Jacques: « J’ai la flemme de courir après des choses temporaires. Je préfère courir après des choses éternelles. »

Cette année, La Face B est ravie d’être partenaire du Biches Festival. Un festival à taille humaine et à la programmation superbe qu’on apprécie particulièrement. À cette occasion, nous sommes partis à la rencontre des artistes qui ont fait cette édition 2022. Pour cette toute première interview, nous avons rejoint l’artiste Jacques aux abords du Biches Festival, maté à la main, afin de discuter de son nouvel album et de sa vision des choses qui l’entourent. Enjoy!

Jacques, Biches Festival 2022 @ Caroline Jollin

LFB : Salut Jacques, comment vas-tu?

JACQUES : Ça va, je suis un peu stressé car j’ai mis en place un spectacle et je bosse dessus depuis longtemps. Ce sont les premières dates, ça prend vie! En même temps, je suis enthousiaste, parce que je sais que je suis en train de monter quelque chose qui va durer et c’est ce que je veux faire de ma vie, donc c’est cool! Un mélange des deux.

LFB : On se retrouve au Biches festival aujourd’hui. Dans quel état d’esprit te trouves-tu, dans un contexte de retour aux festivals sous un format que l’on peut désormais dire “normal” ? 

JACQUES : Presque normal! Il y a moins de public aux festivals tout de même. On sent que le milieu de la fête a pris un coup. Les gens se sont habitués à rester chez eux. Je trouve qu’ils ont tout à fait raison. Je travaille dans le milieu de la musique, donc je ne suis pas tout à fait objectif, mais je n’irais pas dans les festivals si ce n’était pas partie intégrante de mon métier. C’est tout de même une sorte d’enfer. Entre l’alcool, les musiques qui se mélangent.. Je comprends les gens qui ne viennent plus. Ils ont autre chose à faire, ils ont mieux à faire. C’est une jeunesse aussi. Celle d’aujourd’hui n’a jamais eu l’habitude de fréquenter des endroits comme ici. Peut-être que toutes les personnes absentes sont les trentenaires qui avaient 18 ans en 2020. Ce ne sont que des théories.

Après, le monde, le contexte sanitaire, l’Ukraine, la musique me mettent dans une posture où j’ai envie de m’engager. Que mon projet le soit et en même temps, je n’ai pas envie d’être relou. Mon album, j’ai mis du temps à le faire car j’ai passé du temps à capter ce qui valait le coup d’être dit et d’être promu. L’attention des gens est sollicitée en permanence donc si moi, je la sollicite, il faut que ce soit pour une raison qui me convienne et qui ne soit pas juste une tentation de chercher de l’attention et de la reconnaissance, ou juste d’en tirer profit.

Jacques, Biches Festival 2022 @ Caroline Jollin

« Je travaille avec des machines faites pour moi, des programmes codés pour moi. »

LFB : Selon toi et au moment de la créer, ta musique a-t-elle été réalisée pour le live ou ce sont des moments, par exemple, de résidence qui t’ont permis de l’adapter ? 

JACQUES : J’ai fait un album où je n’ai pas du tout réfléchi au live, et d’ailleurs c’est un problème parce que je ne sais pas chanter ! Il a fallu que je prenne des cours de chant et ce n’est pas encore la folie. Pour tout dire, j’ai tourné très longtemps avec un set up d’improvisation, où j’enregistrais des bruits d’objets. C’était très cool, puis ça a fini par me soûler. Je tournais en rond. Là, j’ai commencé à bosser un nouveau set up de fou ! Je n’ai plus du tout les problèmes que j’avais avant. Je travaille avec des machines faites pour moi, des programmes codés pour moi..

Ce fut tellement lourd à montrer que c’est devenu compliqué. À côté de ça, alors que mon plan était de revenir avec cette nouvelle version de moi, je me suis mis à faire de la pop. Comme c’était en side, j’avais moins la pression. Je me suis plus amusé et c’est devenu finalement mon album.

C’est devenu la chose centrale aujourd’hui, en tout cas dans ma promo. J’ai tout de même ce set up improvisation qui est à pousser et en même temps je fais la promo d’un album pop que je suis incapable de jouer avec ce set up d’impro. Tout ça, c’est assez difficile à mélanger. On va bien le capter sur scène. Il y un moment avec le set up en impro et un moment avec le groupe. À terme, c’est ce que j’aimerais faire. Maintenant que je sais que j’ai un groupe, nous sommes 4 sur scène, j’ai le set up, je veux pouvoir faire un album qui est fait pour être joué sur scène. Ça, ce serait next level, ce serait fou ! Ce sera le prochain album, dans pas si longtemps j’espère.

LFB : Tu en as envie, déjà, de ce nouvel album ? Y a-t-il des choses que tu n’as pas pu placer sur ce disque ? J’imagine que ça doit être assez frustrant de devoir se restreindre.

JACQUES : Absolument, et il y a la réalité de la deadline aussi. Évidemment que j’avais envie de faire un album de 20 morceaux, mais à un moment donné, la deadline approche. Soit tu passes du temps à améliorer les morceaux qui sont presque terminés, soit tu en améliores qui sont loin d’être finis. Finalement, j’ai resserré et j’ai un album de 13 morceaux. Après, j’ai tout de même au moins 8 morceaux que j’ai envie de terminer. Maintenant qu’il y a les voix des filles dans le live, ça me donne envie d’inclure plus les voix des musicien.nes.

« Avant, on me connaissait mais pas pour ma musique […] c’est en France qu’il y avait quelque chose à confirmer.« 

LFB : Nous parlons de création de musique, est-ce important pour toi de t’entourer pour la faire exister cette musique ou es-tu plutôt solitaire ?

JACQUES : Je suis toujours entouré des mêmes personnes. Même si maintenant elles font partie du groupe, ma sœur, Clémence, Arthur.. Ce sont des personnes que je vois tout le temps. Étienne mon manager, également ; Je n’ai pas changé d’entourage mais je pense qu’à un moment donné dans ma vie, ce serait important de le faire. Rencontrer de nouvelles personnes pour ce qui est de la musique, changer de pays, de langue. Je me trouvais dans un sentiment de « presque » ou « almostness. » Avec l’album, j’ai fait le truc.

Peu importe le succès, ça, on verra, je l’ai fait. Avant, j’étais plus comme une sorte de demi-blague et j’en étais tout à fait conscient. Avant, on me connaissait, mais pas pour ma musique. Ça, il fallait le faire en France. C’est en France qu’il y avait quelque chose à confirmer. A l’étranger, quelque chose a été entamé mais ce n’est pas encore ça. Des personnes me connaissent pour le délire des objets. J’aimerais faire des chansons dans d’autres langues.

LFB: Avec les deux dernières années, du fait que nous avons passé beaucoup de temps chez nous et pour la plupart en passant beaucoup de temps sur nos téléphones, l’impact de l’image que nous renvoyons a pris davantage de place. Quelle place accordes-tu à cette image dans ton projet justement ?

JACQUES : L’image… Je passe pas mal de temps sur mon téléphone, mais pas beaucoup de temps sur les réseaux finalement. Plus sur WhatsApp à bosser à distance avec des gens. Je réfléchis beaucoup à mon image, car je n’aimerais pas qu’on m’en prête une. C’est le vortex. Je ne suis pas là à essayer de gratter les likes sur Instagram. Parfois je regarde les profils des artistes et je me dis qu’un tel à tout de même beaucoup de likes par rapport à moi mais je me dis qu’on s’en fout en fait. Je suis plus fat. Même avec moins d’écoutes.

L’univers dans ma tête est vaste ou petit, ça dépend des jours, mais globalement il est vaste et c’est moi qui décide à quel point. Finalement, lorsque tu vois certaines personnes qui ont beaucoup de likes, beaucoup de followers, ce qui en font ou les raisons pour lesquelles ils les ont ne m’excitent pas. Je n’ai pas la même vision, la même lecture sur les réseaux que la plupart des gens, même si beaucoup de gens pensent comme moi. Je vais prendre du temps à poster, à penser à mon image mais paradoxalement, je vais passer du temps à essayer de faire en sorte qu’on ne me prête pas une intention prosélyte.

Jacques, Biches Festival 2022 @ Caroline Jollin

Tout le temps est là entrain de prêcher « regardez-moi! » Quoi que tu dises, en substance, ça veut dire « regardez-moi! » C’est tellement cramé, je trouve ça tellement vulgaire. J’essaye de faire des posts qui veulent plutôt dire « regardez ça! » Là, on fait une interview, peut-être que ton média va me saucer à poster le truc. J’aurais tendance à ne pas le poster. Parce que cette interview parle de moi et je ne vais pas parler de quelque chose qui parle de moi. Je préfère parler d’autre chose. On ne sait plus qui parle de quoi, ça fait des espèces de mises en abîme, où la substance finie par disparaître.

Dans la musique, il y a beaucoup ce truc du compte Instagram qui fait la promo du clip, mais le clip fait lui-même la promo de la musique, et la musique fait la promo du concert, et le concert il faut qu’il soit sur Insta, et finalement ça donne des projets où tu ne sais plus vraiment où est le message. On peut facilement s’y perdre. Puis, Instagram c’est bientôt mort et j’ai la flemme de courir après des choses temporaires. Je préfère courir après des choses éternelles.

« J’ai réalisé que j’avais, par la force des choses, mis aucun single dans la setlist. »

LFB : A quoi ressemble le concert idéal que tu aimerais donner ce soir?

JACQUES : C’est une bonne question ça. En matière d’émotions, le public arrive, il est un peu perdu mais il est tout de même fasciné. Il voit mon nouveau set up, il capte bien que je suis à l’arrache mais il rentre dedans, progressivement. Puis, le groupe se met à jouer et là il est hyper étonné ! Le public se prête au jeu, écoute les paroles et réalise que ça parle à une zone du cerveau. Il adhère et il y a de l’amour qui se déploie. Ça, c’est sur le moment, et ensuite ça le hante pendant plusieurs jours. J’ai tendance à m’ennuyer pendant les concerts. Il faut être fan aussi. Je n’ai pas de fan de ma musique. J’ai dû développer des skills qui font que l’on peut être fan du concert sans connaitre les paroles ou les morceaux.

Pas mal de concerts sont basés sur les compos. Je voulais faire un concert où tu ne connais rien mais tu kiffes quand même ! D’ailleurs, je ne joue pas beaucoup les singles. Il faut que je les incorpore. J’ai réalisé que je n’avais, par la force des choses, mis aucun single dans la setlist. J’en ai quelques uns, on a fait des clips…

Dans la radio, La vie de vous les jours, Vous, Tout est magnifique… Je n’en joue aucun! Je ne m’en suis même pas rendu compte. Et personne dans l’équipe non plus. Je n’ai jamais joué mes morceaux aussi, avant, je faisais de l’impro. Par exemple, Vous, elle est trop compliquée à chanter encore. Je pensais que je pouvais inventer des hologrammes sur scènes, où je me filmais en train de chanter, et ça justifie le fait que je ne chante pas, ou je chante par-dessus sinon. On chante en chœur !

LFB : Elle ressemble à quoi ta line-up idéal d’un festival que tu pourrais créer ?

JACQUES : Avant toute chose, j’aimerais qu’il n’y ait pas d’alcool dans le festival. Ça ne gâche pas l’expérience, mais c’en est une autre. Je verrais bien des ateliers de dessin, d’expression. Des gros cubes, des legos énormes en mousse ! On pourra construire des chapiteaux. Des cracheurs de feu aussi, j’adore le feu. Des gens qui font de la pyrogravure avec des loupes sur du bois. Niveau line-up, il y aurait Kaitlyn Aurelia Smith, avec Aja. Tu aurais un live participatif. Les gens pourraient jouer. Imagine, chaque personne aurait un tracker, des enceintes se trouveraient partout dans le sol et en fonction de là où eux marchent, les sons qu’ils génèrent les suivent. Tu peux te balader et générer du son. Ça devient une espèce de jam. Ce serait marrant ça!

LFB: Peux-tu nous parler de l’importance du catering en festival ?

JACQUES : J’ai rencontré Philippe Katerine, L’Impératrice au catering.. Avant, je jouais à 4h du matin, donc le catering n’existait pas. Maintenant je joue à 22h, je le sèche car je ne veux pas manger avant le concert. Au moment où je mange, il n’y a plus personne au catering. Par exemple, ce soir je vais manger froid un plat qui est prévu pour être mangé chaud. Quand c’est bien, tu as envie de revenir jouer.

LFB : Si on te proposait d’adopter une biche, quel nom lui donnerais-tu ?

JACQUES : Pas Bambi, ça c’est certain. Il faudrait que je la rencontre, que je la capte, qu’on se sente. Gisèle, un nom d’humain. J’aime bien donner des noms d’humains aux animaux. C’est dégradant de leur donner des petits surnoms à la con. Gisèle, c’est gracieux !

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