Gaetan Nonchalant : “Tout passe par l’écoute et le recul”

En mai dernier, Gaetan Nonchalant sortait son premier EP Tout ça pour ça, un condensé de frustrations quotidiennes combinées à ce désir intense de prendre du recul pour mieux savourer l’instant présent. Nous sommes alors allés à sa rencontre afin de comprendre l’origine de sa bonhomie réputée et de son flegme inné. Retour sur cet échange.

La Face B : Quatre mois sont passés depuis la sortie de ton premier EP Tout ça pour ça. Les éloges ont été nombreux, tu as fait quelques passages à l’antenne, ce qui était nouveau pour toi. Comment as-tu reçu tout ça ?

Gaetan Nonchalant : Je suis encore bercé par une espèce de gratitude, je suis sur un nuage depuis la sortie de mon EP. Je ne m’attendais pas forcément à tout ça, j’essaie de ne pas avoir trop d’attente en général même si je mets tout en œuvre pour que ce soit écouté et diffusé. Ce qui est cool, c’est que j’ai l’impression que les messages ont bien été reçus, les articles étaient pertinents, ça fait du bien de se sentir compris, je suis très content.

LFB : Tes morceaux nous confrontent aux petites frustrations du quotidien. Est-ce qu’écrire sur des faits simples est un moyen pour toi de pousser davantage ton auditeur à la réflexion ?

Gaetan Nonchalant : Quand j’écris, je ne pense pas nécessairement à faire réfléchir. J’écris sur ce qui me parle et me travaille à un instant t, ça vient comme ça en fonction de ce que je ressens et c’est rassurant si ça peut devenir un truc pas trop privé. J’essaie toujours de faire en sorte que les gens puissent s’identifier à ce que je raconte sur la plupart des morceaux. Je ne veux pas pousser à la réflexion mais que les gens se sentent moins seuls et comprennent que ce sont des sentiments qui arrivent à tout le monde.

LFB : Accepter ces frustrations avec autant d’aisance t’aide-t-il à les aimer davantage ?

Gaetan Nonchalant : Oui, carrément. Je suis hypersensible donc je prends toujours tout en pleine face et en même temps je trouve le monde hyper loufoque et tordu dans plein de sens que j’essaie de prendre ce qu’il y a à prendre et ce que je n’aime pas, je le tourne en dérision car ça me fait rire. J’essaie d’avoir beaucoup de recul pour ne pas me laisser atteindre par certaines choses et me concentrer sur ce qui me plaît afin de ne pas perdre mon temps sur ce qui m’agace.

LFB : Toi pour qui la nonchalance n’a pas de secrets, quels conseils donnerais-tu aux plus impétueux d’entre nous ?

Gaetan Nonchalant : Honnêtement, je suis un peu stressé mais je pense qu’il faut juste avoir du recul. Parfois, il y a ces gens qui se font un sang d’encre sur des choses dont on se moque, bien que chacun mette ses priorités où il veut. Mais par exemple, je pense qu’il ne faut jamais se faire un sang d’encre à cause du travail, il faut arrêter tout de suite sinon. Rien n’est figé, il faut se sentir obligé de rien et s’écouter. Tout passe par l’écoute et le recul.

LFB : Selon moi, ton EP se présente telle une catharsis. C’était l’idée ?

Gaetan Nonchalant : Dès que j’écris, ça s’y assimile. J’essaie de palier à des trucs et souvent quand j’ai un trop plein d’émotions, j’essaie de poser des mots, des mélodies, de dire les choses qui vont me parler, m’aider à prendre du recul. Les chansons de cet EP ressemblent beaucoup à tout ça et quand j’ai écrit La Berezina par exemple, j’étais dans un état de colère, c’était un instant où je trouvais insupportable que les gens ne fassent jamais ce qu’ils disent. Je ne m’engage pas souvent mais lorsque je le dis, je le fais forcément sinon je ne me sens pas bien.

LFB : Ton titre Aquarium est une jolie mais surtout mélancolique métaphore, à travers laquelle on entend le désir de vivre une autre vie, plus radieuse. Ce morceau fait-il écho à ton propre vécu ?

Gaetan Nonchalant : Aquarium fait absolument écho à ma vie. C’était un moment de ma vie où il n’y avait plus grand chose pendant quelques mois, c’était sûrement les pires que j’ai pu vivre d’ailleurs. Il n’y a vraiment pas d’auto-dérision dans ce morceau, c’est très premier degré. J’avais fini mes études, je me lançais dans la musique et j’étais dans ce truc où je me posais beaucoup de questions. Financièrement c’était très difficile, j’étais à Stalingrad, il y avait cette crise des migrants, c’était après les attentats, le quotidien était dur à Paris. Je me disais que c’était ça être adulte en fait, je perdais foi en le travail, l’amour, je venais de vivre une rupture et ces moments étaient très sombres. Ce sont des cycles, il y en aura d’autres mais ce qui est bien, c’est qu’avec le recul je garde malgré tout de bons souvenirs de cette période, c’était intense mais ça m’a donné des chansons et quand tu sors de ça, tu profites encore plus du quotidien.

LFB : À quoi se raccroche-t-on quand on aspire à une vie différente et qui semble inaccessible ?

Gaetan Nonchalant : Sur cette période, je me raccrochais à absolument rien contrairement à d’habitude, c’était très vertigineux et j’avais un peu voulu me retrouver dans cette situation. S’il y a une chose qui peut m’aider dans ces moments, c’est la nature donc je sors de Paris, je me promène en forêt et les arbres, les oiseaux, le coucher de soleil, l’envie de me rapprocher de l’instinct animal me suffisent.

LFB : Tu dis être plus inspiré dans des états de blues et de colère. Que t’inspire alors l’état de joie ?

Gaetan Nonchalant : C’est une bonne question. J’ai moins créé dans un état de joie même si pour C’est la vie j’étais très content, c’était un état jubilatoire où tout s’alignait. Ce morceau a été inspiré dans un état de joie et c’est le seul dans L’EP. Aquarium j’étais dans un blues total, La Berezina c’était la colère, Genki c’ est particulier car c’est une chanson très joyeuse que j’ai écrite là-bas mais que j’ai enregistré à Paris en me mangeant un blues énorme de retour du Japon, ce qui crée ce contraste dans l’enregistrement où je chante un truc joyeux à Paris et où l’émotion est assez mystérieuse, difficilement palpable, lunaire, où il y a de la tristesse dans un truc joyeux et j’aime beaucoup ce mélange. Gagner son pain c’était un blues par rapport au travail et ce qui est paradoxal c’est qu’il y a toujours ce blues à partir duquel le morceau est créé puis la joie qui en est tirée lorsque le morceau naît.

LFB : Ce qui est aussi remarquable dans ton EP, c’est que les morceaux semblent se compléter.

Gaetan Nonchalant : C’est un heureux hasard je crois. Cet EP a été fait dans le temps, avec les rebondissements qu’il y a eu dans ma vie et donc dans ma musique. Tout ça se complète car c’est mon cheminement de pensée et ma progression en tant qu’être humain. Ce sont les réponses que je me suis apportées qui m’ont complété en tant que personne et ce qui en fait un disque assez cohérent.

LFB : Tu sembles comme à la recherche d’un idéal de vie où l’impossible n’existe pas, où le drame est minimisé et l’état de quiétude omniprésent. Ce n’est pas trop frustrant de ne pas parvenir à ses fins ? De vivre dans un monde qui va de plus en plus à l’encontre de ses idéaux ?

Gaetan Nonchalant : Il faut savoir que c’était aussi très fucked up dans les années 30 ou 60 et si tu regardes les infos aujourd’hui, tout est fucked up. Dans mon quotidien, plein de trucs trop cool se passent même quand je me promène, je me nourris de petites choses comme les regards par exemple. Je ne regarde jamais les infos donc je suis peut-être dans une fuite totale mais en même temps non car je suis à fond dans la vraie vie et la vraie vie me plaît. Et malgré tout ce que l’on peut dire de la France, je trouve que c’est un très beau pays, ça bouge beaucoup, on est énormément aidés sur le plan social quand on est jeune et je trouve ça incroyable. Ce que je vois de mes propres yeux me va et je sens qu’il y a une marche de progression.

LFB : Tes influences musicales proviennent principalement des décennies passées. Est-ce qu’il y a à travers tes idoles, des qualités que tu ne retrouves pas chez les artistes d’aujourd’hui ?

Gaetan Nonchalant : En arrivant à Paris et en côtoyant tous ces groupes et le milieu plus pro, que ce soit les labels, éditeurs etc, je me suis rendu compte qu’il y avait trop de réflexions, de prises de tête, de cases. Je parlais avec des gens il y a peu, de la carrière à laquelle j’aspire et ça ne veut pas dire que je me compare à eux et que je pense avoir autant de talent mais aujourd’hui j’aimerais avoir quelque chose qui ressemble à Philippe Katerine, Bertrand Belin ou même Flavien Berger qui font leur truc à eux et avancent. On m’a dit que ce sont des cas spécifiques mais tout le monde doit avoir une carrière spécifique, en étant vraiment soi même, en prenant le temps. Peut-être que maintenant, dans les artistes d’aujourd’hui, il y a trop de décisionnaires, d’avis, des envies de trop correspondre à quelque chose que l’on projette de nous en tant que musicien. Il ne faut pas créer en pensant à quoi que ce soit excepté soi-même et de nos jours, il y a une trop grande part de réflexion sur les attentes des autres, des pro et puisque c’est un milieu difficile, tout le monde fait ce qu’il peut pour en vivre car on ne veut pas tous faire un petit boulot à côté, c’est chiant, ça prend de l’énergie et ça éloigne du but. Il y a cette urgence, cette difficulté du milieu, des compromis et c’est peut-être ça aujourd’hui qui pourrait entraver la création pure et simple qu’il y avait à l’époque.

LFB : Tu as une relation particulière avec le Japon, ce sont d’ailleurs tes séjours là-bas qui t’ont permis de comprendre que la musique était le chemin à emprunter. Que t’a apporté ce pays que tu n’arrivais pas à trouver ici ?

Gaetan Nonchalant : J’ai retrouvé foi en l’humanité là-bas même si après un an et demi au Japon j’ai remarqué plusieurs problèmes et que la France me manquait sur plein d’aspects. Les premières choses qui m’ont bouleversé c’est qu’il y a une poésie du quotidien, ils s’extasient sur des choses très simples. Par exemple, il y a une semaine de vacances au printemps où ils s’arrêtent pour aller contempler les pétales qui tombent des arbres et c’est tout ce qu’ils vont faire. Ils ont cette noblesse, cette beauté du quotidien, que ce soit dans les journées qui passent, la météo aussi et ça crée un équilibre, tout est beau, ils mettent du cœur dans ce qu’ils font, il y a un profond respect des générations, de l’autre. Tout ça fait qu’il y a une réelle harmonie, ce qui m’a apporté un bonheur immense.

LFB : Cette aventure a radicalement changé ton comportement et ton rapport au quotidien en fait.

Gaetan Nonchalant : En effet, ça m’a fait un grand bien, j’avais vingt ans et ça m’a aidé car ce sont les années où tu te cherches et j’ai pu me placer. Je souhaite à tout le monde de faire un voyage seul dans sa vie pour répondre à ses questions, c’est un moment où nous sommes rattachés à rien et complètement confrontés à la vérité.

LFB : Tu n’as pas pu énormément défendre cet EP sur scène. Comment vas-tu continuer à le faire vivre ?

Gaetan Nonchalant : Pour le live, je vais alterner en fonction des possibilités pour les dates seul et en groupe. J’ai la chance de pouvoir faire les deux, je prends du plaisir avec chacun, plaisir qui est différent et les deux sont très importants pour moi. J’espère que les gens vont continuer à écouter l’EP, je vais essayer de cliper Aquarium pour refaire un peu de contenu, rappeler qu’il est là. Maintenant qu’il y a moins de concerts, j’ai un peu plus la pression donc je vais me mettre un coup de pied au cul car la seule manière de vivre va être de sortir des trucs.

LFB : As-tu des coups de cœur récents à partager avec nous ?

Gaetan Nonchalant : J’ai découvert Ilous & Decuyper, le gars a écrit pour Sanson, un peu tout le monde à l’époque. Il a fait ce disque avec Decuyper où les arrangements sont dingues, les harmonies incroyables. Il y a ce disque solo aussi où les textes sont bouleversants et Ilous est venu se rajouter entre Vassiliu, Christophe et Nino Ferrer dans mon cœur. J’ai beaucoup écouté Andy Shauf aussi, je ne connaissais pas et son deuxième disque est très doux. Il y a également le dernier EP de Muddy Monk, que je trouve très intelligent et beau.

© Crédit : Non2non, à suivre ici et .