La nuit, l’amour et Lenparrot

On avait quitté Lenparrot en 2018 avec The Boy with The Stringu Quartet. La fin d’année 2020 aura vu son retour avec Another Short Album About Love. Un album qui porte bien son nom mais qui permet surtout d’assister a la transformation d’un artiste qui continue encore et toujours à faire vibrer les cordes des émotions tout en s’offrant un album où il se renouvelle sans jamais se trahir.

Des adieux dans le changement. Lorsqu’on se lance dans l’écoute d’Another Short Album, on ne le réalise pas encore mais Leo, son premier titre, est une douce transition. Un pont tressé dans les notes et la douceur entre passé, présent et futur comme une tentative de réconciliation de cette saine trinité.
On y retrouve alors cette voix de tête si caractéristique de l’artiste nantais sans réaliser que c’est pour mieux la quitter alors qu’on se surprend à l’écoute de ce morceau aux rythmes proche du reggae. Un besoin d’évolution et de transformation; comme si, à l’image du personnage principal de l’imaginarium du Docteur Parnassus de Terry Gilliam, Lenparrot traversait l’imaginarium pour se renouveler, se bousculer mais sans doute aussi redevenir lui même.

Si ce besoin, vibrant, intime guidera cet album en quête de liberté, il était aussi présent dans les autres composantes d’importances de « l’univers Lenparrot ». Ainsi, fini le costume anthracite, place au costume de Pierrot, noir comme la nuit et rehaussé de fines bandes colorées qu’on découvre dans le clip de Freddie et qui suivra Romain dans toutes ses aventures. Sa relation avec À Deux Doigts prend aussi la tournure du renouveau nécessaire : ainsi les visuels, si il garde par moment une touche surréaliste, laisse pour la première fois apparaitre une connexion plus forte avec le monde qui l’entoure, notamment avec la présence du regard des personnages, élément jusqu’alors inexistant dans leur travail commun.

Cette idée du regard, de l’acceptation du réel, va de paire avec un autre élément qui revient dans ces nouveaux visuels : les fenêtres. Tout se joue entre se rapport intérieur/extérieur, comme une métaphore assez nette de ce qui se jouera dans Another Short Album About Love : le besoin de créer un rapport entre l’intime et l’universel, de créer des histoires sans être forcément le héros mais pour mieux parler de soi et de son rapport au monde.

Tout ça nous amène à ce qui forme la matière de ce second album : l’amour. Là encore, il ne faut pas prendre le terme au sens premier, mais plus à la manière d’un prisme avec lequel Lenparrot joue pour en trouver toutes les couleurs, toutes les nuances. Ici l’amour révèle toutes ces facettes: amicale avec Quoi, bercée et cette ivresse nocturne qui ouvre les champs infinis des possibles, artistique (les morceaux regorgent de références aux héros de Lenparrot et se retrouvent catalysés dans Freddie ,homme à peine voilé à Mercury qui se transforme en héros vecteur de changement et de prise de conscience), fantasmée ( Part Time Idiot dans la cruauté du réel qui se fracasse sur l’imaginaire ou Berries et son coté plus fantasmagorique de choses qui auraient pu se passer) voir déstructeur (Paladines, seul duo de l’album qu’il partage avec Sarah Maison pour mieux exprimer ce dialogue impossible entre deux personnes qui ne peuvent plus communiquer).

Si l’amour est partout est évolutif, il vit en relation avec un autre élément majeur de l’album : la nuit. À mi-chemin entre le rêve et le réel, l’album joue sur la ligne nocturne. Ainsi si l’amour est le cœur de l’œuvre, c’est la nuit qui lui donne sa couleur.
Loin du côté froid et très intellectuel qui pouvait régner dans And The He, les morceaux d’Another Short Album About Love font donc corps avec ces ambiances nocturnes et ce qu’elles apportent de libération, de chaleur et sans doute aussi un peu de danger.
Transformé en crooner et jouant beaucoup plus de sa voix de poitrine, Lenparrot nous emmène alors avec lui dans une promenade musicale s’offrant la aussi la possibilité de tout tenter, de tout tester. Et le charme opère du début à la fin. On se retrouve ainsi possédé, et presque effrayé par Freddie, ses cuivres insolents et son personnage qui alterne entre le charme et la terreur avec ce rire diabolique qui surgit de nulle part comme pour nous montrer la dualité qui se joue dans la tête de l’auteur.
Part-Time Idiot nous emmènent du côté de la piste de danse avec sa rythmique imparable et son refrain parfait qui s’accroche des les premières écoutes dans nos oreilles. Cette présence rythmique importante, on la retrouvera aussi sur le duo Rumour/Marathon qui offre à la musique de Lenparrot un côté plus physique et prenant, tout en s’offrant plus de liberté dans les textures et la densité musicale. Cette liberté qui transforme chaque morceau en petits trésors qu’on effeuille encore et encore trouve sa quintessence dans Palmistry ( et son dialogue qui nous rappelle étrangement certains morceaux des premiers Tyler The Creator) mais surtout dans Wrong/Gone, morceau complètement dingue, et très justement scindé en deux, qui est une sorte de « best of » de tout ce que Lenparrot a pu créer jusqu’ici. Un titre fascinant et qui prouve surtout une véritable confiance chez l’artiste qui nous propose un morceau en dehors du temps, des genres et des attentes. Merveilleux en tout point.

Paladines nous ramène du côté du bar tandis que Quoi se vit comme une course éthylique le regard porté vers les étoiles. Ces deux morceaux sont aussi l’occasion de voir enfin la poésie de Lenparrot se confronter, pour notre plus grand bonheur, au français. Sur ces deux morceaux, ainsi que plus tard sur Berries , la sensation de mélancolie est très présente, mais loin d’être plombante, elle s’offre sous un regard lumineux, chaleureux et accueillant.
Et si la nuit se passe, c’est pour mieux laisser place au jour. l’album se termine alors avec Little Thumb, proche de la comptine et qui nous bouleverse par sa chaleur bouleversante. Un morceau parfait, pour quitter un album et retrouver son lit alors que le soleil se lève.

On a souvent entendu dire que la nuit, tous les chats sont gris. Cette maxime ne s’applique pas à Lenparrot. Avec Another Short Album About Love, Lenparrot embrasse la nuit et l’amour pour en faire ressortir toutes les différences, toutes les aspérités. Ce second album est l’exemple même de la cohérence dans la différence, 11 titres qui s’offrent une colonne vertébrale thématique pour mieux explorer tout en s’offrant un retour cathartique vers un soi intérieur plus accepté et moins fantasmé. C’est doux, c’est beau, l’amour, la nuit et Lenparrot.