y retrouver quand même. Peut-être que je reviendrais un jour au hockey mais pour l’instant je me concentre vraiment sur la musique.

LFB : Il y a cette histoire qui serait un peu la genèse de ton entrée dans la musique, tu te serais déchiré le tendon d’Achille au cours d’un match, et pendant ta période de convalescence, tu as commencé à bidouiller sur des logiciels de musique… Est-ce que tu penses que sans cet accident tu ne te serais pas tourné vers la musique ? Ou tu faisais déjà plein de petites choses en rapport avec la musique bien avant ?

Leo Fifty Five : Oui ! Eh bien non, je ne faisais pas vraiment grand chose en rapport avec la musique avant. David Guetta avait sorti une fois une application pour faire de la musique, il y a longtemps, en 2009 je crois… alors j’ai un peu bidouillé là-dessus quand j’étais jeune, mais à aucun moment je me suis dit que j’allais vraiment essayer d’en faire quelque chose. Et oui, pour aujourd’hui, si je ne m’étais pas blessé (NDLR : c’était à 18/19 ans), je ne serais pas là avec mon projet musical. J’ai toujours kiffé la musique ça c’est sûr, mais si je n’avais pas été blessé et si j’avais eu une opportunité professionnelle dans le hockey, je serais peut-être encore en train de faire ça aujourd’hui !

LFB : Ensuite tu as rejoint le Abbey Road Institute, où tu t’es plutôt spécialisé en tant que beatmaker. Pourquoi tu as choisi cette discipline plutôt qu’autre chose ?

Leo Fifty Five : Je trouvais ça stylé… les mecs de l’ombre… Genre un personnage que tu connais vite fait, et puis tu découvres des sons que t’adores et tu te rends compte que c’est lui qui est derrière à chaque fois ! Le beatmaking, je trouvais ça cool, je savais que je voulais commencer quelque chose dans la musique et ça semblait être un bon endroit pour débuter car c’est assez global, tu apprends un peu tout !

LFB : Et tu as commencé par sortir un 1er EP, en anglais, qui s’appelle Normalitude

Leo Fifty Five : Durant ma première année à Paris je voulais beaucoup produire ! C’est une rigueur dans la discipline qu’on m’a beaucoup inculquée dans le sport, avec le hockey. Mais c’est dur de commencer à faire du son. Alors pour me mettre à l’aise avec le processus je me suis forcé à faire un son par semaine, et ça a duré plusieurs mois. Je faisais tout : je le mixais, je faisais une pochette, je le sortais… C’était vraiment un exercice pour rentrer dans le game, apprendre ce qui fonctionnait pour moi, ce qui ne fonctionnait pas… Et Normalitude en fait c’est une compilation de tous ces sons-là (NDLR : 13 titres en tout).

LFB : Et maintenant tu te donnes toujours une semaine pour faire un son ?

Leo Fifty Five : Alors en fait les sons, si je passe beaucoup de temps dessus, c’est rare que ça finisse par rendre quelque chose de bien ! Je suis très fan de la première intention, et si finalement pour telle ou telle raison y’a quelque chose qui ne va pas, j’en fais un autre. Parfois même je termine un son, et puis il y a une imperfection par ci, il y a un truc qu’on pourrait améliorer là… j’en ai conscience, mais c’est comme ça que ça c’est passé sur le moment, c’est comme ça qu’on a ressenti la vibe à l’instant où on a enregistré, alors c’est comme ça point barre. Si la basse est trop forte, bah tant pis la basse restera trop forte. Je n’ai pas cette vision euphorique de la musique, perfectionniste, mais je suis plus dans une représentation de comment je me sentais à un certain moment.

LFB : Et tu es passé d’un premier EP en anglais, à un deuxième EP en français… Pourquoi ?

Et pour le français… j’avais envie de le faire, j’ai essayé et j’ai bien aimé. C’est cool d’écrire en français parce que c’est plus dur : tu te rends plus vulnérable. En anglais tu peux un peu bullshiter le truc, mais en français on comprend directement ce que je vais dire… Tu n’as pas vraiment de facilités d’écriture comme « you’re the one for me », en français il n’y a pas trop de trucs comme ça. Donc il faut vraiment que tu remplisses ton titre de phrases qui te sont propres et donc qui te rendent plus vulnérable. C’est très réel d’un coup, c’est très intimidant, c’est malaisant au début, mais j’ai trouvé le défi cool ! Et je trouve aussi que l’image que tu peux peindre avec tes mots est beaucoup plus détaillée en français. Je trouve qu’en français tu peux dessiner une image avec des mots avec beaucoup plus de raffinement qu’en anglais.

LFB : Et pour le chant, tu as pris des cours ou tu chantais déjà auparavant ?

Leo Fifty Five : J’ai commencé à chanter à 18 ans, parce qu’il me fallait bien une voix… J’ai commencé tout seul, je galérais, seul-tout dans ma chambre, et puis quand j’écoutais ce que j’avais enregistré c’était compliqué… Alors j’éditais, j’avais un peu d’assistance par le dieu Autotune… Mais après il suffisait que j’écoute un vrai son et je me disais que je ne ressemblais à rien ! Techniquement je ne suis pas un bon chanteur… mais pour moi je raconte des histoires. Ma prouesse vocale n’est pas quelque chose sur laquelle je compte. Pour moi ce qui compte c’est le tout : ça vient un peu du côté producteur, qui fait que je vois tout comme un ensemble. Pour l’instant mon focus c’est l’histoire, la narration… que tu voies ce dont je veux parler, que tu comprennes ce que je veux dire immédiatement, et que tu t’y voies, que ça te rappelle des choses que tu as vécues et qui sont similaires dans ton histoire ! Plus tard, quand je sentirai que mon écriture a un niveau où le chant pourrait un peu mieux accentuer ces histoires, je tenterai de nouvelles choses.

Mais le chant m’a beaucoup aidé pour le live : il y a beaucoup de gens qui croient savoir chanter mais quand tu arrives dans le live c’est un autre délire… J’ai de la chance car je n’ai pas trop galéré à chanter en live mais j’ai appris ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour moi en live : par exemple quelle gamme m’arrange ? Où est-ce que j’arrive à projeter ma voix ? En live c’est vraiment une histoire d’énergie. Pour moi l’enjeu c’est de pouvoir projeter bien, pouvoir bien envoyer l’énergie qui correspond le mieux possible au son. En studio tu peux toujours retravailler ce truc-là avec plein d’outils, tu peux toujours améliorer les choses, mais en live tu ne peux pas tricher. C’est plus compliqué mais du coup mon chant en studio s’est amélioré depuis que je chante en live, parce que le live t’apprends à travailler différemment si tu veux vraiment pouvoir transmettre l’énergie que tu souhaites.

LFB : De ton EP en anglais à ton EP en français, le son a également pas mal changé. Auparavant c’était un peu plus hip-hop, funk et un peu plus « américain » mais au-delà du chant en anglais, vraiment au niveau du son. Et maintenant je trouve que le tempo est un peu plus lent, que c’est un peu plus chill, un peu plus suave…

Leo Fifty Five : Je vois ce que tu veux dire. Cela vient de plusieurs choses. J’ai commencé par faire le titre Ça tu le savais, un peu comme un challenge d’écrire et de produire quelque chose en français. J’ai bien aimé le challenge donc j’ai décidé de continuer sur cette lignée. Donc d’une part j’ai changé la langue et par conséquent le chant. Et deuxièmement, pour l’EP Normalitude j’avais des synthés, alors que pour le nouvel EP Enchanté, ce ne sont que de vrais instruments, il n’y a pas de synthés, il n’y a pas de voix pitchée… Et ça eu une influence dans l’arrangement de l’EP, d’où le côté un peu plus chill, un peu plus posé. Mais pour l’instant je voulais vraiment me consacrer à l’aspect RnB du truc.

LFB : Tu es aussi multi-instrumentiste : tu joues de la guitare, de la basse, de la batterie… d’autres instruments encore ?

Leo Fifty Five : Ouais… la batterie vite-fait, je ne ferais pas un show de batterie, alors que je peux faire tout ce que tu veux en guitare et en basse, dans mon style en tous cas, en RnB / soul ! En fait en tant que producteur tu dois être capable de te débrouiller un peu sur tous les instruments. Je fais aussi du clavier par exemple. Après je ne dirais jamais que je suis un claviériste comme je ne dirais jamais que je suis un batteur, mais j’ai des notions, je sais me débrouiller pour faire ce que j’ai besoin de faire. J’ai pris des petits cours quand j’étais jeune de guitare etc… Mais j’ai vraiment tout appris quand je me suis lancé dedans à 18 ans. Après je ne veux pas que le fait de jouer de plein d’instruments soit le main event, je ne veux pas que ça fasse « cirque » : « oh regardez, il joue de tout etc. ». Je veux vraiment que l’important ce soit la musique, et c’est vrai qu’accessoirement, si tu regardes bien, tu te rends compte que je joue tout, mais c’est vraiment pas le but. Moi je veux que la musique soit stylée et c’est tout.

LFB : Donc c’est toi qui a enregistré tous les instruments qui sont sur ton EP. Donc il n’y a que toi qui joue, sans autre musicien ? Et pourquoi ? Est-ce que tu as peur de ne pas obtenir le bon son si c’est quelqu’un d’autre qui l’enregistre ?

Leo Fifty Five : Oui c’est ça. En live je suis accompagné par des potes, mais sur l’EP ce n’est que moi. Pourquoi… bah d’abord c’est juste pratique : j’ai fait tout mon EP chez moi, dans ma chambre, et si j’ai envie de faire une ligne de basse et qu’il est 14h, je la fais, je n’ai pas besoin d’attendre que telle personne arrive, ou qu’on aille tous ensemble dans un studio… Après je sais que je ne suis pas le meilleur guitariste du monde ni le meilleur bassiste du monde mais pour faire ce que je fais j’ai appris ce qu’il faut et je ne me casse pas trop la tête.

LFB : Et quand tu commences une chanson, est-ce que ton point de départ c’est une ligne musicale ? Ou plutôt une histoire, quelque chose que tu veux raconter ?

Leo Fifty Five : Moi je fais plein d’instrus, je trouve ça drôle à faire et du coup je vais en faire un certain nombre et sur celles que j’aime vraiment bien je vais me dire « ok là-dessus j’ai envie de faire ça… », du coup je les mets de côté et à un moment donné je vais me poser et je vais écrire sur ces instrus. Donc j’en fais plusieurs, puis je filtre un peu, et je sélectionne celles où je vais essayer des choses.

Par contre, pour moi l’écriture c’est le seul truc que je ressens comme du travail. Par exemple, même si j’avais un métier totalement différent, le soir je pense que je ferais quand même des instrus, parce que ça m’amuse. Alors que pour l’écriture il faut vraiment que je me pose, que je me concentre, que je réfléchisse à ce que je veux faire… Et puis une fois que j’ai les paroles, l’enregistrement je le fais moi-même (tout comme l’instru).

LFB : J’ai lu que tu avais tendance à ne pas écrire sur ce que tu ressens dans l’immédiat, mais plutôt sur des souvenirs…

Leo Fifty Five : Oh ça dépend. La femme imaginaire sur laquelle je chante sur tous mes sons, c’est un peu la somme de toutes les femmes que j’ai rencontrées. Mais souvent, comme j’aime bien raconter des histoires, j’aime bien jouer avec les détails, mettre des détails très contextualisants par exemple, mais après je rajoute également des aspects qui vont être beaucoup plus abstraits. Mais tous ces souvenirs qui posent le décor, sont des circonstances que j’ai connues, et ça m’amuse de les décrire de manière poétique et RnB.

LFB : Et puisque tu dis que l’écriture est un travail, est-ce que c’est un processus très long, est-ce que tu reviens plusieurs fois sur le même texte, la même ligne… ?

Leo Fifty Five : Moi je ne reviens jamais sur rien. Parfois je fais des pauses, mais je ne suis pas le genre de gars qui va revenir sur ce qu’il écrit. Je ne vais pas refaire les choses, si finalement je n’aime pas ou plus le mot que j’ai écrit, eh bien tant pis. C’est comme ça, je ne reviens pas sur ce que je fais. À partir du moment où je passe plus de huit heures dessus… c’est que rien de bien ne va en sortir. Mes meilleurs textes c’est ceux qui sortent tout seuls, où je ne me pose pas trop de questions. Objectivement tu peux te rendre compte que telle ou telle partie aurait pu être mieux écrite, mais au moment où le texte est sorti c’est comme cela qu’il sonnait le plus « vrai » pour moi donc voilà. Le processus est plutôt naturel. Si j’arrive à sortir le texte facilement, alors j’arriverais à chanter la chanson facilement.

LFB : Quand tu me disais que tes expériences en live sont hyper importantes parce que ça te pousse à changer plein de choses sur la manière dont tu enregistres, c’est quoi par exemple ? Qu’est-ce que les concerts ont changé ensuite sur ta propre manière de composer et de produire ?

Leo Fifty Five : Le premier truc c’est l’énergie car tu apprends très vite que tu ne peux pas faire une heure de show sans qu’il y ait des moments un peu plus soft. Au début j’écrivais beaucoup, je remplissais tout l’espace… mais avec les concerts j’ai aussi appris à laisser respirer certaines choses. Mes textes sont moins chargés qu’avant, pour que tu n’aies pas toujours le souffle coupé entre chaque son… Et puis il faut rendre le message plus comestible : en live tu ne va entendre le titre qu’une seule fois, donc moi je veux que tu comprennes ce que je dise dès le premier coup.

LFB : Qui sont les artistes avec lesquels tu aimerais collaborer ?

Leo Fifty Five : Stromae, c’est un bonhomme, c’est un peu une légende. Et puis il ne fait pas beaucoup de musique, que ce soit pour lui ou avec d’autres, donc ce serait cool. Et puis aussi Selah Sue, elle est belge aussi. J’aimais trop ses sons et j’aimerais trop faire quelque chose avec elle. Les artistes américains c’est cool… mais c’est moins drôle !

La Face B : Est-ce qu’il y a une salle dans laquelle tu aimerais bien jouer ?

Leo Fifty Five : Bercy ! J’ai joué pendant deux ans chez les Français Volants, qui est le club de hockey de Paris et on s’entraîne à Bercy, donc j’aimerais beaucoup y retourner mais de l’autre côté ! Parfois on s’entraînait et on entendait de grosses basses de PNL… J’ai aussi une histoire avec Justin Bieber, le jour de l’entraînement juste avant son concert, le président du club vient nous voir et demande à moi et à deux autres mecs de l’équipe de rester équipés pendant encore une heure, alors on reste et on attend… Tout le monde se barre, la patinoire refait la glace… En fait Justin Bieber avait loué toutes les patinoires autour de Paris et a demandé à ce qu’il y ait des mecs sur toutes les glaces au cas où il ait envie de jouer.

Et pour ma dernière question : c’est la fin de ta vie, et tu as le droit d’écouter une dernière chanson, laquelle tu choisis ?

24K Magic de Bruno Mars, parce qu’elle est trop drôle ! D’autant qu’elle est pop et tout… et il n’y a pas beaucoup de sons pop que j’aime d’habitude. Mais cette chanson-là me mettrait de bonne humeur ! Et même si je meurs bientôt, à ce moment là je serais le plus groovy de tous, j’aurais les meilleurs moves pendant 3 minutes 30 !

Son EP "Enchanté" sort ce vendredi 27 septembre.

Il sera en concert le jeudi 26 septembre dès 21h30 au Sacré
(142 rue Montmartre, 75002 Paris) pour la General POP Party !

Et le lundi 30 septembre à partir de 19h30 au Café de la Danse
(5 Passage Louis-Philippe, 75011 Paris) avec tous les autres lauréats au Fair !