Gussstave : “La vie est une succession de chapitres”

En juin dernier, Henry de Montbazon alias Gussstave sortait son premier EP intitulé Bedroom Posters (*Spring), un puzzle aux mille morceaux piochés dans son adolescence révolue puis associés à son présent. Véritable coup de cœur au sein de la rédaction, nous sommes donc allés à sa rencontre il y a quelques semaines. Retour sur cet échange.

La Face B : Pour ceux qui ne te connaissent pas, qui es-tu Gussstave ?

Gussstave : Je suis un franco-britannique qui vit à Montreuil, qui fait de la musique au loft, à cent mètres d’ici.

LFB : Ton EP regroupe des fragments de vie, de souvenirs. C’est important pour toi d’ancrer ces moments passés dans ton présent ?

Gussstave : C’était exactement l’idée, je voulais vraiment résumer une période de ma vie. Je suis un peu comme toi, j’enregistre souvent des gens, des moments de vie avec mon téléphone. Ça fonctionne comme des photos mais auditives, je peux les intégrer à mes morceaux et c’est une façon pour moi d’ajouter une touche personnelle. Mes titres sont très pop, censés être facile à écouter et ce petit quelque chose rend l’ensemble plus honnête.

LFB : Tu dis avoir toujours été passionné par la poésie. Comment cet attrait a t-il influencé ton rapport à l’écriture au sein de ton projet ?

Gussstave : C’est le début de l’écriture car il y a quelques années, j’étais en train d’écrire un recueil de poèmes et je me suis rendu compte qu’aujourd’hui plus personne ne lisait de poésie, que l’on n’était plus au 19e siècle et qu’il fallait trouver un moyen de rendre cool la poésie, de la mettre en avant. J’ai donc commencé à écrire de la musique en me disant que j’allais juste mettre une guitare par-ci par-là puis mon poème par dessus, et c’est comme ça que j’ai vraiment commencé le processus d’écriture. La poésie a vraiment été le point de départ, le texte est vraiment important pour moi.

LFB : Si tu devais me citer trois poètes qui t’inspirent, quels seraient-ils ?

Gussstave : En numéro un c’est TS Eliot puis Whitman et Ginsberg.

LFB : Les morceaux de ton EP témoignent du regard que tu portes sur ton adolescence. Quels souvenirs gardes-tu de ces années ?

Gussstave : Pour moi, ce sont vraiment des années d’apprentissage où tu découvres la vie, l’amour, toutes les contraintes et difficultés. Tu fais des bêtises mais tu apprends des choses en même temps. C’est en écrivant ces morceaux que j’ai pu mieux comprendre mon passé et mes erreurs. J’ai pu mettre en avant ce que j’ai appris et ce que les gens m’ont montré.

LFB : Aujourd’hui, quel regard portes-tu sur l’âge adulte ?

Gussstave : L’approche est la même. Le plus dur c’est de devenir responsable et aussi de garder cette énergie pour ne pas perdre toute l’innocence de la jeunesse. Il ne faut pas devenir trop responsable mais juste assez pour ne pas se retrouver en prison. (rires)

LFB : Tu qualifies l’adolescence comme anxiogène, comme une période où l’on apprend à interagir avec le monde. Mais ne crois-tu pas que c’est un apprentissage perpétuel auquel nous sommes confrontés toute notre vie ?

Gussstave : Oui, oui carrément ! Mais dans mon EP ce n’est que le début, c’est incomplet, c’est un premier regard sur cette période que je trouve riche. Mes films préférés sont les coming of age que je trouve très poétiques avec ces moments de transition où l’on sort de la naïveté, de l’innocence totale.

LFB : Ton projet évoque t-il l’évolution de ton développement psychologique et moral ? Car c’est l’idée avec les coming of age stories/movies, on suit l’évolution d’un individu et ce, de l’enfance à l’âge adulte.

Gussstave : Oui, totalement ! C’est aussi pour cela que j’ai appelé mon EP Bedroom Posters et j’ai ajouté Spring entre parenthèses pour supposer qu’il y a une saison, un changement. Spring c’est la renaissance, ce moment où tu veux changer les posters de ta chambre et il se trouve que c’était le moment pour moi de maquer un nouveau chapitre. La vie est une succession de chapitres, cycliques ou non.

LFB : Il y a de nombreux extraits de conversations dans cet EP. Est-ce que c’était une façon pour toi de créer un contraste entre fiction et réalité ?

Gussstave : Absolument et ça rejoint ce qu’on disait tout à l’heure. J’adore intégrer les morceaux dans ma réalité, ça donne du contexte et on comprend toujours mieux les choses avec du contexte. Pour le coup, j’aime élargir le contexte, permettre des choses directement en lien avec la chanson et que ça ouvre un peu le morceaux, que ça crée des pistes.

LFB : En tant que franco britannique, pourquoi avoir décidé de te produire ici plutôt qu’outre-manche ?

Gussstave : J’ai étudié l’histoire de l’art ici, j’ai commencé la musique et j’ai rencontré mes premiers amis musiciens à Paris. Tout s’est fait naturellement et rien n’a été calculé au préalable.

LFB : Pour tes clips, tu as toujours travaillé avec Léo Schrepel. Est-ce qu’à l’avenir tu envisages de collaborer avec d’autres réalisateurs ?

Gussstave : Jamais ! (rires) Il n’est pas réalisateur Léo, il est chef op’ mais par contre oui, j’espère travailler avec d’autres réalisateurs. Léo sera toujours le chef opérateur par contre, toujours.

LFB : En gardant la même esthétique, tu ne crains pas qu’un état de lassitude naisse du côté de ton public ?

Gussstave : Non, pas du tout et vous allez aimer ce que je fais, à l’infini ok ? (rires) Blague à part, évidemment que je le crains. Si l’EP est un retour sur l’adolescence, moi je suis toujours dans l’adolescence de l’industrie musicale, je débute, je découvre et aujourd’hui, quand je regarde tout ce que l’on a fait, je vois les choses différemment. Dans les premiers clips, c’est moi qui ai réalisé les vidéos avec l’aide de Léo et à l’avenir je pense que j’en ferais moins, je travaillerais surtout avec des gens qui ont ce talent d’écriture, d’image.

LFB : Entre ton EP Sandwich Life sorti en 2017 et Bedroom Posters, tu offres un panel de genres musicaux assez distincts…

Gussstave : C’est marrant, c’est la deuxième fois qu’on me fait la remarque. On m’a conseillé de laisser cet EP sur Bandcamp, il est discret et je n’avais pas l’intention de le sortir car je me suis rendu compte quand je l’ai fait que ça ne faisait que six mois que je faisais de la musique. Je l’ai réécouté un peu plus tard et je me suis dit « bon ok, ça ressemble beaucoup trop à Mac DeMarco, Tame Impala… ». Il fallait que je me retire, que je grandisse et me concentre vraiment. C’est ce que j’ai fait avec Bedroom Posters, j’ai arrêté mes études, je suis parti en Angleterre pour faire que de la musique et pour essayer de me trouver.

LFB : Es-tu satisfait de ce que tu offres aujourd’hui avec Gussstave ?

Gussstave : C’est le genre de question idéale à poser plusieurs mois après la sortie de l’EP. Si on m’avait posé ça le jour de la sortie, j’aurais été blasé du fait d’avoir trop entendu le disque. Mais maintenant, avec le recul, je suis hyper fier du travail que je fais, surtout de certains morceaux.

LFB : A défaut de ne pas trop pouvoir défendre cet EP sur scène, comment vas-tu profiter des mois à venir pour développer ton projet ?

Gussstave : Full écriture, je fais que écrire en ce moment, ce matin encore. Je prépare beaucoup de musique, je me concentre et comme ça pour 2021 j’aurais un album de prêt.

LFB : On part donc sur un album pour la suite ?

Gussstave : Oui, on fait ça et j’espère avoir l’ébauche pour début janvier.

LFB : As-tu des coups de cœur récents à partager ?

Gussstave : Il se trouve que j’ai fait une cover pour Deezer et j’ai donc pu découvrir une artiste qui s’appelle Arlo Parks et que j’adore, hyper classe. Un peu plus pop, il y a aussi BENEE, très cool. Il y a un groupe qui a repris un morceau d’Arlo Parks en version orchestrale et qui est magnifique, j’écoute que ça en ce moment. Je suis en train d’apprendre à écrire pour orchestre car j’aimerais des morceaux plus orchestrés dans la suite. En littérature, j’ai enfin réussi à choper un recueil de Tanikawa, un poète japonais qui a plein d’humour et qui n’arrête pas de contraster la taille de l’homme et l’immensité de l’univers, c’est très drôle, très noir mais poétique. J’ai aussi vu un film assez marrant, The Love Witch, qui est une espèce de parodie féministe qui raconte l’histoire d’une sorcière qui jette des sorts sur des garçons qui se tuent pour elle etc, c’est très bizarre mais hyper bien.

© Crédits photos : Catherine Peter