Deftones tout en tension avec Ohms

Il y a ces groupes dont le nom fait frémir l’échine à leur évocation, dont chaque album est attendu avec l’excitation d’un rendez-vous licencieux, et qui tel un amant bien rodé ne déçoit jamais. Deftones en est la représentation idéale. Sulfureux mais plein de grâce, percutant mais tendre quand il le faut, le groupe évoque un souvenir ému à chaque amateur de poésie brutale. 

Précurseurs iconiques du mouvement nu métal, Deftones a su réinventer au fil de ses 30 années de carrière et 9 albums sortis, sans jamais perdre son identité. La voix bestiale reconnaissable entre milles de Chino Moreno, la nouvelle guitare à neuf cordes (pas de demi-mesure) de Stephen Carpenter, la batterie brutale d’Abe Cunningham, la touche hypnotique des claviers et du mix de Franck Delgado et l’intensité de la basse de Sergio Vega, font de bien plus que Deftones un groupe culte, ils sont inimitables.

C’est donc après quatre ans de préparation que Deftones fait son retour avec Ohms. Un album nommé ainsi en référence aux unités de résistance électrique, « l’équilibre et la polarité des choses » selon Chino Moreno. Un résumé assez idéal du style du groupe, parfait mixte entre puissance et sensibilité.

20 ans après le magistral White Pony, les attentes étaient grandes. C’est d’ailleurs avec leur producteur Terry Date qui a notamment produit les quatre premiers albums du groupe que Deftones a choisi de travailler. Un retour salvateur qui ne pouvait qu’annoncer un son fidèle à leurs débuts.

Pochette créé par Franck Maddocks, précédemment responsable de celle de White Pony (décidément), elle représente un regard figé dont l’émotion reflétera celle du spectateur: tristesse, espoir, désir de connexion… Groupe engagé, les multiples points qui constituent cette vision sont à adopter. Tous les bénéfices seront reversés à l’hôpital pour enfants de l’Université de Davis et à Live Nation’s Crew Nation, un fonds de secours mondial pour les équipes de musiciens de scène qui ont été touchées par le coronavirus. Si vous voulez afficher votre photo sur le site de Deftones et faire une bonne action, c’est d’une pierre deux coups.

Entrée en matière en ultra-sons et guitare vaporeuse, avant que la foudre se déchaine. Genesis, est d’une puissance rare. Alors qu’ils scandent « équilibre » et « renaissance », Deftones éclaire sur leur vision de leur musique, ainsi sur ce que représente cet album. Parfaite introduction d’une suite grandiose. 

Un peu plus de légèreté instrumentale avec Ceremony, malgré la noirceur des paroles. Pris au piège de limbes funèbres, perdus entre réalité et illusion, un adieu tendre au monde terrestre.

Introduction ultra violente pour Urantia, avant de laisser place à une déclaration d’amour sombre. Montée en puissance et en intensité avant d’atteindre une apothéose céleste. 

Error marque le retour des guitares dissonantes et d’un tempo plus énervé, prémisse du superbe The Spell of the Mathematics. Le son se sature alors que l’amour devient poison. Autodestruction accueillie telle une bénédiction, dépendance affective réconfortante, ambivalence des sentiments. Alors que l’allure s’adoucit des claquements de doigts montent en intensité, tel un rappel à l’ordre.

Rupture rythmique avec Pompeji, amorcée telle une valse gothique qui nous entraine dans les tréfonds des océans. Pourtant querelle envers la religion, la chanson exprime tout autant l’apaisement dans la mort. Final en calme serein presque méditatif, non interrompu avec l’amorce de The Link is Dead. Un hymne à l’indépendance marqué à souhait par leurs débuts nu métal. C’est furieux, saturé, engagé, la révolte hurle. 

Radiant City fait la place belle aux guitares et un sentiment de désespoir avant de nous guider encore plus loin vers le très sombre Headless. Ses entrevues lumineuses ne sont que des prétextes pour amener encore plus de gravité et de noirceur. Une incursion dans les sinuosités de cerveaux malades mais libres que l’on tente de disséquer.

C’est dans ce contexte qu’apparait le titre éponyme de l’album: Ohms, Une intro de batterie et de guitare tapageuse pour laisser place à un riff d’une efficacité redoutable. La voix se fait de plus en plus céleste, des mots suspendus qui sonnent telle une agonie déchirante. Une dégringolade instrumentale entrevue à plusieurs reprises pour un final qui laisse complètement sans voix. 

De Ohms, on retiendra cette cohérence absolue qui fait de l’album une pièce en plusieurs actes qui révèle ses drames et ses soulèvements dans un chaos maitrisé. Chaque morceau est la continuité parfaite du précédent, les pistes sont brouillées, on est amenés avec caresse vers une nouvelle tonalité avant de se faire emporter vers d’autres dimensions. Récit d’un amour inconditionnel, entre chaos sublime et beauté morbide, l’album est le témoin d’un recul absolu sur leur vie et leur musique. Dernière surprise du groupe pour cette année, témoignage de leur envie d’évolution sans rogner leur identité, White Pony passera entre les mains spécialistes de grands noms tels que DJ Shadow, Robert Smith, Purity Ring ou Mike Shinoda pour se réincarner en Black Stallion. Une réflexion de plus de 20 ans maintenant concrétisée.