Kid Francescoli : « Je me sens à l’aise dans l’exploration »

À l’occasion de la sortie de son album Lovers, on devait discuter avec Mathieu Hocine alias Kid Francescoli en Mars dernier. Covid oblige, l’entretien a été repoussé mais on a finalement pu prendre le temps d’une discussion avec lui. L’occasion de parler de sa musique, de Marseille, et bien évidemment de football.

© Vittorio Bettini

La Face B : Bonjour Mathieu, comment tu vas ?

Kid Francescoli : Ça va plutôt bien, je suis au studio. Je passe beaucoup de temps ici à travailler et c’est toujours agréable parce que j’accumule des choses pour la suite. C’est vrai que l’absence de tournée, c’est un truc qui te fait dire que c’est un peu la merde, mais on essaie de passer outre ça parce que sinon c’est terrible. Je préfère me dire que j’en profite pour faire autre chose, j’ai fait une musique de film récemment, un remix, je bosse sur une reprise et puis je commence à bosser sur le prochain album, donc ça va plutôt bien.

LFB : On devait se rencontrer l’an dernier au Grand Mix, malheureusement ça n’a pas pu se faire à cause de la crise sanitaire. Est-ce que tu peux nous raconter comment tu as vécu ces mois si particuliers ?

KF : Ça a été un peu bizarre. On a commencé la tournée en Mars et c’était cool, ça partait super bien. On était plein d’espoir et on avait de grandes attentes, on a fait un concert à Londres et le lendemain on devait jouer à Amsterdam mais au lieu de ça on est rentrés à Marseille et le soir même on avait le Président qui nous disait « Nous sommes en guerre ». C’était bizarre parce qu’au début je n’arrivais plus à rien faire, c’était un peu la fin du monde. J’avais un peu peur de ce qui allait arriver à ma famille, à ma mère, ma grand-mère, les gens autour de moi et même pour moi. Et puis petit à petit, il y a eu un déclic où je me suis dit « de toute façon tu vas pas rester chez toi à regarder des films toute la journée », même si c’était très plaisant pendant les quinze premiers jours parce que c’était un moment où à Marseille il faisait très beau, et j’ai la chance d’avoir une terrasse. J’avais l’impression que c’était la fin du monde mais j’étais plutôt bien. Et après, je me suis mis à retravailler. D’abord à la maison et ensuite je suis retourné au studio. Et puis là en ce moment je travaille à fond, en ne me posant même plus la question de savoir si on va bien faire les dates prévues parce que ça fait trois fois qu’on reporte la tournée. Le seul truc qu’il manque un peu, on se disait avec les potes, c’est de faire un crochet après le studio pour aller boire un coup. Savoir que tous les soirs à 20h ou à 18h tu vas être chez toi c’est un peu bizarre, mais je m’en accommode.

LFB : À l’époque on voulait te demander comment tu vis la sortie de ton album, aujourd’hui on a envie de savoir comment tu t’es adapté pour le faire vivre cet album ?

KF : On a essayé de sortir des clips, le plus possible, et de faire le plus possible de promo, éventuellement par visio-conférence mais c’est vrai que pour faire vivre un album, il n’y a rien de mieux que de le jouer en tournée. En plus, je me disais, au moment de la première annonce du confinement, que c’était pas grave et que les gens aujourd’hui écoutent beaucoup la musique sur les plateformes de streaming chez eux, sauf qu’on a fait un live pour Arte en Juillet sur une péniche, et j’ai vu l’impact que ça avait sur les gens et aussi sur moi. Quelques semaines après, Sébastien Tellier en a fait un aussi et ça m’a donné envie de ré-écouter l’album. Le but d’un concert c’est quand même ça aussi au début, de promouvoir ta musique. Ça te permet parfois de redécouvrir un morceau que tu avais entendu sur l’album. Donc je me suis adapté du mieux que j’ai pu mais je pense que sans les concerts, on a du perdre la moitié de l’impact de l’album. Donc c’était un peu dommage que la tournée soit annulée. J’essaie de faire la part des choses en séparant la partie studio du live mais tu es obligé d’y penser.

LFB : est-ce que tu as une préférence entre les périodes où tu produis en studio et celles où tu tournes ?

KF : Non, en gros quand tu es dans l’une tu te languis de l’autre. J’adore les deux mais tu réfléchis toujours à la suivante. Récemment j’ai fait un aller-retour au Mexique pour une session live filmée et j’ai eu d’énormes galères d’avion à l’aller. J’ai eu deux vols annulés donc ça m’a pris 36h pour aller de Marseille à mon hôtel. Sauf que ça m’avait tellement manqué que j’étais presque content d’avoir ces galères. Je me disais « putain tu es dans un aéroport c’est quand même trop bien ». Le fait d’être en transit c’est différent quand tu as passé presque un an au studio. C’était la première fois en plus au Mexique, c’était super.

LFB : Pour revenir à Lovers, comment tu le compares à tes albums précédents ?

KF : C’était un virage par rapport aux deux précédents parce que c’était la fin de la collaboration avec Julia. Je me suis laissé allé à expérimenter de nouvelles voix, avec le chant en Portugais par exemple. J’ai voulu faire un virage un peu plus inspiré par Marseille, et de manière générale le soleil et la Méditerranée. Dans la dernière tournée on a eu beaucoup presque 2 ans de dates et je suis toujours très inspiré par les voyages mais là où je me sentais le mieux c’est quand je rentrais à Marseille. Et j’ai essayé de retranscrire ça, ce côté Home Sweet Home, avec la lumière de Marseille. Je pense que c’est ça la différence majeure en termes de sonorités et de mood.

LFB : Tu l’as dit, il y a plusieurs langues sur tes albums, avec l’ajout du Portugais maintenant. C’est assez rare d’avoir des artistes qui sont à l’aise avec plusieurs voix, comment tu l’expliques ?

KF : Je me sens à l’aise dans l’exploration. Quand j’ai rencontré Samantha et qu’on est allés au studio, elle m’a dit qu’elle parlait couramment Portugais et pour moi c’est comme si d’un coup je savais jouer d’un nouvel instrument. Après forcément, tu as des langues qui sont plus ou moins musicales mais le Portugais je me suis dit que c’était trop bien parce que ça allait apporter une vibe différente et surprendre les gens. C’est très inspirant pour moi, c’est plutôt quelque chose qui facilite l’inspiration. Là en tout cas, sur un morceau avec beaucoup de chaleur, ça marche.

LFB : Le casting des voix s’est enrichi, comment tu as fait tes choix ?

KF : Au début j’avais une liste, de chanteuses que j’aime bien, sur disque ou parce que j’avais fait des concerts avec. Donc j’ai commencé par les contacter et j’ai pas eu beaucoup de retours positifs parce que soit elles étaient prises, ou peut-être que ça ne les intéressait pas. J’ai appris, avec le temps, qu’au lieu d’aller chercher ailleurs, autant essayer de faire avec ce qu’il y a autour de toi. Ça se fait naturellement, par exemple Sarah Rebecca, j’avais fait des remixs, elle travaille beaucoup avec Simon, donc on avait déjà échangé ensemble et ça fait comme une famille après. Je me suis rendu compte que c’était mieux de venir les choses, avec des gens qui n’avaient pas forcément fait beaucoup de choses et du coup ça permet de faire un truc un peu unique, plutôt qu’un album de featuring.

LFB : on sent la patte de Simon Henner (French 79) sur l’album, est-ce que tu peux nous parler de votre relation ?

KF : On est voisins très proches de studio. C’est une rencontre qui a changé ma carrière parce qu’il m’a fait évoluer et prendre confiance en moi. Concrètement, musicalement, il y a différentes étapes ou interventions de lui sur ma musique. Je peux lui apporter un morceau quasiment fini et lui dans ce cas met juste une couche de vernis finale, ou alors je peux juste lui ramener une suite d’accord ou une mélodie et lui crée le morceau autour. Par exemple, So Over sur le dernier album s’est passée comme ça. Sur chaque album on a ce truc où je fais la plupart des prods et je lui en laisse une, deux ou trois sur lesquelles il peut s’exprimer un peu plus librement et je suis très content de cet équilibre là. Et puis humainement c’est un pote, c’est super cool qu’on soit voisins parce qu’on s’échange des instruments, des idées, nos doutes, on se pose des questions, on se donne des avis. Des fois c’est des trucs tout con où tu passes une journée entière sur un morceau et tu ne te rends pas compte de ce qui ne va pas, et puis lui il passe 5 secondes au studio et il te dit d’inverser tel ou tel truc et c’est une trop bonne idée et moi je fais pareil pour lui. On se fait souvent des moments comme ça, même sans le vouloir parce qu’on échange beaucoup.

LFB : Est-ce que tu peux nous parler de Tiktok ?

KF : Tiktok, c’est un sacré truc qui est arrivé. C’était un réseau qui je connaissais très peu mais j’en avais un peu entendu parler donc je m’étais créé un compte par défaut. Et puis j’ai eu le label qui me parlait peu à peu d’un pic sur Moon et sur une relance, on ne savait pas d’où ça venait. Et puis un jour j’ai un truc d’un fan sur instagram qui me dit « est-ce que tu as vu que ta chanson est devenue virale sur Tiktok ? ». Et quand j’ai vu ce mot viral ça m’a vraiment… (pause) Je me suis dit c’est chaud. Dans tous les cas c’est énorme. Je suis allé voir et j’ai halluciné, ça m’a touché. J’ai beaucoup ri, j’étais un peu ému. Là où ça me touche le plus c’est quand je voyais des gamines en train de faire intervenir leurs parents. Genre la fille avec sa mère, elles vont faire les courses, elles font « And it went like »… Et ce que je me dis, c’est qu’à un moment à l’autre bout du monde, cette fille était dans la voiture avec sa mère, elle lui a fait écouter le morceau, elle lui a expliqué qu’il y a un drop, qu’il faut dire « And it went like ». Et pourtant c’est un truc qu’on a créé ici, avec Julia, dans le studio, et le fait que ça arrive à être mondial, sur le coup, c’était un peu enivrant, vertigineux. J’ai mesuré l’impact avec le peu de concerts qu’on a fait. Parce qu’au final avec les chiffres de stream tu réalises pas, t’as 40 millions de streams mais c’est tout ça change pas ta vie. Par contre en live les trois fois où on a joué, quand le drop est arrivé les gens étaient hystériques. Il y avait bien les trois quarts de la salle qui ont crié le drop à notre place. Et je me suis dit « ah ouais c’est ça ». Et puis j’ai vu que Jennifer Lopez, The Rock ont essayé de le faire, je me dis c’est un peu la magie d’internet parce que c’est quelque chose que tu ne peux pas créer. En tout cas à mon niveau je ne pouvais pas l’imaginer, et je ne pouvais pas me dire « tiens je vais trouver un truc qui va faire que les gens vont raconter leur vie avec ». C’était inimaginable. J’ai dit à Julia il faut faire un drop, elle me demande ce qu’il faut dire, je dis on n’a qu’à mettre « and it went like », pour l’instant on met ça et on verra. C’est une phrase qui ne veut rien dire. Et donc j’ai eu le plaisir de voir ça et la frustration de ne pas plus le ressentir en live.

LFB : Est-ce que tu peux nous parler un peu de la suite, après Lovers ?

KF : J’ai fait une musique de film, un remix, une reprise, ça permet de remettre la main à la patte. En bossant sur un truc, tu trouves des choses que tu gardes pour plus tard. Et puis par rapport au confinement, tout ça, j’ai un dossier dans lequel je mets toutes mes idées. J’essaie de faire le plus de boucles possibles, c’est une méthode de travail. Si j’essaie de travailler directement sur un morceau, ce sera jamais bien. Alors qu’en faisant une boucle, un thème, un son par jour, ça désacralise les choses. À la fin du mois j’en aurais 30, et c’est comme ça que les idées viennent, et tu testes des choses que t’aurais jamais fait. J’essaie d’amasser le plus possible de matériel. Et au final c’était plus simple de m’y remettre par ce biais là, et ça permet d’être inspiré. Je vais essayer d’en avoir le plus possible. Je crois que c’est Brian Wilson des Beach Boys qui disait que si tu travailles tous les jours, t’es pas sûr d’avoir une bonne chanson. Mais si tu travailles pas tous les jours, c’est sur que tu ne l’auras pas. Et Noel Gallagher qui avait une métaphore avec la pêche, le fait de revenir avec quelque chose ou non. Là je suis retombé dans ma période Gainsbourg, j’ai redécouvert plein d’albums qu’il avait fait pour les autres et en fait il a écrit des centaines de chansons, au milieu il va écrire des tubes.

LFB : En tant que Marseillais, parlons un peu foot, qu’est-ce que tu penses de la situation de l’OM ?

KF : Je sais même pas comment on fait pour continuer à gagner des matchs parce que la gestion du club… les transferts, tout ça, depuis Mitroglou, Strootman, pourtant on a un effectif de qualité. Là on va en champion’s league pour perdre quasiment tous les matchs. C’est terrible quand je vois Lille, Lyon, avec des gros effectifs, et nous prend des joueurs prometteurs, comme Rongier et Cuisance et j’ai l’impression qu’on tire les joueurs vers le bas. Je sais pas si c’est le club, le stade, la pression du maillot mais il y a un truc que j’arrive pas à saisir. Après il y en a certains qui arrivent à sortir la tête de l’eau, mais ça fait pas beaucoup. Benedetto il arrive avec une grosse réputation, c’est un buteur et il met rien. Je l’aimerais toujours le club, je le suis depuis tout petit mais c’est dur. À part un investisseur à la Paris qui nous fait acheter ce que vise Paris, je vois pas comment on peut sortir de là. Même McCourt, je m’étais dit que c’est un américain, qui est déjà dans le sport… On a fait venir des noms, Garcia, Payet son retour, je l’adore mais il est trop irrégulier. Lui et Thauvin je leur en ai voulu pendant la Champion’s League parce que c’est des leaders techniques. Et le pire c’est que je te dis que ça va pas mais on n’est pas 13ème non plus. On devrait être dans la même situation que Lille. Comment nous on n’a pas eu Osimhen par exemple ? On en aurait fait un Drogba ici.

LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

KF : La reprise des concerts et de faire un bon nouvel album.

LFB : Est-ce que tu as des coups de coeurs à partager ?

KF : En ce moment j’écoute Jonwayne, un trop bon rappeur qui a été pris sous l’aile du Wutang et il est trop fort. Arlo Parks, aussi, on va en entendre parler. C’est une Anglaise qui chante à la Billie Eilish en plus calme. Et puis une pensée pour MFDoom qui nous a quitté il n’y a pas si longtemps et je pense que c’était un des meilleurs flow de rap de tous les temps. C’était une légende un peu floue parce qu’il n’a pas une carrière à la Snoop Dogg avec plein de tubes mais il a plein de projets, de pseudos ce qui fait que ça brouille un peu les pistes.