Joseph Chedid : “c’est un appel à la source cet album, ce n’est pas la source”

Il vient de sortir son tout 1er album sous son nom propre : Source, et est en concert le lundi 02 mars au Théâtre de lŒuvre ! Nous l’avons rencontré, c’était dans un petit bistrot du quartier de Pigalle, où Joseph Chedid venait de tourner une session live avec Le Bruit des Graviers, au Phono Muséum. On a commencé par parler de comics et de cinéma. Joseph est un très grand fan de Batman, du personnage, des films de Tim Burton, et du Joker, car il y a toujours « un côté très théâtral » qu’il a toujours adoré. Et avant que l’interview ne débute vraiment, on a parlé de ce processus obligatoire pour un artiste qu’est la promo !

crédit photo : Hamza Djenat

La Face B : Faire de la promo comme ça, pour ta musique, c’est quelque chose que tu aimes ?

Joseph Chedid : J’aime bien la rencontre avec les gens surtout, c’est des échanges et puis c’est une manière de parler de son travail, de sa passion. On peut le faire à d’autres moments mais en interview on rentre dans des détails, dans des choses qui sont assez agréables parce qu’on se rappelle de telle ou telle chose, ça te reconnecte à ton processus de création… Je dirais même que ça fait presque parti du processus d’introspection du projet, parce que tout d’un tout tu dis des choses, et tu te rappelles de choses… Et puis parfois c’est aussi agréable parce qu’on te donne un retour, une vision de tes chansons. L’interview t’emmène dans un processus d’introspection, tu ressors plein de choses, notamment des choses qui ont été conscientes pendant une très courte durée et qui tout d’un coup se conscientisent. C’est un processus que j’aime bien.

LFB : Ce lundi 02 mars tu joues donc au Théâtre de l’Œuvre, ce qui m’amène à une première question, qu’est-ce que représente le live pour toi ?

JC : Quand tu fais un album tu as envie de le défendre, de le faire voyager. Et chaque concert c’est un pas en plus vers la construction d’un live, d’une ambiance, d’une manière de déployer l’album… Le live c’est super important, c’est fondamental. Après c’est le rapport à l’autre, pour moi le live c’est l’extérieur, et le studio c’est l’intérieur. Tu as besoin d’aller vers l’extérieur pour te nourrir, pour échanger, pour partager… Et puis tu as besoin d’aller vers l’intérieur pour te construire, pour évoluer sur des choses…

LFB : Ce qui veut donc dire que tu n’as pas de live déjà tout prêt, tu laisses la possibilité au live d’évoluer constamment en fonction du lieu, du public, du moment… ?

JC : Au début tu travailles beaucoup pour construire quelque chose qui pourrait se suffire à lui-même. Mais ensuite au fur et à mesure du temps, ça évolue. Et puis j’ai plusieurs formules avec cet album, parfois je suis en groupe, d’autres fois je suis seul avec mes machines dans un mode plus électro. J’aime bien que les gens comprennent qu’il y a une énergie rock, que je ne suis pas juste un songwriter.
Et par exemple pour un concert, j’avais un petit pied pour envoyer un battement de cœur, pour que ce soit un peu plus énergique à certains moments, et depuis le début de la journée j’avais mes chaussures de scène, et j’ai marché sur une surface un peu collante, si bien que pendant le concert, au bout du troisième morceau, mon pied s’est mis à coller ! Alors je le disais aux gens, je disais au public « putain mais c’est fou, j’ai mon pied qui colle pendant le morceau » donc comme ça fait un peu comique, les gens rigolent… J’aime bien ça ! Parfois je commence à m’exprimer, je parle un peu autour de telle ou telle chanson. Je suis un peu confus mais en même temps je m’en sers, parce que ça crée un truc et les gens se marrent en fait !

LFB : Et pourquoi avoir créé des sets si différents ? Est-ce que c’est essentiel par soucis économique (car cela coûte moins cher pour une salle d’accueillir une seule personne et ses machines, plutôt qu’un groupe entier) ? Ou est-ce que tu désirais vraiment avoir plusieurs formules de live ?

JC : Je pense que la formule qui représente l’album c’est vraiment la formule en groupe. Mais si j’ai mis en place plusieurs formules, c’est avant tout dans un souci de s’adapter. S’adapter aux salles mais aussi au projet : pour tourner en groupe il faut une notoriété importante. Et puis tu te rends compte que la force des choses, la nécessité t’amènes à t’adapter et ensuite cela devient artistique, car tu te rends compte que tu peux proposer des versions différentes du concert. Et ça j’en suis super heureux.

LFB : Ça ne rend pas le projet un peu flou aux yeux des gens ? Puisque dans ton public il y a ceux qui ont vu le live avec tout le groupe, ceux qui t’ont vu toi tout seul avec tes machines dans quelque chose de beaucoup plus électronique… ? Ça ne peut pas poser d’un problème d’identification du projet ?

JC : C’est une manière de le voir. Peut-être que pour certaines personnes cela peut poser problème. Mais je pense qu’au final c’est vraiment ça le live. Et à partir du moment où tu passes un bon moment en concert ça va. Et si tu reviens me voir en concert une seconde fois et que cette fois-ci la formule est différente, c’est encore mieux pour toi, car tu sais que tu ne vas pas revoir la même chose. Ça crée des surprises, et le live c’est comme ça. Les concerts on dit que c’est du « spectacle vivant », c’est pas pour rien.
Après il existe des concerts très calés, on en voit justement comme on est dans une époque assez marketée, assez formatée, malheureusement… il y a des concerts qui se standardisent. Après il y a toujours des variations si tu regardes précisémment, mais il y a quand même des concerts qui sont sensiblement les mêmes, et si tu regardes bien, les gens tapent un peu des mains aux mêmes moments tout le temps, ils chantent un peu aux mêmes moments… Après voilà, il faut organiser, c’est un spectacle, tu ne peux pas faire continuellement de l’impro’ non plus, mais quand l’équilibre a sa place c’est vraiment cool.

LFB : Je tenais aussi à te demander, pourquoi tu as voulu sortir ton album Source en trois chapitres ?

JC : C’était pour raconter une histoire et c’était pour donner vie à cet album, parce que si j’avais tout sorti d’un coup, cela aurait été un peu un coup d’épée dans l’eau car personne n’attendait ce disque, je suis en indépendant, je n’ai pas de label. Quand tu es en indépendant et que tu sors un album, tes amis et ton petit réseau de gens sur Internet trouvent ça cool, l’écoutent, il y a peut-être un peu d’échos, ça dure une semaine ou deux et puis c’est terminé. Alors que toi tu as travaillé pendant trois piges sur cet album… Et quand tu as travaillé pendant trois piges sur un truc, tu veux faire en sorte que ça aille un peu plus loin que ça. Et c’est pour cela que j’ai sorti une première partie de l’album, puis une deuxième, puis une troisième. D’autant plus qu’aujourd’hui il y a tellement de choses qui sortent qu’on n’a plus vraiment le temps d’écouter de longs formats, surtout pour des albums qu’on n’attend pas forcément. Donc tu écoutes quatre morceaux, puis tu en as d’autres, puis tu en as d’autres, et à un moment donné tu as l’album qui sort et puis des concerts etc… Du coup tu crées une énergie, une énergie, une énergie… qui fait qu’on se retrouve là et qu’on fait une interview.

LFB : Comment est-ce que tu as choisi ton découpage pour les trois chapitres de cet album ? Est-ce qu’il y a vraiment des thématiques ?

JC : Le découpage c’était le côté plus pop pour commencer, des chansons plus piano, moins guitare, moins rock. Pour le deuxième chapitre, c’était une partie plus rock. On a regroupé un peu les thématiques. La thématique « source » reste une thématique d’album, mais c’était plus pop et rock. Et la troisième partie qui est sortie c’est l’album entier en fait.

LFB : Je suis très curieuse également de découvrir dans quel univers tu as grandi. Est-ce que vous alliez tout le temps voir des concerts ? Est-ce qu’il y avait des instruments plein la maison ? Est-ce qu’il y avait tout le temps des amis de la famille qui venaient jouer à la maison ? Parce que d’un point de vue extérieur c’est assez fascinant, ces familles où on a l’impression que tous les membres sont la même veine… On a l’impression que vous sortez d’un roman !

JC : [Rires] Bah disons que, on a déjà une configuration assez particulière, c’est que Matthieu, mon grand frère, et Emilie ma grande sœur, ont un an d’écart. Et 14 ans plus tard, il y a moi et Anna, avec un an d’écart (des mêmes parents). Donc il y a une quasi génération entre les deux fratries. Quand nous avions 10 ans, Matthieu et Emilie avaient 25 ans et commençaient à faire leurs premiers clips, à jouer… Et nous on regardait cela avec un regard d’enfant de 10 ans. Donc c’était assez joyeux. Et puis eux avaient l’énergie d’avoir des petits gosses avec eux, trippants, donc ça créait une synergie assez intéressante, connectée à l’enfance… Ça nous a tous inspiré en fait.
Moi je voyais mon frère jouer de la musique avec ses copains, j’avais 10 ans, je les voyais jouer bien, alors que moi je n’arrivais pas trop à jouer, j’avais un peu honte, je me disais « merde mais moi j’arrive pas à faire comme eux… » parce que j’avais quinze ans de moins mais je ne comprenais pas trop. Et puis mon frère a commencé assez jeune en fait, pour son 1er album il avait 25 ans, donc dès l’âge de 10 ans je commençais à aller voir mon frère en concert. Et ensuite ça ne s’est jamais arrêté.

LFB : Cela aurait pu avoir comme effet sur toi, de t’autocensurer, en te disant « oh là là, je n’y arriverais jamais », ou alors par défiance tu aurais pu décider de faire tout autre chose.

JC : C’est ça qui a été peut-être un vrai challenge, ne pas céder à la difficulté que ça pouvait amener, ne pas tomber dans le rejet. La priorité c’est quand même aussi les rapports humains, l’amour, l’amitié, la fraternité. Et on a eu la chance d’être élevés de telle manière qu’on a pu garder cela à l’esprit, donc je ne voulais pas être particulièrement défiant envers mon frère, ou au contraire être comme mon frère, je voulais être moi-même. Ça m’a pris du temps de trouver ma place par rapport à ça. Je ne sais pas vraiment comment en parler.

LFB : C’est pour cela qu’au début c’était plus facile de s’appeler « Selim » plutôt que « Joseph Chedid » ? C’était un peu plus incognito.

JC : Oui. Je ne pouvais pas m’appeler Chedid au début. Ça me freinait vraiment. « Selim », c’est mon deuxième prénom, et dans « Selim » il y avait ce lien aux racines, à la famille, mais avec quelque chose de libre, de pas encore associé à « Chedid ». Et pour moi c’était lié à la poésie, je ne sais pas pourquoi mais dans « Selim » j’entendais quelque chose de poétique. Pour moi c’était un espace relié aux racines et en même temps poétique et libre. Et au fur et à mesure, en prenant confiance aussi, en faisant de plus en plus de choses… en fait mon propos était vraiment « Joseph » que « Selim ». Parce que « Selim » ça posait des questions ensuite, auxquelles je n’avais pas réfléchis : du style personnage ou pas ? Groupe, personnage… ? Et en fait non. Et puis ensuite on a fait une tournée en famille (Louis, Matthieu, Joseph et Anna), donc « Chedid » ça devenait autre chose pour moi. Et un jour, alors que nous étions en tournée, mon frère, mon père, me présentaient et disaient « et Joseph qui a son truc qui s’appelle Selim »… Et là je me suis dit non, c’est pas ça. Ce que je raconte c’est moi, c’est « Joseph » en fait. Et je veux m’amuser à être dans plein de personnages différents, mais je pars de moi, donc pour moi ça clarifiait le propos, c’est vraiment un truc de fond avant tout, de positionnement. Et d’ailleurs j’avais l’impression qu’en m’appelant différemment, ça allait me faire être différent, et effectivement ça n’a pas loupé. Je suis beaucoup plus à l’aise, bizarrement, sous ce nom-là maintenant, que je ne l’étais avec « Selim ».

LFB : Peut-être qu’il y a un truc plus apaisé maintenant par rapport à l’héritage…

JC : Complètement. C’est sûr, ça c’est sûr.

LFB : Et au niveau de ton processus créatif, est-ce qu’il y a une part que tu préfrères aux autres ?

JC : Ce qui m’anime vraiment c’est travailler l’histoire et l’univers, comme si tu faisais un film. Dans un film tu as des dialogues, des scènes, des plans, des acteurs, des décors, t’as un rythme, t’as l’étalonnage, le montage… C’est ça qui m’intéresse.

LFB : Mais pas faire des films pour autant ?

JC : Si, c’est les faire au travers de mes albums. Mais pas forcément un film ça commence avec la scène 1, et puis à la fin la grande scène de fin… Source, si c’était un film, ce serait un film avec plein d’ellipses, on ne comprendrait pas forcément mais tout serait connecté. C’est comme un puzzle un peu déconstruit qui raconte la même histoire. C’est les pièces de l’histoire qui sont connectées, sans être forcément toujours reliées de manière apparente.
Là par exemple je suis en train de songer à mon prochain album, j’écris des choses, j’ai plein de musiques dans la tête, j’ai plus des chansons… Souvent, je commence quand même par écrire des chansons. On est dans une époque, surtout dans le hip hop, où il y a beaucoup de beats, des instrus, et puis le mec qui vient poser son flow, qui écrit dessus etc. Moi je suis plus à l’ancienne, songwriter, je prends ma uitare, je fais ma chanson de A à Z avec sa structure, sa mélodie, son harmonie, son texte… Et après je l’arrange, après je la mets en sons. Mais je fonctionne toujours par thématique. Là j’ai une thématique pour le prochain album, mais je ne peux évidemment pas encore la dire. Et « source » c’était une thématique, c’était une vraie thématique d’album.

LFB : C’est quelque chose de très identitaire en fait, qui plus est avec le changement de nom…

JC : C’est ça, c’est un truc identitaire. Ça c’est la dimension personnelle, et puis il y a aussi une dimension humaniste de rechercher un moyen de s’ancrer, de se relier dans son monde et de s’apaiser, de trouver un chemin d’apaisement et de connexion.

LFB : C’est quelque chose que tu as eu du mal à trouver ?

JC : Je pense que tout le monde à du mal à trouver ça. Mais c’est assez universel comme thématique, tout le monde cherche à être heureux et cherche à être sur son chemin, dans son rythme.

LFB : Tout à fait, mais il y a des personnes qui le font plus consciemment, parce qu’ils vont avoir des angoisses, qui fait qu’ils sont souvent dans un processus d’introspection, et les autres sont dans l’action, ne réfléchissent pas trop à tout cela, mais en vrai eux aussi cherchent, sauf qu’ils ne l’intellectualisent pas en fait.

JC : Exactement. Et cet album c’est du coup, donner un écho dans une sorte de profondeur, de réflexion de ça, comme une étude en fait. Cet album c’est plein d’éléments des profondeurs de cette réflexion, qu’on n’aborde pas forcément mais dont on se dit ça peut être intéressant. Et puis à un moment donné tu as trois mots qui ressortent et tu te dis tiens ça ça m’intéresse. Comme lorsque tu lis un bouquin et qu’une phrase t’intéresse.

LFB : Tu m’as dit que tu as commencé à travailler sur cet album Source, il y a trois ans. Ce n’est pas un peu bizarre du coup de répondre à des questions sur un album, que tu as commencé il y a déjà trois ans, d’autant plus que tu es déjà sur l’écriture d’un second album ? Comment est-ce que tu te remets dans ton premier album, alors que tu es déjà en train de bosser le deuxième ?

JC : D’une certaine manière non parce que, c’est peut-être un peu bizarre parce que même si Source est le titre de l’album, quand tu écoutes l’album, tu n’es pas dans la source, il y a quelque chose d’arride, de touffu, c’est un appel à la source cet album, ce n’est pas la source. C’est comme un tatouage, quelque part c’est une manière de graver un moment, de ne jamais l’oublier. Tu vois moi j’ai gravé cette idée que, à un moment tout part des racines, de la connexion à la terre, de s’ancrer sur son propre chemin, et que là-dedans on est heureux, quoiqu’il arrive, peut importe les cartes en mains que tu as. Si tu as la chance de t’ancrer sur ta route et de faire ton truc et être à l’endroit qui t’épanouis, tu es bien. Du coup le jour où l’album s’est terminé, le jour où j’ai sorti ce disque, il y a aussi tout un truc à vivre avec ça, justement parce que j’appelle la source, et que je vais vers cette source-là.
Cet album c’est un parcours initiatique pour moi, et au-delà du fait qu’il soit terminé, il y a mon album d’après, qui raconte presque la suite de ça. C’est sûr que dans ma tête, bon bah voilà l’album est fait, mais le défendre en scène c’est encore du présent, c’est assez excitant parce qu’il y a encore des concerts à vivre autour de ça. Le live fait que ça reste vivant justement et que ça ne meurt pas. Et puis cet album il prend la saveur du moment, c’est-à-dire que je le défends en live comme je suis aujourd’hui, pas comme il y a trois ans. Tu donnes d’autres élans aux chansons, c’est ça qui est beau. C’est éternel les chansons, ça se reconstruit, ça se réinterprète tu vois des artistes qui rechantent leurs tubes d’il y a 30 ans ou 20 ans, c’est tout aussi cool mais c’est différent, parce qu’ils ont évolué, donc ils ne le font pas dans la même version…

LFB : Ce disque tu l’as sorti en indépendant, parce que tu es allé voir des labels et personne n’en a voulu car ils le trouvaient trop électique c’est cela ? C’est marrant parce qu’on aurait pu penser qu’en t’appellant Chedid, les portes s’ouvriraient plus facilement, mais pas du tout en fait.

JC : Oui. C’est ça qui est bien. La liberté a un prix, peu importe qui tu es. Rien n’est acquis et de toutes manière ce sont des métiers où il faut se construire et ce n’est facile pour personne. On a tous nos cartes en mains mais il faut se servir des atouts… et aussi, le problème de l’époque c’est que c’est une époque d’immédiateté, alors nos métiers ce sont des métiers de long terme. C’est une telle industrie aussi, il y a des gens qui font du business, plus que de la musique presque.
Et pour Source, justement comme c’est atypique et que aujourd’hui l’industrie musicale n’est pas très atypique, forcément tu peux comprendre que les labels n’aient pas envie de signer ça, parce qu’ils ne savent pas vraiment comment le définir… Et comme aujourd’hui il faut être très très précis dans la définition… On fait des produits quoi, on fait des bonbons et il faut trouver l’emballage de ce bonbon-là, parce qu’il a ce goût-là et qu’il va faire cet effet-là pendant cinq minutes…