KIM GIANI – « Nous, musiciens , avons un rôle de passeurs »

Confinado, le dernier album de l’insolite, du génial, du touche-à-tout, hyper polyvalent, hyper inspiré et cultivé, Kim Giani, nous a inspirées pas mal d’interrogations que l’on a décidé de concrétiser en les lui posant directement. En effet, on avait besoin de plus d’éclaircissement sur cette bizarrerie de génie. Ainsi, on a décidé de le laisser s’exprimer librement dessus, sans aucun filtre. On en a profité pour faire un peu connaissance avec son univers, sa personnalité, les bas(s)es de son originalité. En prime, on n’a pas du tout été déçus des réponses et l’on est convaincus que le lecteur ne le sera pas moins ! Enjoy !

LFB : Bonjour Kim, ravis d’avoir à t’interviewer sur Confinado. Comment te sens-tu, psychiquement et artistiquement parlant ? Tu as quatre heures. 

Kim : Ravi également. J’ai pas souvent la parole alors je vais répondre 45 pages. Psychiquement je me sens bouleversé par la pandémie. Il y a du bon et du moins bon. Le pas bon c’est que mes habitudes sont mises à l’épreuve alors je panique.

On fait tous cette erreur. Le bon c’est qu’il y a une redistribution massive des cartes, et ça c’est stimulant. Avant d’entrer en confinement il y a eu le coup de gueule de Despentes. Ensuite il y’a eu le gros mouvement « black lives matter », il y’a le mouvement des colleuses, Irène Rose, les villes bourgeoises de France qui sont passées écolo, bref, plein de bonnes nouvelles. Et puis tout qui est à réinventer dans les métiers de la musique est stimulant.

C’est un gros chantier, donc c’est une source d’inquiétude, mais aussi une opportunité. Je trouvais les années 90 tellement chiantes que là je trouve qu’on peut passer à l’action. Même si je suis un vioque. Artistiquement je suis convaincu depuis longtemps que toutes les frontières doivent exploser entre les métiers artistiques, ceux de la production artistique, et aussi entre acteurs et spectateurs, entre émetteurs et récepteurs. Chaque aficionado de la musique, chaque mélomane est une musicienne, un musicien. Le fait de recevoir la musique et d’en faire écho est aussi important que de la créer ou la diffuser.

On en a la preuve. Les musiciens qui ne jouent pas en concert en ce moment sont complètement perdus. Sans personne à qui adresser sa musique ils ne savent plus où ils en sont. Quant aux intermédiaires, ils cloisonnent encore plus leurs poulains pour éviter que les murs se fissurent. Ils leur conseillent d’attendre que tout redevienne comme avant. Foutaise. C’est l’heure de faire péter tout ça. Donc je suis hyper motivé. Cette année j’ai sorti 7 albums solo, bientôt un huitième. J’ai joué en live, mais très peu depuis mai. 17 concerts c’est déjà bien, mais c’est très en dessous de mon rythme, du coup j’ai eu du temps pour enregistrer des chansons, en écrire. J’ai plus un rond mais j’ai du temps. 

LFB : On décrirait Confinado comme la comédie musicale de cette comédie/crise sanitaire. Toi comment décrirais-tu cet album ? 

Kim : Oh merci c’est gentil! Je dirais que Confinado est un disque de geek pop. Je l’ai enregistré avec mon téléphone, pour que ça aille vite et que j’ai pas des trucs à brancher. C’est parti d’une improvisation, la chanson confinado .
Jack, le média, m’a proposé de faire quelque chose sur le confinement durant le confinement. Je n’avais aucune envie de faire un live webcam car j’en faisais plein déjà, et de plus en plus en formule payante et privée, alors j’ai proposé une chanson improvisée avec un clip de dessins improvisés.
Ça a donné le clip de confinado J’ai tiré sur un fil et l’album s’est construit en improvisation au fil du printemps. J’ai quasi tout fait dans le bar d’en bas de chez moi, Dédé la Frite , en profitant du déconfinement. En musique notre déconfinement est une blague. La plupart des lieux de concerts sont fermés. Enregistrer mon album dans un bar, sans que personne s’en doute, c’était réjouissant. Pour une fois je faisais pas un concert dans un bar, mais un disque. 

LFB : Tu es très influencé par des artistes français.es, tu en fais l’éloge sur les réseaux ainsi que dans tes chansons. On aimerait savoir ce qui te plaît dans la chanson actuelle française. Y trouves-tu un aspect novateur ? 

Kim : Oui, totalement. J’ai la chance d’en rencontrer plein, de ces musiciennes et musiciens. C’est le luxe d’être troubadour. Ou chanteur solo, comme tu veux. On peut facilement rencontrer des musiciennes, des musiciens. J’en fais l’éloge car nous, musiciens, avons un rôle de passeurs, en plus de celui de jouer de la musique. Si nous admirons quelqu’un il est de notre devoir d’en parler aux gens qui nous écoutent. Ça nourrit la culture, créé des accidents artistiques, de l’externalité positive.

Et puis il y a les musiciens français que je ne connais pas personnellement et que j’admire et dont j’aime parler. Yelle ou Flavien Berger viennent de pondre des disques sublimes novateurs sur le plan musique et textes. L’incongruité au service de l’érudition compositrice. Salut C’est Cool aussi. Je trouve que tous ces gens là ont une grande liberté de ton et de sons. Bonnie Banane aussi, et puis Jacques. Et puis Irène Dresel qui joue techno avec des sons souples, pas acid et pas électro, un poil gothique.

J’adore Th Da Freak et Siz, avec qui j’ai eu l’honneur de jouer. Ils ont tout pigé du slack et des 90s grunge. Ce sont des anglophones avec un gout pour les Usa des années 90. Après il y a mes amis Batist, Cléa Vincent, Baptiste Hamon, Victorine, chez qui je trouve la même énergie d’écriture. Ils sont au diapason de leur musique, quelle qu’elle soit. Là aussi j’ai eu la chance de jouer avec eux comme musiciens et c’était un luxe de voir des gens donner avec franchise ce qu’ils aiment jouer.

Pour illustrer ça j’ai l’exemple d’un concert qu’on avait fait tous ensemble, Cléa Vincent, Baptiste Hamon, Cocktail Bananas et moi dans un gros orchestre multi tête. Je revois Baptiste chanter du yodle. C’est ça que j’admire chez les français d’en ce moment. Ils osent tout. Dans ma chanson « les chanteuses » je fabrique un couplet avec les prénoms de certaines chanteuses pour leur rendre hommage. Mais ça n’est pas tout, il y a des choses au delà de la chanson.

Il y’a Igorrr. Je le connais pas personnellement mais sa musique me fascine, tout comme celle de Chassol. Lui j’ai pu jouer un peu avec dans le band éphémère de Yuksek. Des musiciens de cette trempe, c’est du luxe de les avoir. Comme Lucie Antunes. Anne Pacéo. Et puis la flopée de merveilles que l’on a dans le rap en ce moment. Niska, Vald, avec leurs rimes multi syllabiques, la chose la plus folle depuis Ferré. Surtout ne pas oublier la Belgique et la Suisse avec Makala, Isha.

En France Sapritch, Arm, Jok’air. La liberté des textes est fascinante. Je viens d’entendre José, il sort un single en portugais sublime. Et puis Marie Klock qui déclame un flot de textes osés sur fond de new wave. Il y a Garance que j’adore aussi. Guillaume Léglise. Ventre de Biche et ses points de vues sombres, qui allient new wave à cloud rap. Noir Boy George qui est pour moi un nouveau Balavoine punk. Et puis Pi Ja Ma et sa voix soul. La folie soixante-huitarde de Catastrophe qui compte en son groupe le génie Blandine Rinkel. La chanson zen d’Yvonne La Nuit. Le blues de Junior Vic et Ashtray. Ils sont tous tellement inspirants. Laure Briard et son Brésil. Il commence à y’avoir un métissage doublé d’une érudition, en France, que je trouve beaucoup plus intéressante que la mode des années 2000 à vouloir que la France s’exporte à l’International.

C’était un bonus d’avoir ces ambitions pop mais ça donnait quelque chose de poseur. En ce moment les français sont persévérants et curieux de tout. Certes j’en ai bien profité des années 2000 et leur tendance à exporter les français, j’ai pu tourner dans 7 pays à l’époque. Pour autant depuis 2011 j’ai l’impression qu’il y a une ambiance Disques Saravah, dans nos villes, avec des passionnés hardcore en musique, qui fouillent et trouvent. Sahara, le groupe de Blondine, avec leur musique de 6556 pays à la fois. Acid Arab aussi. Tout cela tend à mélanger. Il y a aussi des producteurs à citer. Je pense à Alex de chez Croque Macadam. Il fouille de la musique espagnole, il est dj, il produit. Cette génération est fabuleuse. Et les plus jeunes, je sens que ça va être encore plus des démineurs. Je pense à Paris Banlieue. Tôle Froide (qui viennent de se séparer). 

LFB : Où t’est venue l’idée de te rapprocher de ton public à même tes clips ? À savoir…comment tu as décidé de vouloir créer une sphère intime dans la chanson, art personnel de prime abord? Tu t’y prends bien, d’ailleurs.

Kim : Merci beaucoup. Je ne me rend pas compte. Avant 2006 je ne tournais pas de clip. Pas de moyens, pas d’idées, et aucun média pour diffuser. Avec l’arrivée de Youtube j’ai commencé par fabriquer des dessins animés pour faire mes clips. En 2009 j’ai fait un clip avec Léo Frenay, « my family » qui mélangeait dessins animés et vidéos. S’est posé un problème: je ne savais pas jouer la comédie. Je suis allé sur des tournages, demander à dés comédiens de venir jouer dans mes clips. C’est peut-être là que l’aspect convivial que tu sembles évoquer à du se faire sentir. Je chantais du mélo, mais je faisais le couillon. En 2013 j’ai décidé de sortir un clip par lundi. Il fallait des idées rapides. Je jouais dans une compagnie de théâtre, comme musicien, j’ai pu me faire coacher sur de la marionnette, sur de l’acting. Au même moment on tournait, Victorine et moi, avec Konbini et les Inrocks. Ils m’ont montré des choses rudimentaires pour cadrer. Depuis ce jour là j’essaie de faire des clips qui ne contiennent qu’une ou deux idées. En 2018 j’avais envie que mes clips durent 15 minutes, pour voir ce que je pouvais raconter avec ce format. C’est peut-être ça que tu trouves intime. Je n’ai aucun moyen, peu d’idée, mais je me lance comme je peux. Parfois des amis m’ont fait des clips aussi. C’est un format que j’adore, même si je trouve qu’il est devenu systématique. Du coup parfois j’en tourne pas. Car j’ai pas envie. 

LFB : Pourquoi uses-tu du polyglottisme dans tes chansons ? 

Kim : C’est mon ami Youssef Abado qui m’en a donné l’idée. Il chante en 6 langues. J’ai demandé un texte en espagnol à Valérie Hernandez en 2013. Puis de l’arabe à Youssef. J’ai sorti un single en arabe, puis un en italien et c’est devenu une passion. Entendre comment chaque langue modifie la couleur de la note m’a passionné. Dans les années 90, pour mes premiers enregistrements je mélangeais de l’anglais à du français, mais personne ne s’en rendait compte. Je fabriquais des jeux de mots inter langues. Ça sonnait pas. J’ai changé mon fusil d’épaule en 2016. Après j’ai enregistré tout un album en italien, puis du russe, que je parle. Puis Marie Klock m’a écrit des textes en allemand. Je trouve que le fait d’être polyglotte donne de la couleur aux textes. Gamin j’adorais la Mano Negra pour ça. 

LFB : Décris-nous un peu tes habitudes avant/pendant/après l’écriture d’une chanson.

Kim : Aucune idée. Soudain j’ai une mélodie. Je la note. Parfois un bout de texte avec. Ça arrive n’importe quand. 

LFB : Qu’est-ce qu’il se passe si on « push the button »? 

Kim : On peut pécho le covid. Voilà une chanson , « push the button non j’veux pas pécho le covid » qui m’est venue dans un instant de métro. On arrive à la station, dans le métro, fin mai. La personne masquée de gauche veut ouvrir la porte sur laquelle est marquée « push the button ». Celle de droite la regarde en hésitant. On aurait dit qu’elle pensait « non non non non non j’veux pas pécho le covid ». Je suis sorti du métro pour commencer à enregistrer la musique. 

LFB : Donne-nous le titre d’une chanson, d’un film ainsi que d’un livre qui te rend heureux.

Kim : « The boys are back in town » de Thin Lizzy, « Pulp Fiction » de Tarantino, « les dessous de l’innocence » de Stella Tanagra

LFB : Que pense ton fils de ta musique ? Veux-tu lui inculquer un modèle ou préfères-tu lui laisser faire son bonhomme de chemin ?

Kim : Je ne sais pas ce qu’il en pense. Probablement que ce serait mieux en tonalité majeure. Je l’ai beaucoup endormi avec des comptines sur mesure. L’une d’elles est devenue « Thomas Mann und der kuchen aus kacke » pour laquelle Marie Klock a écrit un texte et chanté. Mon gamin vit dans les instruments et les jouets. Alors pianoter n’est pas si différent de manger un biscuit ou monter une tour de Lego, pour lui. Et je pense qu’il a bien raison. Je ne veux l’obliger à rien. Il aime surtout écouter le premier album de Panpan Master, qu’il préfère à quand je joue. Sinon il aime quand sa mère, ma chérie, joue. Il adore. Mon père était musicien, mon grand père aussi, mon arrière grand père aussi. Aucun envie d’inculquer quoi que ce soit à mon gamin. Il fait comme il veut. Cela dit il chante souvent sur mes enregistrements. Et puis, au final, d’où je serais un modèle? Ça marche dans l’autre sens. Ce sont les vieux qui ont à apprendre des jeunes, dans la musique. Pas l’inverse. Bien sûr les vieux ont de l’expérience et peuvent renseigner sur du patrimoine. Mais ça fait d’eux des bibliothèques, pas des guides. Les guides ce sont les jeunes. Eux savent tout de l’époque où ils vivent. 

LFB : Merci de nous avoir accordé ce temps pour répondre à nos questions. Autre chose à rajouter ?

Kim : Merci. Un grand merci, beaucoup.