Hervé – “je voulais trouver un mot qui puisse cristalliser le mood dans lequel je suis depuis tout petit”

Certains le connaissaient déjà, pour le duo Postaal qu’il formait auparavant, d’autres l’ont découvert avec ses premiers singles solo “Va Piano” ou “Cœur poids plume”… Hervé, qui vient de sortir son tout 1er album il y a quelques semaines à peine, semble être la toute dernière signature du label Initial… pourtant il était là depuis le début, quand ils n’avaient pas encore de bureaux. Après un 1er EP, Mélancolie F.C., c’est ce 19 juin 2020 qu’il sort HYPER, son tout premier long format. Un album marqué par ses influences électroniques : de Détroit, de l’Haçienda, à la scène de Madchester… Un fond instrumental très électro, sur lequel il apporte son amour de la chanson française et des chansons à texte : Higelin, Bashung, Christophe… Résultat, un album coup de poing, réalisé par un artiste empreint d’une grande authenticité, sans filtre, un artiste qui vit tout très intensément et qui ne s’en cache pas… RENCONTRE.

cover : HYPER, Hervé © Romain Sellier (photo), Marc Armand (design)


La Face B : Ma première question c’est par rapport au titre de ton album, l’EP précédent s’appelait Mélancolie F.C. qui était une référence à ta passion pour le foot, à ce sport que tu as beaucoup pratiqué quand tu étais plus jeune. Aujourd’hui ton album s’appelle HYPER, est-ce que c’est lié à ton hypersensibilité ?

Hervé : Ouais, ouais complétement. En fait je voulais trouver un mot qui puisse tout simplement catalyser, cristalliser le mood dans lequel je suis depuis tout petit, c’est à dire que je vis tout très intensément, et du coup c’était une évidence de l’appeller HYPER quand je cherchais des noms, parce que c’était le terme qui définissait le mieux mon intensité à vivre.

LFB : Le choix de l’écrire en lettres capitales, ça avait un sens également ?

H : Oui, sur l’EP j’avais fait pareil. En fait ça vient surtout de l’héritage de la techno, de Détroit… Tu vois, ma pochette, la grosse référence c’est Manchester, c’est l’Haçienda, c’est aux couleurs de l’Haçienda et tout… Donc toute la scène Madchester. Et à l’époque les maxis, tout ce qui sortait… j’ai beaucoup de références de disques où la typo est assez imposante, et à chaque fois on a fait une photo devant et derrière lettres capitales, tracklist et crédits. Et puis les deux en noir et blanc… Et puis j’aime le fait que tu puisses le mettre de l’autre côté et tu puisses ne pas avoir tout le temps ma tête, tu peux le retourner et avoir les lettres capitales comme ça. Ça vient surtout de cet héritage-là.

LFB : En dehors de la scène de Madchester, est-ce qu’il y a d’autres influences qui t’ont accompagnée sur cet album ?

H : En fait c’est très marrant parce que je suis influencé par tout ce que j’écoute, il y a des artistes que j’écoute énormément tout le temps, mais ça va de Higelin à Bashung, à Christophe, à LCD Soundsystem, les Chemical Brothers, les Daft Punk… En ce moment j’écoute aussi à fond Fontaines D.C... je suis en boulimique de zic, j’écoute Primal Scream… Mais pendant cet album, j’ai surtout beaucoup écouté la scène de Manchester, donc ça va de New Order à Happy Mondays, les Stone Roses, tout le travail de Andrew Weatherall que j’ai vachement vachement écouté.

LFB : Et si tu devais résumer ton album ? Est-ce qu’il y a un fil rouge, une émotion, ou une histoire particulière que tu as voulu raconter ?

H : En fait j’ai réalisé pas mal de fantasmes. J’avais plus de longueur que sur l’EP, j’avais fait 6 titres sur l’EP, là j’en ai 11. Moins les deux titres qui viennent de l’EP, donc j’ai fait 9 titres originaux. Ce qui fait qu’on sort 15 titres en un an, et il y a toute la palette de ce que j’aime. C’est que j’ai la chance d’aimer beaucoup de choses, donc j’avais envie d’ouvrir un petit peu les fenêtres, dont j’avais envie de soleil, j’avais envie de truc dansants, j’avais envie de faire un track drum’n’bass comme Bel Air, j’avais envie de ballades sur Fureur de vivre… Et le gros fil conducteur c’est l’introspection, les textes, et je crois aujourd’hui ma voix telle qu’elle est. Et en fait ça va assez vite parce que je fais tout dans ma chambre, à part le mix et le mastering, du coup si j’ai envie aujourd’hui de faire Paréo parade, je fais Paréo parade, si deux jours après je suis dans un mood de Bel Air, je fais Bel Air.

LFB : Par rapport à ta voix, je me demandais si tu l’avais travaillé d’une façon particulière pour qu’il y ait cet effet de susurration, où on a l’impression que tu murmures, et où en même temps c’est très saccadé, très précipité… c’est très scandé ?

H : Ouais ouais. La voix, c’est une question que je me suis longtemps posé. Quand j’ai écrit mes premières chansons il y a quelques temps, quand je suis allé m’enfermer en Bretagne, c’était la première fois que je chantais pour de vrai, et en fait c’est sorti comme ça, c’est vraiment sorti comme ça et je me suis dit bon je vais prendre des cours de chant, évidemment pour la diction, j’ai envie qu’on comprenne ce que je dis, donc ça c’est très important. Et en même temps ma voix n’a pas changé, elle a toujours été comme ça, elle est comme ça, il n’y a pas de calcul dans ma façon de chanter, dès que je passe derrière un micro c’est assez saisissant, ma voix change. Et même quand je fais des trucs entre les morceaux, pendant les concerts, ma voix change aussi. Et j’ai l’impression que quand je suis sur scène je change aussi, j’ai plusieurs moi, comme si on avait plusieurs nous en soi qui se baladent et quand je suis en studio c’est pareil, j’entends le son, je bouge, même plus. Là j’ai rencontré mes musiciens, et quand je les ai rencontrés, je devenais fou en répétitions, je deviens fou, encore plus que sur scène. J’ai toujours eu une hypersensibilité au son, à tout, et notamment au son. Et la voix, pareil, ça sort comme ça sort.

LFB : Et justement pour aller sur des titres un peu plus calmes, des ballades, comme Fureur de vivre… est-ce que tu as du retravailler cette voix-là, te forcer à la calmer un peu, pour qu’elle s’accorde plus à des titres plus doux, ou ça s’est fait instinctivement ?

H : C’est toujours instinctif. Pour Fureur de vivre, j’avais très envie d’entendre comme une horloge, j’avais envie d’entendre les « j’tue le temps, et j’tue le temps, et j’tue le temps » j’avais envie d’entendre cette rengaine-là. J’avais envie aussi de poser le décor de ce qu’est ma vie aujourd’hui, de ce qu’elle était à l’époque, ça n’a pas tant changé. Et ma voix elle sort comme ça. En fait si tu veux je compose, donc je choisis tout de suite le son de piano que je veux, le son de clavier, je choisis le rythme, le BPM à laquelle je veux l’enregistrer, donc en fait mon premier jet c’est quasiment mon jet définitif. Fureur de vivre, je pourrais la chanter cent fois, je la chanterais toujours pareil. Et c’est pareil pour tous les titres de l’album, c’est ma façon de faire. Après c’est inconscient, quand je suis c’est un piano-voix oui je suis plus calme, mais il y a ce truc de ne jamais être dans le contrôle encore une fois. Ça va assez vite la chanson, si ça me vient elle est produite dans la demi-journée et après on fait les détails…

LFB : En général quand tu composes, est-ce que ce qui vient en premier c’est plutôt une idée, des mots, le contenu du texte, ou à l’inverse c’est plutôt une mélodie sur laquelle tu vas plutôt chercher après à trouver quelque chose à poser dessus ?

H : Ça dépend des titres. J’ai beaucoup de notes dans mon téléphone. J’écris tout le temps, je regardais tout à l’heure j’ai genre 1 700 notes sur un an, c’est beaucoup. J’écris beaucoup donc j’ai tout le temps des gimmicks, j’ai tout le temps des trucs… Je ne me dis jamais aujourd’hui j’ai envie de faire une ballade, j’ai envie de parler de ça. Parfois je me mets devant mes machines, devant mes instruments et ça vient. Et parfois il y a des thèmes comme dans Maelström où j’ai envie de quelque chose plus positif…

Dans Addenda, le titre fait référence à un astérisque à la fin des bouquins, c’est les notes de l’auteur, où il explique ce qu’il a voulu lire dans le livre, donc dans ce titre je me parle à moi-même, c’est une sorte de dualité. Et ça me vient comme ça, tout comme parfois je fais une prod’ et je trouve un flow dessus, et ça vient quoi. Mais en gros tout ce fait ensemble, je suis auteur, compositeur et en même temps je suis producteur du disque, ce n’est pas du tout la même gamberge. J’écris très rarement un texte tout seul et puis je vais trouver la musique… en fait je pose tout au même moment, c’est des photographies. C’est vraiment des instantanés à chaque fois.

LFB : J’ai lu aussi que tu faisais beaucoup de « yaourt », avec des mots un peu pris au hasard, mais souvent tu es obligé de les garder, tu ne trouves pas comment les enlever de la production finale… Comment ça se fait ?

H : Ouais ouais ouais. Je sais pas. Ça c’est inexplicable. J’ai des mots qui me viennent, ça vient… et en fait je me rends compte après de ce que j’ai voulu dire. Parfois il y a de gros mots-clés que je suis obligé de garder. Tout se passe un peu en un éclair, comme ça, et ensuite j’ai mes notes dans mon téléphone, je vois au fur et à mesure que j’avance dans la production, au fur et à mesure que j’avance dans la chanson, je vois de quoi je veux parler, je vois ce que ça m’évoque. C’est très très très instinctif. Et en gros, ces yaourts-là, si je dis « catalyseur » dans le couplet, je vais te trouver un jeu de mot, je vais trouver un truc… et j’aurais besoin de cela. Et pour l’interprétation c’est pareil, dans les démos tu trouves exactement l’interprétation de ce que tu auras après sur le disque. Je finis le texte, après j’enregistre, après ça part.

LFB : On peut lire dans plusieurs articles que tu te considères comme un « autodidacte », mais tu as quand même fait une petite école de musique. Tu te vois plus comme un « autodidacte » car finalement tu as beaucoup plus appris avec des vidéos et des tutos sur Internet ?

H : Oui oui, j’ai fait deux-trois ans d’école de musique quand j’étais petit. En fait quand j’entendais le son du piano, j’avais déjà l’hypersensibilité au son, j’étais transcendé, je voulais jouer sur la table, je voulais absolument faire du piano. Par contre il n’y a pas de musicien dans famille, je n’ai pas de background… Mais j’ai grave appris sur Internet, les vidéos en studio des gens… J’ai appris comme ça et c’est pour ça qu’aujourd’hui je fais mon disque comme ça, que je fais mes clips… quand je peux pas faire autrement je les fais comme ça et puis j’aime ça aussi. Sur Postaal (NDRL : son groupe précédent) aussi j’avais beaucoup de responsabilité de ce côté. J’aime bien ce côté homemade mais bien fini, parce que le mix c’est important, parce que l’étalonnage c’est important, parce que le mastering c’est important… C’est de l’artisanat pur.

LFB : Je voulais aussi te demander, les trois derniers clips que tu as sortis, ce sont des clips qui ont été tournés pendant le confinement. C’est assez étonnant, parce qu’il y a plein d’artistes qui ont tournés des clips pendant le confinement mais ils en ont sorti un, et toi tu en as vraiment fait trois. Qu’est-ce qui t’a motivé à réaliser les trois pendant le confinement ? Est-ce que tu voulais vraiment que ça sorte là, maintenant, peu importe les contraintes ?

H : Ouais exactement. En fait je voulais rester actif. On parlait d’hypersensibilité, d’hyperactivité, on y est. Je voulais rester actif, et quand on s’est retrouvé confinés, je me suis dit c’est pas possible, l’album est décalé, la tournée est annulée, les festivals sont annulés, les promos sont annulées… Tout est annulé. Y’a que l’album qui est reporté, et le concert La Maroquinerie qui est reporté, le reste c’est annulé… Du coup, je ne peux pas rester sans rien faire, du coup je me dis on va faire un truc.

Ce titre-là, Si bien du mal, je l’ai écrit dans cette cuisine, dans cette maison, j’ai eu la mélodie avec mon mémo vocal, que j’utilise tout le temps d’ailleurs, qui fait partie de mon processus à fond. Cette chanson m’est venue dans cette cuisine, à deux heures du mat’ un soir. Et du coup je me suis dit, moi j’aime cuisiner donc t’sais quoi je vais m’éclater, je vais poser le téléphone… et j’ai toujours voulu, si jamais je faisais un clip dessus, ce qui n’était pas prévu, ce n’était pas prévu du tout que je clippe ce titre à la base, mais je m’étais dit si je fais un clip dessus, j’aimerais quelque chose de random, quelqu’un qui passe l’aspi, qui fait le ménage, ou quelqu’un qui boit son café le matin et qui se met à danser… Je voulais un plan séquence. J’ai toujours eu ça en tête au moment où j’ai fait la chanson et du coup-là c’était l’occasion. J’ai scotché le téléphone au mur et j’ai fait des crêpes. Mais je n’ai pas voulu faire ce clip en mode IGTV, je voulais que ça sorte comme un vrai clip, je voulais l’envoyer à mes équipes, que ce soit travaillé comme un vrai clip. Mais à ce moment-là (NDRL : le clip est sorti le 26 mars), il n’y avait pas encore de clip de confinement qui étaient sortis, ensuite il y en a eu, mais moi je l’ai sorti la deuxième semaine du confinement, donc c’était hyper risqué car je ne savais pas comment les gens allaient prendre le truc, est-ce que c’était maladroit ou pas ? J’avais de l’appréhension… mais au final je voulais m’éclater et c’est bien parti ! Mais comme il n’y avait pas eu de précédent, ni de confinement, c’était un peu risqué. Idem pour Maelström, se dire que je vais prendre la caisse de mon père, scotcher le téléphone dessus… Pour moi l’allégorie de la liberté c’est d’aller courir, et puis je vais courir, je vais faire le con, je vais faire des footings… je vais m’éclater, je vais péter les plombs. J’aime bien prendre des risques.

LFB : Est-ce que tu peux nous raconter comment s’est faîte ta rencontre avec le label Initial ?

H : J’avais Postaal et à côté j’écrivais mes chansons, donc je commençais à rencontrer du monde et ça s’est fait de fil en aiguille. Le label Initial n’existait pas encore en tant que tel à ce moment-là, quand j’ai signé ils n’avaient pas de bureaux, l’EP d’Eddy de Pretto n’était pas encore sorti, pour Clara Luciani, l’EP venait de sortir ou peut-être même pas encore… Je n’avais pas d’exemples concrets quand j’ai signé avec eux il n’y avait personne, pas comme quand tu vas dans un autre label et qu’on te dit j’ai signé un tel, un tel, un tel… et que tu te dis waouh ah ouais… quand même ! Moi quand j’ai signé il n’y avait personne, je me suis vraiment engagé instinctivement, sur des rencontres humaines, pas du tout sur des projets successfull, ce qui se passe aujourd’hui, et qui est très cool d’ailleurs.

LFB : Jusqu’à présent tu jouais seul sur scène, mais quand les concerts vont reprendre, tu seras accompagné de deux musiciens, qu’on a déjà pu voir dans la session live de Trésor, c’était ta volonté de grandir, de ne plus être seul sur scène ?

H : En fait pour le 1er EP j’étais vraiment tout seul, tout seul, tout seul en studio. Là sur l’album, il y a Vincent Taeger qui a fait une partie des batteries, des batteries additionnelles. J’avais besoin de vie, autour de ma production qui est très droite, j’avais besoin de relance, de tom crash, de cowbell... (NB : pour dynamiser son morceaux) j’avais des envies quoi… Donc Vincent est venu un après-midi et il a fait des batteries. Il y a aussi Pauline, P.r2B qui est venu faire deux choeurs, sur deux titres, qui est ma pote. Ce qu’elle fait c’est génial, c’est une meuf bien. Et du coup avec tout ça je me suis dit : sur le disque je m’entoure, sur scène je m’entoure, go ! Et puis pour le son, sur cet album il me faut un batteur, il a de vraies drums, Si bien du mal c’est le premier titre que je faisais avec de vraies drums. Donc j’ai besoin d’avoir quelque chose d’organique sur scène, de ne pas mettre de fausses drums, j’ai besoin d’un mec qui joue ça sur scène. C’est naturel, c’est de se dire j’ai quelques vraies drums sur l’album, il me faut de vraies drums sur scène, tout simplement.

LFB : Mais quand on a vu à quel point tu es investi sur scène, à quel point tu fais corps avec tes machines…. on se demande à quoi ça va bien pouvoir ressembler, d’autant plus qu’il y aura le côté intimiste de l’artiste seul sur scène en moins.

H : Là j’ai deux cracks, mon batteur et mon bassiste, c’est des monstres. On a fait des répétitions là… c’est pas du tout la même sauce-là. Là ça joue… donc moi derrière je joue plus… J’ai hâte quoi ! (NDRL : Stéphane Athus à la batterie, et Vincent Corbel à la basse, également bassiste pour Grand Blanc)

LFB : Dernière question, je me suis rendu compte que tu avais tendance à remercier quand les gens commentent tes posts, réagissent à tes stories, postent des stories de tes concerts… Entretien ce lien avec les gens, c’est quelque chose que tu arrives à faire encore systématiquement et que tu veux garder ?

H : Cette grille de lecture que sont les réseaux sociaux, partager mes contenus créatifs, parler avec les gens et répondre aux gens, c’est le minimum. Quand je sortais de Zéniths, parfois j’avais 350, 400, 450 messages… Je prends une heure et demie avant de me coucher, et je réponds. Et c’est important. T’as pris ta bagnole, t’es venu, t’as pris ta place, tu m’envoies des compliments… Et tant que je le peux, le continuerais à le faire. C’est normal, c’est le minimum.

HYPER, le 1er album d’Hervé est sorti le 19 juin 2020 (label Initial)