Fils Cara fait des fictions avec la réalité

Parmi les artistes qui auront définitivement marqué notre année 2020, on peut dire sans détour que Fils Cara trouve une bonne place dans le haut de la liste. Alors qu’il s’était révélé au monde en janvier avec un premier EP Volume, il avait confirmé nos attentes à travers des lives aussi poétiques que physiques qui amenaient une dimension plus dépouillée et sèche dans sa musique comme des indices annonçant le futur. Le voilà déjà de retour avec Fictions, un second EP gros de 8 titres qui prouvent que chez le stéphanois le mot est toujours haut et précis, mais que l’ambition est ailleurs : créer une musique variée, qui ne s’embarrasse pas des genres et embrasse tous les amours d’un garçon qui n’a pas fini de nous envoûter.

Chez Fils Cara, la première chose que l’on remarque, c’est son regard. Une pointe de défi et surtout la sensation d’être analysé, même par une photo. C’est un peu comme ça qu’on l’image Fils Cara, à la terrasse d’un café, un bouquin ouvert sur la table et un carnet de notes jamais vraiment loin de lui, observant le monde qui l’entoure, cherchant ici et là des détails, des point d’ancrages dans le réel pour créer ses fictions, ses histoires humaines qu’il trempe dans le réel et qu’il s’amuse à flouter, les transformant à travers sa plume en mini court métrage, en chapitres hautement visuels, qui pourrait faire de lui une sorte de Johnny Depp, changeant de peau à chaque titre, se transformant, mouvant en trois minutes tout en gardant ici et là des traces de sa peau passée.

Tout cela tombe bien, car c’est précisément dans un bar que l’on retrouve Fils Cara avec Concorde. Ainsi naît Fictions, dans une inversion bien sentie de ce que l’on pensait savoir. S’il fait à nouveau les présentations, c’est à travers notre regard qu’il se dévoile, c’est nous qui observons Marc et pas l’inverse. Le tu prend la mesure d’un morceau qui s’étire jusqu’à l’essoufflement, qui accélère pour nous propulser dans son univers, pour se terminer abruptement, au moment où les mots n’ont plus assez d’air pour pouvoir exister par eux-mêmes. Ce premier titre ouvre la porte de cette nouvelle aventure et dépose déjà les éléments importants de l’œuvre de Fils Cara : raconter des histoires, des brèves qui deviennent des brefs moments de vie. Des fictions donc, dans lesquelles il nous raconte son amour de la culture dans sa plus grande largeur, mettant à un même niveau d’exigence les Clash, Emily Dickinson et le Comic Con. Surtout, on sent dès les premières notes une volonté absolue de ne pas s’enfermer dans un genre musical. Ainsi Concorde vibre de cette guitare électrique minimaliste qui va se fracasser sur une batterie qui prend de plus en plus de place au fur et à mesure du morceau.

De la corde aux touches, il n’y a qu’un pas que Fils Cara franchit avec bonheur. Le piano prend ainsi le pas de la guitare sur New York Times. Un morceau comme une revanche et on pourrait croire une nouvelle fois que le stéphanois se raconte, mais sa musique semble être une histoire de pronom autant qu’une histoire de perspective. Ainsi, si le refrain, explosif et presque épique se vit à la première personne, le reste du morceau se veut plus indéfini, prouvant que le musicien se fond dans une sorte de collectif à visé universelle : racontant ainsi les gens cassés, ceux à qui on a voulu interdire un avenir dès les premières minutes de leur existence.

Il nous raconte ces petites misères, ces violences pernicieuses et ces traces qu’on aimerait nous faire croire indélébile mais qu’on finit par faire exploser à force d’ambition et de travail. C’est un cheminement mental qui est mis en musique, celui du passage de la chaine à la scène, de la petite vie à la liberté, l’histoire d’une ambition qui prend forme et qui ne se brisera jamais. Cette idée trouvera son cheminement dans Film Sans Budget, cette fois-ci porté par des cordes cinématographiques et proches du western, mais aussi dans Petit Pan et sa rythmique plus électronique. On sent dans cette trilogie qui s’espace dans tout Fictions, un besoin de revanche et une manière de montrer que la réalité n’aura jamais raison des rêveurs.

Pas le temps de reprendre son souffle que Fils Cara change une nouvelle fois son fusil d’épaule et fait une incursion dans une mélodie plus dansante avec Sous Ma Peau. Le morceau, placé au milieu de l’EP, est une sorte de respiration dans des thèmes et des idées parfois lourdes. On commence surtout à réaliser le véritable travail d’orfèvre qui se déroule dans nos oreilles. Ainsi, Crédits nous l’apprendra à la toute fin, mais la composition de l’EP a été réalisée à dix oreilles et si le tout est d’une véritable cohérence par le mot, elle se retrouve aussi dans le son, entre la présence importante du piano, des cordes qui viennent prononcer les émotions, même si l’on s’amuse parfois à essayer de trouver les différentes personnalités et sensibilités présentes dans chaque titres.

Après le calme, gronde la tempête : a Hurricane is coming. On peut le dire : dans sa construction, on est sans doute face au morceau le plus puissant et réussi de Fictions. Si l’histoire commence à travers une divagation et que l’on suit Fils Cara à travers les volutes de fumée de ses cigarettes, alors que le morceau se ponctue d’un moment de dialogue, on pourrait voir une inversion et ainsi parfaitement croire à un basculement, une zone de flou se créant et pouvant nous laisser penser que désormais, c’est la personne rencontrée que l’on écoute. Cette idée, cette sensation, fait ressortir avec force non seulement le travail fabuleux d’écriture mais aussi d’interprétation de Fils Cara.

Derniers dans le monde trace un trait définitif entre le réel et l’imaginaire. Ici, les instants n’existent plus, le monde se mouve au rythme des divagations et des rêveries de Fils Cara. Il imagine alors un monde qui se délite, une mort qui se fait présente et inéluctable. Alors il se plonge dans ses souvenirs d’enfance, dans cette chambre d’enfant qu’il n’a jamais vraiment quittée, ce refuge ultime à une fin qui arrive. Et honnêtement, réussir à nous faire crier « vider les jerricanes » montre à quel point le bonhomme a du talent.

Comme un film qui se termine, Crédit vient clôturer l’aventure Fictions. Là encore, le mot prend toute son importance, les pauses et les silences aussi. Fils Cara raconte la conception de cette œuvre, remercie les personnes y ayant participé et se dévoile finalement totalement. Un doux anachronisme envahit les derniers mots, lorsque le 29 mai 2020, date originelle de la sortie de Fictions, vient vibrer à nos oreilles. Une phrase, déjà présente auparavant, est répétée une nouvelle fois, comme pour accentuer l’importance de ses mots : Savoir écrire, c’est dire n’importe quoi sur un ton plus ou moins radical. C’est un peu ça Fictions, une écriture mais aussi une interprétation. Ainsi soit Fictions, ainsi vit Fils Cara.

PS : on ne peut que vous conseiller de regarder et d’écouter les versions live des morceaux sortis, tant ils apportent une vision et un éclairage différent sur les morceaux de Fictions.