(Interview) Peter Peter : « La musique c’est une des belles choses qui me tient en vie »

La Vague Parallèle : Salut Peter, Ça fait bientôt 4 mois que tu tournes avec ton nouvel album. Comment tu perçois l’accueil des gens ?
Peter Peter : C’est assez cool en fait, ça faisait presque 3 ans que j’avais pas fait de salle en France et que j’étais pas apparu. Ça a bien démarré, j’ai plus de salles qu’avec Une Version Améliorée De La Tristesse. Je suis content de voir que ça a réussi à gagner du terrain avec un deuxième album paru en France alors que y’a eu plusieurs années entre les deux.
Je suis aussi content de la réception des gens, j’ai l’impression de toucher encore les mêmes personnes qui apprécient la fragilité et la mélancolie. C’est ce qui fait la cohésion de mes albums et j’ai l’impression d’attirer encore la même audience tout en attirant un autre public donc c’est cool.

LVP : Lorsque j’ai écouté ton album, j’ai beaucoup pensé à la science fiction, dans le sens du voyage intérieur. Une personne coincée à l’intérieur d’elle-même, entre sa réalité et ses fantasmes.
P .P : C’est absolument ça. C’est bien interprété parce que c’est comme ça que je me suis senti. Le Noir Eden c’est l’univers qui m’a toujours habité. Je suis quelqu’un d’anxieux, qui finit par se réfugier dans sa tête. Pour écrire cet album-là, j’ai vraiment essayé de couper le contact avec les gens, mais en perdant le contact avec les gens on finit par se distancer de la réalité et donc je commençais à être à l’intérieur de moi-même et m’y perde. L’album raconte ça. C’est tout ce délire-là raconté en fantasmes et de manière plus abstraite et qui ramène à ce que je ressentais.

LVP : Justement en parlant d’abstrait, je trouve que tes chansons sont très personnelles mais en même temps très cryptique, tu laisses pas trop de clés d’interprétation. Est-ce que ça te plait de te dire que les gens s’approprient tes chansons en fonction de leur vécu ?
P.P : Je pense qu’une chanson, ou l’art en général, c’est fait comme ça. Tu l’interprètes avec ta subjectivité et tes expériences, tu l’associes à tes références.
Je suis hyper crypté, pourtant il y a  des gens qui justement s’amusaient presque à faire ma psychanalyse et à essayer de réellement comprendre mes textes, ce que moi je fais aussi. Il y a des parties assez surréalistes, qui font référence à des points dont je pensais avoir les clés, et parfois les gens l’interprètent et c’est plus juste que ma propre vision. Donc oui, ça m’amuse. Je trouve ça intéressant d’avoir quelque chose de codé parce qu’on peut y voir plein de choses.

LVP : Moi je sais que y’a certaines chansons qui me percutent plus par rapport à mon ressenti
P.P : C’est ça, j’essaie de faire une musique assez libre et proche des sentiments. De manière générale, j’ai toujours trouvé important de pouvoir m’identifier aux chansons qui m’ont accompagné dans la vie, donc je pense que je répète ce vers quoi je suis attiré pour l’écoute ou la lecture… Donc je suis content si les gens les voient comme ça.

LVP : Je voulais te parler de Damien, qui pour moi est la chanson la plus ancrée dans le réel. On te présente souvent comme un artiste romantique et mélancolique et je trouvais amusant que la chanson d’amour la plus intense de l’album soit une chanson de bromance.
P.P : Absolument. J’ai écrit beaucoup de chansons pour des filles qui ont été présentes dans ma vie et j’ai souvent essayé d’en écrire pour des amis qui m’ont été chers. Ça a toujours été de la merde, sauf celle-là.
Pour moi c’est une belle réalisation de réussir à écrire pour un pote que j’ai pas vu depuis 10/12ans. Quelqu’un dont j’étais très proche et qui a été hyper formateur pour ma personnalité.
C’était important pour moi de faire ça. Je lui avais déjà écrit une autre chanson, un peu plus comme une ballade que je trouvais trop cute et ça fonctionnait pas. Cette chanson-ci, je l’ai écrite en 10 minutes après avoir fait l’instru et c’est une de mes préférées. J’ai pas vraiment retravaillé le texte et elle est à l’image de la relation que j’ai avec ce pote-là. Je lui ai même pas envoyé la chanson mais j’espère qu’il l’entendra. Il vit à 12/13 heures de Montréal, il a pas de compte Facebook…

LVP : C’est pour ça que la chanson est intemporelle, on se dit qu’avec les technologies actuelles ça serait plus simple.
P.P : Ouais c’est comme quand tu regardes un film des années 80/90 et tu te rends compte qu’aujourd’hui tu aurais envoyé un e-mail et ça aurait été cool. Mais c’est à l’image de la relation d’amitié que j’ai avec lui, on est restés un peu comme à cette époque-là, on se téléphone pas (rires).

LVP : Tu comptes le revoir ?
P.P : Je sais pas, bonne question. C’est assez ouvert en fait, on est très différents et j’en parle un peu dans la chanson. C’est quelqu’un qui écoutait beaucoup de métal en fait et qui était vraiment dans une scène très particulière, je pense que le fait que je sois devenir chanteur pop je pense pas qu’il… C’est pour ça que j’suis un peu divisé. Oui j’ai envie de le revoir et d’acheter une grosse caisse de bières et recommencer le truc là où on l’a laissé. A l’époque, je venais de sortir du lycée, j’allais chez lui, chez sa mère et on jouait de la guitare et on buvait genre six jours par semaine.
Mais est-ce que c’est un monde qui existe encore ? Ou est-ce que je vais arriver là et on aura tellement changé que ça va briser l’image de l’amitié qu’on avait ? On a tellement vécu des choses différentes. Et je me retrouve face à l’illusion de cette amitié-là donc j’hésite à la garder comme un bon souvenir.

LVP : Tu parlais du fait que tu es un chanteur pop. A une époque où les cases sont de plus en plus floues et vu que ton album est très électronique, est-ce que tu te considères vraiment comme un chanteur pop ?
P.P : Ouais, c’est compliqué à analyser. Je pense que je fais de la variété, à un certain point. Je me suis amusé à dire une fois, sans vraiment y réfléchir, que je faisais de la variété maudite. C’était dans une entrevue pour les Inrocks et le terme a été retenu.
Tout simplement, je ne fais pas vraiment de la variété mais en même temps c’est pas totalement edgy… C’est flou, c’est très flou, surtout avec cet album-là pour lequel je ne me suis interdit aucun arrangement. Je suis allé vers quelque chose de très hétéroclite. Il y a vraiment des différences d’univers, c’est ce dont j’avais envie parce que c’est un délire et que ma vie a été un délire ces deux dernières années. C’est aussi flou pour moi, mais je pense que malgré tout, je fais de la pop.

LVP : Par exemple, Bien Réel commençait comme l’album précédent mais au milieu il y a un basculement limite dancefloor. Et je trouve que tu ne t’interdis rien. Tu as enregistré l’album seul et c’est celui qui a le son le plus ample et varié.
P.P : Je l’ai pas complétement travaillé seul mais des trucs comme Bien Réel, c’est sûr que ça a été fait chez moi. C’est vraiment le son de ma solitude. Noir Eden, Bien Réel , Damien ça a été les chansons que j’ai faites vraiment seul, avec des prods que j’ai fignolées en studio mais qui sont vraiment à mon image.
Le reste, comme No Man’s Land, ce sont des expérimentations en studio, où j’étais perdu et j’ai tout ramifié. L’histoire de l’album se rapporte vraiment à ce que je vivais, mais c’est flou… Le making-of est à l’intérieur de l’album si on peut dire. (rires)

LVP : J’ai un souvenir marquant d’un de tes concerts à La Péniche où tu partagerais la scène avec Lescop. Au moment où tu as présenté une chanson tu as dit « J’ai écrit cette chanson quand je voulais mourir ». C’est quelque chose qui moi m’a marqué et je voulais savoir si tu écrivais pour exorciser certains de tes démons ?
P.P : Ah ouais t’étais là ?! Ça fait longtemps… J’ai dit ça ? Je pense que j’avais écrit UHF pour ça. C’est weird hein, après c’est pas parce que j’suis pas choyé dans la vie, je m’en sors t’sais. Mais je pense que comme beaucoup d’artistes, c’est des sentiments qu’on ressent tous, je l’ai ressenti beaucoup de fois dans ma vie mais après faut apprendre à rationaliser. Je pense que je me suis tourné vers la musique pour ça, pour avoir l’impression de toucher quelque chose d’éternel.
Justement Pale Cristal Bleu parle un peu de ça : on se sent pas toujours animé dans la vie, on se sent pas toujours vivant. Et puis y’a les moments où on aime quelque chose, qu’on s’attache, et on oublie qu’on est éphémère, qu’on va mourir.
La musique fait partie de ces choses-là. Ça peut etre l’amour pour quelqu’un, peu importe, ce qui te fait te sentir vivant. Mais même les choses qui te font te sentir vivant, tu peux t’en lasser, c’est le vertige de toutes ces choses-là. Mais la musique c’est une des belles choses dans ma vie qui me tient vivant, oui.

LVP : Toi tu chantes en français depuis un certain nombre d’années, est-ce que tu t’es intéressé à cette scène française qui commence à exploser ?
P .P : Absolument, quand je suis arrivé en France il commençait à y avoir une scène de fou.
A une époque j’avais l’impression qu’à Montréal y’avait plus une scène francophone qu’en France, mais aujourd’hui c’est plus le cas, y’a des bons groupes partout qui chantent en français. Y’a eu un renouveau de la chanson française qui est hyper intéressant, y’a moins de timidité et c’est plus assimilé dans quelque chose de contemporain.
A une époque on avait l’impression que la chanson française avait stagné à un certain point et ne s’était pas renouvelée. Puis il y a eu des artistes qui l’ont mise en avant, qui l’ont peaufinée, et ça en a inspiré d’autres. Effet boule de neige. J’ai l’impression qui y a une nouvelle génération d’artistes en France, plus jeunes que moi, de très bons auteurs, plein de bons albums…

LVP : Y’a des groupes qui te plaisent ?
P.P : Oui y’en a plein, j’imagine. La plupart sont connus, des trucs comme François and The Atlas Moutains, Christine and The Queens, Paradis ou La Femme des trucs comme ça. Y’a un artiste que j’aime beaucoup qui s’appelle Dodi El Sherbini qui fait une pop assez cool. Après les noms m’échappent. Des groupes qui sont pas connus, encore. Pendant un moment en France, j’imaginais que pour faire du rock, il fallait sonner comme Noir Désir. Il y a eu beaucoup d’émules de ça et c’était un peu lassant et cliché à un moment donné. Là aujourd’hui, ça déboule et on est plus là dedans du tout, ce qui fait que c’est cool.

LVP : J’ai lu que t’étais un fan de BD/comics, y’en a que tu voudrais nous conseiller ?
P.P : Je suis un nouveau fan, j’suis assez néophyte. C’est un peu comme la musique, j’aime la musique mais je suis pas un mélomane qui découvre mille trucs. Après je pourrais dire Patience de Daniel Clowes qui est excellent, c’est une BD complètement folle. Sinon Charles Burns avec Black Hole c’est quelque chose que j’avais lu et beaucoup aimé.

LVP : Je suis bloqué dessus moi, c’est très sombre,
P.P : Ouais c’est dark, c’est très dark. C’est sûr que si t’es dans une période anxieuse c’est pas le bon truc. (rires). Parfois les remèdes ont pas l’air d’être les remèdes, mais ça fait du bien (rires).
Après en BD française, j’ai beaucoup aimé l’Arabe du Futur de Riad Sattouf, que je connaissais de nom. Mais dans l’esthétique je suis plus proche de la BD américaine, j’ai plus de sensibilité pour ça mais après y’en a plein que je connais pas c’est pour ça que je dis que je suis encore néophyte. C’est un des milieux les plus diversifiés. J’avais vu un documentaire qui disait que même les auteurs de BD ne connaissent pas tous les genres qui existent. C’est comme la musique, y’a toujours des choses à découvrir.

LVP : Pour finir, je vais te poser ma question con, c’est une question stupide que je me pose et que donc je pose à l’artiste. Est ce qu’on t’appelle encore le Xavier Dolan de la musique ?
P.P : (rires) Oh putain… Malheureusement oui ! (rires) On me le dit souvent et on me le dit à chaque fois en commençant par « est ce qu’on te l’a déjà dit ». Après je le prends jamais mal, c’est pas péjoratif parce que je pense que c’est un bon artiste.
Mais ça me fait rire parce que si tu regardes mon parcours et le sien, c’est absolument l’inverse. J’ai 33 ans, j’ai commencé assez tard, lui dès qu’il est sorti du lycée il a fait un long métrage qui a fonctionné… Après dans les thèmes peut-être. Bizarrement, la façon dont il personnifie les femmes, et puis le combat entre la mère et le fils, là je m’y retrouve. Moi j’ai été élevé par ma mère, je viens d’une famille monoparentale et peut être qu’on a ça en commun je sais pas… Aucune idée.

LVP : Peut être physiquement aussi …
P.P : Peut-être. Mais comme je disais le mec a 25 ans, moi j’ai 33 ans donc c’est bizarre… Moi je le vois pas, c’est pas le premier truc qui me vient à l’esprit mais ça m’est arrivé souvent. Dernièrement j’avais des lunettes de soleil, je lisais dans le XVIIIème. Et là y’a une dame, elle me dit « Bonjour monsieur êtes-vous canadien ? » , elle m’avait pas entendu parler. Quand elle a deviné, que j’étais canadien, je me suis dit soit elle connaît ma musique, soit elle pense que je suis Xavier Dolan. Et là elle me dit « Êtes vous réalisateur? » (rires). Voilà, ça finit bien.