À la découverte de Demain Rapides

Un choc, puis deux … cette année, notre vraie rencontre avec Demain Rapides s’est faite par deux lives monstrueux, aussi intenses et humains que peut l’être Damien. On n’avait donc qu’une envie, en découvrir plus sur le récent vainqueur du Prix du Jury des iNOUïS du Printemps de Bourges. C’est désormais chose faite avec cet entretien.

La Face B : Salut Damien, comment ça va ?

Demain Rapides : Je pète le feu (rires) Je suis totalement éclaté, les épreuves d’immunités de cette année sont plus corsées que la saison précédente, vivement la réunification !

LFB : On est aux iNOUïs du Printemps de Bourges, comme tu représentes ta région, je me demandais quelle influence avait eu le Nord sur ta musique et la façon dont tu l’envisageais ?

Demain Rapides : Je pense que Le Nord a bien marqué quelques sonorités et quelques BPM que je fous dans mes prods. Je reste en bonne partie cet enfant de la ducasse, des lasers et des compilations techno/dance des 90’s début 2000. Dans le Nord mais surtout en Belgique, nos trop cools voisins, on est assez fort pour ça. Très tôt, je me suis pris ces ambiances en plein dans les dents entre deux tirs à la carabine et une pomme d’amour qui te blesse le palais. Grâce ou à cause, tu peux choisir, des écoutes de mes frères et sœur. Le tout reste bien dans le cou comme ce suçon que tu tentes de cacher pour au final mieux le dévoiler, tu saisis ? (rire)

LFB : C’est pas mal comme idée ! Moi quand j’écoute ta musique, j’ai l’impression d’être face à un sale gosse hyper talentueux qui a envie de tout péter dans le système. Est ce que l’idée te convient ?

Demain Rapides : Je prends ça comme un compliment mais en réalité j’ai plutôt l’impression qu’on fait tous un peu partie du système. Il n’y a que Néo et Trinity qui parviennent à s’en extraire et à le péter réellement. J’ai très peu d’espoir concernant l’avenir. On avance dans la mauvaise direction main dans la main en chantant le générique de fin et on ne s’en inquiète pas vraiment. C’est nécessaire de rester ce petit hack dans la grosse machine pour garder un peu de sens, tu sais ? Mais c’est pas toujours simple, ça demande efforts et sacrifices.

LFB : Finalement, Demain Rapides est pour moi très ancré dans le réel. J’ai l’impression qu’il y a une forme d’ennui qui se diffuse et l’envie de fuir l’ennui et des choses un peu désespérantes à travers ta musique.

Demain Rapides : Tu vises juste une fois de plus. Je réfléchis … c’est sensible et délicat comme point, mais ouais en bonne partie. J’aimerais tout de même nuancer car me concernant la fuite n’est ni totale ni régulière, elle arrive quand il est nécessaire de trouver meilleur point de sauvegarde, nouveau checkpoint. Aujourd’hui je les invoque ces choses désespérantes alors qu’hier elles rentraient chez moi sans vraiment frapper à la porte, les mains vides mais bien serrées. Aujourd’hui c’est plus simple d’en venir à bout mais avant ça il a fallu connaître un peu la domination et le genou à terre

Il y a un lyrics de Jeune LC que j’aime énormément : « à force de m’battre contre moi-même j’ai appris à m’défendre« , on y est. Je pense que cette idée du combat contre soi-même serait plutôt pour ma part un voyage en soi-même, aucun confort, un voyage en soute. Une sorte de cartographie de tout ce que nous sommes pour potentiellement trouver les bons chemins, ceux qui nous éloignent de nos propres précipices, tu saisis ? Tomber en soi et ne plus parvenir à se relever, c’est triste à mourir. Je crois aussi qu’il existe des moments d’évasion plus directs, plus passifs et toujours grâce à la musique… Juste par le geste de mettre un casque sur ses oreilles, de quitter le chaos l’espace d’un morceau ou d’un album, tu sais ?

LFB : L’autre truc qui marque dans ta musique, c’est ta manière de faire des parallèles entre l’amour et les métaphores de bagnoles. Tu parles beaucoup de voitures, mais on sait que tu parles d’amour dans tes chansons (rires).

Demain Rapides : Le pire c’est que je te parle de voiture de manière assez récurrente, mais je n’ai même pas le permis. C’est même pas un fantasme d’avoir des voitures incroyables car je ne m’y connais absolument pas. J’ai 2-3 modèles cinématographiques qui dérapent parfois dans ma tête mais ça s’arrête vraiment là. Ce que j’aime avec l’idée de la voiture c’est qu’on a un voyage qui s’opère entre un point A et un point B plus ou moins défini. Entre ces deux points c’est l’aventure, l’imprévu et la découverte des autres, du monde, de son monde, c’est assez ouf quand on y pense. L’évasion, le road trip sans réelle fin donc peut-être toujours un peu au début des choses. Ce qui est beau selon moi en amour c’est de découvrir l’autre comme un paysage défilant, qui s’ouvre, qui danse, qui nous absorbe et qui nous change. Mais aussi d’accueillir ses sécheresses, ses tempêtes et mirages.

J’aime beaucoup les objets représentant ou amenant la liberté dans le cinéma, l’art ou la littérature. Le radeau de Huckleberry Finn, les BMX des kids dans Gummo ou la bécane de Victor Novak dans l’Instit. Tu vois quand Huckleberry Finn décide de fuir sa réalité en partant sur un radeau, c’est là que les choses deviennent intéressantes. On peut y voir une fuite mais c’est avant tout un affrontement avec hier qui est en partie déjà gagné. Ta main dans le feu tu t’empresses de la retirer, ce n’est pas une fuite mais un sauvetage… Je crois aussi que la voiture m’intéresse énormément pour sa complexité mais surtout pour son champ lexical incroyable. Source d’inspiration pour les 5 prochains albums, au moins.

LFB : Si on regarde, la voiture représente aussi parfaitement ta musique. Il y a le côté un peu froid et mécanique des productions corrélé aux émotions et à la chaleur de ce qu’elle apporte.

Demain Rapides : Ah ouais carrément … Putain c’est beau, je peux pas faire mieux que toi sur ce coup mon pote (rire)

( Forbon N’Zakimuena, présent sur le festival pour son spectacle Tu Mues Tu Meurs, passe devant nous et salue Damien)

LFB : Forbon, tu veux dire un truc sur Demain Rapides ?

Forbon : Grave avec plaisir ! Demain Rapides, c’est un ouf, c’est un tueur ! Je veux absolument que vous mettiez ça dans votre interview ! Ce mec va tout péter, il va changer la face du rap. Des vibes comme lui on n’en a pas, il en manque en France ! Rapido, Demain Rapides ! Il arrive, surveillez le ciel les gars (rires)

Demain Rapides : Il veut que je porte son canapé pour son déménagement, c’est pour ça !

Forbon : J’ai même ramené mon fils dans un de ses clips, c’est pour dire à quel point je crois en lui !

Demain Rapides : Big Up Ézéchiel, on t’aime !

Forbon : Bon allez, faut que je bosse moi aussi (rires)

LFB : … Du coup on parlait du côté froid de ta musique et des émotions qu’il apportait. Comment tu fais l’équilibre entre tout ça, avec la voix aussi ?

Demain Rapides : Je ne vais surtout pas essayer de rendre ma musique hyper intelligente, c’est assez inconscient tout ça. Je dirais que c’est plutôt instinctif que inconscient. Je refuse d’avoir une recette particulière. C’est le début de l’ennui et de la médiocrité selon moi. Je pense que l’équilibre dont tu parles ne vient pas directement de moi mais plutôt de tout ce que j’ai pu bouffer hier et aujourd’hui. Cet équilibre c’est une mosaïque merdeuse de mes références, écoutes, lectures, visionnages, rencontres etc.. et je distribue ça en fonction des chiens que j’aurais croisé dans la journée.

LFB : Ce que j’ai remarqué, c’est qu’entre l’EP et la scène, ta voix a beaucoup évolué. Tu l’utilises de manière beaucoup moins monocorde, il y a beaucoup plus d’intentions.

Demain Rapides : Là t’as tout dit. Le fait d’avoir fait pas mal de scènes cette dernière année m’a bien aidé à me libérer au niveau de l’interprétation, de tenter des choses sur le moment car le public te donne parfois cette occasion par son énergie, tu sais ? C’est vraiment ça, la libération. Se libérer de soi-même aux yeux de tous, c’est vertigineux au départ mais c’est salutaire. Beaucoup d’amour pour le public, c’est vraiment lui qui participe à mon évolution.

LFB : Quand on t’écoute, on a la sensation que la musique c’est quelque chose de vital pour toi, mais que tu t’en protèges aussi, comme si tu ne voulais pas la gâcher.

Demain Rapides : Justement parce que c’est trop précieux. Chaque jour un peu plus j’ai conscience de me diriger vers une industrie assez énorme, et que l’aspect sensible de mon truc n’est plus le seul aspect à être pris en compte et c’est assez déstabilisant même si je comprends. Il me faut donc trouver les bons partenaires pour évoluer au mieux dans ce nouveau monde qui de prime abord peut paraître hostile. J’ai la chance d’avoir un entourage local très bienveillant, Élise Vanderhaegen (Grand Mix) Camille Bailleux (Dynamo), qui me connaissent et donc m’encadrent et me conseillent parfaitement.

LFB : Et justement, le fait d’être aux iNOUïS, d’être face à tous ces pros, ça ne te fait pas un peu peur ?

Demain Rapides : Pas de la peur mais plutôt une sensation de vertige. C’est comme habiter au 17ème étage et ne connaître que les escaliers. Un jour des gens que tu n’as jamais vu débarquent chez toi et poussent un mur magique qui dévoile un ascenseur un peu design mais tu sens que la cabine grince un peu quand tu fous les pieds dedans. C’est peut-être normal mais pour le moment toi t’en sais rien, tout ce que tu sais c’est que ça va vraiment plus vite. Je prends l’ascenseur puisque c’est moi qui l’ai appelé, logique, mais je maintiens le cardio, c’est important. Au fond, je pense que cette sensation de vertige est normale.

LFB : Tu ne t’y attendais pas ?

Demain Rapides : Non, pas vraiment. Je n’étais vraiment pas là pour soulever la coupe mais seulement la foule. Maintenant tu me l’offres, je la prends (rire)
J’ai vu quasiment tous les lives des autres inouïs et c’était très fort, je me suis pris de belles claques comme on aime beaucoup. Le mien de live je ne l’ai pas vu, donc non, je ne m’y attendais pas. Achim lui s’y attendait, je crois qu’il a des pouvoirs ce mec.

LFB : Tu es aussi plasticien. La musique c’est quelque chose de très spontané et à l’opposé du côté réfléchi et cartésien de cette expérience là ?

Demain Rapides : Totalement. Tu peux avoir une sorte de fulgurance avec la musique, ça peut aller très vite même si ce n’est pas toujours le cas. Aujourd’hui, tu peux ouvrir ton logiciel, tu fous 5 pistes, même sans être vraiment bon, et juste avec les boucles du logiciel tu peux créer tout un morceau. Tu croiseras des gens claqués qui te diront que ce n’est pas vraiment de la création et tu pourras juste leur répondre par ton plus beau sourire en continuant ton truc. Quoiqu’il arrive, ne jamais s’arrêter à cause des claqués.

Il est important de crier au monde que c’est pour tout le monde l’art, la création et qu’il y a un début à chaque chose. J’étais nul au jeu Carcassonne, maintenant je suis le maire de la ville ! (rire) Quand je fais de l’art plastique bah ça me prend énormément de temps, c’est long dans le processus d’exécution. En plus je travaille autour de l’installation et donc ça multiplie les médiums, c’est long mais c’est aussi très intéressant. C’est une autre manière de s’exprimer.

Il faut juste bien faire attention à ce truc d’entre soi bien hermétique qui pue le vieux chasuble du collège. C’est malheureusement un peu l’odeur dominante du monde de l’art dans laquelle beaucoup se complaisent. Du coup ça peut te ralentir quand t’es pas dans cette vibe pas ouf, alors que la musique c’est plus simple, rapide, évident, ça se prend un peu moins la tête, c’est plus direct.

LFB : Pour parler du live, il y a Anthony qui t’accompagne.

Demain Rapides : ouais, Vesta ma pépite.

LFB : Quelle relation as-tu avec lui ? Et en quoi ça t’a libéré d’avoir quelqu’un qui puisse s’occuper des machines ? Parce qu’il y a un côté très physique chez toi et le besoin de t’exprimer le corps dans ta musique et sur scène.

Demain Rapides : J’ai rencontré Vesta en rejoignant un des groupes qu’il avait à l’époque, ce qui nous a permis de créer de véritables liens au-delà de la musique. J’ai une confiance en lui qui est plutôt rare. Il connaît mes objectifs qui ressemblent beaucoup aux siens. C’est une personne incroyable, une très belle âme qui sait me ramener au calme quand le vent souffle un peu trop fort en moi.

C’est une rareté, des personnes comme lui tu n’en as pas partout. J’ai la chance d’avoir ce bel humain à mes côtés qui couvre mes arrières, j’essaye de lui rendre tout ça mais c’est compliqué (rire). Tu sais que Vesta fera en sorte que tout se déroule au mieux. Il se soucie réellement des autres et ça c’est incroyable. Il est incroyable.

Demain Rapides c’est un projet « solo », je dégaine les guillemets sur « solo » car on travaille beaucoup le live ensemble mais aussi avec le savoir faire de Nicolas Chimot (mon ingénieur son) et ensemble ont a beaucoup de bonnes idées qui viennent enrichir mes propositions initiales et ça donne le live auquel t’as pu assister. Vesta revisite mes morceaux en live, que ce soit par ses coups de synthés tranchants ou par sa voix angélique (rire).

L’équipe tue, on est les X-Men mec ! Amour sur Thomas Blanckaert et Xavier Leysens !

LFB : Et puis le live, il raconte une histoire. Tu vois dès le départ, avec le K-way et le tonnerre …

Demain Rapides : On l’a osé le tonnerre (rires) Ce n’est pas non plus une véritable narration, je place différentes amorces et références un peu comme Ansel et Gretel et si tu es vif tu saisis tranquillement le déroulé du truc. Si tu le rates ce n’est pas très grave, j’ai quelques couplets dans le set qui poseront le cadre (rire)

LFB : Mais vraiment, tu parlais de road-trip et de tracer la route et le live c’est ça aussi, il y a un vrai story-telling.

Demain Rapides : Assez. Tu sais depuis l’enfance je mange du cinéma et de la télé en grosse dose. Plus jeune je voulais écrire des films mais la vie ne t’amène pas toujours au plan A. Je crois que toutes les vies que j’aurais voulu avoir je tente de les réunir au sein de mon projet musical. C’est un peu le Caméléon, tu saisis ? Jarod ! C’est clairement ça ! (rires)

LFB : J’ai des questions plus légères avant de finir … Comment tu la vois la fin de saison du RC Lens ?

Demain Rapides (rires) : Flamboyante ! En réalité je ne checke pas beaucoup le football, j’suis plutôt un footix totalement assumé. Après, le RCL ça fait partie de tes matières obligatoires quand tu viens du 6.2 (rire)

LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour Demain Rapides ?

Demain Rapides : Trois forêts dans le jardin, une rivière avec deux chiens. Ouais, je pense que ça c’est ma Rolex.

LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur, des rencontres récentes dont tu as envie de parler ?

Demain Rapides : War Pony est une belle claque du revers de la main avec les chevalières qui vont bien ! Le dernier album de Everything But A Girl m’inspire vraiment beaucoup. J’écoute en boucle depuis sa sortie Carrie de Safia Nolin, c’est juste bouleversant. Le retour des Kinder Pingui Coco Caramel fait bien plaisir. Et aussi quelques belles âmes rencontrées aux abords des bungaloves du camping de Bourges, elles se reconnaîtront, je les embrasse toutes.

Crédit Photos : Dans Ton Concert

Retrouvez Demain Rapides sur Instagram et Facebook