Crenoka – Earth Capsules

De temps en temps, des objets musicaux non identifiés viennent se heurter sur le sol froid de notre planète au bleu fanant. Earth Capsules en fait partie. Crenoka nous envoie depuis un univers couleur pastel la mémoire du beau et du vrai, pour peut-être nous aider à vaincre l’ombre grandissante qui obscurcit peu à peu nos existences.

artwork de Earth Capsules par Mathilde Baron-Harjani et Juan Lagarrigue

Nastasia Paccagnini, chanteuse du groupe maintenant dissout Thé Vanille, nous revient en solo sous l’avatar de Crenoka. Humanoïde sensé voire hypersensible, une Nausicaä cyberpunk nous alertant sur le fait que peut-être, nous sommes déjà dans le post-apocalyptique des vieux récits de SF qu’elle dévore depuis son plus jeune âge. Avec Earth Capsules, Crenoka explore les confins de l’Être autant que les sons et les textures. Il en résulte une Bedroom Pop hybride, riche et expérimentale dans laquelle des bruits digitaux se confrontent à des instruments acoustiques fragiles aux teintes Lo-Fi. C’est un univers intérieur et souvent intime dans lequel elle nous fait plonger. Nous prenant par la main, jusque les profondeurs d’océans pastels, d’autres contrées, et dans lesquels il fait bon s’égarer.

Comme un oracle de mauvais augure, Humanoïd wants to see the stars ouvre le disque. Un sentiment d’oppression enlace notre poitrine jusqu’à ce qu’un soleil grandiose passe au-dessus de l’horizon, irradiant l’atmosphère de nappes synthétiques d’une douceur immense. On comprend déjà ô combien cet album sera poétique et déconcertant.

Puis, enivrante et magnétique, arrive Cinderella. Electronica aux effluves R’n’B noyé dans des réverbérations surréalistes qui se répandent dans nos corps transportés. La voix synthétique de Crenoka dessine dans nos esprits les images d’un conte de la folie moderne qui expose la solitude humaine et l’éphémérité de toute chose.

Eyelid quant à elle explore des sonorités et des rythmes plus indies, toujours baignés d’une influence R’n’B. Certainement l’un des morceaux les plus Pop du disque, il est accompagné d’un clip hypnotisant à l’esthétique DIY.

Arrive ensuite Zombies from Jupiter, inquiétante, crépusculaire. Malgré ça, elle rayonne de par son texte qui nous sous-entend que l’amour nous protégera de l’ombre. Crenoka nous prouve ici encore à quel point l’auto-tune peut être un outil merveilleux pour moduler les émotions. Elle l’utilise merveilleusement bien, si bien qu’elle repousse l’art du chant dans des retranchements trop rarement explorés jusqu’à maintenant.

À mesure que les morceaux défilent, les sonorités sont de moins en moins aériennes. Atterrissage en douceur, progressif. Compromised illustre bien cela, on perçoit l’effet de la gravité sur elle. Sons magnétiques, lourds, sur lesquels Crenoka esquisse la fragilité du corps et de son intimité, vulnérabilité gonflée d’audace.

Pray s’approche encore un peu du sol, au point de pouvoir s’y allonger. Échappée Pop-Folk tout en douceur, infusée de douleur. Comme un goût de fin, des marins laissés pour compte au milieu des mers inhospitalières et vengeresses. Ce morceau est une cassure, autant dans le déroulement et l’esthétique musicale de l’album que dans le cœur de l’auditeur. Atteindra-t-on la rive ? Rare sont les morceaux aussi touchants. Avec le côté dépouillé des arrangements, la voix cette fois sans filtre de Crenoka nous emporte tendrement sur un doux arpège de guitare.

À la suite de ça, elle aborde ce qui s’apparente à de l’indietronica sauce Billie Eilish : 18H10. Construite sur plusieurs niveaux, montagne russe intérieure, elle traite du combat difficile qu’est la lutte contre (et aux côtés, fatalement) la dépression. Là encore, le morceau est accompagné d’un clip DIY tout en simplicité bordé de fleurs et baigné d’une poésie délicate.

La dansante Anchor Riley prend le pas sur la mélancolie. Ses harmonies vocales forment un chœur qui accompagne la narration d’une histoire équivoque, sublimée par un clip dans lequel Crenoka interprète une chorégraphie lumineuse dans la nuit noire.

La boite à rythme détraquée de Pale Sun arrive ensuite. Morceau architectural de près de 6 minutes qui mute vers une Electro-Pop incisive et doucement dansante. Danser pour tenter d’éloigner l’ombre colossale des regrets, le monstre des remords qui viendra dévorer nos cœurs.

Définitivement arrivés sur la terre ferme, la douce-amère The comfort of habits traite de la routine qui nous ronge lentement, le constant appel du confort qui peut nous piéger dans ses draps chauds pour nous y étouffer. Les nappes synthétiques qui ne nous ont pas quitté tout au long du disque sans jamais tomber dans la répétition lassante s’essoufflent elles-aussi avant de définitivement nous quitter.

En effet, le onzième et dernier morceau de Earth Capsules met à l’honneur un ukulele-voix chaleureux et posé. Don’t make a sound conclue l’album en beauté, avec simplicité, dans la plus pure tradition de la Bedroom Pop. Ainsi, l’album semble s’apaiser au fil des pistes, par la même, Crenoka semble s’humaniser de morceau en morceau, comme si l’humanoïde s’étant arrêté sur terre avait fini par complètement s’intégrer, s’acclimater à l’espèce humaine. De sonorités étranges en morceaux à l’harmonie complexe, on arrive peu à peu à des musiques plus douces, plus accessibles, comme si, au plus Crenoka comprend, au plus elle peut être comprise.

Notons que Earth Capsules est une mixtape. Il est indéniable que ce disque se rapproche grandement du concept album, rare sont les albums dotés d’une telle cohérence. Empruntant autant à l’Electronica qu’au R’n’B et passant de surcroît par une extraordinaire variété d’influences et d’inspirations, Crenoka nous livre ici un premier album merveilleux et dense. Sa sensibilité exacerbée trouve le chemin de nos cœurs et ses expérimentations sonores réellement bien maîtrisées forment un genre hybride absolument merveilleux. Chaque texte est baigné d’une poésie remarquable en dépit du fait qu’ils soient écrits en anglais.

Avec Earth Capsules, Crenoka bâtit un royaume dans lequel s’abriter. Un royaume de fiction dans un univers trop réel, étouffant. Elle fait s’entrechoquer réalité et technologies tout en peignant une toile numérique sur laquelle sont dépeintes la condition humaine, la vulnérabilité des sentiments dans un monde froid et dystopique dans lequel, parfois, la machine peut sembler plus humaine que l’humain. Au fil du disque, on comprendra que la seule quête qui vaille vraiment la peine est l’amour. Seul l’amour pur et rayonnant pourra effacer ces ombres qui nous écrasent.

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