Dallen passe aux Aveu(x)

On l’imaginait un brin grivois ; il se révèle plutôt fin… et taquin. Croiser Dallen après l’effervescence de l’un de ses concerts, c’est l’assurance d’un bon moment en compagnie d’un personnage haut en couleurs, dont la belle exubérance sert de carapace à une sensibilité à fleur de peau. Le regard dissimulé par des verres fumés comme seul rempart au fracas du monde, avec sérieux et mesure, il est revenu sur son métier de chanteur et nous présente les coulisses de son premier EP au titre éloquent. Aveu(x).

La Face B : Salut, Gabriel ! Comme l’ange, c’est rigolo. Tu peux me présenter ton parcours de musicien ?

Dallen : Bien sûr ! J’ai grandi à Aix-en-Provence. La musique, je l’ai commencée en autodidacte, assez jeune – vers 13 ans ans… Mais je ne suis entré au Conservatoire qu’à 24 ans. Entre les deux, une vie autre : je bossais dans le design, en agence d’architecture.

La Face B : C’était une vocation, chanter ? Quelque chose dont tu as fini par ne plus réussir à te détourner ? Il y a eu déclencheur ?

Dallen : Il y en a toujours, des déclencheurs… Ou pas. Je pense qu’on saisit les choses qui s’offrent. À vrai dire, j’ai quitté mon taf en archi du jour au lendemain, sans savoir où ça irait, parce que j’avais besoin d’aller voir ailleurs.

La Face B : Et la vie t’a donné raison… J’avais une question d’ailleurs, par rapport au fait de quitter les lieux : tu es originaire du Sud ; en quoi ta musique s’inscrit-elle dans un processus d’enracinement, ou au contraire de déracinement ? Est-ce que ça influe, ce côté solaire du début de l’existence, ou au contraire, cette grisaille trouvée en arrivant ici, à Paris ?

Dallen : Je ne suis pas certain que mes chansons soient intimement liées à la géographie, ni même au climat… Mais c’est sûr que même si je me suis rendu compte, en quittant le Sud, que l’endroit où je vivais ne déterminait pas mon bien-être, j’ai conservé en moi de cette luminosité contrastée. Et oui, indirectement, je parle il est vrai parfois de déracinement, de part cette rupture ou cette déviation dans ma trajectoire.

La Face B : À ce propos, pourquoi ici, et pas ailleurs, dans un autre pays, une autre ville ? Tu avais déjà un réseau ?

Dallen : J’avais déjà pas mal de copains à Paris avant de m’y installer « définitivement », donc ça faisait des années que je montais quasiment toutes les semaines. C’était une ville qui m’attirait ! Je sentais qu’il y avait des choses à y faire.

La Face B : Tant mieux ! Au sujet de ta place sur la nouvelle scène francophone : tu te places en héritier, de part la nature de tes textes et de leurs arrangements, d’une certaine chanson française ; comment impulses-tu à ta musique une inclination entre innovation et clin d’œil à tout cet héritage ?

Dallen : Figure-toi qu’en ce moment, je questionne vachement ça ! Longtemps, ça n’a pas été le cas. Pour te répondre, ça passe par le choix des mots, je crois… (pause) Enfin, en fait, c’est assez difficile.

J’ai grandi avec la chanson à textes, la poésie, et j’ai parfois l’impression que le monde ne résonne plus comme avant. C’est ça, je ressens comme un décalage… Après, je me tourne aussi vers d’autres styles, j’écoute aussi beaucoup de rap, par exemple !

La Face B : Ah, maintenant que tu le dis, ça se ressent ! Plus dans les prod que dans les textes peut-être, qui eux sont très ancrés dans cette tradition de la chanson française, assez poétique… Mais c’est vrai qu’au niveau des prod, on entend bien qu’il se passe des choses un peu nouvelles, que tu essayes, et qui marchent ! Du coup, si tu devais citer quelques influences..?

Dallen : Alors, j’ai vraiment grandi avec Aragon, c’était les premières chansons que je fredonnais. Plus tard il y a eu Brassens, Gainsbourg… Et j’ai aussi beaucoup écouté Delerm. Je me suis d’ailleurs mis au piano après avoir été à l’un de ses concerts au Bataclan ! J’écoute aussi beaucoup Mathieu Boogaerts, et Dick Hannegann, plus récemment !

La Face B : J’irai écouter ! Et du coup, tu t’es entouré de qui pour ce premier EP ?

Dallen : Alors, c’est avant tout un projet que j’ai porté de mon côté, mais j’ai aussi beaucoup travaillé avec Illan Rabaté (ancien batteur de Thérapie Taxi, NDLR). Pendant presque toute la période Covid en fait, un peu à distance !

La Face B : Ah super, ça doit lui apporter un peu de fraîcheur de travailler sur un projet plus indie, après la grosse machine Thérapie Taxi, non ? À propos, tu l’as vécue comment cette période Covid ?

Dallen : C’est sûr que c’est différent ! Et sinon, concernant les années Covid, pour moi, ça a été deux ans très particuliers, où paradoxalement, je n’ai jamais autant voyagé. Il y avait dans ce cloisonnement imposé une forme de libération. C’était très introspectif, mais avec de l’espace.

La Face B : C’est vrai qu’on retrouve cette grande liberté, qui infuse dans les textes. Il y a quelque chose d’un lâcher-prise assez libérateur, je trouve !

Dallen : C’est vrai. Le fait de ne pas avoir été à Paris mais à la campagne, à l’air libre, en fait, ça m’a permis de vraiment laisser couler tout ce qui me traversait l’esprit. D’être bien plus serein, aussi, et d’aborder les choses avec recul, aussi. C’était ça : une période d’acceptation. Mais j’aime aussi beaucoup Paris ! Tu l’as vu, je pense, dans le clip « AVEU(x) : my full movie » compilant en un seul film l’ensemble des titres de l’EP ! J’avais envie de présenter une vision très proche et distante à la fois d’un artiste dans son quotidien de vie. C’était aussi pour essayer de penser ce rapport très étrange entre fans ou auditeurs et musiciens, généré par cette fausse proximité scénarisée sur les réseaux sociaux. En filmant de très loin, et de très près à la fois, sans filtre, je montrais je crois quelque chose de plus brut.

La Face B : À propos de rapport au public, je voulais aborder avec toi le sujet un peu sensible de la réception de l’une de tes chansons… Dans l’un des titres de ton EP, tu mets en tension la candeur du monde de l’enfance avec les dérives diverses de nos existences mondaines hantée de tentations vénéneuses, en faisant mine de t’adresser à une jeune auditrice – non-ratifiée, puisque c’est un titre humoristique qui joue sur les doubles-sens et les contrastes. Ce faisant, tu t’es attiré, je crois, les foudres de certaines personnes… Est-ce selon toi un risque inhérent au métier d’artiste ? De générer de l’incompréhension ou un rejet, même si la prime intention n’est pas de heurter, en abordant certains sujets ou en te plaçant dans certains registres d’écriture ?

Dallen : On ne peut pas trier, dans ce qui vient avec le fait d’écrire des chansons ; je prends le bon et le mauvais. La question, c’est pour moi, qu’est-ce qu’on fait des chansons qu’on écoute ? En tant qu’artiste, ça ne m’appartient pas, la réception… Je n’ai pas grand-chose à en dire, sinon que je comprends. Je comprends, une même chanson va pouvoir venir réveiller des choses positives en une personne, mais en choquer une autre… De manière intime, bien sûr ça me désole, mais chacun la reçoit avec son prisme de lecture, et je n’ai pas à juger ça.

La Face B : Je comprend. Est-ce qu’en allant encore plus loin, ce n’est pas justement, aussi, la vocation de l’artiste ; de réveiller ça. Cette polarisation, sur certains sujets, en touchant à l’intime et donc au politique ?

Dallen : Moi, j’ai vocation à rassembler.

La Face B : Et ça fonctionne particulièrement bien, on l’a vu lors de ta release party, où l’engouement était très fort…

C’est mon but premier, d’écrire des chansons pour les porter au contact du public, et d’entrer dans ce dialogue-là. C’est vraiment essentiel à notre bien-être, je trouve, cet endroit du concert… Parce qu’enfin, il n’y a plus rien qui vient interférer. Les personnes te reçoivent physiquement, en sons et en eaux. Il n’est plus question d’image, de poses… On est dans un rapport immédiat, à l’Autre. Quand j’écris une chanson, c’est terrible, mais j’ai envie de pouvoir la chanter de suite ! Heureusement, avec l’été qui arrive, ça devrait être possible, de plus en plus !

La Face B : On a hâte.