David Shaw : “L’autre baltringue, comment il s’appelle déjà ? Manu!”

Dans le prochains mois, il sera l’un des artistes les plus attendus puisque la suite de l’EP Love Songs With A Kick Vol. One devrait sortir d’ici quelques mois après cette première édition réussie. La Face B a pu le rencontrer avant son concert au Supersonic sur la terrasse du Trabendo en août dernier avec Harmony, sa camarade du groupe et Flavien de Order 89 à ses côtés. David Shaw est un artiste libéré de toute pression artistique et sociale. Il nous a délivré une interview remplie de bonne humeur et sans détour. Au programme, Bruxelles, Sodebo et MANU.

La Face B : Bonsoir David ! Comment vas-tu ?

David Shaw : Je suis au top !

LFB : Comment as tu ressenti ton premier concert après le confinement ? Avec beaucoup d’excitation ? De crainte ?

David Shaw : Ah je pense un peu les deux en fait ! Pour l’histoire rapide, on a sorti le disque le 14 février (ndlr : 2020), la date à la Boule Noire pour fêter ça c’était le 12 mars avec une nouvelle formation avec Harmony . Donc du coup, il fallait reprendre le projet en ce qui me concerne. Il y avait beaucoup de nouveautés, on n’avait pas encore rodé le live encore. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que tu joues après le confinement, forcément tu excité et dans le même temps il faut savoir reprendre car après ce 12 mars, on était censé enchainer plusieurs dates.

LFB : Tu n’as donc pas eu le temps de jouer en live un seul titre ?

David Shaw : En fait, certains titres sur le disque ont été joués dans une première version au Supersonic en 2018, c’était le 11 décembre d’ailleurs. C’était un nouveau line-up qu’on prenait. Puis ce line-up n’a pas continué pour d’autres raisons mais il y avait les premières versions tests. Les morceaux ont changé depuis. Aujourd’hui, ce que joue avec Harmony est quand même différent.

LFB : Tu as mis combien de temps pour préparer cet EP Love Songs With A Kick, Vol. One?

David Shaw : La composition de l’EP en lui-même a été assez fluide. L’idée de départ était très classique : écrire les chansons « guitare-voix » et se tenir à un truc simple. Après, cela a pris plus de temps avec les arrangements, la production et le mix que j’ai fait avec Bertrand, mon camarade avec qui je fais DBFC pour ceux qui connaissent. Dans l’absolu, il a été moins long à réaliser que le premier album qui a pris deux mois de réalisation mais vachement plus de temps sur le mix. L’intention n’était pas la même. Il y avait plus d’électronique, plus de matières et donc plus dense que ce nouvel EP.

LFB : No Shangri-La est celle qu’il représente le mieux ton esthétique musical : bases rondes et froides, rifs groovy et arrangement psychés, bref ce qui représente le mieux le son du Madchester. Tu fais foncièrement de la résistance avec le Madchester ou tu l’utilises comme base de tes créations ?

David Shaw : Il n’y a pas volonté de ma part dans ma création de musique d’avoir une posture, d’intentions premières de vouloir faire ça ou du Madchester, appelle ça comme tu veux. Ça fait forcément partie de moi. Ce n’est pas quelque chose que je revendique. Je suis né et était élevé là-bas durant mon adolescence, évidemment que j’adore. Mais j’ai toujours dit que j’ai été plus influencé par l’Angleterre de manière générale, et Manchester du coup, que l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne ou même les Etats-Unis. De manière générale, j’aime la musique d’où qu’elle vienne mais ma musique, je la trouve assez européenne malgré ce mélange électronique et rock. Je n’ai pas envie de me restreindre à un univers car j’ai toujours revendiqué une musique physique, c’est-à-dire, pas mental. J’aime le côté cul, physique, spontané. Je ne dis pas que Shangri-La est forcément cul par exemple mais j’aime la banane qu’elle donne, tu vois « trois, quatre, on y va ! ». On n’est pas un groupe dans l’énergie classique basse-batterie-guitare.

LFB : Un peu comme DBFC…

David Shaw : Ce que je veux dire, quand je suis tout seul, je suis forcément dans ce truc là que je retranscris ensuite mais il faut que cela soit simple. Je ne veux pas trop faire les choses alambiquées. Parfois, je sais que je peux faire de la musique un peu dense et j’essaie d’élaguer. En tout cas, c’est que j’ai essayé de faire sur cet EP en tout cas

LFB : On sent effectivement que ta musique est éclectique : elle peut être froide et sensuelle et c’est plaisant. En réécoutant, l’ensemble de tes disques, j’ai pu observer tes pochettes représentant un sacrifice humain…

David Shaw : C’est une gravure indienne de Kali.  J’étais un peu dans un délire de sacrifices et de tortures médiévales.

En fait, il y aura un volume deux à cet EP, j’ai déjà sélectionné quelques gravures avec qui je travaille, Lou L’enfer que je vous invité à découvrir., il fait des trucs mortels ! Bref, l’idée serait d’adapter donc une gravure de sacrifice médiévale pour avoir le contraste avec ce côté grinçant avec ces chansons d’amour que tu peux interpréter sarcastiquement.

LFB : Justement, sur certains titres, on te sent blasé. Sur Please, Please, Please, tu sembles même en détresse affective…

David Shaw : Ouais, ouais ! Après, c’est lié avec mon histoire personnelle vécue il y a quelques années ! Après il n’y a rien de révolutionnaires. C’est inerrant à toute inspiration de romans, de peintures ou tout ce que tu veux. Une histoire d’amour reste une inspiration et un puit sans fin. Il y a des morceaux plus grinçants, d’autres mélancoliques voire nostalgiques et tout ce qu’il y a en rapport avec mes propres erreurs.

LFB : Une sorte de journal intime ?

David Shaw : Pas vraiment un journal intime. Je chante au plus simple, de manière spontanée, sans rechercher la phrase qui tue. Je chante des phrases comme si on se parlait.

LFB : Il y a donc deux EP. Pourquoi ne pas avoir réalisé un seul et même album ?

David Shaw : Il n’y a pas deux EP pour l’instant. Là, il y a des démos en cours pour le volume deux où il y aura plus de titres et où Harmony va aussi me donner main forte car on travaille maintenant de plus en plus ensemble. Pour moi, le volume un qui a six titres est déjà un maxi EP ou un mini-album. Le volume deux sera quant à lui plus un véritable album avec huit à dix titres, surement dix. Et les démos qui trainent seront là pour alimenter et accompagner d’autres sorties autour de ce volume deux. En tout cas, c’est l’idée actuelle.

LFB : Et ce volume deux sera dans le même état esprit que le précédent ?

David Shaw : Il y aura des couleurs que tu peux voir sur le premier mais j’ai envie de pousser encore.

LFB : Plus dans l’extrême ?

David Shaw : Ça va être autant des trucs qui vont être des balades complétement plus vaporeuses, hyper lentes. J’ai déjà deux-trois morceaux à 70 bpm donc vraiment très lentes. Puis d’autres j’ai vraiment envie d’happer comme My Tongue Your Spit sur le disque qui est une des pistes les plus speed. Parce qu’en, ceux sont les titres que j’aime le plus à jouer.

LFB : On dit souvent que tu es obsédé par le dancefloor…

David Shaw : C’est pourquoi je reviens à ce truc physique. Comme j’ai dit, ce n’est pas une posture : j’ai grandi avec ça et comme ça. Je suis sorti dans les raves très jeune grâce à des cousins qui m’emmenaient avec eux et c’est ainsi que j’ai eu toute cet héritage musical. Je n’ai jamais écouté que punk ou que de la techno mais j’ai fait toute de suite les passerelles entre les deux. Mes cousins m’ont ainsi prémâché cette culture. Après tu as toute une arborescence et peux faire ta propre histoire.

LFB : Il y a donc une certaine verticalité dans ton cheminement…

David Shaw : Disons qu’il y a pleins de gens que tu peux croiser et ils ne voient pas forcément la passerelle entre les différents genres musicaux. Selon les groupes que tu vas écouter, tu vas apercevoir qu’il y a un fil rouge. Tous les styles ne sont pas justes une couleur mais toujours plus un état d’esprit, une position dans laquelle tu approches les choses. Tu as des mecs qui font de la techno qui sont des punks et vice versa !

LFB : Comme Red Axes…

David Shaw : Pour moi, ceux sont de très bons exemples de punks ! Mais sans vouloir mettre de « label », c’est juste la liberté. On fait autant de la musique électronique et dansante, pourtant derrière je vais mettre un tambourin alors que tu danses de la techno. Et tu as des gars qui vont être DJ et jamais dans leur production ils vont sortir d’un style. C’est une approche qui est libre. Tu peux mélanger plein de trucs et tu regardes le résultat !

LFB : Qu’est-ce que ça fait de revenir à Paris et de jouer au Trabendo, sachant que tu y a vécu un paquet d’années ?

David Shaw : Paris, voir des amis et y jouer, ça fait du bien ! Vivre à Paris, au-delà des interactions, boire, jouer, mixer, c’est encore autre chose mais y vivre, le quotidien, ça ne me correspond plus. Là, je suis bien à Bruxelles, ça me correspond mieux actuellement même s’il a fallu s’ajuster.

A Paris, jouer ou avoir le shoot du fameux rush, faire les répétitions avec Harmony, etc.… tu y vas avec un peu d’appréhension car tu avais oublié mais tu bois des coups, tu fais des afters, ça fait quand même du bien.

LFB : Est-ce que la fermeture de boite parisienne comme le Garage où tu devais mixer en 2018 fait partie des raisons qui t’ont poussé à aller à Bruxelles ?

David Shaw : Pas du tout ! Je vivais une histoire personnelle avec quelqu’un. Elle s’est très mal terminée. Il fallait absolument bouger. On est vraiment sur une échelle personnelle.

Mais déjà, à cette époque, je n’étais plus à Paris mais en Normandie.

LFB : Mais du coup, quel regard portes-tu sur ces fermetures de ces boîtes underground à Paris ?

David Shaw : Je vomis ce truc. Après, mes propos peuvent emmerder certaines personnes mais je ne suis pas dans la culture no fun. Fondamentalement, ce n’est pas dans la culture française qui est plutôt la variété et il ne faut pas y toucher. Il y a un esprit qui perdure où tout est matière à être questionner. Si tu oses être original artistiquement sur un projet, directement on te saute dessus : « Tu as les autorisations ? Tu as ceci ? Tu as cela ? ». Je ne parle même pas de la situation actuelle mais de l’esprit de base ! Factuellement, en Angleterre, tu respires plus cette culture underground de fête, en Allemagne c’est pareil, en Espagne, beaucoup plus aussi et en Belgique aussi ! Ce n’est pas pour dire que c’est mieux ailleurs, on est juste dans la méfiance des artistes. Selon moi, pour être artiste, il faut réussir avant même d’avoir essayé.

Par exemple, tu te retrouves à un dîner, tu dis que tu travailles dans la musique et si on ne connaît pas ton projet, on te prend plus facilement pour une merde. Alors que si tu connais machin, tu tapes dix lignes de coke par jour et t’as réussi, on te respecte plus !

Les musiciens restent des marginaux dans notre société. Regarde comment il nous a parlé l’autre con là ! Le baltringue ! « Robinson, il va au fond de sa cale prendre du jambon et du fromage » pour parler des acteurs de la culture. Ca veut dire que je dois me satisfaire d’un sandwich Sodebo ? (rires)

Harmony : Il y a un côté élitiste en fait.

David Shaw : Oui mais si tu as réussi !

Harmony : Sinon tu as un côté saltimbanque.

David Shaw : L’autre baltringue, comment il s’appelle déjà ? MANU !

LFB : Comment arrives-tu à gérer ton label Her Majesty’s Ship actuellement ?

David Shaw : Le label est géré à deux avec Charlotte Decroix et moi. La réalité, c’est que Charlotte s’en occupe beaucoup plus depuis pas mal de temps. On va voir comment ça se passe. Au niveau des sorties, on discute avec Flavien (de Order 89, assis aussi à nos côtés). On est tributaire de la situation. On est à flot.

LFB : Malgré tout, le confinement t’a-t-il apporté quelque chose ?

David Shaw : On avait tellement bossé comme des chiens avec Arnaud pour la préparation du live du 12 mars 2020 à la Boule Noire, parce qu’on n’a toujours pas fait de live ensemble. Notre release party s’est bien passée. Il s’ensuit une période de relâchement où on a tout de même avancé sur quelques morceaux. Sinon, en ce qui me concerne, je n’ai pas foutu grand-chose. J’ai plutôt bu des coups, vu des gens, faire du sport et m’occuper de mon gros chat.

LFB : Est-ce qu’il y a un morceau que t’as écrit durant cette période ?

David Shaw : Dans les morceaux à venir, surement oui ! Ce sont des projections, des idées que j’envoie à la loupe pour Harmony. Après, avec l’expérience, c’est toujours pareil. Toujours tu penses que tu as morceaux qui va défoncer et en live, c’est un flop. Et à l’inverse, un morceau auquel tu n’y croyais pas trop, les gens font « Héééééé ! » alors que tu l’as écrit deux secondes avant d’aller pisser ! C’est un peu « Go with the flow ». Maintenant, je ne m’excite plus à l’avance sur un truc.

LFB : Quels sont les morceaux que tu n’as pas arrêté d’écouter ces derniers temps ?

David Shaw : Il y a un morceau que j’écoute en boucle, aux allures hip-hop. Ça s’appelle Savage de Megan Thee Stallion. Il me rend dingo de chez dingo ! Je dois l’écouter cent fois par jour jusqu’à temps que j’arrête.

Le dernier Osees est aussi cheumé ! Je suis un grand fan de ce groupe. Il y a aussi Naomi Klaus.

LFB : Merci pour ce moment David !

David Shaw : Merci à vous !

@Crédit photos : Céline Non