Live Report : La névrose de Gustaf au Petit Bain

Il y a peu de groupes qui peuvent aussi bien incarner l’âme de New York, ses habitants et ses névroses. Gustaf, c’est la révélation américaine de cette année. Une comédie noire, une séance chez le psy sous psychotropes, un pamphlet rageur contre la nature humaine… Difficile de décrire le style hautement théâtral de Gustaf, il faut surtout le vivre. Et ça tombe bien, puisque le groupe a joué son tout premier concert en France au Petit Bain à l’occasion du festival Les Femmes S’en Mêlent

Crédits: non_deux_non

Les Femmes S’en Mêlent, c’est un festival qui a plus de 24 ans quand même. Il fut créé à l’initiative de Stéphane Amiel dans une démarche purement artistique avant que celle-ci deviennent plus militante. Promouvant les artistes féminines, poussant à la sororité, le festival est un véritable incubateur de talent qui invite à se laisser surprendre. 12 dates parisiennes permettront de découvrir les pépites de demain, mais aussi à Vendôme, La Rochelle, Ajaccio, Angers et Le Havre jusqu’en décembre. 

C’est lors de la soirée du 18 novembre au Petit Bain que l’on aura l’immense chance de découvrir Gustaf pour sa première date française. Belle soirée en perspective, le duo Ottis Cœur commence les hostilités avec son rock impertinent, militant et terriblement efficace. La triade des Grandma’s Ashes poursuivra avec son stoner puissant et gracieux. Comme toujours, elles figent le temps, scotchent le public et procurent l’effet d’une petite claque. Le groupe acquiert peu à peu la notoriété qu’il mérite et son statut de reines françaises du stoner. 

Il y a eu cependant un groupe qu’absolument personne n’avait vu en live mais que tout le monde attendait avec une excitation non feinte. Les New Yorkais de Gustaf. Leur réputation les précédait, ainsi qu’une série de clips et un album qui promettaient un show hallucinant, entre la performance arty et le punk autodestructeur. Ce fut encore mieux. Les Gustaf ont livré un show qu’on ne peut voir qu’à New York. 

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Juste avant le show, Lydia, la charismatique chanteuse du groupe, passe une petite tête sur scène afin de déposer la set liste. Elle en profite pour jauger l’ambiance générale, levant timidement et presque apeurée les yeux vers la salle. Une attitude qu’on ne lui verra plus jusqu’à la fin du concert, la scène la transformant en bête de scène dégénérée, transportée par les névroses des nombreux personnages qu’elle incarne. Lydia se frappe régulièrement la tête, grimace tel un satyre, surjoue la démence, esquisse pas de danse saccadés et tourmentés. Le public a rarement vu une telle performance. Auto dérision totale, aucunes barrières, Lydia devient tour à tour amoureuse aigrie, snob littéraire, kidnappeuse de chiens puis vilaine fille. Un sens de la théâtralité absolument fabuleux teinté d’un humour acide.

Formation de cinq membres, le groupe prend assurément de l’espace. La présence de chaque membre est totale, chacun valorisé à sa manière. La batterie est d’une efficacité totale. Dédiée à un tempo clair, chaque break surprend et relance la machinerie. La basse est hautement mise en avant, chaque note est percutante et appuie la diction de Lydia. Une section rythmique épurée mais hautement efficace, complétée par l’incroyable Tarra. Difficile de définir sa place : voix démonique de Lydia, ambianceuse, section rythmique du wtf. Son rôle peut sembler aussi absurde qu’il est indispensable au live. Tarra ne s’arrêtera pas de sauter dans tous les sens tout le long du show, un immense sourire aux lèvres, elle joue avec le public et esquisse chorégraphie épileptiques. Dans sa boite aux trésors s’ajoutent bizarreries rythmiques. Cochons couinants, sifflet anti agression, dauphin en plastique offert par le batteur d’Idles, boite de conserve à la Stomp, et surtout un triangle. Quel grand moment que de la voir battre le triangle de façon approximative, donnant ainsi vie à la célèbre blague du triangle dans le groupe. Disons le franchement, Tarra est à mourir de rire. 

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De grands moments de plaisir monstrueux ponctueront tout le show. Quelques titres inédits créeront la surprise, prouvant que le groupe en a encore beaucoup sous le coude. Le génial Book, encore meilleur en live, se verra aussi allongé de quelques minutes dans une version inédite. De plus en plus conquis par le groupe, le public n’hésite pas non plus à reprendre en chœur le « We love you » de Dream à la fin du morceau, ainsi qu’à jouer au jeu de la secte de The Motions. Le sublime Happy marquera aussi un véritable temps fort de la soirée, « more slow but also maybe more crazy » comme le dira Lydia. Ce qui marquera aussi le public, c’est l’immense générosité du groupe. Lydia esquisse quelques mots de français avec un charme absolu, se lançant dans un poème sur la communion entre eux et le public ce soir-là. Pour illustrer son propos, elle demande au guitariste de s’approcher des gens afin de les faire jouer sur sa guitare. Repérant un ami dans la salle, celui-ci lui prête son instrument et ils se lancent tous dans une jam. Purement new yorkais. Mais l’envie de partage du groupe ne s’arrête pas là. Repérant le duo Ottis Cœurdans le public, Lydia les fait monter sur scène pour les féliciter, leur faire lancer le dernier morceau et danser avec elles. Le bonheur des deux filles, presque estomaquées de ce qui se passe est aussi touchant que magnifique. Peu habitués aux rappels, grande tradition française presque inexistante aux Etats-Unis, Gustaf sera aussi profondément surpris de ne pas voir le public s’enfuir en courant à la fin du show et au contraire en réclamer encore. Ils lancent ainsi encore deux chansons inédites, pour le plus grand bonheur de la foule conquise.

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Dans le public, à la fin du concert, résonne une évidence. Seule la ville de New York, sa liberté, son ouverture d’esprit peut créer une chimère telle que Gustaf. Triste constat, en France on trouverait ça « too much » et une telle pépite ne pourrait pas forcément se développer en toute sérénité. Pourtant, qu’est-ce qu’on s’est estimés chanceux de vivre un moment aussi hallucinant. Le merch et le bar furent l’occasion d’approcher un groupe qui rayonne de générosité et de bonheur. Des membres aussi beaux que la nature humaine qu’ils incarnent sur scène est laide. Quelle claque, quel groupe, on se sent rarement aussi chanceux d’avoir assisté à une telle expérience. 

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Retrouvez la chronique, l’ADN et l’interview de Gustaf