Fakear : « Je suis revenu à la base. »

La musique électronique est une tradition en France, et encore aujourd’hui, beaucoup de jeunes artistes perpétuent cette dernière. L’un d’entre-eux, le jeune caennais Fakear, a sorti son tout nouvel album, Talisman, à la fin du mois de février. Nous avons eu le chance de nous entretenir avec le producteur à cette occasion.

La Face B : Salut Théo !

Théo (Fakear) : Salut !

La Face B : J’espère que tu vas bien !

Théo : Ouais carrément ! Ça va et toi ?

La Face B : Ça va super merci. Merci beaucoup de m’accorder un peu de ton temps, c’est super cool.

Théo : Pas de soucis, avec plaisir ! 

La Face B : Je te propose qu’on commence de suite ?

Théo : Allez c’est parti !

La Face B : Du coup tu as sorti ton nouvel album, Talisman, il y a quelques semaines. Est-ce que tu peux peut-être nous en dire un petit peu plus ?

Théo : Ouais bah écoute c’est un album qui représente pas mal de trucs différents pour moi, pour Fakear, pour beaucoup de choses. Si je devais synthétiser ça rapidement, je dirais que c’est un peu l’album de la libération, sur lequel j’assume pleinement qui je suis. Il y a un truc de fin de quête identitaire tu vois, d’arrêter de chercher qui je suis, d’arrêter de se comparer aussi. Je pense que c’était aussi qui était lié à la jeunesse avant. J’ai démarré très tôt et j’avais besoin d’expérimenter je pense, de trouver mon ADN musical et de l’assumer aussi pleinement. C’est jamais très évident quand quelque chose sort de toi spontanément de dire que c’est ok et que c’est ça ton truc. Je ramène toujours ça un peu à son apparence quand on est au lycée et au collège où l’herbe est toujours plus verte chez le voisin. T’as les cheveux bouclés mais t’aimerais bien avoir les cheveux raides etc… Il y a toujours un truc difficile à assumer dans ton apparence et c’est un peu pareil avec la musique, c’est-à-dire quelque chose qui fait partie de ton ADN, qui sort spontanément, c’est assez difficile à assumer. Tu as toujours tendance à te comparer aux autres, à te dire que c’est trop stylé ce que gars-là il fait, que c’est trop cool que ce mec-là il joue. T’as envie de faire comme tu vois. Et en fait j’ai l’impression que sur Talisman je suis arrivé au bout de cette quête, je suis arrivé au bout de ce débat-là, c’est-à-dire que j’ai arrêté de me poser la question. J’ai arrêté de me demander si c’était vraiment moi, si ça c’était stylé ou pas. Ma motivation et mon inspiration c’était de faire une beau disque, de faire de la belle musique pour moi et ça a donné Talisman quoi.

La Face B : Et tu parles du fait que cette chose-là, cette fin de quête identitaire c’est une impression. Est-ce que c’est quelque chose que tu as fait plus ou moins intentionnellement ou c’est venu très naturellement ?

Théo : Non c’est venu très naturellement. En fait il y a eu le Covid qui est passé par là et toute la période de confinement, c’était un moment ou j’avais énormément de temps, et du temps pour expérimenter justement. Donc je me suis un peu engouffré dans ces trucs que je fantasmais depuis longtemps tu vois, de me dire que j’allais me prêter à cet exercice, que j’allais essayer de fare à la manière de mecs que j’admirais. Et au bout de cet exercice j’ai réalisé que j’étais pas bien dans mes baskets, que j’étais pas complet, que j’étais pas heureux et épanoui. Du coup ça a donné lieu à une grande phase de remise en question. Et je suis revenu un peu aux essentiels, je suis revenu à la base en me laissant très très libre dans ma création, en utilisant aussi d’autres outils et en changeant ma méthode de travail. Et ça a donné cette musique qui finalement est très proche de ce que je faisais au début parce que je peux pas m’en empêcher finalement, je ne peux pas faire autre chose que du Fakear. Il y a un truc un petit peu comme ça qui se dessine quoi. 

La Face B : Je vois, donc du coup de ce que je comprends, je travail de composition pour l’album s’est déroulé en deux grosses parties ?

Théo : Oui c’est ça. Il y a eu une partie où j’ai expérimenté pas mal, finalement une partie un peu exercice de style finalement, un truc similaire à une esquisse de brouillon ou j’ai fait énormément énormément de brouillons, et pour potentiellement tout jeter à la fin. Mais cet exercice il m’a servi de terrain d’entraînement à affiner un petit plus mes outils, à comprendre aussi ce que je faisais, à comprendre ce qui sortait de moi, ce qui venait de mes influences. Puis au final à me libérer de ces contraintes que moi-même je m’imposais. Et je pense d’ailleurs aussi qu’une des grosses conditions, un des gros qui m’a énormément aidé ça a été l’entourage. Mon entourage, professionnel et personnel, mais particulièrement professionnel parce qu’à la différence de l’entourage que j’avais avant, cet entourage nouveau avec Nowadays m’a permis d’être vraiment libre et d’être safe. J’étais dans un entourage qui m’a fait me sentir très safe, c’est le mot qui me vient là, de pouvoir exprimer qui j’étais, d’exprimer tout ma sensibilité et ma spontanéité, tout mon art, toute mon honnêteté en fait en fait sans jugement. Eux ils m’ont juste encouragé, m’ont poussé à être moi. 

La Face B : Et du coup tu parlais de Nowadays, ton label. Le disque est distribué et produit par eux. Comment est-ce que ça s’est passé pour votre collaboration ?

Théo : Alors Nowadays ça fait très longtemps que je suis en lien avec eux vu que c’est eux qui ont produit et distribué mes premiers EPs aussi au tout début. De Morning Japan jusque’à mon premier album, Animal. Après j’ai fait mes années chez Universal, j’ai fait cinq ans quand même, trois albums. Et arrivé au bout du contrat chez Universal j’étais un petit peu perdu, un peu perdu dans ce que je voulais faire, dans ce qu’était Fakear et son identité tout ça. Et en fait naturellement, je suis rentré un peu à la maison si on peut dire. Et ça a été une vraie reconquête de Fakear, une vraie libération tu vois. Ça a été un truc ou eux m’ont encadré, soutenu et remis le pieds à l’étrier. Ils m’ont motivé, ils ont été extrêmement précieux das toute la phase de création de l’album.

La Face B : Donc en fait même au niveau de l’entourage professionnel c’est littéralement un retour au source complet ?

Théo : Ouais ouais complètement, c’est clair. Et c’est un retour aux sources mais c’est aussi un retour chez les copains . Moi j’ai jamais perdu le lien avec Nowadays, j’ai jamais perdu contact avec eux. Mais là il y a un vrai truc où on s’est remis à bosser tous ensemble et plus efficacement que jamais. 

La Face B : Ok trop stylé ! Tu parlais donc de l’entourage professionnel, sur Talisman il y a quelques collaborations avec d’autres artistes. Est-ce que tu peux me dire comment elles se sont faites, comment ça s’est goupillé ?

Théo : Bah en fait c’est que des collaborations de copains, c’est-à-dire que j’ai toujours bossé un peu comme ça. J’ai jamais trop voulu fantasmer de collaborations, ou en tout cas me baser sur le CV d’un artiste pour collaborer. Je me suis toujours dit qu’il fallait que ce soit quelqu’un avec qui je puisse parler d’autres choses que de la musique tu vois. Que ça matche sur le plan amical ou qu’on puisse parler de la vie. Et là en l’occurrence toutes les collaborations sont vraiment sur ce principe-là. C’est vraiment basé sur si on s’entend bien et est-ce qu’on est potes, est-ce qu’on parle de la même chose dans le même sens, est-qu’on a les mêmes  valeurs. Tout le monde coche ses cases-là. 

La Face B : Pour continuer sur les collaborations, sur le morceau de clôture, Odyssea, tu as invité Camille Étienne, une militante qui est reconnue en France. Comment est-ce que l’idée de faire naître cette collaboration-là est venue ?

Théo : Et bah ça a été d’abord le label, d’abord Nowadays, c’est eux qui ont été à l’origine de cette idée. Nous on est pote avec Camille depuis longtemps, et je sais pas ça a été eux qui se sont dits que ça serait trop marrant de faire quelque chose avec Camille. Et tout de suite moi la première image qui m’est venu c’est Bora Vocal, la chanson de Rone avec Alain Damasio. Ça a été un peu l’angle sur lequel j’ai abordé cette collaboration-là. Et en fait Camille ça lui a tout de suite vachement parlé et on est tout de suite allé sur le terrain de la fiction et d’essayer de raconter une histoire. Finalement c’est ce que je fais avec la musique, raconter des histoires, proposer des voyages, des évasions. Et là pour le coup à la fois Camille elle s’est mise au service de sa musique et moi je me suis complètement mis au service de son récit. Et donc il y a une vraie collaboration au travers de nos deux biais, elle la voix et moi la musique et ça a donné ça. On a été très très rapides d’ailleurs. Ça s’est fait très efficacement, on s’est vus et en l’espace de deux heures c’état plié. Il y a un truc très naturel en fait, ça coulait un peu de source quoi. 

La Face B : Ah oui donc au final c’est limit venu tout seul. C’est vraiment un truc semblable à deux copains qui font de la musique entre eux ?

Théo :Ouais complètement, complètement. Ça a été ça pour Thylacine, ça a été ça pour Dana. Et puis oOgo j’en parle même pas, c’est le boss de Nowadays. Il est en featuring sur Burning mais en fait il pourrait être en featuring sur quasiment tous les morceaux tellement ça a été mon miroir artistique pendant toute la création de l’album. C’est vraiment à lui à qui j’ai fait écouter les premiers trucs, c’est lui qui m’a fait des retours. Je pense que c’est l’une des seules personnes dans ma vie à qui j’autorise d’avoir à ce point un impact dans mon processus créatif. Je suis un mec très solo et j’aime bien créer dans ma grotte, et oOgo c’est un mec qui est très crash, mais qui est aussi extrêmement diplomate, et avec le temps j’ai appris à lui faire confiance. C’est lui qui m’a convaincu à l’époque de sortir La lune rousse il y a très longtemps, donc fort de cet argument-là, quand oOgo il a une vision je tâche de l’écouter. Et là il a été d’une aide assez inestimable sur Talisman

La Face B : Trop cool ! Donc en fait oOgo il fait presque le travail d’un producteur au final ?

Théo : Bah c’est complètement ça ouais. En fait ça a été un directeur artistique mais au sens un peu noble du terme tu vois. Ça a été vraiment lui qui m’a aiguillé parce qu’il me connaît par cœur, déjà moi Théo, la personne et c’est aussi le meilleur pote de Fakear. C’est aussi quelqu’un qui connaît le projet depuis ses débuts, qui connaît mes références, qui sait ou je veux aller. C’est un mentor et en même temps une figure de grand frère un peu. Moi je suis là à faire mes trucs et lui il me regarde un peu de haut en me disant des fois que ce que je fais c’est de la merde ou alors il m’encourage à aller plus loin et à pousser le truc. 

La Face B : Pour continuer à parler un peu de la musique en elle-même, alors je me trompe sans doute, mais je trouve que dans ta musique il y a une certaine propension à aller vers quelque chose de très cinématographique, qui fait très bande-originale de film. Est-ce que dans ta tête quand tu écoutes ce que tu fais après coup, est-ce que tu trouves que c’est le cas ?

Théo : Oui oui carrément même au plus profond de la création de mes morceaux il y a une dimension très visuelle tout de suite. Et plus que de cinéma, j’ai envie d’ajouter la notion de jeux-vidéos parce que moi j’en suis un grand consommateur et que c’est un peu mes romans, c’est un peu mes séries à moi. Et particulièrement sur Talisman je le remarque parce que j’ai laissé libre court au naturel, du coup j’ai un peu l’impression de l’avoir construit comme un Zelda, enfin un Zelda-like. J’ai un peu l’impression qu’il y a le niveau dans la jungle, celui dans le désert, dans la forêt, dans le volcan, à la plage etc… Il y a un truc un peu construit comme ça qui balade dans plein de paysages différents. Et ça c’est les images qui viennent dès le début de l’esquisse du morceau. 

La Face B : Parce que tu parles de ce côté très chapitré comme un peu les jeux-vidéos, et on sent aussi que l’album est très connecté à la nature. Il y a quelque chose de très organique dans ce que tu fais, est-ce que c’est quelque chose qui toi t’es venu en tête dès que tu as commencé à concevoir le projet ou plutôt quelque chose qui est venu avec le temps ?

Théo : En fait ça vient assez naturellement, finalement c’est quelque chose que je défends en filigrane depuis le début de Fakear, depuis que je fais de la musique. C’est quelque chose dont je parle, pas forcément explicitement, mais ça concerne toujours ça. Je consomme la musique dans un but de me soigner, dans le but de me guérir de maux tu vois. Du coup je créé de la musique dans ce but-là aussi, je créé de la musique pour faire du bien, pour guérir et pour soigner, et pour moi et de manière générale dans la vie, la guérison passe au-travers d’un contact avec la nature. Quelque soit les médicaments, ils sont faits à partir de molécules qu’on trouve dans les plantes. La dimension guérison elle est indissociable de la nature, et du coup cette teinte un peu écologique qu’il y a dans Talisman et qui est plus assumée elle vient de ça aussi. Elle découle naturellement de ce besoin de guérir, de cette dimension d’objet de soin. D’ailleurs Talisman c’est un peu ça, je l’ai appelé comme ça parce que j’ai envie que ce soit comme un objet magique qui te donne des pouvoirs ou qui te soigne.

La Face B : Du coup ça fait aussi le lien avec le côté jeux-vidéos, presque un truc qui redonne des points de vie quoi.

Théo : Oui exactement ! T’es en manque de PV et ça va te donner +46 en armure magique (rires).

La Face B : Et du coup, je me suis fait la remarque en écoutant l’album, surtout sur le dernier morceau, au final cette teinte un peu écologique dont tu parlais et qui est beaucoup plus assumée et plus directe, au final on peut le cristalliser dans ce morceau avec Camille Étienne. De votre part à vous trois, Nowadays, Camille et toi-même, c’est un peu une forme de militantisme en fait dans le fond ?

Théo : Carrément ouais, carrément ! En fait c’est un truc que j’assumais pas trop avant parce que j’avais pas envie d’être réduit à ce combat. J’avais pas envie de devenir un artiste engagé parce que dans la tête des gens et des médias ça prend le pas sur la musique. D’un seul coup tu te mets à faire passer un message plus qu’à faire de la musique, et moi je voulais que ça reste très pur finalement et de continuer à aller chercher les gens sur le plan émotionnel et pas sur le plan mental. Au final ce morceau, Odyssea avec Camille, il va à l’encontre de ce principe, il est vraiment mental. Il t’explique la situation mais il y a encore ce truc au-travers de la fiction. Je voulais garder ce truc-là quand même, je ne voulais pas que ce soit un message politique explicite et assumé mais que ce soit une fable écologique. Un peu comme un Nausicäa de la vallée du vent ou un Princesse Mononoké, que ce soit quelque chose qui aille te chercher là-dessus sans te le dire réellement mais qui te fasse comprendre grâce à son récit qu’on défendait ces valeurs-là. 

La Face B : Et ces nouveaux morceaux, et leurs teintes écologiques beaucoup plus directes et assumées, tu es parti sur la route pour les défendre, là tu es en tournée. Comment est-ce qu’elle se passe ta vie en tournée ? Tu t’éclate je suppose ?

Théo : Ouais c’est pas mal (rires)

La Face B : Comment est-ce qu’elle se caractérise ta vie quand tu es en tournée ? Je suppose que c’est quand même assez demandeur en termes d’énergie par exemple ?

Théo : Oui oui ça demande l’intégralité de mon énergie. Carrément ouais. Mais c’est quelque chose que moi je trouve hyper plaisant parce que la scène c’est pour moi indissociable de ce que je fais. Je viens d’un background un peu plus Pop Rock. Mes parents m’ont plutôt biberonné au Rock et du coup moi je voyais mes fantasmes de rockstars d’adolescents. C’est des mecs qui se tuent sur scène et qui finissent en sueur donc la scène ça fait vraiment partie de Fakear en fait, du projet. Et du coup c’est un truc que j’adore mettre en place, que j’adore vivre et qui m’épanouit carrément.

La Face B : Et concernant cette mise en place sur scène, j’ai vu sur Instagram, je n’ai pas pu venir au concert à Bordeaux, que tu n’étais pas tout seul sur scène. Comment est-ce que toi tu l’as organisé cette mise en scène ? Comment est-ce que tu as imaginé la défense de ces nouveaux morceaux devant ton public ?

Théo : J’ai eu envie d’accentuer le voyage, d’accentuer le côté immersion de cet album qui est déjà assez atmosphérique, qui pose vraiment une ambiance. Et du coup on a mis en place ce dispositif, on a un énorme écran derrière nous qui diffuse des médias en live. Il y a deux musiciennes avec moi sur scène, une harpe et un violon, des instruments qui ne sont pas d’un groupe Pop tu vois, qui sont plus des instruments lead ou teintés en tout cas d’une certaine couleur. Et du coup ça donne un live qui est finalement assez atypique parce que voilà il y a des machines, mais aussi des soli de violon et de harpe. Enfin bref il y a tout un truc avec lequel j’ai voulu tout mettre dans la balance pour plus faire peser de côté onirique et cette immersion pour les gens. À priori pour le moment les gens réagissent plutôt pas mal. Donc c’est cool je suis content !

La Face B : Oui parce que c’est toujours assez particulier pour un artiste de jouer ses nouveaux morceaux sur scène. Toi par rapport à la réaction de ton public comment est-ce que tu le sens son rapport avec ces nouveaux morceaux-là ?

Théo : En fait le live il raconte vraiment une histoire à part entière c’est-à-dire qu’on enchaîne beaucoup les morceaux. Il y a des morceaux qui sont emmêlés les uns dans les autres, il y a un truc de récit du coup ce qui me plaît vachement c’est que je dilue ces nouveaux morceaux avec d’autres, avec d’anciens morceaux, que les gens connaissent déjà. Et du coup ça me permet de pas perdre les gens pendant qu’ils vivent le concert, et moi ça me permet aussi de développer les morceaux et d’enrichir ce que les gens ont pu entendre sur album avec le renfort de l’écran et des instruments. Ça me permet presque de les contextualiser quelque part tu vois. 

La Face B : Au final c’est limite un spectacle méditatif, où tu t’assois juste et tu écoutes, tu regardes ?

Théo : Ouais il y a un truc comme ça. Je me souviens de quelqu’un qui est venu me voir à la fin du show, je crois que c’était à Bordeaux d’ailleurs, qui me disait qu’il aimait beaucoup cette dimension de spectacle complet. Dans le sens qui sollicite plusieurs sens, et en fait je trouvais ça hyper beau compliment et il me disait qu’il manquerait juste l’odeur. Mais c’est vrai qu’il y a ce truc qui est très visuel et on essaye effectivement d’aller chercher les gens sur un plan émotionnel très fort, très profond et d’aller très loin là-dedans. Faire en sorte que les gens se disent qu’ils ont vécu un voyage. Moi la dernière séance de cinéma qui m’a choqué comme ça c’est Dune de Denis Villeneuve, et j’ai envie que les gens sortent avec cette espèce de feeling-là. Qu’ils sortent avec cette impression d’avoir vécu une expérience quoi. 

La Face B : Pour le coup je trouve que ça marche plutôt bien. Pour parler plus de mon expérience personnelle, la première fois que j’ai écouté Talisman c’était pendant un voyage en train. Du coup il y avait toute cette notion de paysages qui bougeaient tout ça. Et je trouve qu’au final ça se raccorde très bien avec quelque chose de très paisible, quelque chose de vraiment très doux. 

Théo : Ouais 

La Face B : Et pour être très franc, quand j’ai lancé l’album j’avais en quelques sortes craint un petit peu l’heure qui la compose. J’ai l’impression qu’aujourd’hui les albums longs comme ça ça passe ou ça casse.

Théo : Ouais ça peut être indigeste ouais.

La Face B : Mais au final je trouve le disque très bien rythmé, et que ce rythme-là fait passer l’heure assez rapidement. Comment est-ce que toi du coup tu as procédé pour organiser une tracklist comme ça avec un album qui est quand même assez long ?

Théo : Et bah en fait, c’est rigolo mais j’ai toujours un espèce de patron tu vois, dans le sens un modèle comme les couturiers. Genre un patron du bon album. Et pour moi ce patron-là, je ne sais pas pourquoi, c’est Nevermind de Nirvana.

La Face B : Oh bah c’est un bon patron, ça reste un modèle sympa !

Théo : Tu vois des méga basiques comme ça. D’ailleurs ça peut être Nevermind mais ça peut être aussi The Wall des Floyd, en tout cas le premier disque, ou The Dark Side of The Moon aussi des Floyd. En fait j’ai quelques albums références comme ça qui sont des pierres angulaires un peu de la pop culture et en fait ces albums-là c’est des albums qui t’emmènent dans plein de directions différentes. Et c’est toujours mes modèles maintenant. Il y a aussi Meteora de Linkin Park ou le premier album de Gorillaz, en fait des albums qui ont été fondateurs pour moi. La tracklist dans ces albums elle est parfaite, enfin pour moi en tout cas, et du coup Talisman je le calque un peu sur ça. C’est même pas forcément volontaire, c’est quelque chose de très spontané, où je me dit que la première track et la track trois il faut que ce soit fort, la track cinq cinq huit et dix. Puis après t’as la track sept qui peut nous emmener un peu ailleurs, c’est des morceaux sur lesquels les gens vont revenir plus tard. La dernière track de l’album faut qu’elle apporte quelque chose de nouveau. Et du coup c’est resté mon modèle depuis toujours, d’ailleurs je pense que si on prend tous mes albums, ils sont calés sur ce modèle. Il y a un truc de track 1-3-5-10-12 etc… 

La Face B : Et tu as donné des exemples de deux albums des Floyd, de Gorillaz tout ça. Est-ce qu’à part ces albums-là, que tu considères comme des albums modèles, qui servent presque de calque finalement, est-ce que tu as d’autres artistes ou albums que tu considérerais comme des influences pour Talisman ?

Théo : Musicalement tu veux dire ?

La Face B : Oui !

Théo : Pas tant que ça. Justement c’est assez flou finalement, j’ai l’impression que Talisman c’est un peu un fruit de la digestion de toutes ces références-là. Au contrario de mes albums d’avant qui étaient très teintés par des scènes ou par des artistes assez précis que j’écoutais sur le moment. Talisman c’est un peu comme on disait au tout début vraiment la fin de cette quête identitaire du coup j’ai pas de vraie grosse référence. J’ai choppé des influences de partout, et puis de plein de médias différents. Mais j’ai pas un artiste particulier, après je suis toujours très fan de Bonobo, je trouve ça toujours très stylé ce que je fais. Je suis très fan de Four Tet, de Bicep, de tous ces mecs-là mais je me suis pas servi ou caché derrière ces influences-là. Je me suis dit que bon, je lâchais un peu les chiens et que j’allais voir ce que ça donne. Mais du coup je ne pourrais pas te citer plus que ça. Et puis comme on disait les albums de Nirvana ou Gorillaz c’est vraiment des calques structurels mais sinon il n’y a rien d’autre. Je crois que c’est un album libre dans la création, et c’était un exercice assez nouveau et assez vulnérabilisant pour moi d’ailleurs de ne pas avoir un album ou un artiste en référence. Je pense que ça va avec la maturité, la trentaine tout ça… tu assumes un peu plus qui tu es, je m’en fous un peu plus de ce que les gens vont dire. Il y a l’idée d’avancer un peu plus librement.

La Face B : Donc au final Talisman, au-delà de la concrétisation de l’acheminement de ton parcours de musicien pur, c’est aussi un peu la concrétisation de la digestion de toutes ces influences-là ?

Théo : Ouais je pense, il y a un truc un peu comme ça qui se joue ouais. 

La Face B : Tout à l’heure tu disais que tu n’avais jamais vraiment fantasmé une collaboration. Tu en fait beaucoup mais c’est avec des amis. Si par exemple demain on te donnait carte blanche pour te laisser choisir un artiste, n’importe lequel avec qui tu pourrais collaborer. Est-ce que tu aurais une idée de qui tu choisirais ?

Théo : Bah je sais pas justement. Je ne sais pas vu que je ne fantasme pas trop ces collaborations là, j’ai même pas forcément réfléchi à la question. Peut-être que j’aimerais beaucoup bosser avec Ludwig Göransson, le mec qui a fait les B.O de Black Panther ou The Mandalorian. J’aime beaucoup son approche de comment il créé, en lisant et écoutant des interviews je découvre quand il installe une ambiance, comment il met en musique une certaine image, un certain paysage. J’ai trouvé ça hyper intéressant et assez libre. Et là récemment j’ai regardé une interview de fred again, qui a été interviewé par Apple Music et qui parle de son mentorat par Brian Eno, qui parle de la liberté qu’il a dans sa création. Et j’ai trouvé ça hyper hyper fascinant et vraiment profond de ouf alors que bon je ne m’attendais pas forcément à un truc de ouf en mâtant ce gars-là. Enfin je veux dire, j’ai une estime de ouf pour lui, je me disais que c’est un producteur qui fait de la musique quand même très grand public, très mainstream. C’est bien fait hein, mais d’un seul coup tomber dans ses layers de profondeur, d’ambiant et tout et de comment il fait… J’ai trouvé ça vraiment dingue, un mec comme fred again ça m’intéresserait même juste de causer avec lui, de la vie, de création. Et même un mec comme Ludwig Göransson ou tiens même Hans Zimmer. Un mec qui a des rôles éducables, un gars qui a cette expérience là, qui a ce background pas possible comme il a lui. Je pense que ça peut être très intéressant. J’ai presque envie de me poser avec un café avec eux et de leur parler tu vois. Presque plus de bosser.

La Face B : Ouais c’est plus pour échanger, pas forcément que sur de la musique sur un peu tout. Juste pour discuter avec eux.

Théo : Ouais voilà ! Si je devais en garder un dans les trois, peut-être que je garderai Ludwig Göransson. C’est quand même lui qui est le plus proche de ma génération et qui a un parcours qui est vraiment vraiment fou quoi, un parcours vraiment intéressant.

La Face B : Au final dans ce choix-là, on retourne un peu dans le côté très cinématographique finalement.

Théo : On retourne dans le côté cinématographique complètement, ouais grave. Mais il a ce côté où il fait un pas de côté de l’orchestre, et c’est ça qui m’intéresse en fait. J’aurais pas la prétention de composer pour orchestre, c’est magnifique et c’est génial, j’adore en consommer. Mais je pense que j’aurais du mal à l’écrire parce que c’est un exercice qui est trop mental pour moi. Et lui il a cette approche mi-orchestre, mi-synthé et ça c’est un espèce de grand-écart qui m’intéresse vachement.

La Face B : Au final, aujourd’hui la musique pour films j’ai l’impression que c’est beaucoup moins quelque chose d’orchestral. On y retrouve toujours des instruments comme des cordes, des violons etc… mais qui prend aussi beaucoup le penchant de la musique électronique.

Théo : Complètement ! Et maintenant il y a des super VST d’orchestres, donc il y en a même qui utilisent les VST pour écrire leurs parties d’orchestre. 

La Face B : Moi je t’avoue que là comme ça, j’ai la B.O de Tenet qui me vient à l’esprit où en fait c’est beaucoup de très jeunes, enfin, de jeunes musiciens et qui vont faire un mélange de tout ça.

Théo : Oui grave ! Alors j’ai pas vu Tenet du coup je vois la B.O tout ça et j’ai l’impression que le tout est génial. Mais oui carrément c’est un truc comme ça. De toute façon l’avenir de la musique électronique il se situe là-dedans. Je suis très content qu’il y ait cette espèce de mariage qui se fasse de nouveau parce que j’en ai peu marre des synthés (rires).

La Face B : Et est-ce que toi on peut éventuellement t’imaginer prochainement ou non aller vers ce terrain là ? Vers le terrain de la musique de cinéma ?

Théo : Bah en fait je pense que c’est pas forcément un milieu, enfin, en tout cas du cinéma américain oui. Le cinéma français c’est pas une scène qui m’attire plus que ça. C’est pas un cinéma auquel je suis très réceptif. Par contre moi un truc qui m’intéresserait et qui me botterait de ouf c’est de la musique de jeux-vidéos ou de la musique de dessins-animés. Un truc un peu enfantin. Un truc qui va chercher l’enfant au fond de nous, ça c’est quelque chose qui me parle.

La Face B : Je crois que c’est sur Twitter ou tu en parlais et où tu disais qu’il ne fallait pas oublier l’enfant au fond de nous.

Théo : Oui oui complètement (rires). C’est très important. Je ne sais plus pourquoi, j’ai pensé à cette phrase là un peu random. Mais c’est très important.

La Face B : Un peu random mais au final très vrai !

Théo : Et bien… merci (rires)

La Face B : Il y a une question que j’aime bien poser aux artistes avant de mettre fin aux interviews. Tout à l’heure tu parlais de Gorillaz, de Linkin Park, de groupes qui sont encore dans l’actualité au final. Est-ce que toi aujourd’hui, du moins récemment, il y a des albums ou des artistes en particulier que tu écoutes ? Que ce soit des sorties ou des vieilleries ?

Théo : Qu’est-ce que j’écoute en ce moment ? Là en ce moment j’ai un peu un truc où je me laisse porter par l’algorithme Spotify. Pour soutenir la tournée je fais pas mal de sport, du coup je mets mes écouteurs et puis j’écoute, je laisse les trucs défiler. Sur toute sur scène un peu moderate et consort tu vois, de trucs un peu Techno et très mélodique, des trucs un peu modulaires, des machins comme ça. J’écoute pas mal d’ambient aussi, et sinon après moi je suis très assidu forcément de tout ce qui sort chez Nowadays puisque c’est que des potes en fait. Et du coup à chaque fois qu’il y a une sortie on est tous là pour soutenir les copains et tout. Je me tiens très informé de tout ce qui sort chez Nowadays. Mais sinon au-delà de ça je suis pas hyper assidu et puis particulièrement en tournée ou finalement j’écoute juste de la musique qui me fait me sentir bien. Du coup je saurais pas te dire comme ça ce que j’ai poncé récemment. 

La Face B : Par exemple le nouveau Gorillaz, tu l’as pas écouté ?

Théo : Non je l’ai pas écouté par exemple. Mais tu vois Linkin Park, Gorillaz, c’st des groupes que j’ai lâché il y a très longtemps. C’était un peu mes amours de jeunesse. Et du coup je me suis arrêté à Plastic Beach pour Gorillaz, et Linkin Park j’ai dû m’arrêter à Meteora. Je sais même pas si j’ai écouté celui d’après tu vois. Je crois que j’ai décroché au moment où il ont fait le truc avec Jay-Z. Donc c’était vraiment genre en 2004 quoi (rires)

La Face B : Ouais c’était il y a vingt ans quoi ! 

Théo : Ouais voilà ! Mais c’est mes fondations. C’est vraiment mes racines, de là ou je viens.

La Face B : Et bien super. Je vais pas te retenir plus longtemps. Merci beaucoup de m’avoir accordé un peu de ton temps.

Théo : Merci à toi ! 

La Face B : Ça m’a fait super plaisir de discuter avec toi. Bonne fin de tournée et éclate-toi bien.

Théo : Merci !

La Face B : Et surtout continue à faire de la bonne musique !

Théo : Ça roule je vais continuer (rires) ! Ciao !! 

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