Format Court #55 : Niteroy, Nautilus, Chahu

Chez La Face B, on adore les EPs. On a donc décidé de leur accorder un rendez-vous rien qu’à eux dans lequel on vous présentera une sélection d’EPs sortis récemment. Aujourd’hui, on navigue entre ombres et lumières avec les EPs de Niteroy, Nautilus et Chahu.

.

Niteroy – Dia De Chuva

On l’a déjà dit, la musique c’est avant tout une affaire de rythme et d’émotions. Contrairement à beaucoup, on n’a jamais été vraiment gêné quand au fait de ne pas comprendre réellement ce qui se chante à nous oreilles.

Tout simplement parce que cela laisse plus facilement place à l’imaginaire. On capte ici et là des mots à la sonorité commune et on s’invente des histoires, tristes ou drôle.
D’une certaine manière, on se réapproprie la musique pour la faire notre, puisqu’ici plus que le sens, c’est les émotions qui affluent qui nous intéressent.

Et d’émotions, il en est fortement question quand on écoute la musique de Tiago Ribeiro aka Niteroy. Une certaine nostalgie parée de tendresse, entre un nom de scène choisi en hommage au village de sa grand mère et un retour presque instinctif au portugais pour ce projet solo, tout porte dès le départ la marque des souvenirs et des fantasmes qu’on caresse du bout des doigts.

Au delà de ça, le garçon reste avant tout un petit esthète de la pop et comme dit précédemment, que celle-ci se pare d’influences salsa, bossa ou jazz, elle reste naturellement accueillante et attirante, avec ses chœurs chaleureux et ces rythmiques imparables qui nous invitent à danser (et à chanteur en yaourt bien évidemment).

Dès Dia De Cuva, on se retrouve ainsi les pieds dans l’eau et les yeux éblouis par le soleil, rapidement contaminé par ses ambiances à contre jour et ce groove indolent qui nous emporte forcément dans nos plus beaux mouvements d’épaules.

Para de Pensar et Amores Nostalgia poursuivent cette aventure folle alors qu’on se laisse mené par le bout du nez par cette voix de crooner solaire qui illuminera les soirées les plus mornes.

Impossible de résister à cet appel du pied au farniente et aux soirées ou la lumière ne nous quitte jamais vraiment tandis que O Farol et Flor Murchada nous entraine sur des terrains plus calmes et doux, presque tristes par moment avec toujours cette petite dose d’exotisme et d’inconnu qui nous plait tant.

Dia De Chuva propose une musique qui se transmet et qui se partage et qu’on a l’impression d’avoir écouté depuis toujours, comme si elle était cachée dans un coin de nos esprits et qu’elle ne demandait qu’à sortir pour s’éveiller enfin au monde.

Parce qu’on est curieux, on aura quand même été vérifier les paroles de Niteroy. Il y est question de fête, d’amour qui vit et qui meurt parfois, de peur, de doutes et des yeux du soleil. C’est sans doute tout ce qu’on avait imaginé en mieux. C’est à la fois triste et beau à l’image de cette musique qu’on a définitivement pas envie de quitter.

Nautilus – Nautilus

La vie dans les profondeurs est aussi majestueuse que semée d’embuches. Dans l’obscurité des fonds marins, on croise parfois des monstres perdus, des éléments mythologiques et parfois même un sous-mari perdu cherchant ici et là un moyen de remonter vers le haut, à la recherche des lumières des étoiles.

Nautilus, c’est le nouveau vaisseau de Loïc Fleury, un monoplace calme et francophone dans lequel il promène lentement une sortie de spleen doux et fragile où il navigue tranquillement sur les vagues de son synthétiseur, nous berçant en douceur dans un monde qui navigue entre rêve et réalité.

Ici, on cherche l’intime autant que les grands espaces, on joue avec le vocabulaire maritime et aquatique pour au final traiter de sujets plus personnels. On s’amuse et on les masques sous les embruns, par pudeur autant que par le besoin nécessaire de poétiser de grandes idées.

La musique de Nautilus est un voyage en cinq chansons. Le tout démarre avec bleu électrique. Cette lente décente à la première personne, plongée dans les profondeurs à double sens où l’on sonde autant les fonds marins que les récifs cachés de son âme.

La frontière entre les mondes se floute un peu plus avec Océan Lumière. On réalise alors que les ambiances servent le propos et inversement. Ces percussions légères et obsédantes qui frappent ici et là se mettent en parallèle aux obsessions de notre héros. Ce besoin d’évasion, d’ailleurs fantasmés et attendu nous transporte avec lui, dans cet océan qui représente autant le ciel que la mer.

Ce jeux de miroir entre les bleus continue avec Plonger sous l’orage, ici on parle de tempête pour mieux se l’imaginer. L’introspection se fait moins mystérieuse, plus palpable par moment. L’orage gronde au loin mais n’est jamais réellement un danger, le dédoublement se fait aussi dans la voix. Dans le morceau, on sent un besoin de tromper la mort, d’éviter le naufrage pour le tenir le plus longtemps à l’écart. Alors que la musique reste cette douce complainte, les enjeux trouvent leur échos dans les mots, ses allusions et ses faux semblants.

Ces idées sont encore plus claires avec les méduses qui vivent ici comme des sirènes que l’on suit alors que leur sensualité lointaine finit par devenir mortelle une fois atteint le face à face inévitable.

Les anémones, viennent finir notre trajet calmement, alors qu’on remonte doucement à la surface. Un parallèle avec la mort se fait fatalement inévitable.

Au premier abord tendre et accueillante, la musique de Nautilus révèle au fur et à mesure toute la profondeur qui l’habitent. Ici, loin de la légèreté d’apparence, on parle de vie et de mort, de sentiments tout à la fois attractifs et violents. Une tempête gronde sous ce calme apparent dans lequel on cherche à se perdre malgré tout.

À la surface comme dans les profondeurs, dans les mots comme dans les sons, la vie est parfois pleine de dangers qu’on ne voit pas toujours venir et ça Nautilus l’a bien compris.

Chahu – Chahu

Le chanteur des Dogs For Friends à la voix grave nous délivre aujourd’hui son premier projet solo avec un EP éponyme. Chahu, trois morceaux mélancoliques, comme l’identité profonde de notre artiste.

C’est un ukulele un peu boiteux qui nous accueille sur Malheureux, on se demande tout de suite si cette simplicité et ce côté presque maladroit ne pue pas la défaite automatique, celle qui envahit un peu trop le paysage musical ces dernières années. Cette musique pseudo dépressive qui n’a de saveur que lorsqu’elle se termine.
On vous rassure tout de suite, nous étions bien loin du compte, il faut attendre que l’introduction progresse pour donner du sens à ce que nous entendons et trouver tous les espoirs placés dans le talent et la finesse de l’angevin.

Sa voix vient transpercer les notes qui prennent enfin leurs places dans ce décor qui nous emporte.
C’est d’abord le sens de la formule qui prend au coeur :

« Personne ne me manque c’est malheureux. Même dans la mort, le ciel est bleu . » Ce manque de rien mais ce manque de tout, c’est un constat.

C’est à l’image de son oeuvre, quelque chose ou quelqu’un qui ne semble pas entier et qui l’expérimente chaque jour. Un être rien qu’à moitié. Ce qui reste c’est le manque, c’est pourtant étrange de dire que le manque comble le vide du rien.

Dans Décors, on perçoit le manque d’une relation amoureuse alors qu’un synthé nasillard vient titiller nos larmes avec encore une fois des mots magnifiques :

“J’avais les yeux rouges, t’avais les mots bleus. Et on entendait plus le ciel qui grondait fort, et on s’entendait plus et on était décors.”

C’est peut être ça devenir entier, être « décors ».

Dans J’arrive, l’artiste envie le temps, comme il le dit si bien, il n’a plus le temps.
Mais pourtant il se mue délicatement en cette aiguille qui délivre le temps de sa course infinie et qui au son du morceau vient désordonner le sens de la fête.
C’est la fête des coeurs atrophiés, il y fait valser les âmes malheureuses, celles qui ont deux trois trucs à recoller.

Ce sont les failles qui font toute l’essence de Chahu, de sa musique et de sa personne. Ces failles qu’il vient combler grâce à la chanson et qui donnent du corps à ce qu’il est et à ce qu’il conte.
La mélancolie est une fine ligne sur laquelle il est difficile de jouer.
Chahu, lui, surfe dessus, se permet des figures et acrobaties magnifiques, et tout ça sans jamais le moindre faux pas.

C’est donc avec beaucoup de plaisir et d’émotions, et surtout beaucoup de pleurs pour être honnête, qu’on découvre un peu plus l’homme et l’artiste qu’est Chahu.
Même s’il n’y arrive pas, s’il n’y arrive plus, dans ses tentatives désespérées de vivre autre chose, il y a bien une chose que Chahu réussit parfaitement ; Faire valser nos coeurs.