Rencontre avec EggS

En fin d’année passée, EggS a dévoilé son premier album : A Glitter Year. Un album qu’on a écouté encore et encore, pour notre plus grand bonheur. On a donc eu grand plaisir à les rencontrer en début d’année. L’occasion de revenir notamment avec eux sur le mode de fonctionnement du groupe, sur l’écriture et sur l’importance du duo basse-batterie.

Crédit : Loélia Duboc

La Face B : Salut EggS, comment ça va ?

Charles : Comment ça va… ça va bien.

Léo : Très bien. J’ai fait mon anniversaire, je suis en gueule de bois.

La Face B : Avec une bière ?

Léo : Avec une bière !

La Face B : Guérir le mal par le mal… J’ai une première question hyper intelligente, si je vous dis que votre album il a mus des paillettes sur la fin de mon année, est ce que c’est quelque chose qui vous fait plaisir?

Charles :Oui, carrément, carrément. C’est cool, c’est cool. Si c’est vrai, c’est… cool !

La Face B : C’est très très vrai. J’ai une autre question hyper intelligente… Vous êtes sept sur scène, vous avez un nom qui veut dire Œufs en français… C’est une volonté cruciale pour vous de vous auto saborder ? (rires)

Charles : (rires)Il n’y a pas une volonté de s’auto saborder. On n’a même pas pensé à la politique des réseaux sociaux, tout ça. On n’était pas du tout dans ce truc-là quand on a trouvé le nom. Et il y avait peut-être une volonté de rester un peu, toujours anonyme et tout. C’est un espèce de clin d’œil à la scène au début qu’on aimait particulièrement, avec des groupes qui avaient des noms un peu random comme ça, qui ne disaient rien de ce que la musique allait être en fait. C’est un peu l’idée de l’anonymat.

La Face B : C’est un peu un Kinder surprise, quoi. C’est ouvrir l’œuf pour voir ce qu’il y a dedans (rires)

Et y a un truc hyper politique qui est de faire un groupe et de jouer à sept dedans…

Charles : Ça, c’est un truc qu’on nous a dit plusieurs fois même, tu vois, Tom du label (howlin banana records ndlr) nous disait « Mais il y a presque un choix assez radical de faire ça aujourd’hui ». Je pense qu’il y a un truc un peu politique dans ce truc-là. Mais l’idée, c’était de faire un truc, de vouloir faire de la musique, un genre de mur sonore et tout. L’idée, c’était de voir comment on pouvait le servir le mieux et parce que ça marchait à 7 ,fallait que ça soit comme ça. Voilà.

La Face B : Dans une interview tu as dit que ça se rapprochait presque du fanzine, qui est aussi une idée hyper politique de la défense de la musique…

Charles :Exactement, exactement. En fait, on est totalement pas taillés pour comment fonctionne la musique aujourd’hui, et notamment en France. J’ai l’impression que, tu vois par exemple pour les pays anglo-saxons, l’Australie, les États-Unis, les pays anglophones quoi, ils n’ont pas du tout ce schéma, ça peut marcher. Tu peux être quinze même vingt, on s’en fout. Le modèle, entre guillemets de fonctionnement de la musique et de financement de la musique, ça marche. A sept, en France, c’est plus le bordel. Mais ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas une bonne chose aussi le système français. C’est très bien que les musiciens soient salariés, et cetera. Mais du coup, on découvre que c’est une vraie galère pour tourner exemple.

Ce qui compte, c’est d’abord la musique. En France, par exemple, quand j’ai discuté avec des tourneurs, ils m’ont dit « Mais en fait, si vous voulez qu’on vous fasse jouer dans le modèle actuel français, en gros, EggS, ça coûte 2000 balles » pour qu’ils commencent à gagner de l’argent. Il n’y a aucune salle qui est prête à payer 2000 balles pour un groupe qui va faire venir 100 pelos maximum. Donc il y a effectivement un truc politique dans le sens où ce n’est pas l’idée, on ne va pas défoncer l’intermittence… Des groupes comme nous, ça ne peut exister que dans des réseaux de caves…

La Face B : Cette idée de premier album elle vous est venue comment ? Pendant un moment, vous ne sortiez que des singles… Il y a cette volonté presque instantanée de sortir de la musique sans forcément sortir une collection de titres en fait…

Charles :Effectivement. C’était d’ailleurs en partie le modèle. On s’était dit, je me souviens qu’on avait monté le groupe, « De toute façon, on ne sortira jamais d’album. On ne va sortir effectivement que des singles ». L’idée, c’était dans l’instantanéité du truc, un peu pour passer… Ensuite on cite toujours ces labels, mais qui sont en fait assez éloignés, non pas de la musique qu’on écoute, mais je pense, de la musique qu’on fait. Et effectivement, cette idée de on fait des singles et le COVID ont fait, depuis qu’il y a eu un confinement, tout ça, on s’est mis à écrire pas mal de morceaux, à répéter beaucoup et on avait assez de matière pour faire un album complet. Et du coup, on s’est dit OK, on tente l’album et on avait pas mal parlé ensemble. Et quand on a Margaux et Camille, qui sont arrivées dans le groupe pour travailler justement cet album, moi j’étais toujours au début dans mon idée de on va continuer à faire notre truc nous-mêmes de notre côté, en disant on enregistre sur mesure, on fait notre truc. Et ils m’ont convaincu en me disant « Là, on pouvait essayer de peut-être servir différemment l’enregistrement, le travail en studio etc ». Ce qui a fait que voilà, on avait assez de matière pour faire un truc qui tienne sur album et voilà.

La Face B : Glitter year c’est pour l’année qui est passée ou c’est celle qui va venir ? (sourire) Foncièrement positif, qui n’est pas forcément dans l’album…

Charles : Tout à fait. C’était ça aussi un peu l’idée du titre de l’album, c’est d’avoir un truc un peu en contraste de ce qu’on vivait à ce moment-là et de ce qui était écrit dans les chansons. Et c’était un petit clin d’œil. J’écoutais avec ma copine pas mal les Bangles. C’est un groupe années 80, elles ont fait un titre qui s’appelle Glitter years. Et du coup c’était un peu un clin d’oeil.

La Face B : Si je te dis que pour moi, Glitter year c’est beaucoup de tristesse et des idées assez sombres, mais qui sont déversées avec assez d’énergie et d’ironie pour que ça rende le tout joyeux…

Charles : Oui. Je pense que c’est ce qui ressort un peu de notre musique. Moi, j’aime beaucoup les groupes qui sont vachement sur les mots, mais où ils pèsent vachement d’énergie là-dedans. Les mecs ils sortent leur truc du quotidien voilà, mais avec un peu d’énergie punk, c’était un peu ça l’idée, je pense.

Crédit : Cédric Oberlin

La Face B : Il y a le côté trucs du quotidien. Mais je trouve qu’il y a un côté très observateur dans la façon dont les morceaux sont écrits, au niveau des paroles. Il y a un truc, presque, tu les prends sans la musique qui sont presque de l’ordre du poème pour certains.


Charles
 : C’est cool de dire ça. Il y a vraiment des musiciens que j’adore, notamment beaucoup les Anglais. Je pense à Ray Davies, par exemple, des Kinks. C’était vachement le truc d’écrire pour décrire un peu le quotidien de leur vie, puis essayer de la mettre un peu en emphase. Mais en même temps, il y a ce côté emphatique dans la musique anglaise de l’époque, ce qui fait que ça transcende ce que tu racontes.

Mais oui, c’est en tout cas les textes. C’est un truc hyper important. Pour pour nous, dans la l’écriture de la musique, etc. Mais ce n’est pas ce qui vient en premier. Ça vient un peu en même temps. En fait, on ne peut pas aboutir à un morceau de 400 sans qu’il y ait un travail sur le texte. J’ai du mal maintenant à arriver en répète avec un morceau qui ne serait pas écrit d’abord. J’ai besoin que ça soit écrit et que le texte soit là.

La Face B : Si je te dis que du coup, il y a un côté presque folk… Et sur ta façon de chanter aussi.


Charles :Mais complètement. C’est parce qu’en fait, c’est écrit folk au début.

Manolo  : C’estécrit en guitare-voix à la base et après on se greffe dessus. Charles arrive toujours en répète avec un guitare voix qui est à peu près ce que va être le morceau. Et derrière, on se greffe dessus, on fait toujours des arrangements. Mais c’est comme il dit, il faut qu’il soit bien avec une guitare voix. S’il arrive avec le guitare-voix qu’il en’st pas bon, c’est que le morceau n’est pas bon et qu’il ne faut pas le jouer de base.

La Face B : L’exemple le plus frappant, c’est Turtle island qui finalement est un guitare-voix…

Charles : Complètement.

Léo :Et qu’on avait fait. On avait fait en groupe aussi. On a vu. Au final, on ne l’a pas mise en groupe, mais elle sonne très bien comme ça. Et tous les morceaux sonnent de base comme ça quand même avant.

La Face B : Je trouve qu’il y a un respect presque militaire pour la section rythmique sur l’album, je trouve que la batterie et la basse sont limite au centre du morceau et après, il y a le bordel autour…

Charles : Alors ça, pour moi, c’est hyper hyper important. C’est-à-dire que je le dis tout le temps. C’était un mec dans un autre groupe qui m’avait dit qu’un groupe ne peut jamais être meilleur que son basse-batterie. Et en fait, c’est vraiment vrai. C’est à dire qu’il faut que le truc, c’est à dire que c’était surtout une bonne compo. Mais si t’es un basse-batterie merdique, ça ne marchera pas. Et c’est vrai que le côté basse-batterie entre Rémi et Manolo, il était hyper important et c’est ce qui fait que le groupe marche comme ça. Parce que t’as effectivement raison, t’as un basse-batterie qui est méga solide.

Léo :Oui, c’est qui permet de nous amuser derrière, c’est que ça tient la route. Ça tient la route rythmiquement.

La Face B : On a une colonne vertébrale qui est très solide, mais en même temps, t’as des vertèbres qui se barrent un peu en couilles de temps en temps (rires) Que ça soit sur certains sons de guitares ou sur le saxophone, qui rajoute je trouve beaucoup choses aussi sur les morceaux. Le fait d’avoir ce truc très carré permet la liberté du reste autour…


Charles 
: C’est ça en fait, ce qui fait que je pense que les morceaux ont marché, notamment sur album, c’est que t’avais un truc qui était hyper solide et que derrière toutes les idées qu’on avait, elles pouvaient passer parce que tu vois, tu avais un truc qui bougeait pas. Et t’avais en fait l’énergie qui était là. Et puis après, ok, chacun pouvait inscrire sa personnalité sur le truc.

Léo :Tout le monde nous dit que c’est à deux doigts de se casser la gueule à chaque fois (rires)

La Face B : Tu sens que c’est une musique qui est vivante et qui capture des instants plutôt que de capturer la perfection. Ce n’est peut-être pas les meilleures prises, mais c’est celles qui vous correspondent le mieux en fait.


Léo
 :Il y a eu très peu de prise en plus en général, il y a eu quand même assez peu de prises.

Charles :Oui, c’est trois/quatre maximum.

Léo :C’était joué en semi live. C’était rare qu’on ne fasse qu’un instrument. Il y avait souvent le sax avec une guitare ou alors la basse avec la batterie. C’est rare qu’on enregistre juste un instrument hyper chiadé parce qu’on ne sait pas le faire aussi (sourire).

Charles :Mais c’était vachement ce qui animait lors de l’enregistrement, le truc de dire ce n’est pas la meilleure prise effectivement mais c’est celle où il se passe le plus de trucs. On était toujours à se dire s’il se passe un truc, ça va donc ok, on y va.

crédit : Cédric Oberlin

La Face B : Ce qui est intéressant, c’est que les voix ne sont jamais délaissées non plus. Tu parlais de mur du son, mais il y a aussi la voix qui ressort malgré tout et qui drive aussi les émotions que ce soit la tienne ou celle de Margaux, qui est plus ironique et qui tranche un peu…


Charles
 : Tu parles de Local hero ? On avait fait Local Hero, notamment avec Margaux. On s’était dit OK, on va, on va aller dans le cliché à fond, c’est le truc questions/réponses. Et donc moi, ce que j’ai dit est important parce que c’est un truc assez perso dans l’écriture. T’as Margaux qui le fait un peu à contre-pied en second degré et il y en avait un peu, notamment l’idée, je pensais à R.E.M, ce morceau-là avec la meuf des B52’s. Ily a vraiment un second degré et c’est vraiment ça, d’apporter ce truc-là.

La Face B : Justement, est-ce que t’as besoin qu’on casse le sérieux de tes paroles par moment ?


Charles
 : Euh, oui mais sans tomber dans le pastiche. C’est-à-dire que le jour où, tu vois, ça devient presque une blague, je crois que ça ne marcherait pas. Parce que si je ne crois pas à ce que je raconte, ça serait compliqué. Mais ce que j’adorerai, c’est, par exemple, arriver à avoir à écrire des choses aussi, avec du second degré, mais pas qui soit de la grosse blague ou machin, mais vraiment dire des trucs un peu sous l’angle de l’humour, mais en même temps qui soit vraiment un truc intéressant à raconter… Pas faire le morceau kermesse quoi.

La Face B : Et vous, vous n’intervenez pas dans l’écriture ?


Léo : Pas des paroles. Des structures. On a fait des expériences, ça n’a pas marché. Mais c’est comme ça que ça marche et que lui, il arrive à quelque chose qui est très, très personnel. Et ça marche parce que c’est personnel. Si on commençait à chacun donner notre avis, ça n’irait pas. Ce qui est intéressant, c’est que nous, on se greffe sur les mélodies, sur les structures. Mais ce qui ressort, c’est ce que Charles a envie de dire. C’est ça qui est important. Il y a une unité aussi dans l’album et dans ce qu’on fait.

La Face B : Tout à l’heure, tu parlais des choses que vous saviez faire ou pas, le fait d’avoir embarqué des gens extérieurs au groupe pour enregistrer l’album, qu’est-ce que ça vous a apporté ?

Léo :Énormément. Des gens extérieurs au groupe, c’est-à-dire qu’on évolue dans notre petit milieu indé parisien. Et personne n’est vraiment extérieur, que ce soit le public, que ce soit le mec qui enregistre, le mec qui masterise. La personne qui nous soutient derrière le camion… Ce n’est jamais des gens vraiment extérieurs. Par contre, ils ont apporté leur truc qui a fait que peut être l’album est différent de ce qu’on faisait avant et qui a permis d’aller un petit peu plus loin. D’avoir des autres avis aussi sur ce qu’on fait. Quand Alexis est venu, il est arrivé aussi avec son oeil et son oreille. Guillaume pareil, même s’il avait enregistré les albums précédents avec nous. Et oui, ça nous a apporté un peu de sang neuf, mais ce n’est pas extérieur extérieur. C’est différent quand même.

Charles : Il y a beaucoup de gens qui tournent autour et qui pourraient tout à fait jouer dans le groupe. Ils pourront jouer dans le groupe. Il y a un peu cette idée-là, un peu famille.

Léo : A géométrie variable.

Charles : On ne s’interdit pas demain de faire venir d’autres personnes. Partout où il y a un truc qui bouge, il y a un socle qui est là, si tu veux. Mais ça n’empêche pas que demain, il y a d’autres personnes qui peuvent venir jouer dans le groupe. Le truc, c’est d’être une scène.

Léo :Et c’est là où ça rejoint le fanzine aussi. Oui, c’est la collaboration de tout le monde.

La Face B : Même si vous allez me contredire, je le sais mais l’album a un certain écho quand même en France, même à l’étranger aussi, malgré tout. Est-ce qu’il y a l’envie d’être des local heroes justement ? (sourire)


Charles
 :Il y a l’envie de jouer. En fait, en gros, c’est le truc, c’est on a envie de jouer sur scène, de se planter. Quand il y a du monde, quelqu’un qui en plus est intéressé par ce que tu fais, ça facilite la possibilité de jouer dans des endroits, etc. Et de voir que tu as des gens qui viennent, qui sont contents de nous voir sur scène, c’est après un vrai plaisir. Après devenir des rockstars et tout… Je ne pense pas. De toute façon, on sait très bien qu’on ne le sera jamais et.. Je pense qu’il n’y a pas d’envie. Tu as envie de faire de la musique et de la présenter en live. Tu vois le jour où il n’y a plus ça, le jour où on va penser différemment, tu vas dire on va penser album dans quel sens on doit aller pour que ça plaise, pour que ça continue. Là, je pense que ça ne marchera plus.

La Face B : Ca se ressent dans l’album. J’ai l’impression qu’y a un besoin de garder un pied dans la réalité pour pouvoir écrire des choses…


Charles
 : Oui, c’est assez clair, mais en tout cas, c’est dans ce sens-là qu’il y a un truc un peu politique. Je n’ai pas envie de raconter des trucs qui ne me parlent pas, donc oui parler du boulot, de ce que c’est que d’être dans la musique… Parler des frustrations qui ne sont pas terribles en fait, d’avoir des frustrations comme ça, des fois, ce n’est pas génial. Tu vois, de parler de ces choses-là.

Léo :Nous, c’est pareil, on bosse tous à côté, il n’y a pas que ça. En tout cas, se professionnaliser ça n’arriverait pas parce que ce serait impossible avec ce genre de choses.

Charles :Mais Local Hero, ça me va bien parce que tu vois, je les ai pas encore cités, mais les Guided by Voices ont toujours été des héros locaux.

La Face B : Et du coup, j’ai une dernière question, ce qui a mis des paillettes dans vos vies à vous récemment…

Léo : Pas grand-chose en ce moment. Si l’album et de jouer, de voir, de voir que ça marche bien, de voir que les gens suivent ça et de voir qu’on arrive encore à enregistrer quand on va recommencer à faire des choix de nouvelles. Ça, c’est un peu se dire que après l’album, on va recommencer à faire des singles, peut être sortir des petits trucs et tout ça et continuer ce qu’on fait, parce qu’on aime bien ce qu’on fait.

Charles : Moi, j’ai une petite fille. Donc il y a des galères, mais tous les jours, c’est cool (rires)

Léo :C’est un bon sujet pour faire un prochain album. La parentalité. (rires)

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