(Exclu) Venus Berry nous lie dans son Shibari

Tabou, déluré, psychédélique, queer, parfois inquiétant… Non, vous n’avez pas suivi un lapin blanc qui vous a poussé à gober des champis dans un terrier. Vous avez seulement été touché par la grâce de la déesse de l’étrange : Venus Berry. On vous présente en exclusivité son nouvel album Shibari

Anouk Allard, alias Venus Berry est une artiste complète. Plasticienne, musicienne, compositrice elle a écumé les salles de Bordeaux où elle expérimente la noise, le synth punk l’ambiant et l’électro, toujours plongée dans un univers onirique et hallucinatoire. Elle est aujourd’hui rejointe dans ses trips par Antoine Sapparrart (Précheur Loup) à la basse et Jules Méli (Cockpit) à la guitare. 

Après 4 EP, Venus Berry sort désormais son nouvel album Shibari, ou l’art du bondage à la japonaise. Une dimension érotique tout autant assumée sur la pochette. D’un rouge vif provocateur, elle est illustrée par le dessin d’une main gracieuse dans laquelle s’enroule telle une corde un serpent gris. La tentation, la perversion, voilà un Eden qui nous plait. 

Introduction grandiose et ultra cinématographique avec Le Mépris (de Godard ?). La mélodie du synthé résonne comme hors du temps, toute droite sortie d’un gramophone grésillant alors que le bruit de la pluie tape au loin… Dès le premier morceau Venus Berry fait apparaître son talent d’artiste plasticienne, capable de donner du relief et du visuel à travers sa musique.

Le titre éponyme Shibari apparaît dès la seconde piste, introduite par des percussions industrielles et un synthé vaporeux. Une voix vient susurrer des mots japonais tout en douceur telle une geisha des temps modernes. Avant que l’instrumentale se mette à onduler de façon inquiétante tel un avertissement quant aux intentions de notre hôte… 

Plus post punk, Chien De La Casse amène un univers totalement différent. Une boucle de guitare, une caisse claire bien saccadée, et surtout une voix en écho qui scande et interpelle son monde. 

Une idée qui sera amenée plus loin avec Les Enfers, vrai morceau engagé et provocateur. Avec ses airs de theremine  toute droit sortie des abimes (ou d’un trip sous LSD dans les 70’s), la voix devient prophète de l’apocalypse. Tel un pasteur évangéliste, elle arrange les foules, prêche l’amour de Dieu tout en poussant au viol des salopes et à la damnation des gens de gauche. Vraie création artistique et militante, on ne peut qu’imaginer le jeu scénique fascinant qui doit se mettre en place. Chacun se retrouvant à son tour pointé du doigt pour ses « pêchés » et violentés par l’Église. 

Sortant de tous sentiers battus, l’album propose aussi des lignes mélodiques aussi étranges qu’envoutantes. Me Quitter en est le parfait exemple avec son rythme tribal, ses graves inquiétantes et sa voix qui glisse sur les instruments de façon totalement naïve et innocente. Un contraste percutant illustré à merveille par un sublime clip. Vraie pépite visuelle dans un siècle passé fantasmé. Un univers queer affranchit des codes et de la bienséance, qui prouve à merveille le talent du groupe pour éveiller nos imaginaires les plus refoulés.

Beaucoup plus violent et sauvage,, Sonoé propose encore une nouvelle facette du groupe. Dans l’expérimental pur et dur, on navigue un peu déroutés dans cet univers angoissant et particulièrement visuel. Impossible de ne pas se faire envahir d’images, un tableau se dessine, une architecture de métal écrasante pour ma part. Ces guitares saturées et terriblement troublantes se poursuivront sur Le Spleen.

Morceau final, Danse Avec Moi Ce Soir est sans doute le plus orienté ambiance et expérimental. Quelques notes de pianos en boucle ponctuent l’introduction alors que le synthé résonne dans un échos linaire. Percussions et voix venue de très loin laissent place à quelques notes de guitare grésillante, dans un effet aussi trippant que dépaysant.

Venus Berry ne propose pas ce que l’on appelle un album « facile ». Il va vous bousculer, vous sortir de la zone de confort où vous étiez bloqué depuis quelques temps, revisite, expérimente, invente, dénonce, pour un choc musical comme on voit peu. Ce qui le différenciera de projets un peu plus conceptuels, c’est le talent du groupe à nous envahir d’images et d’histoires. Comme un tableau, rien n’est gratuit, chaque coup de pinceau, chaque couleur est choisie avec discernement pour constituer avec grâce une émotion ou un univers. Plus qu’un projet musical, on a envie de parler de projet artistique et sociétal. L’auditeur est totalement pris à partie, bousculé dans ses retranchements, sollicité dans ses pensées. Afin de basculer dans leur univers et ainsi devenir un personnage de cet album…