Fils Cara : « dire le maximum de choses en un minimum de mots »

Retrouver Fils Cara pour une interview, c’est comme reprendre une conversation interrompue par le temps. Depuis notre première rencontre en 2019, on a plaisir à suivre l’évolution et la grandeur du musicien stéphanois. On a donc repris l’histoire la veille de la sortie de son premier album Amaretto. On a discuté avec lui, d’amour, de sincérité, d’Italie, de voix et de grandir. Un long entretien à découvrir ci-dessous.

Pochette Amaretto Fils Cara

La Face B : Salut Marc, comment ça va ?

Fils Cara : Mon bon Charles, je suis terrorisé mais ça va relativement bien. Pourtant j’ai poussé la nuit mais je suis tellement sous adrénaline que je crois qu’il y a aucun verre qui m’a fait quoi que ce soit hier soir. Des verres d’eau. Peut être demain matin. Il y a moyen qu’à 00h01, je me sente immédiatement cassé. Mais ça va, je serai au Pop up du label pour voir Tungz et faire un peu la fête donc je pense que ça va passer tout seul.

LFB : C’est la troisième fois qu’on fait une interview tous les deux. A chaque sortie, j’ai l’impression de croiser une nouvelle personne dans l’album. Comment tu vois l’évolution de Fils Cara ?

Fils Cara : Ça me fait plaisir parce que le mouvement, c’est la vie. Ça fait très gourou californien ce que je viens de dire mais c’est ça. Moi je me sens heureux de muer et de muter à chaque fois parce que j’ai l’impression de perdre des pans de mauvaises herbes et de me créer un jardin qui est vraiment très lumineux. Je ne sais pas ce que tu penses toi et comment tu le sens mais j’ai l’impression d’aller beaucoup mieux que la dernière fois qu’on s’est croisés. Je pense que c’est juste que je vais de mieux en mieux, sachant que j’essaie d’être honnête avec moi-même chaque fois un peu plus et de devenir une meilleure personne à chaque album. Je ne sais pas si tu vois une meilleure personne à chaque fois en face de toi mais en tout cas, je me sens relativement bien.

LFB : Si. En tout cas, musicalement, on le voit. Et si on se réfère à ce dont on avait parlé la dernière fois, on disait qu’on était dans l’enfance et que Fictions, c’était un peu l’adulte en construction, j’ai l’impression qu’Amaretto c’est l’adulte construit qui n’a plus peur d’être ce qu’il est ou de parler d’émotions vraies sans se masquer derrière des choses.

Fils Cara : Complètement ouais. Pour moi, Amaretto, c’est essayer de dire le maximum de choses en un minimum de mots. Et de ne pas faire l’économie d’humanité. Vraiment, d’être au max honnête.

LFB : Tu as pris du temps pour le sortir. Est-ce que c’était important pour toi de le laisser décanter comme un bon vin ?

Fils Cara : Effectivement. C’était important de faire ça. Déjà, l’album s’appelle Amaretto, c’est une liqueur tu vois. Alors, les liqueurs ne vieillissent pas en fût mais c’est simplement qu’à un moment donné, je sentais qu’il y avait un goût particulier, que l’air du temps pouvait venir acidifier un peu trop. Et l’air du temps précédent était peut-être légèrement trop légère justement. Là, ça fait quand même trois mois qu’on a décidé de la date. L’album est vraiment terminé depuis un moment. On a fait plusieurs séquences d’images. Il y a des images en Italie qui ont été shootées en été dernier, il y a les images de la pochette et des photos de presse qui ont été shootées maintenant. J’avais l’impression qu’il fallait faire plusieurs périodes aussi d’images pour pouvoir avoir une vision complète de qui j’étais et qui j’étais devenu sur cet album. Donc ouais, comme un bon vin mais surtout comme une liqueur opportune et qui tombe bien avec l’air du temps. Parce que je pense qu’on a besoin de se détendre, c’est tendu.

LFB : On parle d’air du temps. A contrario, je trouve que l’album est complètement hors du temps, par ce qu’il raconte, il y a des choses très intimes sur toi malgré tout mais je trouve que dans les couleurs musicales que tu as utilisées, dans les thématiques de l’album, on est sur quelque chose qui est un objet qui peu vieillir. Pour moi, ce côté d’album qui s’écoute dans son entièreté et qui peut grandir avec le temps.

Fils Cara : Je te remercie déjà. Je t’avoue que même dans la conception, on l’a fait un peu à l’ancienne parce qu’on s’est retrouvés avec les potos, Louis-Gabriel qui a réalisé, Francis bien sûr toujours, Simon Gaspar, Felower, et on s’est mis dans des mood hors du temps. On s’est mis dans des bulles. On est partis la première fois, c’était à la Rochelle. J’avais commencé à écrire des chansons, notamment T’es belle. On s’était mis dans un petit pavillon de vert pendant une dizaine de jours pour faire du son. A chaque fois ensuite… On n’est jamais rentrés en studio pour cet album. On a toujours fait des petits îlots. C’est pour ça que ça m’est venu, l’image de l’île, d’Amaretto, le fait de me couper un peu du monde mais quand même d’être relié au continent. J’ai regardé beaucoup des films de Miyazaki, des trucs qui m’ont touché quand j’étais plus enfant, notamment Porco Rosso qui est le premier que j’ai vu.

LFB : C’est mon préféré.

Fils Cara : En vrai, il est incroyable. Pour moi, à chaque fois que j’étais dans ces petits îlots avec mes potes, j’étais en mode vraiment Porco Rosso, qui se pose sur son île et qui gamberge. Et puis ensuite, qui part à la guerre. Pour moi, la guerre, il ne faut pas déconner avec ces mots-là. Je la vis pas mais c’est juste que le monde devenait de plus en plus tendu et je me disais « tiens, c’est marrant, je fais vraiment la démarche inverse, j’essaie vraiment d’aller au plus profond de moi, aller chercher une musique qui m’est profondément attachée culturellement ».

La pop, je pense que ça s’entend en vrai, je sais faire ça parce que j’ai toujours entendu ça. J’ai toujours entendu ça chez moi, la pop italienne. Même le premier disque que j’ai acheté de ma vie, c’est MGMT : Oracular Spectacular. Black Eyed Peas aussi en même temps. Tous ces trucs-là, je les connais. Du coup, ça m’a fait plaisir de rejoindre ce style musical en étant passé par le rap et en ayant fait mes armes dans l’écriture. De me faire ma petite île à moi avec toutes ces refs quoi.

 » Pour moi, Amaretto, c’est essayer de dire le maximum de choses en un minimum de mots. Et de ne pas faire l’économie d’humanité. « 

LFB : Il y a une vraie chaleur qui se dégage aussi. Il y a un truc, sur les effluves qui se ressentent et tout, il y a un truc de corps sur l’album qui est très important.

Fils Cara : Ça, c’est aussi ma propre découverte de mon corps. Avant, je pensais que j’étais un esprit sans corps. Je pensais vraiment que j’étais une sorte d’être de lumière qui flotte mais là, j’ai découvert que j’avais un corps, grâce à la scène surtout. C’est grâce à Volume et Fictions qui m’ont permis de tourner que j’ai rencontré mon corps et mon incarnation et que j’ai commencé à kiffé, le fait d’avoir une enveloppe. D’être relié au monde par une peau, d’avoir des sensations, c’est un truc de ouf. Cet album, c’est tout ça en fait. Revenir à la matrice de base : le corps, la sensation, sentir, voir, respirer.

LFB : C’est un chemin vers toi-même du premier au dernier titre. Tu finis sur Sans rancune qui est quand même hyper lumineux et apaisé. Tu vois le cheminement. Malgré tout, j’aime bien définir les albums des gens que j’apprécie en un mot. Pour moi, j’ai l’impression qu’Amaretto, le mot qui lui correspond le mieux, c’est : crépusculaire. C’est le moment où la nuit et le jour se croisent, mais que ce soit en fin de journée ou en début de matin. C’est aussi le moment, pour moi, où le noir et le blanc se mélangent. Pour moi, l’album n’est pas que léger. Il y a quand même certaines choses assez fortes dedans du coup qui s’en dégage.

Fils Cara : C’est stylé de ouf. Parce que tu sais qu’on dit ça des westerns. On parle des westerns crépusculaires. Moi, je trouve que c’est hyper intéressant parce que c’est justement des films qui m’ont été hyper importants pendant la création d’Amaretto. Je voulais vraiment me rapprocher de la culture populaire italienne et il y a notamment Les amants diaboliques de Luchino Visconti qui est le premier film néo-réaliste italien, qui est un western crépusculaire justement. Après, il y a pas mal d’autres films de série B que j’ai kiffé, notamment le label Cinecittà avec Sofia Loren. Et tout ces films-là, c’est d’ailleurs pour ça que m’est venue l’idée de la chanson de Cinecittà. Je m’étais dit en fait, faut absolument que je me rapproche de ça parce que crépusculaire, c’est le mot en fait. Toute l’Italie est crépusculaire en soi. C’est à la fois l’amour au sens vraiment sucré du terme et toujours cette amertume de 90 % de l’Italie, c’est des classes populaires qui travaillent à l’usine. J’avais envie de ré-invoquer cet angle de moi mais dans un paysage beaucoup plus affirmé.

LFB : Qui colle aussi bien à l’Italie qu’à Saint-Etienne d’ailleurs.

Fils Cara : Exactement. Mais tu sais, 50 % de mon quartier, c’est des siciliens immigrés donc je pense que c’est ça aussi.

LFB : Si je te parlais de choses sombres, c’est parce que je trouve que dans l’album, tu cites autant Dieu que le Diable en fait.

Fils Cara : Exact. 

LFB : Les mots ont un poids très important quand tu les utilises. Surtout ces deux-là, quand tu en parles, c’est des choses qui marquent dans l’écriture.

Fils Cara : C’est cool que tu les aies entendu parce qu’ils ne sont vraiment pas placés de manière anodine. Je me souviens bien que ma relation avec ma croyance a beaucoup évolué grâce à cet album. Je me suis beaucoup rapproché de ces notions-là, au sens métaphysique du terme. Des fois, j’ai l’impression qu’il y a des forces du mal, il y a des forces du bien et il faut faire attention entre les deux. On ne peut pas tout faire pour le bien non plus. Il faut être mesuré. En fait, il y a un truc vachement adulte aussi, dans la gamberge entre ces deux personnages, ces deux figures. Il y a d’autres figures, d’autres personnages symboliques mais c’est vrai que du coup, Dieu et le Diable sont importants là-dedans.

LFB : Il y a un mot que tu utilises dans Mon Paradis. Tu dis que tu cries Banzaï. Moi, c’est un truc qui m’a marqué. Je me demandais si pour toi, l’Amour, dans un sens global, et la musique se sont des actes kamikazes ?

Fils Cara : Excellent. Ça l’est totalement. En fait, l’image du kamikaze, c’est l’image que je me racontais quand j’ai écrit Mon Paradis. On avait la prod, les violons et tout, depuis le début. Ca faisait deux ans que je travaillais cette prod’ et que je n’arrivais pas à écrire dessus. La veille de rendre l’album, il y avait 10 chansons et je me suis dit : mais putain, il faut absolument que j’écrive Mon Paradis. Je l’avais en tête, j’avais le titre et tout. Et, j’ai passé deux semaines à vraiment faire une sorte de boulimie de savoir sur les kamikazes, c’était horrible. Je ne dormais pas et tout. Tous mes potes me voyaient trop tendus et je ne faisais que raconter des histoires de kamikazes affreux en soirée.

Au bout d’un moment, ça a décanté et je me suis dit que c’était ça le truc, c’était cette image du Banzaï, de la formule qui est comme je te disais tout à l’heure : dire le maximum de choses dans un minimum de signes. Banzaï pour moi c’est ça, c’est une formule à la fois magique, à la fois qui contient toute une vie et toute une mort. Qui ressemble exactement au mouvement qu’on fait dans la vie. On se jette. Enfin, dans la vie artistique et dans la vie amoureuse. Exactement, ce que tu viens de dire. On se jette corps et âme dans un truc, sans savoir, enfin en sachant très bien qu’il n’y a pas de retour possible en fait. Parce que c’est soi on va être déçu totalement, soit ça va se finir dans la mort puis-qu’évidemment, l’amour est plus fort que la mort.

LFB : Ce qui est très intelligent, c’est qu’il n’est pas placé là par hasard non plus. Le placer dans le premier morceau et le lancer, c’est aussi une manière de dire : je me jette là-dedans et j’enclenche ce mouvement de non-retour en arrière.

Fils Cara : Exactement. Ça parle aussi d’une carrière aussi. Après, c’est un sens plus anecdotique mais en vrai, quand j’ai écrit ça, c’était en mode de me rappeler à moi-même qu’à chaque fois que je finis une chanson, il ne faut pas déconner. J’ai choisi une vie qui n’est pas la plus simple, bien que je sois extrêmement privilégié d’être ici et d’avoir ce qu’il faut pour vivre, pour manger et tout. Ça me rappelle aussi qu’avant, il y a eu d’autres choses avant d’arriver ici. Et après, il y aura d’autres choses aussi.

« Banzaï pour moi c’est ça, c’est une formule à la fois magique, à la fois qui contient toute une vie et toute une mort. »

LFB : Ce qui est drôle, c’est que pour moi, c’est la seule chanson où il y a un peu d’égo sur l’album, comme si tu voulais t’en débarrasser.

Fils Cara : Exactement. Tu as tout compris. Longtemps, elle a été à la fin de la tracklist. En réécoutant, je me suis dit qu’il fallait la mettre là comme ça, on part là-dessus et surtout ce deuxième couplet rappé, tout ces trucs-là, non on verra ça après. Je ne sais pas si tu as remarqué que le average BPM de tout l’album, c’est entre 100 et 120 et cette chanson est beaucoup plus lente que les autres. Du coup, il y a un truc un peu break beat qui correspondait à une belle intro je trouve.

LFB : On parlait de clair/obscur, de choses comme ça, mais sur l’album, l’amour est aussi considéré comme une drogue. C’est un truc qui peut te cramer et en même temps, sans lequel tu ne peux pas vivre. Je trouve que dans l’album et dans certains morceaux qui sont un peu moins lumineux, il y a cette idée là aussi des dangers aussi, si on ne fait pas assez attention, si on se lance trop.

Fils Cara : Carrément. Tu as noté des phrases de certains morceaux pour ça ?

portrait fils cara amaretto
Crédit : Marcos Rico

LFB : Même pas. Pour moi, il y a par exemple cette espèce de triptyque, qui marche aussi par rapport aux couleurs de l’album. Bébé dort, T’es belle et Cinécittà, j’ai l’impression qu’elles sont pas mises ensemble par hasard. Bébé dort, elle me marque parce que je la trouve hyper glauque, alors qu’on dirait une balade.

Fils Cara : Elle l’est. Pour moi, c’est une des chansons les plus réussies de ma vie parce que la violence qu’elle contient et l’exercice de style, d’avoir fait de la prosodie, d’avoir réussi à dire… A mon humble culture, ça n’a jamais existé le fait de dire le nom des notes et des accords quand je les chante. Ça rajoute aussi un volet de perspective qui est super profond.

LFB : Elle a un côté hyper enfantin et en même temps, hyper malsain.

Fils Cara : Bien sûr. C’est les conditions d’enregistrement aussi. Ce que vous entendez dans l’album, c’est la troisième fois que je l’ai chantée de ma vie. Explosé à La Rochelle. Parce que je sentais que c’était à ce moment-là que j’allais avoir la voix la plus profonde pour le faire. Et je n’ai jamais voulu la retoucher pendant deux ans parce que pour moi, l’enregistrement était là quoi.

LFB : Je trouve que l’agencement de l’album… Je l’ai beaucoup écouté mais à chaque fois, je n’ai pas pu l’écouter autrement que de A à Z. C’était impossible. Il y a des variations, des structures et l’agencement de l’album, je trouve qu’il est hyper important.

Fils Cara : Sur la tracklist, je me suis pris la tête. D’ailleurs, mes gars ne sont toujours pas contents de la tracklist mais moi je sais que c’est elle, tu vois. Ils continuent de m’engueuler, mais c’est cool. Là, ils commencent à capter en le réécoutant un peu que c’est ça la trackslit. Mais en fait, c’est parce que je l’ai pensé par rapport à cette image de l’île aussi. En fait, il y a beaucoup de paramètres qui sont rentrés en compte sur la structure de cet album. Pour moi, ce n’est pas une affaire marketing la tracklist. C’est vraiment une affaire poétique jusqu’au bout et il ne faut pas déconner avec la tracklist.

LFB : C’est ça. C’est comme le montage d’un film en fait.

Fils Cara : Exactement. Pour moi finir sur Sans rancune… D’ailleurs, à chaque fois, le truc qui revient c’est : pourquoi finir sur Sans rancune, mauvaise idée et tout.

LFB : On en parlera après mais pour moi, c’est l’élément le plus important de l’album de finir là-dessus.

Fils Cara : Je suis complètement d’accord avec toi. Bien sûr. D’ailleurs, à la toute fin, toute fin, il y a un son que j’ai enregistré. Je ne sais pas si ça s’entend mais il y a un petit rire de oim. Vraiment à la toute fin. Il y a un petit rire de moi et ça finit par un bisou au micro. Pour moi, c’était l’histoire de dire : je vous embrasse, c’est la fin. Il y a un truc marrant.

LFB : Pour revenir sur l’importance des origines italiennes, le fait d’appeler l’album Amaretto et d’assumer le côté italien dans toutes les composantes, parce qu’il y a des morceaux très italiens justement dans la composition et dans le style musical, qu’est-ce que ça a libéré en toi ?

Fils Cara : En fait, ça a libéré un pan de mon corps aussi. Pendant la conception de cet album, il s’est passé plein de trucs. Beaucoup de drames. J’ai perdu des gens très, très proches qui étaient de ma famille italienne, notamment mon papi Giuseppe qui était celui qui est arrivé en France et qui a créé cette lignée-là. Pour moi, c’était un moyen un peu de le rejoindre. En fait, le premier voyage que j’ai fait en Italie, pour aller shooter des images de la pochette, c’est le moment où il est décédé. C’était trop bizarre parce que vraiment, j’ai pris l’avion, je monte au ciel et lui, il est décédé quelques heures avant, donc il y a eu ce truc puissant.

Mais tout ça pour dire, que rejoindre sa terre, il y avait quelque chose de très lumineux là-dedans et je ne sais pas pourquoi, il y a eu un truc étrange qui s’est passé mais ça m’a débloqué le langage italien dans ma tête. Le fait de commencer cet album et le fait de sa mort, d’un coup dans ma tête, j’ai immédiatement, comme après un accident traumatique, développé une discipline pour la langue italienne. Et maintenant, je parle couramment italien. Donc c’est magnifique.

« Pour moi, ce n’est pas une affaire marketing la tracklist. C’est vraiment une affaire poétique jusqu’au bout et il ne faut pas déconner avec la tracklist. »

Après, ça m’a permis d’être assez passionné par les langues et tout. Donc je suis rentré dans un truc où j’ai commencé à kiffer aussi, apprendre d’autres langues. Tout ça pour dire que ça a débloqué un pan de mon corps puisqu’on a quand même une culture relativement basé sur la danse, sur le chant aussi. La culture traditionnelle sicilienne, c’est vraiment une culture paysanne qui a été imprégnée de plein de cultures différentes et notamment du Moyen-Orient. Il y a beaucoup de mots en sicilien qui ressemble à des mots de la langue arabe. Par exemple gisira qui veut dire île. Tu vois Al-jazeera la chaîne d’information. Toutes ces cultures là qui se mêlent, j’ai un peu l’impression que j’étais devenu une sorte de creuset alchimique. Une sorte de feu nouveau. C’est simplement que je me disais que j’étais devenu une île et que j’étais complet. Donc cette culture-là, que j’avais pourtant rejetée à un moment donné, m’est apparue.

LFB : Pour moi, ça libère aussi ta voix. Je trouve que si l’album est celui avec la personnalité la plus unique dans les perspectives, dans l’écriture, c’est paradoxalement l’album le plus multiple pour la voix et la façon dont tu l’utilises.

Fils Cara : Carrément. Et ce n’est pas fini. Je teste tellement de trucs maintenant. Après, c’est juste que je me suis découvert chanteur, c’est tout. Ça vient aussi de ça, de cette culture-là, du chant. En vrai, moi la famille, toute le monde joue un peu de guitare, tout le monde kiffe. Mon oncle, Eric, le parrain de Francis, est un super guitariste. Dans la famille, tout le monde connaît des chants. Là, ils sont venus me visiter. Je les ai amenés au point F, c’est incroyable.

On a chanté toute la nuit des chansons siciliennes, à hurler. Bien sûr, je sais que maintenant que la voix, c’est ce que je veux faire, de la travailler au maximum, de la chérir. Avant, je pensais que j’avais une voix seulement dans l’écriture. Et du coup, ma voix correspondait à une écriture. C’était un flot très rapide, pas très mélodique et blablatant. C’était un bel outil. Mais je suis passé à autre chose. Maintenant, mon but, c’est d’en dire le plus en disant le moins.

LFB : C’est un truc que tu partages avec Zed Yun Pavarotti. ce cheminement intime. Je trouve que c’est un truc que tu dis sur Mon plus beau costume, qui est un peu un titre de transition. J’ai l’impression que limite, cet album est aussi une manière de retirer Fils Cara pour laisser venir Marc.

Fils Cara : C’est une bonne interprétation. Je ne sais pas. Tu parlais de Zed Yun juste avant. J’adore le chemin qu’il est en train de faire. Je trouve que c’est extraordinaire ce qu’il arrive à faire. Dans l’hybridité et tout. Ce que j’ai essayé de faire, ce n’est pas vraiment de faire venir Marc mais c’est vraiment de faire advenir un déversoir comme disait Arthur Teboul. Je ne sais pas si tu as vu son livre et son petit shop dans le 3ème. Il a appelé ça le déversoir, je trouve ça très joli, en termes poétiques. C’était en fait un peu où Marc peut se déverser, mais où il sait qu’il est en sécurité parce qu’il est sous l’enveloppe de la performance. Et ça, je trouve ça très beau.

LFB : C’est comme s’il y avait une aura qui l’entourait.

Fils Cara : Exactement. J’ai l’impression que c’est un peu le mode super-saiyen et on peut un peu penser aussi à tous ces performeurs que je cite ces derniers temps en mode rockstar qui me passionnent comme Bowie, Iggie Pop, même certains acteurs ont ça aussi. Par exemple, Catherine Deneuve. C’est de pouvoir créer une aura autour de soi pour se donner à 100 % mais en étant protégé par une lumière très puissante.

LFB : Ça revient à ce qu’on disait au début de l’interview en fait. Chaque projet te permet de développer une facette différente. J’ai l’impression qu’un titre comme New York Times qui était très important à l’époque, tu ne l’écrirais plus du tout de la même manière aujourd’hui.

Fils Cara : Ouais, ouais, c’est marrant. Pour moi, New York Times, il y a encore un truc justement égotique et faussement naïf. En fait, je ne sais pas si je l’écrirais. Pourtant, je le joue encore sur scène parce que je trouve que c’est important et on a fait une version très rock, très bowiesque. J’ai hâte que vous l’écoutiez. Justement, pour avoir un truc glamour qui correspond à la chanson. Parce qu’en fait, c’est la forme qui ne convenait pas tellement. On l’avait rendu très sérieux en fait.

LFB : Oui, très sérieux. Dans l’emphase aussi.

Fils Cara : Exactement. Alors qu’en fait, ce n’était pas une chanson très sérieuse. Au bout d’un moment, c’est comme Joni Mitchell quand elle chante Both sides now à la fin de sa carrière, plutôt que quand elle la chante à 19 ans, ça n’a plus du tout le même sens. Bah là, New York Times, alors je ne suis pas du tout à la fin de ma carrière mais j’ai compris ce que je voulais dire dans la chanson. C’est un message pas du tout sérieux. Là, il y a un morceau que j’adore dans l’album, qui s’appelle Dernière fois, où je commence par « on est 7 milliards de colocs sur une maison qui s’écoule, j’écoute Never Mind the Bollocks et je me dis que la vie c’est cool ».

Ça correspond exactement à la vie que j’ai envie de mener. C’est une vie où le sérieux a quitté toutes les parties de mon cerveau. Parce que j’ai une tendance au sérieux qui est affreuse. Je suis trop sérieux tout le temps et je le vois dans les yeux de mes potes. Ils sont en train de kiffer et moi je suis là, je suis en train d’écrire mes trucs, c’est chiant, j’en ai marre. Cet album, c’est aussi un pas pour me dire : ouais, j’ai fait ça et je suis capable d’aller vers la lumière.

« on est 7 milliards de colocs sur une maison qui s’écoule, j’écoute Never Mind the Bollocks et je me dis que la vie c’est cool ».

LFB : C’est tout l’album en fait, cette recherche de sincérité, d’être pur, des choses qui vont à l’os et où toi, tu arrives à te regarder à l’instant T. Peut-être que dans dix ans Amaretto, ça ne sera plus du tout la même personne derrière.

Fils Cara : C’est sûr et certain. En revanche, je assez ravi d’avoir… D’ailleurs, il y avait d’autres chansons qui étaient hyper intéressantes musicalement et tout mais que j’ai virées de l’album, pour ça. Parce que je me disais que peut-être dans dix ans, je me dirais : mais qu’est-ce qu’elle fout là ? Là, étant donné que ça a maturé très longtemps et que j’ai déjà changé entre temps, je suis plutôt sûr que chez moi, ça va pouvoir vieillir un peu.

LFB : Pour revenir sur Sans rancune qui termine l’album et qui pour moi, entraîne une question très importante : est-ce que tu as l’impression d’avoir soigné des choses avec Amaretto, sur ta personne ? Parce que tout va par la sincérité du propos de cet album. Et comment ça t’a aidé à soigner ces choses-là ?

Fils Cara : Je n’ai pas soigné que moi je pense. J’ai soigné mes relations aussi avec les autres. Ma relation avec la mort aussi, qui est un truc que j’avais beaucoup de mal à régler. Enfin, on a toujours du mal à régler ces choses-là étant qu’on est mortels mais… Je suis beaucoup en paix avec ces idées-là et beaucoup plus en paix avec… Justement, c’est pour ça que dans mes remerciements de l’album, au lieu de faire un crédit, comme j’avais fait dans Fictions, je trouvais ça intéressant de plutôt parler des sigles de la vie et de la mort donc j’ai rendu hommage à mes proches qui étaient morts et aussi aux bébés qui sont nés pendant la création de l’album. Pour moi, c’était un beau cycle pour les crédits.

Mais Sans rancune en fait, on parlait du terme crépusculaire mais pour moi, Amaretto, j’appelle ça un album de grunge solaire. Pour moi, c’est le style qu’à mon humble culture, je suis le seul à faire maintenant depuis Amaretto. Le paradoxe est joli déjà parce que grunge solaire, tout est contenu là-dedans. Il y a l’égratignure du sombre et le solaire c’est toute cette lumière-là. Du coup, moi, Sans rancune c’est le premier morceau de grunge solaire qui a jamais été écrit. C’est un morceau que j’ai écrit avant l’album et qui a été un malheureux présage funeste parce que je dis : des amis s’enfoncent bas dans le sol et des tours se forment dans le ciel. Et en fait, quelques mois après, mon meilleur ami est mort. Avec qui j’avais écrit un livre de poésie justement et qui est très lumineux et qui nous avait beaucoup importé à ce moment-là.

En fait, ça a été un objet rituel de plein de choses. C’est pour ça que je suis autant ému à sa sortie. Hier à la release, j’étais au bord des larmes toutes les 1 seconde 30 parce que j’ai tout mis dedans. J’ai mis toutes mes relations. Je parle d’à peu près tout le monde justement, en étant un peu évasif sur certains trucs.

Mais le personnage de bébé qui revient souvent qui peut être à la fois une note, à la fois quelqu’un qu’on aime. Cet album est peuplé aussi, de toutes les voix de mes potes. Il y a Louis-Gabriel qui chante, Simon Gaspar, Felower. Ils apparaissent tous. Même au niveau de la musique, il y a tellement de petits bouts de vie. Dans le processus, on a été… Par exemple, Dernière fois, j’ai enregistré les refrains il y a très longtemps, genre en 2021, dans le Marais Poitevin. Tout le reste de la chanson, on l’a produit à Aubervilliers. Donc en fait, à l’intérieur du même morceau, et d’ailleurs Julien Delfaud a fait un travail de mix assez fabuleux parce qu’il a réussi à mixer des lieux différents, des reverbs différentes et des endroits. C’est pour ça qu’il sonne si unique et si bizarre cet album. Il a un son à lui.

Crédit : Marcos Rico

LFB : J’ai vraiment que c’est un album qui a été rattrapé par la vie. Du coup, qui parle aussi du « chemin parcouru » pour aller vers la lumière après des deuils ou des choses comme ça.

Fils Cara : Grave. Complètement. Je pense que c’est un chemin qui est nécessaire pour la poésie parce qu’on ne peut pas être inauthentique. Avant j’étais tellement terrorisé de tout ce qui allait m’arriver que mon mécanisme de défense, ça a été de me mettre en sur-confiance. Enfin, il peut arriver des choses à tout le monde. Je pense que là, je suis en paix avec ça.

LFB : Je suis très intéressé par ta vision du live, maintenant que vous êtes enfin 4 et qu’il y a un groupe derrière.

Fils Cara : J’aime bien que tu dises « enfin ». Tu as tout à fait raison.

LFB : Ce groupe peut te permettre de retransformer complètement les chansons aussi. Je me demande ce qui nous attend avec ce live-là.

Fils Cara : Alors, je ne vais pas dire ça de manière présomptueuse mais pour moi, quand tu as un band, soit tu fais du Prince, soit tu ne fais rien quoi. C’est tout ce que j’ai à dire. Non, mais il faut être intelligent et il faut faire du spectacle. J’ai la chance de produire un spectacle, tourner un spectacle. Donc je ne vais pas me foutre de la gueule des gens. Je vais faire un vrai show, un show long où je vais transpirer, où je vais me mettre en slip et où derrière ça va être le feu. Et je sais que les gars, ils sont tellement chauds pour ça. J’ai la chance d’avoir les meilleurs musiciens de leur génération derrière moi. Donc c’est parfait.

LFB : On est à presque 11 heures de la sortie de l’album. Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ? Comment tu le vois vivre ?

Fils Cara : Écoute, les objectifs ne sont même pas dicibles en fait. Je ne m’attends à rien. Je veux juste pouvoir continuer à être une meilleure personne, à pouvoir être le meilleur auteur que je puisse être. Comme je l’avais dit il y a longtemps, je pense que c’est un truc qui est trop important. Mais bien sûr, j’ai des objectifs numéraux on va dire. Mais c’est juste de pouvoir continuer à faire de la zik et de tourner surtout avec cet album. En fait, mon but vraiment là, c’est d’atomiser toutes les salles du monde entier et de terminer, éventuellement, au Madison Square Garden. C’est ça que tu peux me souhaiter.

LFB : Est-ce que tu as choses récentes qui t’ont marquées récemment ?

Fils Cara : Ouais. J’ai vu Everything, Everwhere, All at once qui est un très bon film, qui m’a fait beaucoup rire et qui prend ce bail du multiverse sous un œil très, très drôle. Donc ça, pour évacuer le sérieux, c’est pas mal. Et sinon, dans des trucs un peu plus sérieux, il y Au commencement était… de David Graeber, un anthropologue anarchiste que j’adore et qui refait un peu l’histoire de l’humanité sous l’angle de la vision des natifs colonisés. Donc ça, c’est assez magnifique. Notamment sur l’histoire de l’Amérique via des penseurs amérindiens. C’est super puissant en termes de refonte de nos imaginaires, pour essayer de partir un peu ailleurs. Il parle aussi de plein de trucs, comme la monnaie. Enfin, des choses qui m’intéressent en tant que pauvre (rires) et du coup, je pense qu’on peut y aller sur David Graeber.

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