Concrete and Glass : L’Édification Aérienne de Nicolas Godin

En 2015 Nicolas Godin, la moitié du duo Air sortait Contrepoint, un album expérimental aux sonorités jazz et musique classique sur lequel chaque morceau était composé à partir d’une œuvre de Jean-Sébastien Bach. Concrete and Glass son deuxième album est quand à lui une ode à l’architecture aux sonorités aériennes qui rappelle les grandes heures de Air.

Comme pour son premier album, Concrete and Glass part d’un concept. L’artiste Xavier Veilhan a assigné au musicien versaillais la tâche d’écrire des morceaux inspirés par des bâtiments modernistes à travers le monde. Nicolas Godin s’est prêté au jeu, voyageant dans chaque endroit pour s’imprégner des espaces, des textures, des lieux pour réaliser les soundscapes. Si les travaux ont servi d’identité sonore aux expositions du plasticiens, le musicien en a gardé l’idée et a réécrit chaque morceau pour ériger Concrete and Glass.

The Border, le premier single de l’album sorti fin 2019 est une balade cosmique hors du temps dont la vidéo, à l’image du concept de l’album, commence dans une maquette architecturale de maison. On y voit ensuite le personnage s’envoler et flotter dans les airs. Et c’est précisément là, en apesanteur que les synthétiseurs spatiaux et la voix robotique du morceau nous élève, rappelant les envolées lunaires de Moon Safari. Il en est de même pour Concrete and Glass et What Makes Me Think of you, le premier posant les bases architecturales, y proposant les matériaux, à la fois solides et solaires, le second sur lequel une voix féminine vient s’ajouter à la voix vocodée du chanteur pour une chanson d’amour digitale et dreamy. Mais si l’on s’attend à ce que la voix nous murmure des prénoms d’amoureux/ses, les noms susurrés sont ceux de grands architectes (Claude Parent, Mies Van Der Rohe, Le Corbusier…). C’est l’amour des grands architectes, de l’art et du labeur qui mène à l’extase et au sublime qui est célébré dans ces morceaux.

The Foundation le second single de l’album, collaboration avec le chanteur américain Cola Boyy en est un autre exemple. Le chanteur parle de fondation d’une maison et du travail nécessaire pour la créer et cette construction est ainsi mise en parallèle avec le construction d’une chanson. Ennemie dans un premier temps puis qualifiée de salutaire (« But this foundation is our worst enemy, Unexpected responsibility of building a roof over your lover’s head » – « Mais cette fondation est notre pire ennemie, Responsabilité inattendue de construire un toit au-dessus de la tête de ton amoureux/euse » puis « The foundation is our salvation (…) and lay the bricks, now you feel it » – « La fondation est notre salut, (..) pose les briques, maintenant tu le ressens ». Le labeur d’ériger un bâtiment comme celui de composer de la musique, pour accueillir ceux qu’on aime est la mission de l’architecte comme du musicien.

“Quand je crée une chanson, je m’imagine comme un décorateur ou un architecte d’intérieur. Mon rêve serait d’observer un morceau à peine composé sur une table. Le Corbusier n’avait pas pensé la dimension acoustique, je souhaitais donc modestement apporter ma petite contribution au Modulor. J’ai toujours conceptualisé la musique en 3D avec beaucoup d’espaces – ou de vides en étant ironique –, comme si je rentrais physiquement dans les morceaux ».

Autres morceaux forts de l’album Back to your Heart en collaboration avec la chanteuse russe Kate NV et We Forgot Love avec la musicienne soul Kadhja Bonet, sont de magnifiques pépites, tout aussi lancinantes, qui se distinguent des autres morceaux de par leurs voix féminines qui se posent parfaitement sur l’instrumentation futuriste du musicien. Si les deux chansons abordent le thème de l’amour qui s’en va un jour, mais qui revient un autre, les allusions à l’architecture n’y sont jamais loin. Back to your Heart commence par les lignes : « There is a place I use to know, down the road… » (Je connaissais un endroit, au bou de la rue…). Et il en est ainsi pour toutes les collaborations de l’album : “J’ai présenté la musique à Cola Boyy. Comme pour chaque invité sur le disque, je lui ai évoqué l’origine architecturale du projet en lui donnant libre cours à son inspiration personnelle pour les textes”.

Nicolas Godin collabore ainsi avec Alexis Taylor (Hot Chip) sur Catch Yourself Falling ballade futuriste avec synthé et basse funk et Kirin J Callinan, musician australien, sur Time on my Hand pour un morceau dreamy aérien. L’album se construit brique par brique et nous fait voyager loin avec des sonorités spatiales et volubiles.

Turn Right, Turn Left nous propose une virée dans Los Angeles (ville où le musicien s’est installé) avec une voix féminine robotisée nous guidant dans les rues de Silver Lake. On voyage à la fois dans l’espace urbain des rues de la ville et dans l’espace virtuel de lointaines galaxies. Le cyber GPS donne des directions flottantes bientôt accompagnées de violons précédant des chants mélodiques vocodés qui signent le climax du morceau… le gps reprend… puis comme à la fin d’un trajet nous annonce : « you have reached your destination. » (« vous êtes arrivés à destination. ») Les violons s’évaporent, retour en douceur…

Cité Radieuse le dernier morceau de l’album est instrumental et débute par des claviers frénétiques ensorcelants et évolue dans une seconde partie en lente balade twin peaksienne au son d’un saxophone. On y retrouve les amours du musicien pour le jazz. Et si l’auteur de Concrete and Glass souhaitait que l’on puisse appréhender l’album sans en connaître les inspirations architecturales d’origine, ce dernier titre est un direct hommage au bâtiment marseillais de Le Corbusier.

Si Concrete and Glass était une maison, elle serait spacieuse, lumineuse et chaleureuse. Mais si le concept est ancré dans la pierre, dans le béton et le verre, la musique elle est ethérée et aérienne et nous transportent bien plus haut que ces inspirations terriennes.

Nicolas Godin nous a émerveillé à Lafayette Anticipation début février (on y était !) et reviendra cet été à l’affiche de Day Off (du 27 juin au 7 juillet prochain) à la Philharmonie de Paris avec entre autre Agnes Obel, Nicolas Jaar, Anna Calvi et Kevin Morby. On note…