Jean Jean: « Le processus de création est aussi important que le résultat »

C’est sur notre barge préférée, à Petit Bain, que nous avons rencontré Jean Jean. Ils sont trois, viennent de banlieue parisienne et ne se prennent définitivement pas au sérieux. Pourtant, leur musique requière la plus grande attention. Entre post-rock et math rock, flirtant depuis peu avec la synthwave, ils prennent leur pied comme jamais et font dresser les poils en live. Ils fêtaient la release party de leur album, Fog Infinite, le 2 décembre dernier. L’occasion rêvée donc de leur poser toutes les questions qui nous trottaient dans la tête.

La Face B : Hello Jean Jean ! Fog Infinite est sorti le 11 novembre. On vous attendait avec impatience depuis Froidepierre (2018). Comment est né cet album ? Est-ce que c’est un bébé confinement ?

Édouard (batterie) : C’est un demi bébé confinement. Il a été écrit et composé avant le covid, derrière un ordi. C’était à l’époque où on habitait encore tous en région parisienne. Puis on a appris à jouer les morceaux et à les enregistrer en studio. Là, le covid est tombé et on a décidé de continuer de travailler dessus à distance. Que ce soit pour les arrangements, le mixage, la structure des morceaux, etc. Donc le confinement a teinté un certain truc, mais il n’a pas influencé la composition pure, car il était déjà enregistré.

LFB : Avec ce nouvel album, vous avez donc changé vos méthodes de travail, prenant pour point de départ un ordinateur.

Grégory (claviers) : L’ordinateur est venu d’une certaine frustration à composer des choses dans une salle de répétition, avec du matériel qu’on connaissait déjà, pour des résultats qui étaient un peu ennuyeux. On voulait de la nouveauté et ce n’est pas arrivé avec nos anciennes méthodes donc on s’est dit qu’on allait tout changer. Partir de rien, être dans un petit appart avec un ordi et des synthé et composer comme si on faisait de la musique électronique. Ça a amené d’autres choses, qu’il a fallu s’approprier ensuite de plein de manières différentes. Ça a créé la structure des morceaux.

LFB : Édouard vit en Savoie, Sébastien dans le 77 et Grégory en Suède. Comment est-ce que vous faites pour travailler ensemble dorénavant ?

Sébastien (guitare): Pour l’instant, on n’a pas encore eu l’occasion de composer de nouveaux morceaux. Pour le prochain album, ce sera certainement du Wetransfer. (rires)

Grégory : A priori, on va plutôt essayer de se retrouver, de se créer des moments comme des minis vacances, plusieurs jours d’affilée. Comme si on faisait une tournée mais on va rester chez nous… Enfin, plutôt chez toi Seb. (rires)

Sébastien : Avec grand plaisir.

Je pense qu’on gagne plus de gens qu’on en perd en faisant des choses qui nous plaisent. Ce serait l’inverse si on faisait semblant.

Grégory – Jean Jean

LFB : Si vous étiez avant estampillé math-rock, vous avez pris ici un virage plus électro et synthwave. Est-ce que vous n’avez pas peur de perdre les gens des premiers albums ?

Sébastien : Non pas spécialement. On évolue donc ce n’est pas grave. On arrivera peut-être à séduire d’autres personnes.

Édouard : Je pense aussi que si on devait se forcer à faire le style qu’on faisait au début, ce serait dur pour nous. On fait juste ce dont on a envie et ceux qui nous aiment continueront à nous suivre. Et le live permet quand même de nous reconnaître.

Grégory : Je pense qu’on gagne plus de gens qu’on en perd en faisant des choses qui nous plaisent. Ce serait l’inverse si on faisait semblant.

Crédits photos : Céline Non

Fog Infinite s’adresse aux gens qui ont envie d’aventure, de partir très loin dans leur tête sans partir très loin physiquement.

Gregory – Jean Jean

LFB : Finalement, à qui s’adresse Fog Infinite et de quoi parle-t-il ?

Édouard : Wow. Chaque morceau évoque soit des situations, soit des états d’esprit. C’est un regard sur plein de choses qu’on a connu en tant que groupe, que ce soit en tournée ou autre.

Grégory : Je pense qu’il s’adresse aux gens qui ont envie d’aventure, de partir très loin dans leur tête sans partir très loin physiquement.

LFB : Quelles ont été vos influences pour écrire cet album ?

Grégory : Avec cet album, on souhaite faire kiffer les gens à fond, encore plus qu’avant. On est rentrés de cette tournée américaine et on a eu envie de revivre des moments aussi exaltants qu’on avait vécu là-bas. C’était ça le point de départ. Alors, on a façonné notre musique afin qu’elle puisse recréer ces moments-là, dans une future tournée.

Édouard : Fog Infinite a été pensé pour le live et c’est vraiment cette tournée qui nous a donné envie de faire quelque chose d’encore plus efficace, peut-être, que ce qu’on faisait avant.

Grégory : Plus efficace et plus simple à appréhender pour les gens qui ne connaissent pas le groupe. Pouvoir donner du plaisir alors qu’ils sont peut-être là par hasard. Et c’est ce qui est arrivé pour la tournée américaine, car on était en première partie de Carpenter Brut. On a vu que c’était possible et on a souhaité pousser le curseur encore plus loin.

LFB : Et c’est justement Carpenter Brut qui a mixé votre album, avec Fabien Devaux. Est-ce que vous pouvez revenir sur cette rencontre ?

Édouard : Le tourneur nous connaissait un peu donc il nous a contactés. Il avait besoin d’une première partie pour certaines dates de sa tournée US. La rencontre a été longue, car ils ont une grosse équipe en live. En tant que groupe indé, ça paraît technique. Il nous a fallu du temps pour s’apprivoiser. On a été super impressionnés par leur force et leur manière de faire en tant que musiciens. Ça nous a beaucoup influencés.

LFB : Comment est-ce que vous avez été accueilli par le public ?

Édouard : Étonnement très bien. (rires) Le fait d’être jeunes, inconnus là-bas et de jouer à fond tous les soirs a dû aider. A chaque fois nous étions dans d’énormes salles, on avait donc une certaine fougue et on devait dégager une énergie particulière. Le public était super réceptif à ça. Dès la première date à Los Angeles c’était méga impressionnant et on a tout de suite kiffé.

J’ai essayé de me libérer du quand dira-t’on technique en tant que batteur, et musicien.

Édouard – Jean Jean

LFB : Suite à Froidepierre vous avez beaucoup tourné, que ce soit aux Etats-Unis mais aussi au Japon. Vous avez déclaré sur les réseaux sociaux en mars 2021 que depuis, vos vies ont beaucoup changé et que cet album a ouvert de nombreuses portes, dans votre carrière en tant que groupe mais aussi dans vos têtes. Vous pouvez nous en dire plus ?

Grégory : Waw. C’est dur parce que c’est une question très personnelle. Moi, c’est le deuxième album que je fais avec Jean Jean. Je suis arrivé à la moitié de la composition pour celui d’avant, Froidepierre, et plutôt pour faire de la production. Puis, finalement, on s’est apprivoisés. Et avec celui-ci, Fog Infinite, on avait tous des ambitions assez grandes mais très différentes et c’était parfois dur de les faire cohabiter.

Lâcher certains trucs, ce n’est pas facile. Je pense que c’est un album qui m’a appris à dire : « arrête d’essayer de tout faire et de tout contrôler parce que ce n’est pas le sujet ». Il faut trouver l’équilibre entre ton ambition personnelle et les moments à vivre. Ça m’a appris à comprendre que le processus de création en lui-même est aussi important que le résultat. C’est-à-dire que si c’est un moment très dur à vivre, même si l’album est génial, ça va pour toujours être un moment compliqué à se remémorer. La musique, ce n’est quasiment que des contraintes. Personne ne te demande de faire ça, on n’en vit pas, donc autant rendre l’expérience agréable. Ça m’a appris à jauger ce truc-là et je pense que maintenant je ne ferai plus les mêmes erreurs.

Sébastien : Dans un souci plus pragmatique, personnel et en termes de création, sur cet album, la plupart des compositions sont arrivées quand on allait chez Greg. Avant, j’avais toujours au moins quelques idées ou des compos. Là, j’arrivais avec une feuille blanche devant moi et il fallait que je trouve des parties de guitare et des idées d’arrangements sur l’instant. C’était un vrai challenge pour moi. Ça m’a appris à travailler différemment, dans la douleur (rires) mais différemment.

Édouard : J’ai eu envie sur cet album que ce soit le plus simple possible. J’ai essayé de me libérer du quand dira-t’on technique en tant que batteur et musicien en général. Je me suis dit : « essaie de faire ce que tu sais faire le mieux, n’essaie pas de prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Fais les choses pour que tu sois le plus heureux et le plus libre sur scène. » Je n’ai pas du tout réussi. (rires)

Grégory : Je crois que c’est un échec global pour nous 3. (rires)

Édouard : Il y a un gros MAIS. C’est un kiff total de jouer cet album. Il y avait cette volonté d’être le plus libre mais il y a eu d’autres contraintes qui sont venues me serrer. Notamment celles de jouer avec des lumières, mais au départ il y avait l’idée de me libérer de la technique et juste de kiffer faire de la batterie. C’est toujours le cas, donc ça c’est cool, c’est gagné.

Crédits photos : Céline Non

LFB : J’avais vu une interview que vous aviez faite à l’Olympic Café. On vous demandait si vous aimeriez jouer d’un autre instrument si vous le pouviez. Édouard, tu n’avais mentionné que la batterie. Est-ce que ça a évolué ?

Édouard : Ça a changé. Maintenant je fais du synthé. J’ai une passion pour ce type de son.

Grégory : On pourrait même dire que tu fais du synthé modulaire.

Édouard : Oui avec plein de câbles. Toujours dans la technique hein, le mec qui a envie d’en chier. (ndrl : Édouard a un groupe qui s’appelle Odyssée. D’après lui : « C’est de l’ambient, triste, dans la montagne. »).

LFB : Froidepierre est lié à des expériences paranormales. Prey/Trigger rappelle cette course-poursuite à San Antonio avec un homme armé. Vous avez la poisse ?

(rires)

Édouard : Je pense qu’on est un peu des forceurs. On aime bien faire des trucs drôles pour se souvenir des choses qu’on fait et du coup, on aime bien rigoler. Là, il y avait l’occasion de faire une belle vidéo.

Grégory : Pour te citer Édouard : « on aime bien cultiver les moments nuls quand ils nous arrivent pour pouvoir en rire après ». Dans ce cas-là, c’était littéralement 10 minutes après car on était déjà ailleurs en train de faire les cons (rires).

Interview de Jean Jean à Petit Bain
Crédit photo : Céline Non

LFB : Il y a un contraste entre votre folie et votre musique, très introspective.

Grégory : On aime beaucoup cette ambivalence, passer du rire aux larmes en 2 secondes, et des fois les deux en même temps, et c’est ça qui est fou. Si tout est balisé et formaté, ce n’est pas très intéressant. On aime bien mettre du rire dans des situations super dark et un peu de tristesse dans des situations super joyeuses.

LFB : Clément de New Noise vous avait interviewé pour la sortie de Froidepierre. Vous aviez dit qu’après Symmetry vous vous étiez retrouvés à deux et que ça avait eu un impact sur la musique, plus électronique : « On s’est vite rendu compte qu’on n’aimait pas le résultat, qu’on n’aurait pas assumé de jouer ces morceaux live ». Est-ce qu’il fallait Gregory finalement ?

Sébastien : Oui, il fallait Grégory. Il a un apport indéniable dans le groupe. Les morceaux qu’on avait fait Édouard et moi n’étaient pas géniaux (rires). On n’a pas eu le temps de se trouver en tant que duo. Donc ce qu’on a voulu créer en électronique, cette techno instrumentale, on s’est dit qu’on allait la refaire mais avec des instruments en bois.

Édouard : Pour la petite anecdote, la batterie est restée dans le camion, dans le garage, pendant un an. On a fait ce pseudo EP électro qu’on n’a jamais sorti. Et puis, un jour on s’est dit que le rock nous manquait, alors on a sorti la batterie, et Froidepierre est arrivé.

Crédits photos : Céline Non

LFB : Vous vous connaissez depuis de nombreuses années. Après avoir tourné des clips aux 4 coins du monde, vous revenez dans votre 77 avec Concord Lights (chroniqué ici). Est-ce que c’était une réelle volonté ?

Édouard : Oui, ces endroits nuls nous ont marqués. En tant que banlieusards qui rêvent de partir partout dans le monde, ça a été important de revenir au néon du Dragon d’Or. On vient de là et ça a contribué à qui on est musicalement. Avec Sébastien (Greg n’était pas encore dans le groupe, mais déjà dans nos vies), on passait des heures dans la voiture, dans les champs à écouter de la musique. Dans des endroits vraiment nuls qui ont forgé l’identité de Jean Jean.

Grégory : Tu parlais tout à l’heure d’auto-dérision et je pense que c’est ça qui fait qu’on en a. On sait d’où on vient, et d’où on vient, ce n’est souvent pas génial (rires). Où qu’on soit et quoi qu’on fasse, il faut se calmer et ne pas trop se prendre au sérieux.

LFB : Quels sont vos projets à venir ?

Édouard : La tournée va continuer sur le printemps et l’été. Notre priorité est de défendre à fond l’album.

LFB : Est-ce que vous pourriez me citer une œuvre qui vous définit et vous bouleverse ?

Édouard : Blade Runner. Toutes les versions m’ont trop touché et trop marqué.

Grégory : Bienvenue à Gattaca, est un film qui me touchera toute ma vie. Tout d’abord pour la BO, puis parce qu’il y a vraiment des thèmes qui me parlent profondément. Je ne vais pas faire une séance de psy mais… Et esthétiquement c’est incroyable.

Sébastien : Sans rentrer dans les détails non plus, je pense qu’Intersellar, pour l’histoire et la musique, surtout pour la musique, me fout en l’air régulièrement (rires).

LFB : Enfin, est-ce que vous allez faire le morceau Love ?

Non.

OKAY SALUT. (rires)

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Crédits photos : Céline Non