Las Aves : « Transformer un souvenir douloureux en quelque chose de beau permet de le voir avec plus de tendresse »

Pour un changement, c’est un sacré changement ! Avec I’ll never give up on love until i can put a name on it, Las Aves a totalement repensé sa musique pour nous offrir une évolution à la fois naturelle et radicale. On est donc parti à leur rencontre pour en découvrir plus sur la conception de cet album, sur le fait de travailler avec des producteurs et sur la notation des aliments via une application téléphonique.

La Face B : Salut Las Aves, comment ça va ?

Jules : Ça va !

Vincent : Ça va bien !

LFB : Une note de combien sur 100 à peu près ? (NDLR : avant l’interview, Jules nous a montré sa grande passion pour la notation des produits à travers une application)

Jules : Moi j’suis à 70 sur 100 en ce moment !

Géraldine : 38 !

Jules : Tu dis ça parce que j’ai vu un produit qui était à 38 tout à l’heure…ah oui les cônes Picard !

Géraldine : Oui mais je suis à 38 !

LFB : Je suis allé regarder un truc sur internet et j’ai découvert que les oiseaux faisaient leur mue. Alors comment est-ce qu’on se sent avec un nouveau plumage ?

Jules : Un peu à poil !

Géraldine : Il y a un moment où tu te sens un peu à poil oui je pense !

Vincent : T’as hâte d’être habillé et vite !

Géraldine : D’être habillé pour l’hiver !

Jules : Non mais on se sent bien ! Un peu à poil mais bien !

LFB : J’ai aussi vu qu’une mue chez un oiseau, c’était quelque chose de coûteux en énergie et en ressources et je me demandais si c’était ce que vous aviez ressenti pour cet album là ?

Géraldine : Coûteux en énergie…oui mais en énergie très positive du coup c’est de l’énergie qui recréait de l’énergie toute seule. Et en ressources aussi. Ça s’est plutôt bien passé, on était juste assez heureux, c’est vrai que c’était long et on a cherché pas mal de temps mais cet album il a été fait dans le bonheur.

Jules : C’est vrai que c’est très fait maison, une pièce et quatre personnes.

LFB : Malgré les sujets pas faciles développés ! C’est souvent ça finalement, c’est quand t’abordes les sujets les plus douloureux que tu le fais de façon la plus spontanée.

Le groupe : Oui c’est vrai !

LFB : Quand j’ai écouté l’album, j’ai eu l’impression que c’était un album hyper radical et qu’il n’allait laisser personne indifférent. Qu’il n’y aurait pas de juste milieu dans sa réception. Quinze jours après sa sortie, comment vous analysez les premiers retours ?

Jules : Et bien c’est comme tu dis, tranché ! Il y a plein de fans d’avant qui nous envoient des messages pour nous dire qu’ils sont désolés mais qu’ils n’aiment pas.

Géraldine : Ça ce sont les messages nice ! Après t’as des gens qui disent des trucs moins sympa ! (rires)

Jules : Après il y a plein de gens qui nous disent qu’ils adorent, qui ne nous connaissaient pas mais qui adorent. Donc c’est pas tiède en tout cas. Mais c’est assez cool. Il y a même des gens qui sont perturbés et qui ne savent pas quoi en penser et c’est assez intéressant de voir que ça les remue un peu. C’est encore la période test, on en reparlera dans un an.

LFB : Je trouve finalement que l’évolution est assez naturelle. Par rapport à ce que vous faisiez avant. On sent quelque chose qui mûrit, qui se libère. Antistar préparait déjà à ce basculement entre les deux albums.

Géraldine : Oui, ça, c’est vrai. C’est naturel en tout cas.

Jules : Pour nous c’est pas si énorme, on a été assez radicaux avec notre approche mais on ne s’attendait pas à ce que certains soient si choqués. C’est une question de codes, de traitement de voix ou certains complexes qu’on avait par rapport à des groupes de rock où là comme tu dis on s’est réellement libéré. On a écouté plein de trucs qui étaient libérés. Pour la première fois en termes de production, on a fait l’album qu’on rêvait de faire. On ne voulait surtout pas faire un album tiède dans la lignée du premier.

Géraldine : On a toujours besoin de tout changer, à chaque fois de changer notre environnement de composition, de repartir à neuf !

LFB : J’ai trouvé que l’album était très cinématographie, tu commences en appelant une amie et tu finis par laisser un message sur le portable ton ex. Je me demandais si c’était quelque chose que vous aviez réfléchi, qui était l’ADN de départ ou si ça s’était fait plutôt naturellement ?

Géraldine : Non à la base ça n’était pas réfléchi mais comme on a écrit l’album tout au long d’une année, on s’est rendu compte que chaque morceau était comme le récit d’une étape. C’est vrai qu’il a un côté très narratif, comme si on suivait un personnage tout au long de son évolution mais ça n’était pas prévu à la base.

Jules : C’était une volonté une fois qu’on a eu la matière, de construire un objet total avec un début et une fin. Avec une certaine longueur, une certaine entité. Même si c’est moins à la mode en ce moment cette idée d’objet sur la longueur. C’est toujours intéressant à cette époque où tout est rapide d’avoir ce genre d’album.

LFB : Ce qui est intéressant c’est que tu peux le consommer comme une œuvre mais tu peux aussi le consommer comme les gens consomment maintenant, les chansons arrivent à vivre par elles-mêmes !

Jules : Les morceaux sont vraiment construits comme des singles, on tenait à ce format très pop, très direct. C’est ça qu’on aime bien aussi, c’est ce mélange de morceaux très pop, assez sucrés et séduisants dans la démarche et après de les agencer comme une sorte d’histoire, de façon, comme tu disais, plus cinématographique. C’est l’aspect schizophrène qu’on a toujours eu entre la chanson pop et la recherche.

LFB : Ce qui est un peu schizophrène aussi c’est le décalage entre la compo qui peut être séduisante et les paroles qui ne sont pas très joyeuses !

Géraldine : On a toujours aimé faire ça, qu’il y ait une grosse différence entre le mood du morceau et les paroles. Pour que, lorsqu’on lit les paroles, il y ait une nouvelle grille de lecture.

LFB : Par exemple quand j’ai écouté Baby , j’ai tout de suite accroché puis après j’ai écouté les paroles et je suis devenu tout blanc.

Jules : D’ailleurs j’ai vu qu’il y avait eu des chroniques dessus aux US et qu’ils disaient « Baby parle des affres des relations amoureuses ». C’est plus précis quand même, c’est plutôt explicite. Ils n’avaient sûrement pas écouté la musique…(rires)

LFB : Justement, les sujets abordés sont souvent très personnels, j’imagine que tu as plein de réactions des gens qui se sont retrouvés dans ce que tu disais.

Géraldine : Oui et c’était assez rassurant justement, de voir qu’en t’ouvrant plus et en révélant des choses plus intimes, ça permet à certaines personnes de relier leur propres histoires personnelles aux chansons. Pour Baby j’ai eu pleins de messages de filles, même des histoires de fausses couches, des personnes qui se retrouvaient dans les paroles. Et c’était assez beau. Moi mon but c’est de réussir à mettre des mots sur une émotion, ce que t’arrives pas forcément à faire dans la vie de tous les jours.

LFB : Tu ne penses pas que ces chansons-là vont être douloureuses à jouer et répéter sur scène ?

Géraldine : Je ne pense pas du tout car les morceaux prennent toujours un sens très différent sur scène. C’est ce que j’aime particulièrement avec le live, tu changes les chansons au fur et à mesure. Par exemple sur l’album précédent, on a une chanson qui s’appelle Lioness et celle-là particulièrement, prenait un nouveau sens sur scène : il y a une phrase qui dit « All I say is true All I want is to be with you« , une phrase hyper triste de rupture mais une fois chantée avec le public, ça se transformait en quelque chose de très positif. Donc non, au contraire, j’ai hâte de chanter cet album tous ensemble. En fait à partir du moment où j’ai réussi à transformer un souvenir douloureux en quelque chose de beau, ça me permet de le voir avec plus de tendresse. Une fois que j’ai fait un morceau, ça résout les choses pour moi.

LFB : Tu parlais du fait de travailler en groupe, moi Las Aves j’ai l’impression que c’est une créature avec trois têtes et un même coeur, est-ce que cela vous correspond bien ?

Géraldine : Oui, on se vit un peu comme ça, comme une nouvelle âme créée par trois âmes.

LFB : Vous n’apparaissez ni sur la pochette ni sur les premiers clips que vous avez sortis, est-ce que c’est ce que vous cherchiez, de laisser vivre le projet pour Las Aves, en dehors de vous ?

Jules : On nous le reproche assez (rires) ! Mais je trouve ça intéressant avec la musique qu’on fait qu’il n’y ait pas de notion de groupe à trois têtes. Comme Géraldine le disait, quand on fait de la musique ensemble, on crée un truc qui est autre chose que nos trois individualités. On aime bien que ça puisse être calqué sur des personnages comme dans les clips, des esthétiques, comme cette fille sur la pochette, pour que les gens puissent s’imaginer que c’est une intelligence artificielle qui leur a chanté l’album qu’ils viennent d’écouter. Qu’il y ait quelque chose de plus large que nous trois mais c’est pas évident à défendre aujourd’hui. Surtout à notre époque avec Instagram, les personnes aiment bien voir des gueules donc c’est pas toujours facile à faire passer. C’était plus courant dans les années 1990 avec des groupes comme Portishead, Archive

Vincent : C’était l’arrivée du courant trip hop.

Géraldine : Moi je trouve que c’est une forme de liberté, je me sens plus libre quand mon art n’est pas relié à ma condition physique. Je crois que ça n’en fait pas partie donc pour moi ça n’est pas logique de le mettre en avant.

Jules : Ça peut tuer l’imagination du public je trouve aussi.

Géraldine : Pas forcément, ça dépend si tu t’inclues dans ce que tu imagines délivrer mais si tu n’as pas envie de donner ton corps, je ne vois pas pourquoi tu serais obligé de le faire. Les réalisateurs, les écrivains, les peintres, pour la plupart, on ne connaît pas leur visage.

LFB : Pour parler de cette idée là, c’est toi Jules qui a réalisé les trois clips, est-ce qu’aujourd’hui tu verrais d’autres personnes réaliser des clips pour Las Aves ?

Jules : Oui, oui bien sûr ! À la base sur le premier album c’était Daniel Brereton qui avait réalisé les clips, qui est un mec qu’on adore vraiment, je suis vraiment fan de tout ce qu’il fait et je trouve qu’il a une sensibilité de ouf ! On lui a demandé pour cet album mais il n’avait pas le temps. Du coup c’était un peu par la force des choses que j’ai fini par le faire. J’avais des idées par rapport aux chansons et c’était dans un sens plus simple vu que je les connaissais déjà bien. Mais il y a plein de personnes dont j’aime le boulot et je suis sûr qu’ils feraient un truc super, sûrement beaucoup mieux que moi (rires). Là j’avais cette assurance de réaliser mes idées !

LFB : Et cette assurance-là, tu l’as prise avec Jazzboy (NDLR : son projet solo) ou tu l’avais avant ?

Jules : Ça c’est impossible à savoir, c’est simplement la musique qui m’amène des images. Le fait d’avoir fait des clips avec Jazzboy, ça m’a peut-être débloqué, je ne sais pas…

LFB : Sur l’album précédent vous avez travaillé avec Dan Lévy, là vous avez bossé avec Lucien Krampf. Vous allez me dire si je me trompe mais moi j’ai l’impression que Dan Lévy il avait condensé votre folie alors que Lucien Krampf il l’a plutôt laissée exploser.

Géraldine : Oui ça marche !

LFB : J’ai l’impression que Dan Lévy vous avait ramenés à un format pop en restructurant votre musique alors que Lucien Krampf vous a poussés à aller plus loin.

Jules : Oui, oui, Lucien de toute façon est assez radical donc il a plus tendance à pousser nos intentions alors que Dan était plutôt dans une vision globale, du coup il était conscient des choses qu’on avait besoin de calmer pour pouvoir arriver à quelque chose de lisible. Dan il tient beaucoup à la lisibilité des choses, c’est sa façon de travailler. Par exemple quand il mixe, il aimera peut-être pas que je dise ça mais il a tendance à calmer les fréquences. Alors que Lucien au contraire mixe dans des fréquences très aiguës. C’est assez intéressant ces deux façons de bosser et tu as raison, pour nous, cette fois-ci, ça a été plus libérateur. Même pour lui, il n’avait pas l’habitude de travailler avec des groupes de pop, ça a été assez libérateur. C’était un peu le mood de tout cet album, c’est pour ça qu’il sonne aussi maximal dans ce qu’il a envie d’être.

LFB : Vous pensez toujours avoir besoin d’un regard extérieur sur votre musique ou un jour vous allez décider de tout faire vous-même ?

Géraldine : Moi j’aime bien l’idée d’avoir un regard extérieur pour nous, vu qu’on travaille beaucoup les morceaux, il y a forcément un moment où on perd la vision globale et le fait d’avoir un œil un peu plus candide à la fin, c’est toujours hyper utile. On a besoin de quelqu’un pour mettre le point final sur les choses, sinon on n’arrive pas à finir.

Vincent : Et puis ça nous a aidés à trancher sur des choix qu’on n’arrivait pas à faire à trois.

Jules : Ça nous ouvre des portes, ça nous sort de nos habitudes et ça nous empêche de tourner en rond ! Moi j’ai l’impression que tant qu’on n’a pas cette lumière extérieure, on n’arrive pas à être content de nos chansons.

LFB : Je voulais parler du live, vu que les albums sont diamétralement opposés, comment vous allez travailler la cohérence entre le premier et le deuxième ? Est-ce que vous allez retravailler les chansons du premier pour le ramener dans le mood ?

Géraldine : Oui, on les a ramenées vers ce qu’on a envie d’entendre maintenant mais de toute façon nos lives bougent beaucoup, on aime bien les réarranger au fur et à mesure. Après dans l’énergie, on a toujours la même et du coup ça lie le tout.

Jules : Le dernier album va déjà avoir un nouveau prisme en live là, on a poussé sur des choses qui étaient moins là sur l’album, notamment cette partie un peu plus énervée avec pas mal de guitare rejoint les deux albums.

LFB : Géraldine, il y a trois ans, tu avais été l’une des premières à dénoncer le culte de l’image dans l’industrie musicale française, là tu l’as refait avec Worth It, est-ce que tu vois qu’il y a une évolution, toi en tant que femme ?

raldine : Oui je pense qu’il y a une évolution, il y a plus de place pour différentes formes de corps après ça reste une niche quand même ! Aujourd’hui il y a Lizzo par exemple qui est passée dans le mainstream et qui a ce physique incroyable mais ça reste très souligné, il n’y a pas encore de place pour des formes moins mises en valeur. Mais c’est en cours, il y a de plus en plus de marques qui se diversifient mais il n’y a pas encore de choix incroyable.

LFB : Ma dernière question, est-ce que vous avez des coups de cœur récents à partager ?

Géraldine : Oui, alors il y a Caroline Polachek et l’album de Charli XCX.

Jules : Moi j’ai adoré Midsommar !