Format Court #42 : Stav, Moto, La Belle Vie

Chez La Face B, on adore les EPs. On a donc décidé de leur accorder un rendez-vous rien qu’à eux dans lequel on vous présentera une sélection d’EPs sortis récemment. Aujourd’hui, ce sont ceux de Stav, Moto & La Belle Vie qui passent sous le radar de La Face B.

Stav – Musique de Supermarché

Parfois il est nécessaire de commencer par la fin. Prendre les choses à rebours pour pouvoir dire  » putain, Stav est quand même un gars vraiment malin. » et vous expliquer pourquoi. Vous dire pourquoi Musique de supermarché est un EP qu’il faut écouter et réécouter.

Retour au départ avec ce titre, Musique de supermarché. Dans l’inconscient collectif, ce genre de musique correspond à une musique d’ambiance, le genre de morceaux qu’on écoute sans se souvenir ni du nom, ni de l’artiste mais qui part un miracle presque inattendu atteigne une part de notre esprit pour y rester bien accrocher.

Musique de Supermarché est donc porté par cette science de la ritournelle qui colle à l’oreille, et l’a apposé à sa propre musique. Pour dire vrai, si le titre est à moitié une blague, il est aussi une note d’intention : faire une musique rythmée et addictive, qui n’hésite pas quand il le faut à mettre le pied sur l’accélérateur ou à nous balancer une bonne dose de sucre.

Mais, parce que Stav est un gars malin, il y apporte assez de nuance pour éviter les écueils, pour ne pas sombrer dans la mièvrerie ou la facilité. Si les compositions sont assez directes, qu’elles disposent de refrains /petit gimmick qu’on reprend tout de suite (notamment l’improbable refrain de Boom Boom ou le backing entêtant de Avec Toi), elles sont surtout portées par tout un tas de petites nuances et de sous textes intéressants qui nous poussent à y revenir de manière très régulière.

Surtout, cette légèreté d’apparence permet à Stav de traiter, sous couvert d’humour et de distance, de sujets sérieux et dans l’air du temps et à hauteur, que ce soit le fait de vieillir, la dépression, les petites trahisons et les grandes ambitions qu’on s’offre. Le tout présenté à travers une relation pour le moins étrange.

Car ce qui fait tout le sel de cette première collection de titre tient surtout à ce story-telling : Musique de supermarché c’est la création d’un alias, la naisse d’un super-héro parfois zéro. Ce héros naissant débarque sur Fusée, quand Benjamin délaisse sa vie pour créer Stav, alter-ego grâce auquel il peut tout se permettre. Cette idée permet ainsi de créer un terrain de jeu en décalage constant où l’un prend la place de l’autre en permanence.

Tout au long des titres, dans les textes et dans l’histoire, on assiste à cette relation étrange où Benjamin et Stav se succèdent et se mélangent alors qu’on passe de la réalité au rêve, du quotidien un peu dégueu au fantasme le plus total qui trouve son point culminant sur l’excellente Chauve Souris où la schizophrénie est poussée à son paroxysme puisque Stav s’adresse à son propre créateur faisant ainsi exploser complètement le quatrième mur.

Vous l’aurez compris, plus qu’une histoire de caddie, Musique de Supermarché c’est le récit d’une naissance et l’acceptation d’un monde rêveur où le quotidien se brouille par moment pour laisser place aux délires oniriques de Stav. Et si Benjamin avait créé le J.D (personnage principal de Scrubs ndlr) de la musique ? Réponse au prochain épisode, en attendant, on retourne écouter Musique de supermarché.
Définitivement, Stav est vraiment un gars malin.

Moto – Chansons Grunge

Cela faisait un petit moment qu’on scrutait l’arrivée du premier EP de Moto. Il faut dire que Félicie avait réussi à nous charmer avec ses deux premiers titres, La soirée Disco et Les Gens paru fin 2019.
Après une parenthèse enchantée en compagnie de Bandit Bandit dont on vous parlait ici, Moto a repris la route en fin d’année passé et débarque enfin avec un premier EP intitulé Chansons Grunge.

Grunge vraiment ? Le titre est sans doute un peu trompeur même si il trouve une explication assez simple : ces morceaux sont avant tout une sorte de renaissance, une nouvelle étape portée par un chant en français assumé et la redécouverte de sa guitare la poussant à privilégier les instruments plutôt que les ordinateurs
Une esthétique DIY qui sera développée dans tous les contours du projets, que ce soit dans les clips où les photos de presse qui l’accompagnent.

Mais plus que tout avec ce premier EP, on sent une envie d’unité, de créer une patte sonore et esthétique autour de cette série de titres, tant est si bien que La soirée Disco et Les Gens ont subi un léger lifting au mix pour se rapprocher du grain de leur copines d’EP. Ainsi on retrouve, cette envie d’offrir une musique brute et directe.

La musique de Moto est ainsi loin d’être un plaisir égoïste et solitaire, elle se prête parfaitement à l’échange et à l’unité. Il est ainsi impossible de résister à l’énergie de Pharaon ou Danser m’épuise comme il sera compliqué de ne pas reprendre les chœurs L’eau municipale et la soirée disco. Une musique attachante et humaine qu’on prend en plein cœur

Si l’énergie est contagieuse, Moto ne renie pas l’importance du texte, ils sont même la colonne vertébrale du projet. Chaque morceau se décline ainsi comme un petit court métrage, une petite pastille poétique et faussement naïve. Car c’est bien là toute la beauté de ces morceaux, cacher des messages subliminaux et un poil politique par moment. Ainsi L’eau municipale vient gentiment nous rappeler qu’il est plus important de voir ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare tandis que Les gens est un appel concret à la bienveillance .

D’un autre côté, Moto s’amuse aussi à mélanger l’intime et le fictionnel, nous invitant à travers sa propre personne à nous assumer en tant qu’être humain et à accepter nos petites contradictions notamment Pharaon où elle s’interroge sur sa propension à vouloir attirer l’attention de l’autre qui peut être mis en parallèle à Danser m’épuise où le regard des autres et leur opinion devient une arme tranchante et parfois violente.

Avec ses Chansons Grunge, Moto nous ouvre les portes de son univers poétique et chaleureux. Une sorte de bonbon musical aussi nostalgique que profondément actuel qu’on déguste avec bonheur pour en découvrir toutes les saveurs.

La Belle Vie – Bluettes

Pendant longtemps, les images que l’on associait à Saint Etienne ont été liées au football. Plus particulièrement à la grande époque des verts dont le parcours européen qui s’est achevé un soir de mai 1976 en finale de la coupe des clubs champions à l’Hampden Park de Glasgow. On retiendra aussi de ce match une histoire de montants carrés des cages de football. Aujourd’hui musicalement, Saint Etienne est en passe de devenir un des principaux centres de création de la nouvelle scène française. On oublie ces poteaux carrés qui hier ont tant fait grincer les dents et on se délecte des tubes ronds, de Terrenoire, Fils Cara, Zed Yud Pavarotti mais aussi des derniers venus La Belle Vie, qui, aujourd’hui, émoustillent nos oreilles.  

La Belle Vie est à l’origine une chanson de Sacha Distel. Cette chanson qui allait devenir ensuite un standard en Jazz est construite comme une ode à l’insouciance mais, peut-être aussi parce que c’était dans les normes affichées de la société d’alors, finit par un avertissement moralisateur « Oui, la belle vie, on s’en lasse, on est triste, et l’on traîne ».

L’EP Bluettes dans ses compositions possède, lui aussi, le gène de cette nonchalance chère à Sacha Distel. Ainsi, on se dodeline joyeusement entrainés par les mélodies de Ma Piscine (Vas-y danse). Il s’en dégage d’un climat léger empreint d’innocence et de lascivité. La sensualité transpire dans La nuit est chaude « Que la nuit est chaude – Si chaude qu’on s’en brûle les doigts – Nos cœurs tambourinent – Si fort que l’on entend que ça ». Un doux vent met en émoi tous nos sens, goûts-dévore, toucher-effleure, vue-couleur, odorat-bouquet, ouïe-voix, pour nous conter dans Zéphir la naissance d’une relation amoureuse.

Mais aujourd’hui cette Belle Vie sait aussi s’accommoder des bleus à l’âme ou des genoux égratignés. Les séparations que l’on regrette dans Orphée, des relations artificielles dans Professionnelle ou des liens qui se distendent dans Promesses.   

La Belle Vie est un groupe d’amis – Julie, Simon-Gaspar, Enki, Jean Pat et Roman – réunis autour de cet état d’esprit – la Belle Vie – où, inévitablement, la musique tient une place prédominante.

A la question « Dans quelle mesure serait-ce possible de vivre sans musique ? »,  Julie répond de façon pertinente : « Je n’ai jamais vraiment su répondre à cette question mais c’est ce qui m’a donné envie d’en créer, de donner un petit peu la musique qui tourne dans ma tête à ceux qui voudraient bien la recevoir ».

Aussi, comme dans une Auberge Espagnole, chacun y apporte et partage son savoir, ses goûts, ses passions, sa sensibilité. De cette diversité naît un véritable melting-pot musical. Une suite d’accords revisités de la Sarabande de Debussy bascule vers une électro caliente dans Ma Piscine ; dans Zéphir les intonations de la voix de Julie se font baladeuses comme celles de Flavien Berger dans Pamplemousse ; les lignes jazz-funk rougeoient La nuit est chaude ; les accents rap apportent une connotation plus urbaine dans de Professionnelle ou Orphée et l’on retrouve alors une lignée musicale proche celle de Fils Cara ou de Moussa.

Dans La Belle Vie, tout est un peu mélangé et c’est tant mieux. De cette disparité se forge l’unité d’un son qui lui est propre et caractéristique.

Le résultat est très plaisant pour ce premier EP Bluettes dont les mélodies, addictives à souhait, nous accompagneront depuis l’hiver, à travers le printemps tout droit vers l’été. Il est aussi prometteur car nous devinons que la curiosité créatrice de La Belle Vie les mènera à explorer encore de nombreux chemins musicaux. Ils y trouveront de jolis sons que nous aurons, alors, hâte de découvrir.