CARNIVORE, l’amour selon CORPS

De CORPS on gardait des souvenirs de chaire et de sang. Des textes poétiques au service d’une musique minimaliste qui prenait tout son corps dans des lives furieux. La donne semble avoir changé puisque l’artiste débarque avec CARNIVORE, un premier album ambitieux dans lequel il ausculte l’amour sous toutes ses coutures. Un premier effort toujours aussi lettré mais qui s’autorise une variété sonore à l’image des émotions qu’il dévoile.

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L’amour dans la vie est une affaire sérieuse. Un élément central dans l’existence de tout à chacun, qu’il soit physique ou spirituel. Pourtant, on le dit sans ombrage, l’amour est traité de manière assez frivole dans la pop musique. Qu’il soit provocant, solaire ou brisé, l’amour dans la musique actuelle semble être pris pour acquis, un sujet comme un autre qu’on arrose à toute les sauces.

Il y a donc parfois un sentiment de frustration qui nous anime à écouter que l’amour créé des hématomes ou se transforme en anomalie bleue dans le meilleur cas. Parce qu’on sait qu’il y a mieux à en faire qu’une ritournelle qui nous caresse dans le sens du poil et qui va dans le sens de nos émotions, positives ou négatives. L’amour bouscule et chamboule et la musique qui le met à l’honneur doit en faire de même. Pour le meilleur ou pour le pire. Et cela tombe bien le CORPS CARNIVORE qui nous est donné à écouter aujourd’hui est une affaire qui roule, à la fois grave et soignée, inquiétante et attirante.

Et pourtant, INGÉNUE semblait indiquer le contraire. Un morceau volontairement positif, porté par une basse attractive et une vision presque positive aurait pu nous berner. En réalité, c’est bien mal connaître CORPS et son chant, détaché et profondément cynique nous rassurait presque. Surtout, il y a la fin du morceau, cette lente chute bercée par des chants de sirènes. Comme si Alice avait pris un LSD pour se rendre au pays des merveilles et se taper un bad trip phénoménale à la fin de sa chute pour finalement arriver dans ce que l’on cherche tous à fuir : la réalité.

Démarrant presque comme un morceau de rap, DÉFONCÉ nous entraine dans les tréfonds d’une âme humaine en perdition. Un être qui réalise la vacuité de son existence et décide de détruire cette existence sous perfusion, ce château de carte créé sous le regard des autres. Le discours est erratique, ironique et profondément violent ( on ne s’est pas encore remis du  » j’ai envoyé mes gosses chez Michel Fourniret » ) et analyse finalement en profondeur notre époque superficielle ou le filtre Instagram est devenu la norme.

Surtout, sur une basse somme toute assez classique (couplet à l’ambiance malsaine et explosion dans le refrain), le morceau permet de noter une évolution importante du monde de CORPS : si ses textes sont toujours hyper poétique et très lettré, le musicien s’autorise enfin à raconter des histoires, joue avec les structures pour mieux les corrompre et cette évolution du texte entraine avec elle une évolution dans le son, moins minimaliste, plus ambitieux et varié.

Cette sensation se renforce avec BEAU. Un morceau qui nous fait penser au cinéma de Gaspard Noé et notamment à son Seul Contre Tous. On imagine un être au banc de la société, qui raconte ses déviances, ses désirs qui le rendent monstrueux au regard de la société. Un être seul face à ses émotions presque refoulées. Le tout posé sur une production sensuelle et organique, renforçant le décalage qui se créé entre la crudité des mots et la douceur douce-amère des sonorités. Le tout se transformant presque en danse hypnotique alors que le mot « beau » se répète, pervertissant son sens et nous rappelant qu’un mot n’a pas le même sens selon la personne qui l’utilise.

Les sirènes de la bienpensance continue de sonner au loin et c’est CARNIVORE qui s’élance. L’amour c’est aussi le sexe, le physique, l’appétence de l’humain pour le corps de l’autre. Sans doute ne sommes nous pas anthropophage mais nous sommes bien obsédé par la possession et la chaire de l’autre. C’est ce qu’expose CORPS, ce besoin de se perdre, de détruire les inhibitions dans une danse sensuelle et consentie avec l’autre. Des corps à l’unisson qui tremble et dont les BPMs se rejoignent parfaitement. On retrouve ici ce qu’on aime tant dans le premier EP de CORPS, cette tension qui nous attire tant, ces pulsations électroniques qui répondent aux mots qui se mêlent et se répètent.

Comme si il s’amusait des attentes, CORPS enchaine une nouvelle fois un morceau tendre après un morceau brut. INFIDÈLE est sans doute le morceau plus tendre et désespérée de l’album. Le kaléidoscope des émotions amoureuses continuent de tourner et cette fois le musicien prend vie dans le doute d’un homme face à l’amour. On sent ici que le masque se fend, laissant éclater une sincérité, un sentiment qui l’habite et l’empoisonne progressivement pour devenir progressivement une complainte obsessionnelle.

HARD et CŒUR semblent agir comme un diptyque indissociable et dissonant. La première joue presque avec l’épique, s’autorisant l’utilisation de cuivres et d’instruments à corde alors que la voix se pare d’effets cherchant par moment à la déshumaniser. La seconde bascule dans l’électronique la plus pure, une boucle temporelle qui explose par moment. Dans les deux titres la vie, la mort, l’amour et la haine se mélangent avec bonheur et haine. On y parle de prise de risque, de dangers, de temps qui passe et qui font évoluer les dynamiques de la relation amoureuse. La poésie de CORPS se trouve un écrin parfait où tout se mélange.

Une apothéose ? Pas vraiment. Sans qu’on s’y attende, CORPS tape là ou ça fait vraiment mal : l’amour de soi. Dans ce qui est sans doute le morceau le plus extatique de l’album (ce refrain discoïde parfait qu’on a vraiment hâte de gueuler très fort en concert à moitié saoule), il nous offre un jeu de miroir et de massacre vachard et forcément jouissif qui porte bien son noms.
ANTICORPS c’est le négatif que l’on est tous dans les moments où la haine de soi prend le dessus, où la colère circule lentement dans nos veines et où l’on finit fatalement par devenir notre pire ennemi. Le morceau est intense, brutal et paradoxalement le plus dansant de CARNIVORE. Une sorte de catharsis puissante qui nous entraine avec elle dans les bas-fond de l’espèce humaine.

CRASH débarque et nous offre un autre vrai moment d’émotion. Le morceau s’offre une vraie vibe 70’s tant et si bien qu’on est certains qu’il n’aurait pas juré dans certaines comédies musicales, comme le dialogue mentale d’un homme qui voit sa vie s’écrouler. Sous couvert d’un crash d’avion présenté de manière poétique, CORPS convoque une nouvelle fois l’amour. Parce qu’au fond tout est crash et si on ne fait pas attention, on finira fatalement par s’exploser sans y prendre garde. Le morceau rappelle toutes ces sensations de défaites, de sensation de vie qui peuvent nous envahir quand l’amour s’éteint.

L’amour qui part, l’amour qui meurt. C’est ainsi que se termine CARNIVORE, par la MORT. Un adieu en forme de feu d’artifice, une danse autour du feu alors que celui-ci s’éteint lentement. Une fin comme une dernière bravade, un dernier combat duquel on ne sortira jamais vainqueur. Et forcément un album qui traite autant de la vie, dans ce qu’elle a de plus merveilleux comme de plus sombre, ne pouvait se finir que dans une petite mort. CORPS a tué l’amour, que reste-il a dire ? Rien, il est temps de laisser venir le silence dans une dernière danse.

Avec CARNIVORE, CORPS nous offre le côté obscur de la pop. Un album dans lequel il se cache dans le cynisme mais laisse au fur et à mesure tomber le masque pour laisser apparaître une sincérité, une tendresse qu’on ne lui connaissait pas. C’est sincère, drôle, triste et ambitieux. C’est l’amour dans toutes ses composantes, qui nous dévore autant qu’il nous nourrit, qui nous offre la vie aussi facilement que la mort. Une émotion carnivore qui nous attire autant qu’elle nous effraie. On l’avait dit, l’amour est un sujet sérieux et CORPS l’a parfaitement compris.

Crédit Photos : Emma Birski

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