HiRUDiN, l’élévation d’Austra

L’hirudine est, selon sa définition, une protéine aux propriété anticoagulante sécrétée par les sangsues. Elle permet à celles-ci de se nourrir lorsqu’elles s’attachent à un corps étranger. Cette idée de pomper la vie de l’un pour assurer la sienne prend un sens bien plus sombre et poétique quand on le rattache au nouvel album d’Austra, voyage intérieur qui décortique les relations toxiques dans tous les compartiments de l’existence. Un album thérapeutique qui amène la canadienne vers les sommets d’une musique sentimentale et sincère.

Il est impossible de voir le mail que nous fait une relation quand on la vit. On a beau être prévenu, on a beau le voir chez les autres et parfois tenter de jouer les héros, quand on se retrouve piégé dans une relation toxique, qu’elle soit amoureuse, professionnelle ou amicale, il faut un temps certains pour le réaliser, pour mettre des mots dessus et pour s’en sortir. Pour combler le vide de leur propre existence, certaines personnes, tels des vampires, se nourrissent de la vie et des émotions de leur entourage afin de survivre, quitte à détruire l’autre. Entre moments de grâce absolu et périodes de violences psychologiques, elles fondent un monde ou la personne en face d’elle finit par oublier sa propre vie, ne servant au final que de terreau à la perversité et à la malveillance d’un être qui fait tout pour se définir comme indispensable. Ces relations, leur mécaniques et leur conséquences sont la moelle épinière d’HiRUDiN le quatrième album d’Austra et sans doute sa plus belle proposition à ce jour.

HiRUDiN est une véritable page blanche pour la canadienne, et la première chose que l’on remarque à son écoute, c’est l’absence quasi-totale de percussions, de gros beats qui donnent un tempo enlevé aux chansons comme c’était le cas sur des morceaux comme Lose It ou Future Politics.
De ce fait,étrange et douce chaleur nous envahit lorsqu’on écoute HiRUDiN d’une traite. Un sentiment d’apaisement et d’accomplissement qui semble s’éveiller en nous comme une fleur qui éclot. C’est un étrange jeu qui se joue dans nos oreilles : si les thématiques et les paroles en font sans doute l’album le plus personnel et profond jamais créé par Katie Stelmanis, ce quatrième album est aussi l’album le plus ouvert et collectif jamais réalisé par Austra, avec notamment l’intervention de producteurs extérieurs ou la participation de musiciens comme c_RL, Kamancello ou Cecile Believe. En résulte donc une œuvre compacte, humaine et libérée de toutes contraintes qui permet de multiplier les intentions et les explorations.

Ainsi, si on retrouve la pâte synthpop de l’artiste sur des morceaux comme Anyways ou I Am Not Waiting, Austra se permet d’aller voir ailleurs, ralentissant ici et là le rythme sur l’aérienne Your Family, ou s’offrant un titre presque uniquement porté par sa voix et des cordes avec All I Wanted qui pourrait à certains moment se rapprocher de Bon Iver. Et surtout, on retrouve l’exceptionnel Moutain Baby, partagé avec Cecile Believe, morceau de bravoure assez inattendu qui amène Austra dans les contrées classiques du hip hop, entre le beat de batterie, la boucle de piano et les chœurs d’enfants géniaux. Un titre inattendu qui se révèlera être le meilleur de l’album. On notera aussi l’ambition toujours croissante de Katie à tenter des choses avec sa voix, poussant le lyrisme toujours plus loin et l’utilisant comme un instrument à part entière. Si sa formation classique et sa voix proche du chant lyrique aura toujours été l’un des points fort du projet, la voir s’en détacher par moments (All I Wanted) ou s’amuser avec elle ( Your Family et Risk It) renforcent encore l’évolution et la puissance d’HiRUDiN.
Mais comme précisé auparavant, si la forme est libérée, l’album est relié par une colonne vertébrale en forme de thématique forte.

D’Anywayz à Messiah, entre la prise de conscience et la mise en image poétique d’une relation idéale et égalitaire, Austra nous offre un voyage, un opéra en trois actes accompagnés d’incertitude : révélation, acceptation, élévation. Dans HiRUDiN on passe d’abord par le stade du réveil avec Anywayz. Ce moment ou l’on réalise que la relation dans laquelle on donne tout au point de s’oublier soi même,n’empêche pas le monde de tourner, nous permettant de voir qu’on est dans une sorte de piège, perdu dans un labyrinthe duquel on ne peut pas sortir. All I Wanted, agit comme une prise de conscience, quand la machine se met en mouvement et qu’on décide de s’échapper, malgré les sentiments encore bien présents. Vient ensuite les interrogations, les questionnements, ou l’on se retourne sur ce qu’on a vécu pour le verbaliser, pour réaliser les failles et les souffrances qu’on a vécu. Ces moments de peur, de frissons face à l’inconnu sont caractérises dans How Did You Know et Risk it notamment. Après l’interlude I, vient le deuxième acte, composé de It’s Amazing, Moutain Baby et I Am Not Waiting. Entre calme et tempête, les morceaux jouent sur les émotions et sur les rythme pour caractériser un passage celui de l’acceptation, de se retrouver face au champ des possibles, réapprendre à s’aimer soi même pour aimer les autres nous emmenant jusqu’à Messiah, sorte d’élévation, utopie douce d’une relation saine ou l’on ne chercherait jamais à mettre l’autre sur un piédestal mais juste à l’aimer pour ce qu’il est, tout simplement.

Vous l’aurez compris HiRUDiN est une œuvre complète, intense et sincère, porté par des vagues d’émotions diverses et puissantes qui permettent, si on le veut bien, de réfléchir un peu sur soi et sur son entourage à travers la musique d’Austra, transformant ainsi l’élévation spirituelle et sentimentale de l’artiste en la notre. Porté par des thématiques fortes et une liberté musicale presque totale, Katie Stelmanis nous offre son plus beau travail à ce jour.