Une conversation avec Iñigo Montoya

Personnages à part de la scène musicale française, le duo Iñigo Montoya nous avait mis une bonne tarte dans la tronche en 2019 avec la sortie de leur InigEP03. Après une année 2020 forcément calme mais marquée par le coup d’éclat E.S , le duo est de retour en 2021 avec une série d’InigMaxis pour préparer la sortie de leur leur premier album. À cette occasion, on a donc longuement discuté avec Pierre et Quentin afin d’en savoir plus sur cette série de morceaux mais aussi de leur rapport au français, de leur processus créatif et de leur relation avec ZEUGL. Rencontre.

LFB : Salut les gars, comment ça va ?

Quentin : Et ben ça va plutôt bien nous !

Pierre: Lui ça va, moi moyen. C’est un des rares qui a réussi à faire de 2020 une super année. (rires) Moi ça a été plus compliqué mais ça va on s’en sort. Mais c’est vrai que c’est un peu dur sur le plan musical.

LFB : Justement on allait revenir en arrière, avec notre première vraie question. A la fin de l’année 2019, vous avez sorti l’EP Inigep03. Pour nous c’était très ambitieux, et fait pour être retranscrit sur du live. Comment avez-vous vécu de ne pas pouvoir le défendre correctement cet EP là ?

Quentin : Ce qui était cool, c’est qu’on a pu faire une date au Point Éphémère pour la release party. C’était assez chouette de pouvoir jouer ces morceaux-là. Après, on a joué au Silencio. Et ouais en fait, on a fait tourné ces morceaux que deux fois sur scène. Après, il y a quelques morceaux comme Archipel ou Gymnasium qu’on avait déjà joué en amont. Mais ça fait partie du jeu, tout le monde est logé à la même enseigne. C’est toujours chiant de ne pas pouvoir aller jouer. Comme tu dis, un morceau comme Mirage dans ta gueule, il est assez drôle à jouer sur scène, il est bien bourrin, c’est un bon défouloir. Mais bon quand les concerts reviendront, on sera encore plus motivés pour les jouer.

Pierre : On va continuer de les jouer dans tous les cas quand les concerts reprendront. Là le problème, c’est plus par rapport aux sorties. C’est vrai qu’on voulait sortir l’album en 2020, et là on est en 2021, et au final on sort 3 maxi pour préparer l’album. Il faut relancer la machine, il faut re-trouver les financements… Et ça, c’est plus compliqué, surtout en temps de covid, où il faut trouver des partenaires qui sont encore plus frileux à cause de la situation actuelle.

Quentin : C’est vrai que le troisième EP comme le dit Pierre, c’était un avant goût de ce qu’on voulait proposer sur un format plus long. C’était quelque chose d’un peu plus consistant, qui en plus de ça pouvait mixer des influences post rock, électronique…Des types de musiques qui se développent aussi sur la durée. Et c’était un peu une petite pierre qui allait dans ce sens là, c’est comme ça qu’on le voyait.

LFB : Cette idée de faire ces maxis est- elle venue en réaction à tout ça où c’était des morceaux que vous aviez prévu pour l’album ?

Quentin : Oui et non, en fait c’était un format qu’on aime bien le maxi. Donc ça nous permettait aussi de nous amuser d’un point de vue artistique, de faire quelque chose de cohérent.

Pierre : Après il y a effectivement parfois des soucis de financement qui peuvent jouer dans les décisions. Maintenant nous notre problématique, elle n’est pas par rapport au nombre de morceaux. Le problème c’est qu’on a trop de morceaux. C’est juste qu’on a pas les fonds pour bien les sortir, pour bien les publier.
Donc, là par exemple dans les 3 maxis qui sortent quelques titres qui pourront se retrouver sur l’album. Mais si on choisissait de ne mettre aucun titres des maxis sur l’album, ce n’est pas grave, on sait qu’on aura suffisamment de matière pour un album.

Ca nous permet de sortir des morceaux comme FC Poulain sur le maxi, dont on était très fier. On sait qu’on ne les aurait pas mis sur l’album, parce que ça n’aurait pas été des morceaux prioritaires. Ils sont très longs, et vu qu’on fait déjà une musique très dense, on peut pas trop en faire. Et là, ça nous permet de les sortir, ça nous fait aussi du bien.

Le mois prochain il y aura un autre maxi qui va sortir, avec 2 titres Chasseur Chassé et Orchestre du vélo tout puissant. Et Orchestre du vélo tout puissant, au début il était dans les plans de l’album. Et puis plus ça avançait, plus on accumulait les morceaux, plus on se disait qu’on allait pas le mettre. Là ça nous permet de le sortir en maxi en face B. Et on en est quand même fier de tous ces morceaux, donc on est content de les partager de cette manière.

Quentin : Et le maxi c’est aussi un format qui est marrant. Après une année un peu blanche, on avait un peu une autre philosophie par rapport à la musique, à ce qui nous entoure. Ça fait 5 ans que le groupe existe, on avait un peu envie de lancer une nouvelle ère, même graphiquement, défendre de nouvelles idées. Et le maxi c’est un format qui permet d’être très cohérent sur 2 titres, d’avoir des sorties qui sont chouettes, un petit jeu sur chaque sortie.

C’était un peu ça aussi l’idée qui nous a motivé dans les 3 maxis qu’on va sortir. Il y avait aussi cette idée de jouer graphiquement; et puis avec un format qui était très présent dans les années 80, surtout dans la new wave, le post punk, qui est aussi une philosophie qui nous a toujours un peu intéressé. C’est assez rare je trouve de tomber sur un album vraiment cohérent, en tout cas qui va nous parler de A à Z.
Donc c’est marrant aussi de jouer avec tous les différents types de supports qui peuvent exister.

Pierre : Tu vois aujourd’hui quand tu regardes dans les sorties actuelles, dans la pop ça va toujours être un EP, un album. Si tu vas dans le rap, ça va être un album tous les ans de 20 morceaux. C’est un peu une manière de se démarquer, parce qu’en fait ça nous saoule un peu ce formatage des sorties.

LFB : On a pu écouter les trois maxis. Il y a un vrai sens de la spontanéité et de la liberté justement qui se dégage. On sent que vous avez les “choses pour vous faire plaisir” et pour dégager le plus de pistes musicales possibles qui étaient dans vos influences, et vous les approprier à chaque fois.

Quentin : C’est vrai ouais. On est assez curieux je pense musicalement, donc c’est six titres qui seraient difficiles à mettre côte à côte dans un album. Alors que là il y a un truc de symétrie qui nous parle assez, de faire des face à face entre chaque titre. Du coup il y avait vraiment cet aspect jeu.

Pierre : On nous reproche parfois de partir dans tous les sens. Pour ceux qui aiment l’électro, on l’est pas assez, pour ceux qui font de la pop c’est trop électro ou trop chelou, pour ceux qui aiment le rap, on a un petit pied mais c’est pas assez classique… Et finalement ces trois maxis ça nous permettait de faire un premier maxi avec deux morceaux longs plutôt instrumentaux vraiment dans l’électro. Ensuite deuxième maxi, un morceau fort plus pop, et puis sa face B qui fait suite au morceau.
Et le troisième où on met un petit plus les pieds dans un espèce de rap un peu pop. Et ça nous permettait de cadrer un peu ces différents genres musicaux qu’on aime bien explorer.

LFB : Ce qui n’empêche pas l’ambition par ailleurs. On voit qu’il y a vraiment de la recherche, d’approfondir et de s’autoriser des choses qu’on ne le ferait pas forcément sur un format plus long.

Pierre : On est ambitieux, pas financièrement, mais créativement on a de l’ambition. (rires)

Quentin : Je pense qu’il y a toujours cette philosophie de s’amuser avec un genre, avec des influences. Et puis en y mettant ce que nous on a en fait. A partir du moment où on se lance dans un morceau qui va sortir officiellement, on essaye d’y aller vraiment à fond.
Donc oui il y a toujours cette idée de s’amuser avec les samples et les mélodies qu’on a. C’est toujours ça qui nous a guidé, et qui nous guide chez Inigo.

LFB : Sur Inigrmaxi01, on a l’impression qu’il y avait une volonté d’envisager des titres comme des courts métrages, qui raconteraient une histoire, mais en retirant les mots, ne laissant que la musique parler.

Pierre: Tu avais déjà un petit peu ces prémices de ces types de morceaux dans Inigep03, avec un morceau comme Archipel ou Gymnasium. Ce sont des titres assez longs avec un peu de paroles, mais tant que ça. Effectivement, on aime bien tout l’aspect cinématographique. On est des grands fans du post rock, des Goodspeed You! Black Emperor et tout ce genre de musique.
La musique electro-ambiant c’est aussi une grande influence. Et puis il y a aussi toutes les BO de films. Je pense qu’au fond intérieurement, même si on aimerait bien être capable de vivre de notre musique à terme, on a peut être fait un peu un deuil sur le côté “on va marcher”, donc autant se faire plaisir, et tout explorer sans limite.
Vroom Vroom Vampire Indien et FC Poulain c’est un peu ça dans l’idée. Dans ce morceau, il y a une petite piste avec le texte au milieu, et ça reste toujours libre à l’interprétation. Effectivement comme tu dis, c’est pensé comme une histoire musicale, un conte ou un court-métrage.

Quentin : Oui c’est vrai. On avait participé à un projet il y a 2-3 ans autour de la danse et de la vidéo au FGO Barbara, et c’est là que  sont  nés Archipel et Gymnasium par exemple. Etces morceaux-là, je pense qu’ils nous ont décomplexés et éloignés des formats très pop qu’on a pu faire. Ce qui fait, j’ai l’impression, que maintenant on arrive de plus en plus à jouer sur les deux niveaux, et que ces niveaux se mélangent, comme pour Vroom Vroom Vampire Indien ou Archipel ou pas du tout à la rigueur comme sur FC Poulain qui est un énorme morceau d’electro ambient. Mais c’est vrai, Pierre parlait des citations, et ces dernières années ça a un peu renouvelé notre vision de voir de la musique. On aurait pu aussi citer State Forest de Burial, qui est un morceau qui nous a vachement touché, il y a notre ami Adrien Pallot aussi qui fait de l’ambient et qui nous remixé. C’est pleins d’artistes qui nous pousse à réflechir la musique autrement.

Pierre : Et puis là on arrive au summum, où on arrive à s’auto-sampler et s’auto-citer. Par exemple sur FC Poulain, tu pourras voir que les voix  du début sont tirés de Nuit Blanche, un de nos premiers morceaux.

Quentin : Quand on a un bon sample, on le garde jusqu’au bout (rires).

Pierre: C’est de l’écologie musicale.

LFB : C’est très hip-hop ça aussi, l’auto citation pour le coup.

IM : (rires) Ouais complètement.

LFB : Et justement à l’inverse, Inigrmaxi02, il laisse une vraie place aux mots et à l’histoire, avec des titres pour le coup plus resserrés sur le format en fait.

Quentin : C’est un morceau qu’on a depuis assez longtemps. Et c’est un son qu’on a déjà joué hyper souvent sur scène. Après il a évolué, je pense qu’on a joué 46 versions à peu près.
Mais c’est vrai qu’on revient un peu à nos premiers amours de morceaux new-wave, sauf qu’on arrivera jamais je pense à faire un morceau new wave, très typé, une sorte de plagiat d’une époque.
A chaque fois on transforme, parce qu’on a toujours une idée d’un son rigolo à mettre, ou défoncer telle rythmique mais c’est vrai qu’on revient un peu à nos premiers amours.
Sur le Inigep03, on avait A moi la vengeance qui était un peu dans cet esprit de plage assez ambient avec une voix qui raconte une histoire, et avec un jeu sur la voix. Et là ça faisait pas mal de sens pour nous, l’extinction du dodo c’est un morceau assez important puisqu’il parle du décès d’un ami à nous, c’est lu par sa petite sœur qui est une très bonne copine.
On a transformé sa voix, et ça fait vraiment écho à Train fou. On n’a pas vraiment sorti de morceaux dans ce type là, mais ça rappelle pas mal d’éléments qu’on a mis dans les EPs précédents.

LFB : Justement, c’est un morceau vraiment touchant et marquant. Est ce que c’est un titre que vous vous seriez autorisé en dehors du format du Maxi ?

Pierre : À la base quand on a commencé à réfléchir aux morceaux, on les pensait plus dans le cadre d’un album et ce maxi là était intégré à l’album car on avait pensé à des morceaux qui marchaient en double. L’instrumentation de l’extinction du dodo est la suite de Train Fou. À la base c’était un track de sept minutes qu’on a décidé de couper en deux morceaux et Quentin a écrit ce texte par dessus.

On parle d’un truc très personnel mais on t’explicite le sens du texte. En réalité, nos textes ont toujours eu double sens et l’extinction du dodo c’est aussi un jeu de mot sur l’oiseau et la disparition des espèces. Donc tout le monde peut l’entendre de différentes manière et même moi je peux l’entendre comme un oiseau qui est entrain de nous parler des derrières heures de sa vie.

Quentin : Pour en parler c’est ça qui a guidé le texte avec la lecture d’Indignation de Philip Roth où une personne dans une sorte de purgatoire raconte sa dernière année de fac. Il y a pas mal de références à ça et c’est un texte que tu peux prendre sur pas mal d’aspects en effet.

LFB : Concernant le texte, quel rapport est-ce que vous entretenez avec le français ?

Pierre : Il est bon, notre rapport est bon (rires)

Quentin : Sur une échelle de 1 à 9, on est sur un 7.5/8 ce qui est plutôt un bon quota.

Pierre : On a quelques disputes quand même, on va pas se mentir, il y a quelques disputes à la maison.

Quentin : Mais le français est sympa.

Pierre : Plus sérieusement, en tant que chanteur, ça m’a vachement libéré. De base, j’avais très peu de références musicales françaises et ça m’a permis d’avoir une très grande liberté dans ma manière d’interprété, de ne pas être bouffé par des références dont je suis fan et qui me boufferaient.
À partir de là on peut s’amuser et avoir la distance nécessaire pour réaliser que ça ne sert à rien de faire du rock en français en imitant les anglais. Le français est une langue particulièrement rythmique et vu qu’on a beaucoup d’amour pour ce qui est polyrythmie, ça devient un vrai jeu.
Aujourd’hui je suis le seul à chanter mais on est deux à écrire les textes et Quentin peut me donner des textes qui sont impossibles à chanter où l’histoire est superbe mais où il faut retravailler les mots et les syllabes sinon ça devient très compliqué.

Quentin : Il y a un vrai défi. Pour le coup j’ai grandi avec beaucoup de chansons françaises tout petit, ma mère écoutait beaucoup Bashung, Daho, Cabrel… Et parfois quand Pierre chantait je voyais des choses et des références mais lui ne connaissait pas et s’en foutait et avec le temps ça a fini par donner quelque chose de très personnel.
Après, il y a une chose qu’on retrouve parfois dans la chanson française et qu’on évite absolument de faire, c’est de faire un texte qui ne va pas respecter la mélodie et le rythme. Ca reste de la musique, les mots doivent être mélodiques et il faut que Pierre puisse les chanter.
Alors forcément quand je lui mets un nom de personnage de mythologique grecque dans un texte…

Pierre : Je refuse (rires)

LFB : Finalement les mots sont utilisés autant pour leur sens que pour leur musicalité.

Pierre : Il faut vraiment trouver l’équilibre. Les textes et la musique sont tout autant travaillés et ont autant d’importance mais il ne faut pas que le premier aie le dessus sur la seconde. On joue sur le double sens, on n’aime pas donner les clefs à la première écoute.
Ce qu’on aime c’est des groupes où on peut écouter dix fois le morceau et où il y aura toujours de la surprise que ce soit dans le sens du texte où dans les détails de la production.

LFB : Est ce qu’il y a un vrai challenge de raconter des histoires personnelles tout en laissant travailler l’imaginaire des gens ?

Quentin : Ouais vraiment.

Pierre : Ca a toujours été le cas. Ce qui est marrant c’est que dans InigMaxi03, il y a chasseur chassé et c’est la première fois où le texte est ultra explicite. Quand je suis arrivé avec la première version, Quentin qui a écouté plus de trucs en français que moi m’a dit que l’instrumentation derrière était trop typée années 80/coldwave et que ça nous rapprochait de beaucoup de ce que des groupes faisaient actuellement.
Il m’a proposé une autre instru, on a mixé les deux et on se retrouve avec un morceau spoken-word qui nous semble différent de ce qui a pu se faire jusqu’à présent.
Ce qui est intéressant c’est que l’exploration du texte, allez vers quelque chose de plus explicite, de plus parlé et de plus dense, a fatalement questionné de suite l’instrumentation derrière. On travaille toujours la dessus, l’influence du texte influencera l’instrumentation… et vice et versa (rires).

Quentin : Pour revenir là-dessus, au delà de l’idée de mélodie et de l’histoire, ce qu’on essaie de faire, et Train Fou est un bon exemple, c’est de plonger l’auditeur dans une sorte d’ambiance que ce soit par la musique mais aussi par nos mots. Ce qui est assez drôle c’est que parfois les gens peuvent avoir une sensation inverse à la notre mais on essaie vraiment d’englober l’auditeur et qu’il y ait pas mal de choses sur lesquelles se raccrocher.

LFB : Ce qui est intéressant c’est que selon l’humeur, les chansons peuvent être vues de manières très différentes.

Quentin : Oui Effectivement.

Pierre : Train fou par exemple, quelqu’un peut l’interpréter comme le confinement du printemps 2020 ou comme un trip de drogue ou une personne perdu dans un hiver sans fin … Il y a plein d’interprétations et c’est ça le but, que chacun se l’approprie.

Quentin : Quand je l’ai fait écouter à mon grand frère, il pensait que c’était une chanson sur l’alcoolisme.

LFB : Finalement, vous entrouvez la porte et vous laissez les gens la pousser vers ce qu’ils ont envie de voir.

Pierre : Très belle image Charles, bien joué.

Quentin : C’est exactement ça (rires)

LFB : Et pour revenir sur chasseur-chassé qui sera sur l’Inigmaxi03, j’ai vraiment eu la sensation d’être face à un journal télé de l’apocalypse. Quelque chose d’hyper violent et à la fois très distancié.

Quentin : C’est pas faux. C’est marrant ce que tu dis car inconsciemment il y a un peu cette idée de journal TV des mauvaises nouvelles, Et le clip qui sortira peut aussi être perçu comme ça avec un défilé de plein de choses.

Pierre : Très bonne analyse (rires)

Quentin : C’est un peu un concentré de pas mal de choses qui peuvent nous questionner et on a toujours envie de tourner parfois les choses en dérision, de mettre un peu d’humour ou y mettre des images assez fortes … Et le titre peu faire un peu écho à MDTG dans un autre mood, pas musicalement mais dans l’ambiance un peu fin de règne, fin de civilisation.
Un délire un peu SF des années 80 avec des films comme Soleil Vert, Blade Runner ou Brazil avec un truc un peu crade où on a poussé la technologie trop loin et il y a un moment où tout meurt.

LFB : Chasseur-chassé c’est un peu le monde d’après de MDTG

Pierre : Tout est lié et ça fait partie des thèmes de société qui sont récurrents et qui le sont encore plus avec ce qui se passe depuis un an donc on va pas arrêter d’en parler. Après je t’avoue qu’un jour on aimerait bien écrire des morceaux un peu plus joyeux, mais on a un peu de mal.

Quentin : C’est vrai que nos morceaux parlent beaucoup de mort et de fin règne (rires).

LFB : Pour rester sur des thématiques pas très joyeuses, est-ce que vous pourriez me parler de votre morceau E.S qui est sorti l’année dernière ?

Quentin : C’est surtout Pierre qui l’a réalisé assez vite.

Pierre : J’ai trouvé la rythmique du chant assez hallucinante quand j’ai découvert les vidéos de ces manifestations au Chili. Ça m’a beaucoup marqué et je me suis dit qu’il y avait vraiment quelque chose à faire sans forcément en faire une sortie officielle.

Parce qu’on trouve ça un peu facile de se réapproprier des choses aussi lourdes … C’est leur truc, c’est pas nous. Donc j’ai fait une instru en quelques jours et ça a plu à Quentin. On pensait l’offrir comme ça mais notre éditeur l’a vraiment aimé et on a décidé d’en faire une vraie sortie.

On a dit ok mais on était mal à l’aise, on avait écrit au Collectif Lastesis pour les prévenir et leur proposer de leur donner les droits du morceaux mais on a jamais eu de réponse. On se voyait pas trop mettre le morceau sur un site pour qu’ils s’engraissent sur le dos de ces gens là donc on a trouvé un deal avec l’éditeur pour filer les droits à la Maison des femmes de Saint-Denis.

C’était une manière de dire qu’on est fier de cette création mais on a pas envie de se faire de la tune la dessus.
Et puis effectivement on est pas chilien, on est pas des femmes et on a beau lire Virginia Woolf, Despentes ou Mona Chollet, c’est assez compliqué de se placer en tant qu’homme sur ce genre d’actions féministes.

Quentin : Ca correspond à notre état d’esprit vis à vis de ce genre de combats qu’on trouve hyper positif mais en tant qu’hommes, on ne peut pas comprendre tous les enjeux, on n’a jamais vécu ce genre de choses donc au final ce morceau ne nous appartient plus vraiment.

LFB : J’aimerais parler des « membres de l’ombre » de Inigo à savoir ZEUGL. Je voulais savoir comment vous travaillez ensemble et comment cette relation a évolué au fil du temps ?

Quentin : Inigo c’est nous deux et en fait on a recruté dans tous les groupes de copains donc on les a connu via cette idée et on a pas mal évolué ensemble.
Ce qui est assez chouette avec ZEUGL c’est qu’ils ont une philosophie assez proche de la notre. Il y a cette volonté jusqu’au-boutiste qui nous touche vachement.
Ils ont une idée, un concept pour une charte graphique et ils vont la poncer à mort et aller dans tous les recoins que cette idée permet.
Ils ont grandi en même temps que nous et on a un peu évolué en parallèle et j’ai l’impression qu’on se nourrit mutuellement.

Et tu as raison pour l’idée des membres de l’ombre parce qu’ils font parti du projet même si ils répondent pas aux interviews et ne sont pas sur scène.

Au-delà de ZEUGL, on a toujours un peu vu Inigo comme une équipe sportive. On fait les chansons, on est en première ligne mais on fait vachement confiance aux gens qui travaillent avec nous tous les jours, que ce soit ZEUGL mais aussi David et Louis qui jouent avec nous et sont avec nous sur scène ou Adrien Pallot qui masterise nos morceaux.
C’est un petit artisanat où tout le monde à quelque chose à faire et se fait confiance et c’est comme ça qu’on a toujours voulu travailler.

LFB : Ce qui est intéressant, c’est qu’à travers les clips ou le visuel, ils donnent des clés d’interprétations. Notamment sur InigEP03 où ils ont vachement renforcé le côté apocalyptique.

Pierre : C’est vraiment leur interprétation. On les laisse très libre de faire ce qu’ils veulent. Je pense que tu fais référence à MDTG dans ce que tu dis. Effectivement on n’est pas très explicite et avec le clip, le sens du texte est plus évident.

De toute manière, ils s’inspirent vachement des textes. Par exemple mon amour abandonique sur le InigEP02 , ils avaient plusieurs choix et ils ont décidé de faire un clip sur l’amour courtois, un amour impossible au moyen âge alors que nous on s’était inspiré de Black Hole, la BD de Charles Burns pour parler de deux amoureux séropositifs.

Et d’ailleurs sous le clip en commentaire, une personne avait demandé si le morceau parlait du SIDA. Comme quoi même avec la vidéo moyenâgeuse, la personne avait dépassé l’interprétation du clip pour se faire sa propre interprétation.

Quentin : Ils ont tendance souvent à prendre des éléments du texte, à quelques mots, comme élément d’inspiration. Des phrases qui les poussent dans une certaine direction.



LFB : Vous avez récemment sorti un remix de Galo DC. Qu’est ce qui vous poussez à remixer un titre, à part que c’est un de vos potes ? Là pour le coup vous avez totalement transformé À La Plage.

Quentin : Benoit c’est un super copain, on se connaît depuis hyper longtemps. C’est lui qui nous a enregistré une session de flûte pour FC Poulain qu’on a ensuite complètement redécoupé. Ca nous arrive souvent de nous filer des coups de mains mutuels.

Pierre : C’est une manière de se rendre la pareille. On peut pas le payer pour qu’il nous joue de la flûte donc on lui fait un remix en échange. C’est aussi pour remettre en cause le capitalisme, on marche au troc (rires).
Plus sérieusement, ça nous amuse beaucoup de retravailler et de transformer le morceau. En vrai les remix qui font des micro-changements ça nous fait chier.

Et par exemple dans le remix, tu entends de la fûte à un moment alors qu’elle est assez sous-mixée dans le morceau original. Alors tu dis que c’est différent, c’est vrai, mais le remix reprend énormément d’éléments qui proviennent de la session d’origine. C’est plus mettre en avant des choses qu’on entend pas dans le mix.

Quentin : Toute la loop c’est sa voix qui est ralentie et redécoupée. On a vraiment pris ses pistes et on s’est amusé avec.
Le remix, tout est un peu permis et ça peut être un vrai terrain d’expérimentation, en tout cas c’est comme ça qu’on le voit.

LFB : Ce qui est drôle, c’est que même le clip est remixé.

Quentin : C’est une idée de Benoît ça. Il voulait faire une belle sortie et comme on avait sorti des filtres sur instagram, il a pris cette idée là pour faire le clip et le rendu est chouette.

LFB : On arrive à la fin de l’interview. Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour les mois à venir ?

Pierre : Qu’on reprenne les concerts pour faire des dates sympas et qu’on puisse trouver de quoi sortir un album pour la rentrée ou la fin de l’année pour partager toute cette musique qu’on accumule et dont on est fier. Qu’est ce que t’en dis ?

Quentin : Je pense que c’est un bon programme. En tant qu’Inigo, plus jouer sur scène, pouvoir retrouver David et Louis et pouvoir discuter avec les gens après, c’est une des choses qui nous manque le plus. Voir des concerts aussi nous manque pas mal.

Pierre : Et puis aussi produire le prochain album de Björk et une petite collaboration avec Burrial.

Quentin : Ouais je veux bien que Burial ou Four Tet nous remix et un feat avec Mount Kimbie. Tu crois qu’on est bon pour l’année ? (rires)

LFB : Pour finir, est ce que vous avez des coups de coeur récents à partager ?

Quentin : En musique j’ai adoré une artiste que Pierre connaît depuis plus longtemps que moi, Ana Roxane. Elle a sorti un album qui est hyper beau, assez ambient et il y a un morceau incroyable avec des samples de voix tiré d’un film. J’ai beaucoup aimé l’album de Music On Hold aussi.
En cinéma, j’ai enfin découvert le cinéma de Claude Sautet, il y en a pas mal sur Netflix.

En littérature j’ai lu Tous Complice de Benoit Marchisio qui est une sorte d’enquête journalistique qui se transforme en polar sur le milieu des deliveroo, uber eats etc … Je suis très polar en ce moment, j’ai aussi relu la fille du temps de Joséphine Tey qui est un des plus beau polar qui soit qui est assez bizarre, qui est aussi une réflexion sur ce qui est l’histoire et l’information et comment la prendre.

Et j’ai aussi énormément réécouté African Scream Contest, une compilation qu’on adore tous les deux et qui nous a vachement ouvert à l’afrobeat et au rock des différents pays d’Afrique. C’est un bon moyen de découvrir ce type de musique.

Pierre : Moi j’ai beaucoup aimé Red Sun Through Smoke de Ian William Craig et j’étais passé à côté du double EP de Andy Stott, It Should Be Us, qui était sorti fin 2019.
Et un film très cool c’est Dans La Terrible Jungle de Caroline Capelle et Ombline Ley, à ne pas confondre avec Terrible Jungle avec Jonathan Cohen. C’est vraiment un de mes films favoris de l’année dernière, je vous le conseille.

Et j’ai enfin lu Une Chambre à Soi de Virginia Woolf et j’avoue que ça a été une bonne claque dans ma gueule.

Crédit Photos Article : Léo Adrover