Une conversation avec Laurence-Anne autour de Musivison

Début mars, Laurence-Anne était de passage en France pour présenter son excellent album, Musivision. Une plongée musicale folle et étrange, sorte de voyage mental déconcertant qui groove terriblement et dans lequel on se perd avec bonheur. Nous avons eu le plaisir de parler de cette expérience musicale avec la musicienne québecoise. Rencontre.

La Face B : Salut Laurence-Anne comment ça va ?

Laurence-Anne : Ca va très bien, très contente d’être à Paris, puis on a été gâtés avec du soleil, donc tout va bien.

La Face B : Comment tu te sens à l’idée de jouer en France ?

Laurence-Anne : C’est toujours un plaisir, c’est la troisième fois en fait que je viens présenter ma musique, puis j’avais déjà joué ici à la Maroquinerie, avec Hubert Lenoir quand il était passé. C’est toujours bien de venir faire un tour en France.

LFB : Tu avais remplacé la guitariste ?

Laurece-Anne : Ouais.

LFB : Ah, mais j’étais là !

LA : La choriste. Ah oui, ben c’était moi !

LFB : Tu viens présenter un album qui s’appelle Musivision, et je me demandais ce que c’était pour toi ta musivision en fait.

Laurence-Anne : Hmm ! Ben la musivision, pour moi, c’est le fait de voir la musique à travers un peu tout ce qu’il y a autour de toi. Comme, sur l’album, les bouts instrumentaux ont été inspirés par l’architecture du studio où on était, parce qu’on utilisait les paliers différents de la maison, pis on a vraiment enregistré tout le son de la maison. C’est le fait de voir la musique dans un paysage, ou de voir la musique dans un lieu, dans une fleur… d’être inspiré par tout !

LFB : Parce que moi, en écoutant l’album, j’ai eu un peu l’impression de plonger dans ton esprit justement, et dans ton rapport à la musique à toi. D’être vraiment dans quelque chose de très mental et d’ intérieur.

Laurence-Anne : Exact. J’aime ça aussi, dans les textes, utiliser beaucoup d’images, un peu des lieux qui n’existent pas vraiment non plus, pour justement laisser les gens user de leur imagination.

LFB : C’est fait de telle manière qu’en fait les gens peuvent réinterpréter tout ce que tu dis selon leur expérience quoi.

Laurence-Anne: Exact. Exact. Ouais.

LFB : Et justement, puisque tu parlais des interludes, je trouve que l’album, il a énormément de pistes de lecture, dans le sens où les interludes, elles ne sont pas forcément raccord avec les morceaux.

Laurence-Anne : Exact.

LFB : Ça crée, je trouve, une espèce de labyrinthe musical où tu peux te perdre, et où tu reviens finalement.

Laurence-Anne : Oui, ben c’est exactement ça l’idée derrière. Avec la pochette aussi, c’est un peu une inspiration de Twin Peaks, moi je suis une grande fan de David Lynch et de tout ce qu’il fait, mais de Twin Peaks plus particulièrement. C’est ce que j’aime aussi dans cette série-là, le côté étrange mais comme enfantin aussi, que t’as toujours envie de savoir ce qui va se passer, t’es comme attaché à ton siège, puis… Je trouve ça intéressant de dérouter un peu les gens quand ils l’écoutent, pour que justement ce soit quelque chose de différent, tu sais, que ce soit pas juste une écoute…

LFB : Oui, passive quoi.

Laurence-Anne : Exact.

LFB : Oui, il y a quelque chose de très actif et tu maintiens l’attention de l’écoute en faisant ça. Je ne vais pas dire en secouant les gens, mais un petit peu.

Laurence-Anne: Il y a toujours une surprise en fait.

LFB : Oui, c’est ça. Et des portes cachées.

Laurence-Anne : Exact.

LFB : Et justement, est-ce que tu avais envie entre guillemets de créer une espèce d’addiction autour de l’album, faire que les gens y reviennent pour trouver d’autres secrets ou d’autres choses derrière ?

Laurence-Anne: Ben oui ! (rires). C’est ça. Je pense pas qu’intentionnellement, quand je l’ai composé, je me disais ça, mais je suis contente que justement, les retours que j’ai, ça crée cet effet-là, pis aussi que quand on fait le spectacle en live, le commentaire qui revient souvent c’est que ça devient hypnotique, tu sais, d’un peu se faire transporter dans un endroit différent.

LFB : Ce qui est marrant, c’est que tu parlais de David Lynch, moi j’ai beaucoup pensé aux premiers albums de Grimes aussi.

Laurence-Anne : OK !

LFB : Sur la façon dont la voix elle est utilisée à certains instants, de créer presque un malaise des fois à l’écoute, vraiment, d’être happé par la musique. Et je me demandais, parce que tu parlais d’architecture, j’ai l’impression que c’est quelque chose comme… pas une cathédrale sonore, mais quelque chose qui a été construit, pensé, vraiment dans le tracklist et dans la façon dont s’est fait.

Laurence-Anne: Exact, ouais. Ben tout ça, c’est sûr que, quand on enregistrait l’album, on ne savait pas exactement dans quel ordre tout ça allait, pis c’est à la fin du processus où on réfléchit vraiment plus à l’ordre et à la façon de l’amener, puis c’est ça qui en est sorti.

LFB : Et est-ce que tu t’es perdue toi aussi dans cet album ?

Laurence-Anne : Oh oui, j’ai changé plein de fois d’idée de « Ah, par quoi je devrais commencer ? ». Au début, je voulais que ce soit la pièce instrumentale Cachette qui commence l’album, qui est vraiment dans un ton plutôt étrange, qui fait peut-être un peu peur aussi dans la mélodie… Je sais pas, quelque chose d’un peu plus… mais finalement, on a joué un peu au casse-tête. (rires).

LFB : Tu l’as pas composé toute seule, c’est ça ?

Laurence-Anne: Je l’ai composé toute seule, mais en studio j’ai travaillé avec les musiciens qui m’accompagnent aussi sur scène, puis… j’ai une idée des arrangements déjà, j’arrive avec des maquettes, puis après ça en studio, tout le monde apporte un peu ses idées, donc l’arrangement final, c’est collaboratif, tout le monde apporte un peu de ses inspirations.

LFB : Et justement, quand on l’écoute, il y a une sensation un peu d’isolement et de plongée mentale, etc., mais apparemment, l’album, tu l’as composé avant la pandémie ?

Laurence-Anne : La semaine avant que tout commence…

LFB : Je me demandais comment tu avais vécu cette idée d’être un peu… rattrapée !

Les gens qui l’ont reçu, ils l’ont reçu complètement différent qu’il aurait pu être reçu sur une vie normale en fait.

Laurence-Anne : Exact, exact. Mais en fait, c’est aussi que mon processus de composition est très solitaire. Pour les deux albums, pis même le prochain, sur lequel je suis en train de travailler, je m’isole loin de la ville, dans une maison ou dans un châlet, j’apporte tous mes instruments pis je passe une semaine à juste composer. Pis c’est un peu… C’est pour ça que pendant la pandémie, ça m’a pas bloquée nécessairement, parce que ça m’a donné du temps pour continuer à écrire, plus que j’en avais avant peut-être même.

LFB : Est-ce que ça t’a influencée dans la construction de l’album d’être seule, de créer l’album finalement pendant la pandémie, même si ça avait déjà…

Laurence-Anne : Hmm… Ben je sais pas à quel point ça peut avoir… On dirait, peut-être que ça a amené quelque chose inconsciemment, mais je n’ai pas de point précis où je me dis, ah, ça, ça a été vraiment influencé par la pandémie. Je sais pas trop. (rires).

LFB : Il y a un jeu aussi, dans l’album, où tu joues avec les langues. Sur Strange things et sur Pajaros .

Moi, j’ai eu l’impression que c’était comme si on rencontrait différents personnages et différentes facettes de ta personnalité ; du coup, je me demandais si tu l’avais envisagé comme ça, et ce qui t’avais poussée, au milieu d’un album francophone, à mettre une chanson en anglais et une chanson en espagnol.

Laurence-Anne : Ben en fait, je dirais pas nécessairement différents personnages, mais ça, c’est amené par la couleur de la voix. Quand je vais chanter en espagnol, ma voix devient tellement différente, pis ça va chercher d’autres tonalités, ça va chercher… elle se place aussi différemment, moins aigüe.

Ce que je trouvais intéressant, c’est justement de jouer avec l’instrument, de jouer avec mes cordes vocales, de créer quelque chose qui va ailleurs aussi. Et en fait l’espagnol, c’est que j’ai habité au Mexique quand j’avais 17 ans. Donc j’avais déjà dans le passé écrit des chansons en espagnol, mais rien qui me satisfaisait et que j’avais envie de partager.

Mais d’ailleurs, c’est la seule chanson que j’ai composée après le studio. Donc durant les débuts de la pandémie justement, parce que j’essayais de prendre contact avec mes amis là-bas, savoir comment ça se passait, donc je me suis remise à parler un peu espagnol. Et puis la chanson en anglais, c’est parce que toute la musique que j’écoute est en anglais ! (rires).

C’est comme si… c’est arrivé naturellement aussi, pis j’ai commencé à jouer, pis les paroles qui me sont apparues, c’était en anglais, pis je me suis juste laissée aller là-dedans, sans trop… J’ai pas envie de me bloquer non plus, de me dire : juste en français… Je pense que tout est possible.

LFB : Et du coup, comme l’album s’appelle Musivision, est-ce que tu as l’impression d’avoir réussi à condenser la « folie » qui est propre à un artiste dans cet album ?

Laurence-Anne : Ben je pense que oui (rires). Avec le titre aussi, c’était un peu une blague au départ, pis c’est comme si ça a pris de plus en plus de sens, avec justement, c’est le fait de s’inspirer partout… Puis Musivision, c’est un titre trilingue (rires), qui se dit aussi bien en espagnol, en anglais, en français… Et je trouve que ça n’aurait pas pu être un autre titre. Je trouve que l’album est vraiment bien représenté par ce mot-là.

LFB : Oui. Ce qui représente bien l’album aussi, je trouve, c’est le groove. C’est un album qui… Je me demandais si c’était important d’avoir fait un album qui groove et qui puisse avoir une vie différente sur scène en plus de…

Laurence-Anne: Oui, oui vraiment ! Je suis contente en fait d’avoir évolué vers, plus ce côté-là, parce que sur scène, jouer ces chansons-là, c’est vraiment, vraiment… pas défoulant mais, dans le sens où il y a vraiment quelque chose d’un peu plus…

LFB : Physique.

Laurence-Anne : Ouais c’est ça, exact. Le premier album, il était un peu plus planant, donc ça restait quand même… c’était plus, justement, t’es dans une bulle, pis c’est vraiment plus une expérience englobante. Mais là, ça, c’est un peu plus rock, pis on arrive à, ouais, se déchaîner un peu. C’est fun. (rires).

LFB : Et, parce qu’on n’en parle pas souvent, mais, je trouve que les clips et la pochette de l’album, ils participent aussi justement à l’expérience qu’il y a autour de l’album. Et justement, je me demandais comment tu t’étais impliquée dans ces créations-là, et est-ce que c’était important pour toi que l’univers il se développe au-delà de la musique.

Laurence-Anne : Oui, vraiment. C’est important que le visuel représente un peu l’idée que j’ai en tête, comme là où j’étais quand j’ai composé la chanson… Que ce soit dans les couleurs, ou juste l’émotion que le visuel va apporter. Tout ça, j’y réfléchis, puis la façon dont ça fonctionne, c’est que je crée un moodboard, où j’écris vraiment précisément ce que je vois, puis après ça je travaille avec des artistes, et on collabore sur ce que ça va devenir, mais oui, c’est vraiment important, tout ce qui est visuel. Pour moi, c’est aussi important que la musique, tu sais.

LFB : Et justement, tu le disais tout-à-l’heure, ton premier album il était plus planant, plus englobant, t’as fait un EP plus punk-rock… là, t’as un truc qui est beaucoup plus éléctro, pop…

Laurence-Anne : Oui, exact.

LFB : Je me demandais si, quand tu faisais de la musique, tu te voyais pas comme un peu un serpent qui fait sa mue, qui laisse un peu une peau à chaque sortie pour explorer quelque chose de différent en fait.

Laurence-Anne: C’est exactement ça. Je ne me mets aucune limite, vraiment. En fait, je n’ai pas de théorie musicale moi, je n’ai jamais appris à lire la musique ou à… je n’ai jamais vraiment eu de formation, pis… je trouve ça le fun d’arriver avec de nouveaux instruments. Comme, justement, Musivision il est plus électro parce qu’à ce moment-là, j’ai découvert l’univers des synthétiseurs. Pis là, j’ai acheté plein de Casio, des Yamaha… des sons des années 80, très… à la base « jouets » même, j’ai l’impression que c’était plutôt des claviers pour enfants, puis… Je me suis laissée emporter par les drum machines aussi qu’il y a dans ces synthés-là, donc c’est vraiment de l’exploration. C’est toujours ça. (rires).

LFB : Et du coup, tu as un nouvel album à venir, ce sera quoi la prochaine couleur ?

Laurence-Anne: Hmm-hmm ! Ben je pense que ça va être un mix de tout ça, j’ai l’impression. De tout ce que j’ai fait avant : il y a un côté électro, mais il y a un côté aussi où il y a quelques guitares qui reviennent… Pis ça s’en va peut-être un petit peu plus loin encore dans l’électro. Mais pas électro-pop, mais plus… Je sais pas.

LFB : Instrumental, peut-être ?

Laurence-Anne: Ouais, ouais, je sais pas comment le décrire. A suivre (rires).

LFB : Je me demandais ce qu’on pouvait te souhaiter avec cet album que tu peux enfin défendre.

Laurence-Anne : Ce qu’on peut me souhaiter, c’est que justement maintenant que la pandémie… tire à sa fin, j’ai l’impression, ou en tout cas que cette situation-là, où on était bloqués, maintenant tout ré-ouvre un peu, pis… c’est la première fois que je sors des frontières canadiennes pour présenter l’album, donc de juste pouvoir aller le présenter le plus possible à l’extérieur.

Crédit Photos : Clara de Latour

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