Hi, It’s Me Again : les maux bleus de Silly Boy Blue

Si dans notre esprit, on a l’impression que tout cela date d’hier, cela fait pourtant déjà deux ans qu’est paru But You Will, choc originel qui a vu notre route croiser celle de Silly Boy Blue. Quatre titres qui creusaient dans son intime pour en tirer des histoires qu’on a tous vécues. Depuis il y a eu de nombreux concerts, et un retour remarqué via des collaborations avec Canine, Don Turi et plus récemment Isaac Delusion. Mais il était définitivement temps pour Ana d’amener toute la lumière qu’elle mérite vers elle. Et cela démarre avec Hi, it’s me again, premier morceau d’un album prévu pour 2021.

Crédit : Manu Fauque

Pour ceux qui vivent le mot à la pointe de leur stylo, la rature a une sens particulier. À travers ce geste, on cherche à effacer, à faire disparaitre un mot, une phrase qu’on voulait à l’origine laisser vivre dans l’éternité. Notre première rencontre avec Hi, it’s me again passe par cette vision. On la découvre tranchée en son cœur par une ligne franche. Un geste loin d’être uniquement esthétique, tant il révèle à lui seul toute la symbolique propre à la chanson que l’on s’apprête à découvrir : un message qui n’arrivera pas, un retour qui n’aura jamais lieu, une histoire qui trouve finalement le mot de la fin à travers les maux qui ne seront jamais vraiment révélés.

Dans le fond, on voit une vraie ironie à découvrir cette bouteille à la mer restée à quai se transformer en chanson. C’est pourtant toute la beauté et l’identité propre à l’univers de l’artiste qui se dévoile à travers cette idée.
Ce qu’Ana tait, elle le transforme avec force à travers le prisme Silly Boy Blue. Comme une thérapie par le son, elle exorcise ses démons et ses pensées à travers un filtre déformant, transformant en œuvre poétique et émotionnelle des idées et des pensées qu’elle n’aurait pas pu ou voulu exprimer dans la vie de tous les jours. Et à travers elle, elle nous transporte, tant les thèmes et les propos sont finalement des choses qu’on a tous vécu.

Hi It’s Me Again, c’est la lettre qu’on a jamais envoyé, l’e-mail resté à jamais bloqué dans nos brouillons, c’est une conclusion que l’on garde pour nous au fond de notre cœur tant elle nous apporte au final plus de questions que de réponses. Une cicatrice que l’on caresse de temps en temps pour réaliser qu’elle devient moins présente et par extension, moins douloureuse.

On pourra noter une véritable évolution dans l’écriture de Silly Boy Blue. Si ses précédents titres laissaient par moment un voile pudique à travers ses paroles, la jeune femme s’affirme un peu plus ici, dévoilant de manière très nette la réalité de l’histoire qu’elle raconte, en plaçant des marqueurs forts de son propre monde, que ce soit lorsqu’elle parle de la création de ses chansons ou des interviews qu’elle donne. Elle s’amuse aussi à y montrer plusieurs facettes de sa personnalité entre la force et la fébrilité, le masculin et le féminin, le je et le on. Cette idée de dualité se trouve renforcée avec l’utilisation de la voix, qui se dédouble par moment comme pour créer une sorte de dialogue entre les pensées principales et les chœurs qui se transforment sans prévenir en une espèce de phrase fantôme qui se répète sans fin comme une excuse qui s’éloigne dans le noir.

Musicalement, on sent aussi que Silly Boy Blue a pris plus de confiance en elle. Si le morceau démarre comme une comptine, presque enfantine et discrète, il ne faut que peut de temps pour voir apparaitre des cordes absolument dingues qui apportent une bonne dose d’émotion au morceau et qui joueront le rôle de contrepoids à la force des percussions qui frappent dans le dernier tiers du morceau.

Pour accompagner ce morceau, Alizée Andrejka prend à corps cette idée de duplicité. On se retrouve ainsi dans un univers multiple, comme une plongée dans l’esprit de Silly Boy Blue, où l’on retrouve différentes personnalités et émotions, des forces et des faiblesses qui cohabitent autant qu’elles se confrontent dans une vidéo qui citera autant David Lynch qu’elle fera un énorme clin d’œil au Titanic de James Cameron, parmi les films favoris de Ana.

Avec ce nouveau titre, Silly Boy Blue réussit une nouvelle fois sa mission : emporter dans son torrent de sentiments les larmes qui finissent fatalement par couler sur nous joues. Si elle a décidé de le barrer, ce n’est pas notre cas et on aimerait le lui dire : on est très heureux de la voir à nouveau.

photo de couverture : Jeanne Lula Chauveau