La Chica nous conte la beauté du spirituel avec La Loba

On avait laissé La Chica en 2019 avec son album Cambio, parfait mélange entre piano et musique électronique. On retrouve aujourd’hui la franco-vénézuélienne avec La Loba, un EP en hommage à son frère décédé en 2020, c’est un disque composé de 7 morceaux emplis d’émotions et d’une sincérité qui touchent particulièrement.
L’artiste nous délivre un EP à l’authenticité sans pareil…


Le premier rapport à cet EP c’est cette pochette, à la croisée du blanc et du noir, c’est une photo d’Adriana Berroteran à laquelle son frère Pablo avait contribué il y a deux ans de cela, il n’apparait pas à l’image mais est bien là, dans l’esprit et dans la mémoire de La Chica. Cette pochette apparait également comme une invitation à rejoindre l’artiste dans une dimension différente de la notre, où les genres sont questionnés, une dualité entre féminin et masculin qui fait également écho à la dualité entre vie et mort, ce rapport entre le corps et l’esprit, et plus spirituellement, les corps et les âmes.

L’EP débute avec le morceau 3, un titre pour son frère, sa soeur et elle même, dans lequel se dessine déjà cette alternance entre tendresse profonde pour un être cher et la violence et le déchirement que provoque le manque, c’est ce clair obscur qui pave le chemin des survivants, l’ombre qui les entourent et les dépassent mais toujours cette lueur bien présente qui les guide vers un lendemain bien meilleur.


Agua c’est un chant émancipateur, un « chant rituel » dans lequel La Chica apostrophe l’eau de la rivière pour qu’elle emporte sa peine avec elle.
A l’écoute, les flots se confondent dans les multiples voix samplées qui convergent toutes vers l’aval de la rivière, elles sont un cri du coeur, un cri de douleur, une cicatrice qui ne demande qu’à se refermer et à s’atténuer en s’écoulant avec le temps.
Le mal est grand, le remède est long mais la musique apaise et nettoie les plaies à défaut de pouvoir les soigner.

Cette omniprésence d’une esthétique où l’ésotérisme et le monde invisible nous entoure est aussi mis en avant sur le morceau éponyme de l’EP, La Loba.
Dans ce titre, l’artiste prend un ton bien plus affirmé et rageur et pour cause, c’est un chant pour les femmes, l’éveil des sorcières comme elle le décrit, qui prend sa source dans la légende de la Loba, une louve qui chante pour réanimer l’âme des corps éteints.
La Chica se fait ainsi prêtresse de la nature sauvage des femmes, qui ne demande qu’à s’éveiller pour attiser la flamme du changement. Cette nature et cette détermination on la retrouve dans le clip du morceau, bien entourée par deux loups, elle nous hypnotise par cette ambiance mystique, teintée de rouge et d’étrange, ses cris nous glacent le sang à la moitié du morceau et on la quitte avec ce visage couvert de sang, le regard plongé dans l’ailleurs.

Cet EP c’est aussi une collaboration avec le trio de musique électronique Form qui aura aidé La Chica à transformer cette souffrance en une musique qui transperce les sens et qui nous élève.
Là où les collaborations viennent d’ordinaire nourrir les morceaux d’arrangements en tout genre, celle ci nous offre définitivement autre chose. C’est la sincérité qui est le maitre mot de l’EP, une sincérité qui se traduit par le piano, instrument fétiche de La Chica et par lequel elle nous transmet au mieux ces émotions, il se fait l’ingrédient principal d’un rite presque chamanique bien exacerbé par le charisme envoutant de l’artiste et dans lequel on s’embarque volontiers.

Crédits : Céline Non


Dans Sol, on entend en écho des complaintes d’outre tombe, des voix qui se font le relai d’un sentiment d’errement dans ce monde où le manque prédomine, à cheval entre le vide du présent et le trop plein des souvenirs du passé, « J’ai le coeur en 1000 morceaux ». Mais cette douleur une fois passée, se transforme en force, le manque laisse bientôt place à la sensation de présence perpétuelle et l’on arrive à communiquer, peut être spirituellement avec ceux que nous avons aimé, et c’est peut être, la plus belle des forces.

Face à la perte d’un être cher, notre vie n’a pour trait que la flamme de son souvenir, elle qui nous hante autant qu’elle nous anime, c’est ce qui ressort dans le morceau Drink.
Fondus dans la souffrance et ce manque, on en vient à devenir nous mêmes les propres fantômes de nos vies et faire corps avec nos morts. C’est un morceau que l’on connaissait sous une forme plus rythmée et entrainante sur l’album Cambio, il apparaissait comme évident de la faire apparaitre sur La Loba mais dans une forme bien différente, beaucoup plus apaisée et par laquelle on ressent une connexion forte avec ceux qu’on appelle nos morts.


Crédits : Adriana Berroteran

C’est un disque très personnel, La Chica nous plonge dans son intime le plus profond et nous guide dans un processus humain, celui du deuil, si le thème est difficile, la mort n’apparait pas ici comme une fin en soit, c’est plutôt tout le processus d’acceptation et la magie qui entoure ces moments de difficulté.
On parle bel et bien de magie, non pas pour un côté sensationnel mais pour ces nuées d’images et de sensations liées à la disparition et les salves de souvenirs auquel nous faisons face, un monde invisible qui nous impacte bien plus que le monde réel.
Ce disque est d’une beauté profonde, le beau se complait dans l’ombre et dans le dur et c’est là tout le talent de l’artiste d’arriver à retransmettre une émotion si vive et si douloureuse au travers de morceaux tendres, presque paisibles.

C’est d’ailleurs le propos du morceau de clôture, Hoy, qu’elle envoie comme un message à son frère afin qu’il puisse partir en paix, se détacher de cette terre et s’élever dans cette autre dimension qu’est la mort.
Le piano et la voix sublime de La Chica accompagnent ce voyage vers l’autre monde de la plus belle des manières avec une clôture qui prend aux tripes avant de laisser place à cette constante aussi vide et pourtant si présente, le silence …