Interview Relax avec Le Noiseur

De retour avec un second album, Relax, on a eu le plaisir de croiser Le Noiseur au MaMa Festival. L’occasion de parler avec lui de la vie, de l’amour, de la mort, du cinéma et de non-chalance

LFB : Salut Le Noiseur, Comment ça va ?

Le Noiseur : Ça va très bien. Je joue ce soir au MaMa. Je viens de terminer les balances il y a une heure. Ça s’est bien passé donc je suis content. Je suis plus détendu que ce matin.

LFB : Est-ce que tu t’es senti comme un prophète quand tu as sorti Musique de Chambre deux mois avant un confinement international ?

Le Noiseur : Ouais effectivement. C’était marrant ouais, j’y ai pensé aussi. Il est sorti un mois avant donc c’était marrant ouais le petit clin d’oeil. Après c’était moins marrant la suite mais le premier jour ça m’a fait rire ouais.

LFB : Plus sérieusement, comment est-ce que tu as vécu cette période ?

Le Noiseur : Je l’ai vécu comme tout le monde je pense. A la différence près que pour moi, musicien, qui venait de sortir un EP, c’était un moment où il y avait beaucoup de promo. Tous les médias cherchaient du contenu quoi. Donc ça m’a permis de faire des trucs que je n’aurais pas fait en temps normal. Donc c’était bien pour ça mais après sinon c’était chiant quoi.

LFB : Là tu reviens un second album, six après, qui s’appelle Relax. J’ai l’impression que le nom veut dire beaucoup. J’ai surtout l’impression que c’est un album qui est fait avec beaucoup de recul et de libertés, comme si tu t’étais autorisé à ne rien t’interdire.

Le Noiseur : Exactement. C’est bien que tu t’en rendes compte, ça fait plaisir. C’est un disque d’une part… Par les genre musicaux déjà. Il y a plein de choses différentes. Il y a une unité parce que c’est ma voix et mon écriture en interprétation mais c’est vrai que musicalement, je ne me suis rien interdit. J’avais envie de ne rien m’interdire. Et c’est peut-être lié aussi au fait de la situation, de tout ce qu’on a vécu, on avait envie aussi de se faire plaisir aussi quoi, d’être libre. Donc il y a ça dans l’album effectivement qu’on perçoit. Il y a cette envie de partir dans plein de directions.

LFB : Justement, est-ce que cet album là, tu l’as fait « en réaction » au premier album qui avait pas forcément eu la réception que tu avais pu escompté ? Est-ce qu’il y avait une envie de montrer que tu avais des choses à dire et des choses à raconter ?

Le Noiseur : Ouais effectivement, il est un peu en réaction au premier album. J’avais pas vraiment réussi. J’étais pas vraiment content de l’album en lui-même. J’ai pas réussi à aller là où je voulais parce que j’avais certainement pas assez confiance en ma capacité d’écrire des chansons et c’est un long chemin en fait. Il faut du temps pour être un peu plus sûr de soi quand on écrit des chansons.

Et moi le premier album m’aura servi au moins à ça. À savoir ce que je voulais faire. Et j’ai l’impression avec ce second album de m’être vraiment trouvé artistiquement, c’est-à-dire d’avoir un album qui me ressemble entièrement. Le premier album explorait un peu le côté mélancolique qu’il y a chez moi mais très premier degré, très romantique et tout. Mais c’est pas que ça. J’ai aussi d’autres choses.

Et je suis beaucoup plus à l’aise avec cet album qui va dans les deux directions. Et c’est plus riche quoi. Je pense que ça a beaucoup plus de reliefs. Donc moi je m’y retrouve beaucoup plus. Et effectivement, sur scène , ça se ressent. J’ai plus de plaisir à être sur scène avec cet album qu’avec le premier.

LFB : Parce que tu as plus un sentiment de sincérité en fait ?

Le Noiseur : Alors c’est pas que le premier n’était pas sincère mais il était trop premier degré, vraiment. Ce que je racontais étais sincère, j’étais pas dans une posture ou quoi. Mais j’étais pas assez libre et j’ai pas réussi à m’autoriser en tout cas à aller dans les directions… Parce que j’avais déjà presque envie de faire finalement ce deuxième album à l’époque. Donc voilà, c’est juste qu’il fallait oser faire les choses. 

LFB : Du coup, j’aimerais revenir sur certaines thématiques de Relax. Je trouve que c’est un album qui est très vivant parce qu’il est hanté par l’inéluctabilité de la mort en fait et du temps qui passe. Notamment sur des titres où c’est assez clair comme Jimi Hendrix, Dépression Nord ou même Relax en fait. J’ai vraiment l’impression que c’est l’idée de savoir que tu vas mourir qui te permet de te sentir plus vivant en fait. Ça traverse l’album comme ça.

Le Noiseur : Ouais effectivement. Sous ses airs assez légers, cet album parle beaucoup de la mort et du temps qui passe. Et moi mon rapport au temps a pas mal changer ces derniers temps et avant j’étais assez glandeur. J’en suis à mon deuxième album quoi, je ne suis pas allez très vite. Aujourd’hui, je ressens vraiment une urgence à faire les gens et à plus perdre de temps en fait. Et donc l’album effectivement, il y a vraiment ce truc. Même si ça ne se voit pas forcément à la première écoute. 

LFB : C’est assez clair obscur en fait. Je ne vais pas dire qu’il faut plusieurs écoutes…

Le Noiseur : Ouais une écoute attentive quoi.

LFB : C’est ça. Il y a des choses qui se dévoilent au fur et à mesure. Tu vois, moi je pense qu’un titre comme Dépression Nord, qui était déjà sur l’EP. Je trouve qu’il a une autre saveur au milieu de l’album et d’autres titres qui forment un peu une histoire. Pareil Jimi Hendrix, tu sens que t’as pas envie de mourir sans avoir fait les choses en fait. Pour moi, c’est ce que tu racontes dans cet album.

Le Noiseur : Oui oui. C’est ça. Dans Jimi Hendrix en tout cas, je dis que j’ai pas envie de mourir trop jeune. J’ai envie de profiter de la vie quoi. J’ai envie de faire toutes les choses que j’ai envie de faire, tous les albums que j’ai envie de faire et tout ça.

LFB : Ce qui m’a marqué aussi, puisqu’on parlait de contraste, c’est que je trouve que c’est un album assez grandiloquent musicalement. Et qui contraste avec la nonchalance de ta façon de chanter en fait. Et je me demandais comment tu avais trouver cet équilibre là entre les deux.

Le Noiseur : Moi je compose les chansons, je fais tout chez moi dans mon petit studio. Et je sais pas, les choses se font assez naturellement. Je ne me pose pas trop de questions, je ne me dis pas que j’ai envie de faire une chanson comme ça ou comme ça. Je sais que j’aime bien… Je sais que j’ai une manière de chanter, je chante pas très fort, c’est quand même assez discret, c’est vrai. Moins que sur le premier album, ça évolue quand même. Mais j’aime bien que musicalement, ça soit soutenu. J’aime bien qu’il y a des choses derrière, qu’il y ait des instruments et sur scène aussi c’est pareil. Je ne fais pas trop de piano-voix. J’aime beaucoup les arrangements de cordes aussi, j’aime bien quand c’est assez riche ouais. Et je pense que j’ai besoin de ça aussi pour pousser ma voix, pour me sentir soutenu aussi.

LFB : Est-ce que ça t’a amusé de faire que parfois, les paroles échappent au tempo, comme si les mots avaient une vie propre, qu’il y avait trop de choses à dire et que ça déraillait par rapport à la musique qu’il y avait derrière ?

Le Noiseur : Alors ça, c’est pas normal (rires). Tu parles d’une chanson en particulier ? Sur les chansons parlées ?

LFB : Oui, notamment sur Dépression Nord.

Le Noiseur : Sur Dépression Nord, peut être ouais effectivement. Par moment, ça échappe un peu au rythme. Ça traduit l’urgence de la chanson, le besoin d’exprimer ce que je dis dans la chanson aussi et ouais, c’est peut être ça.

LFB : On parlait de nonchalance et de ta façon de chanter qui était particulière. Je trouve qu’au final, chaque morceau a une identité qui est très forte en fait. Il y a vraiment cette sensation multiple malgré tout. C’est vraiment intéressant. Pas comme s’il y avait plusieurs personnages mais presque en fait.

Le Noiseur : J’ai peut être plusieurs personnages qui cohabitent dans mon cerveau, c’est un peu vrai. Mais la nonchalance, tout ça, c’est vrai que je l’assume maintenant. C’est-à-dire qu’on met souvent en avant les gens qui sont plein d’énergie, tout ça et c’est vrai que moi j’aime bien les chansons lentes, j’aime bien le slow, il y a Summer Slow 88 qui parle de slow. J’aime une certaine lenteur aussi et finalement ça peut être bien aussi la lenteur dans la vie.

LFB : J’aimerais parler d’une autre thématique qui traverse l’album. J’avais lu dans une autre interview que tu voulais plus écrire de chansons d’amour. Et pourtant j’ai l’impression que l’amour hante toutes les chansons de l’album. Du coup, je me demandais si tu n’étais pas un peu prisonnier de l’amour ?

Le Noiseur : Je pense qu’on est tous un peu prisonnier de l’amour. Dans les chansons, c’est quand même un peu le sujet numéro 1. Ce que j’ai peut être voulu dire c’est qu’aujourd’hui ça m’intéresse plus de faire un album comme je l’ai fait pour le premier. Je trouve que prendre le prétexte de la rupture pour écrire des chansons aujourd’hui m’emmerde un peu. C’est pas assez fort pour moi. Je trouve ça tourne un peu rond. Donc c’est vrai que j’ai plus trop envie de faire ça, c’est pas ce qui m’intéresse. J’ai envie d’exprimer d’autres choses.

LFB : Ce qui est intéressant, c’est que si on regarde l’album, encore une fois tu parles essentiellement de l’amour vivant, de l’amour qui brûle. 

Le Noiseur : Oui oui, c’est ça, tu as raison. Je préfère en parler de manière amusante ou plus légère mais pas lourde.

LFB : Il y a une autre chose que j’ai remarquée par rapport à tes anciens morceaux, c’est que le monde et le quotidien s’infiltrent beaucoup plus régulièrement et de manière plus forte dans ce que tu fais, notamment sur un titre comme Douce France qui est un morceau « politique » même sans le vouloir au niveau de la composition, il y a quand même un truc réaction à l’époque. Je me demandais si ouvrir ta musique au monde, ça les laissait plus facilement rentrer, si ça c’était fait naturellement et si c’était une évolution logique pour toi d’être moins « narcissique » dans tes chansons ?

Le Noiseur : Ouais en fait je pense que le point de départ quand on fait un premier film, un premier disque, ça tourne autour de soi. Mais je pense qu’après, c’est bien de réussir à ouvrir. Donc c’est pas évident, c’est comme faire des chansons politiques, il faut réussir à trouver un bon angle, un truc qui nous corresponde. C’est pas évident, de faire des chansons sur l’écologie, ça peut très vite être chiant. L’ouverture s’est donc faite naturellement. Il y a un moment donné où j’ai senti que moi j’avais envie aussi de parler du monde extérieur, de m’adresser aux gens. J’avais plus envie de raconter mes petits problèmes personnels quoi. On s’en foutait.

LFB : Justement, au niveau de ton écriture, est-ce qu’il y a des choses qui ont changé dans le fait d’écrire à la première personne tout en t’adressant à tout le monde ?

Le Noiseur : Oui. Alors ça en revanche, c’est vrai que je continue à m’adresser à parler à la première personne même s’il y a quelques chansons où je ne le fais pas. Moi c’était un peu mon envie sur ce disque. Clairement.

LFB : Je trouve que tu fais une musique hautement cinématographique. Ne serait-ce que par l’utilisation des cordes, par l’intention de la composition. Je me demandais en quoi le cinéma influençait ta musique. Parce que je trouve qu’il y a une prépondérance des clips dans ce que tu fais. Le projet est, pour moi, autant visuel que musical en fait.

Le Noiseur : L’influence est déjà ouais dans les pochettes. Un truc qui me plaît, la pochette de l’EP Musique de Chambre, c’était très inspiré de l’affiche du film de Sofia Coppola, Lost In Translation. Et là pour l’album, c’est moins évident mais c’est inspiré d’un film et ça m’amuse de faire ça, d’avoir le cinéma qui vient s’infiltrer un peu dans les pochettes. L’album, c’est inspiré de Las Vegas Parano avec la chemise et la voiture. Donc je trouve ça marrant. J’ai envie de continuer plus tard de faire ça. Je trouve ça marrant de m’inspirer d’un truc comme ça et faut que ça ait du sens aussi. Enfin pour Musique de Chambre, ça avait du sens avec le film Lost In Translation dans ce que racontait, le moment où j’étais dans ma vie et tout ça. Après pour la musique, c’est vrai que j’aime bien les arrangements de corde, les musiques qui installent un climat très vite et puis j’ai fait des musiques pour des documentaires avant d’écrire des chansons aussi. C’est un truc que j’aime bien le cinéma.Les clips ont pris une part importante dans mon travail effectivement. C’était pas le cas avant et j’aime vraiment les faire maintenant. C’est moi qui les écris, c’est aussi important que le reste.

LFB : Oui et puis notamment sur les EP comme Musique de Chambre de faire rentrer le monde dans ta musique. T’avais fait un clip où t’allais sur un métier ou des choses très précises, avec des mises en avant qui étaient à chaque fois très intéressantes.

Le Noiseur : Ouais c’était marrant cette idée d’avoir à chaque fois ce petit concept et de poursuivre. C’était toujours des belles rencontres, c’était vraiment agréable à faire. C’est pas comme les clips où on va dans un studio. Il y avait toujours une histoire, un truc humain derrière qui était vraiment plaisant.

LFB : J’ai beaucoup aimé le clip de Relax aussi. Cette idée de revenir dans sa chambre d’enfant et de s’y sentir trop petit au final. Il y a un vrai soin et c’est pas toujours le cas. Et je trouve qu’en même temps, ça colle à la musique à chaque fois. Il y a un parallèle en fait. Même si les deux peuvent avoir une vie propre, je trouve qu’il y a un parallèle qui est hyper intéressant et important dans ce que tu fais sur le visuel en fait. 

Le Noiseur : J’essaie de faire en sorte que tout colle et puis d’être sincère dans ma démarche dans tout ce que je fais. D’aimer le faire, de prendre du plaisir.

LFB : Du coup, ce soir tu joues. Justement le fait que ta musique soit un peu ample, comment tu prévois de la faire vivre en live ?

Le Noiseur : Il y a un musicien qui m’accompagne qui est au clavier et aux machines. On a fait le choix de garder des sons de l’album et de jouer par dessus. Donc c’est quand même jouer mais on a du soutien. Ça ressemble globalement aux chansons de l’album. C’est pas des piano-voix. 

LFB : Tu as voulu garder les ambiances.

Le Noiseur : Ouais je trouve ça important. Après, si je peux avoir d’autres musiciens, ça serait encore mieux hein. Mais pour l’instant on est deux et j’ai fait ce choix de garder des choses de l’album.

LFB : Ça te plairait de jouer avec des cordes par exemple ?

Le Noiseur : Ah ba oui oui. Idéalement, j’aimerais bien avoir tout un groupe avec moi. On verra si on peut le faire mais pour l’instant on avance comme ça.

LFB : L’album sort le 5 novembre. Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour cet album et pour toi, pour l’avenir ?

Le Noiseur ; Pour cet album, on peut me souhaiter… Déjà j’en suis content de l’album donc après voilà, on verra ce qu’il se passera. Mais j’espère vraiment avoir beaucoup de dates de concerts. J’aimerais tourner avec cet album, faire une vraie tournée. Et puis j’espère avoir des mises en avant un peu plus importantes de mon travail. Moi en tout cas, j’en suis satisfait, je suis content d’avoir fait ce disque, d’avoir réussi à repartir après mon premier album donc quoi qu’il arrive, c’est déjà une victoire pour moi d’avoir fait cet album. Et puis pour la suite, j’ai plein d’envies : que la passion pour la musique continue mais je pense qu’elle ne partira pas. J’ai l’impression de m’être trouvé avec cet album et donc il y a tout un champ des possibles qui s’ouvre et j’ai déjà envie de faire l’album d’après quoi.

Crédit Photos : Cédric Oberlin