Entre force et tendresse : Canine et Silly Boy Blue à la Cigale

Si l’ on devait choisir parmi nos nombreux chouchous de l’année 2019, on pourrait dire que Canine et Silly Boy Blue nous ont marqué au fer rouge. Des projets féminins, forts, différents dans la forme mais qui mettent au cœur de leur ADN musical les sables mouvants des sentiments. On n’était pas étonné de voir une connexion naître entre ces artistes (qui a pris la forme d’une sublime version du Jardin de Canine) et il nous semblait impossible de ne pas nous rendre le 02 octobre à la Cigale. Retour sur un concert qui nous a laissé K.O.

Photo : Lisa Miquet

Certains instants dans la vie ont la saveur du rêve. Ce genre de moments où l’on ne sait pas vraiment si il s’est réalisé ou non, si ce qu’on a vu et ressenti est de l’ordre du réel ou du fantasme. Lorsqu’on se rend vers la Cigale, en ce soir de début octobre, la tête embuée dans les vapeurs d’une soirée trop arrosée la veille, on ne le sait pas encore mais c’est ce genre de moments que l’on s’apprête à vivre. Le genre de moments dont on ressort aussi épuisé que si l’on avait été sur scène, avec la sensation que tout un tas d’épreuves ou de moments de notre vie nous ont amené vers ces 2h30 de spectacle aussi total que bouleversant.

Photo : Lisa Miquet

C’est ainsi que nous pénétrons dans cette sublime salle qu’est la Cigale, l’air un peu hagard et à peine réveillé d’une sieste pas si salvatrice. On se place tranquillement en devant de scène et à peine le temps de voir que la salle est déjà bien remplie que Silly Boy Blue débarque sur scène. On l’a déjà dit, on connaît bien le projet d’Ana, mais une nouvelle fois, on prend toujours autant de plaisir à la voir sur scène car elle ne cesse jamais de nous surprendre. On se plait à la voir évoluer, grandir et affirmer un projet et un propos de plus en plus impressionnant et maîtrisé. La preuve : même quand un soucis technique la prive momentanément de son, la jeune femme ne se démonte pas et continue son show comme si de rien n’était. On en connait plus d’un qui se serait dissous face à tel problème et la voir ainsi nous prouve bien toute l’évolution qui est la sienne depuis le début d’année.
Ana, de son nom au civil, navigue et tangue au cœur de ses émotions et nous les envoie par vague notamment sur des titres comme Lanterns ou l’évident tube The Fight. Seule sur scène, sa musique vit dans le son mais aussi dans son corps, à travers une interprétation de plus en plus théâtralisée où les mains, le regard et les mouvements en disent autant que les mots. Une petite pointe de frustration tout de même de ne pas avoir entendu résonner la sublime You’re Cool mais ça sera pour une prochaine fois, on sera au rendez-vous.

Vient alors le moment que beaucoup attendaient. On avait déjà vu Canine en concert, mais c’était en formation réduite avec ses quatre chanteuses. On avait vu alors la partie émergée de la meute, sa formation réduite. Ce soir-là c’est l’entièreté de la bande qui s’est dévoilée à nous. Treize sur scène (plus les techniciens, responsable ce soir là d’un travail fabuleux que ce soit au niveau du son mais aussi des lumières spectaculaires). Une mise en scène improbable pour un moment où le « je » n’existe pas, mais où le « on » collectif prend toute sa forme. Un moment d’unité entre une artiste, sa meute et un public à l’unisson.

Photo : Lisa Miquet

Car comment définir cette heure et demie passée en compagnie de Canine ? Le terme « spectacle total » semblerait approprié, mais il est encore hasardeux pour nous. Un instant suspendu peut-être ? Là encore, il reste un goût de trop peu par rapport à ce qu’on a vécu. Peut-être au final que la déclinaison scénique qui nous est apparue de Dune pourrait être vue comme un tsunami. Un tsunami de son et d’émotions dont personne n’est ressorti indemne. Une déclinaison poétique et politique d’un album qui met en avant autant l’hyper-sensibilité, la féminité que l’émancipation. Ce soir-là, on aura touché du doigt la beauté dans ce qu’elle a de plus infini, on aura vibré aussi fort qu’on aura pleuré. Des souvenirs gravés sur la rétine de notre mémoire, des sensations à jamais collées à notre peau. On vire peut être dans l’emphase, mais comment ne pas sombrer en elle face à l’interprétation qui nous a été offerte. De Ventimiglia en passant par Sweet Say, Twin Shadow ou ces versions sublimes de Bienveillance (qui nous aura fait tanguer la tête et l’âme), Jardin ou Temps, c’est un moment proche de la merveille que nous avons vécu. Ce soir-là, Canine ne nous aura pas menti, elle nous aura séduit encore et toujours. La suite, vite.