Rank-o mettent les doigts dans la prise

Un vent de fraîcheur se fait sentir. Il s’agit d’un mouvement d’air provoqué par la vibration intense des hauts-parleurs de quelques amplis de guitare. Le Rock, ce genre en mutation permanente depuis ses balbutiements il y a plus d’un demi-siècle et qui maintes fois semblait s’être définitivement éteint. Ce courant musical majeur qui, pour certains, se vide de sa substance depuis plusieurs décennies. Si d’aucuns semblent attendre la fin de cette lente agonie (si tenté que ce jour arrive), d’autres pensent que c’en est déjà fini du Rock, et ce depuis très longtemps.

Il n’en est rien. En réalité, ce que l’on appelle Rock aujourd’hui est loin d’avoir dit ses derniers mots. N’en déplaise aux puristes, il a effectivement beaucoup changé, car les mentalités changent. Le Rock, de mutations en métamorphoses, n’a fait que rester dans l’air de pléthores de temps qu’il a traversé sans -presque- jamais essouffler. Car le Rock, c’est avant tout un état d’esprit qui, peut-être, induit certaines esthétiques sonores, mais surtout, cherche à faire tomber les barrières. Rank-o nous en donne un très bon exemple avec leur premier album, De Novo.

Pochette de De Novo

Ce quatuor originaire de Tours fait du Rock, et le fait bien. Ses membres n’ont pas à rougir lorsqu’ils l’annoncent, car si on en retrouve l’esthétique globale, on y trouve surtout beaucoup de surprises, de bonnes surprises. Rank-o, c’est avant tout quatre Tourangeaux issus du Capsul Collectif. Une coopérative locale de musicien.nes inscrite dans une démarche artistique contemporaine et dont le but est, selon eux, d’exploser les frontières musicales. Comme ici à La Face B, ils sont persuadés que l’avenir de la musique est dans l’exploration libre et sans frontière de tout ce qui peut être fait ou désiré. Rank-o nous en fait une superbe démonstration en allant se trouver où on ne les attend pas. Sans s’enfoncer dans une démonstration hermétique et abscons, ils prennent le pari de proposer une musique riche, forte d’un jusqu’au-boutisme remarquable mais surtout, une musique qui sait parler aux oreilles.

Partant de ce fait, il est important de souligner la complexité sous-jacente des huit compositions de De Novo. Les grilles d’accords sortent du cadre ordinaire. Là-dessus, le groupe joue aussi énormément sur la dissonance, pose une tension édifiante dans Half-Life, délicieuse dans Cold Rush. Les rythmes, souvent agités,rarement binaires, restent malgré tout dansants (on pense à la très fraîche Cheetah). Ils déstabilisent cependant, comme dans Cent mille, sorte de version améliorée d’un tube de Pop-Rock français des années 80’s. Sortir des cadres pré-fabriqués semble être une des spécialités du groupe, qui au sein du Capsul Collectif s’est exercé sur une multitude de genres musicaux, allant du Free-Jazz au Punk-Rock, en passant par la musique Électronique. Rank-o a délibérément une approche progressiste de la musique.

L’apport d’une boite à rythme sur Helena ou le synthétiseur fou et rétro-futuriste de Humans sont quelques pépites sur lesquelles on ne s’attend pas à tomber et qui pourtant sont de très bonnes idées, en plus de participer à créer l’identité sonore du groupe. Ce dernier emprunte à l’Electro et la Trance l’usage répété de boucles et de drones. Toutefois, Rank-o fait bien du Rock à guitares. Sur la plupart des pistes, il y en a trois. Par conséquent, un univers sonore très étoffé se créé, peignant des paysages musicaux aux mille couleurs. Milles couleurs saturées, triturées, noisy. La plupart des morceaux de De Novo débordent d’énergie, cette énergie propre au Rock, survoltée (Gallery, Cheetah), déjantée (John) ou simplement sans concession (Helena).

D’ailleurs, cela faisait bien longtemps que la technique du « mur de guitare » (développée notamment par Butch Vig avec Nirvana et Garbage) n’avait pas été mise à profit. Tel que sur Helena, au fond sonore constamment recouvert par une guitare dense qui englobe tout le fond de la stéréo. Cette technique de mixage est plusieurs fois utilisée sur le disque. Grâce à elle se dégagent un sentiment de puissance décuplé et un effet de proximité qui donne l’impression d’être au milieu des musiciens, en plein concert.

Quoi qu’il en soit, ce souffle d’énergie fait du bien. Bien que Rank-o ne fasse définitivement pas dans la facilité, leur album reste malgré tout accessible. En usant de mélodies accrocheuses comme celle de Humans, ils réussissent à s’immiscer dans les esprits et y rester. Même les morceaux plus lourds comme Half-Life ou Cold Rush placent l’auditeur dans un cocon Shoegaze assez plaisant, très hypnotique. En dépit de vraies ritournelles Pop, le groupe puise sa force dans l’abondance de ses inspirations et influences. Si vous avez une affinité avec le Rock Psychédélique, la Coldwave, le Shoegaze, le Post-Rock, la Pop-Rock française, le Post-Punk, l’Electro, le Jazz ou encore le Noise, alors il est presque impossible que vous n’y trouviez pas votre compte. Le plus, c’est la découverte d’un univers riche et complexe, assez inédit en somme.

On peut alors dire que Rank-o est déjà bien en place pour prendre part à l’évolution musicale de son temps. Une mutation majeure qui veut annihiler les frontières, faire table rase des clivages et clichés. En bref, faire de la musique pour la Musique. Dorénavant, la forme sert le sujet, le fond. Un groupe de Rock n’est plus obligé de s’en tenir aux cocottes préfabriquées, aux rythmes qui ont déjà fait leurs preuves sur tel ou tel album mythique du genre. Et c’est pareil dans la Pop, le Rap ou la musique Électronique. Un vent de révolution qui est né il y a quelques temps déjà, transportant avec lui des graines, et dont Rank-o -entre autres groupes- est l’une des pousses les plus prometteuses.

Rank-O

N’oublions pas qu’il y a déjà 50 ans, des groupes comme Gong ! (avec leur mythique Camembert Electrique) ou plus récemment Camper Van Beethoven s’étaient déjà retrouvés dans un champ des possibles pleinement ouvert, mais peut-être trop ouvert pour leur époque.

A une époque où tout semble déjà avoir été fait, De Novo est une très bonne surprise. Des prises de risques maîtrisées et une facilité pour faire du frais avec parfois du vieux font de Rank-o un groupe à suivre de près. Autant pour les nostalgiques des grands-moments de quelques sous-genres musicaux que pour les curieux.ses en quête de nouvelles expérimentations sonores. Les Tourangeaux ouvrent une nouvelle brèche qui, on l’espère, débouchera sur un filon doré d’artistes et de groupes adoptant cette même démarche. Et pourquoi pas en osant de plus belle.

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