Canine : « Je n’ai jamais craint la profondeur »

Nous avons retrouvé Magali Cotta, aka Canine, dans un bar de la rue des Abbesses, le temps d’une discussion autour de son deuxième album, Source. Porteuse d’un projet singulier où la forme s’allient au fond pour le plaisir de nos yeux et de nos oreilles, Canine, avec son nouvel album, se dévoile un peu plus.

La Face B : Bonjour, j’aurais tout d’abord la curiosité de te demander ce que tu as ressenti à la sortie de ton deuxième album, Source

Canine : C’est surtout pendant l’avant que l’on ressent des choses, parce qu’on a du temps. Ensuite, on est tellement pris dans la construction du live et la promo, qu’au final on est comme pris dans un tourbillon. On essaie de ne pas trop penser, de ne pas trop se projeter et surtout d’en profiter, d’être au maximum dans le moment présent.

La Face B : Ce qui prédomine, c’est davantage la concrétisation de ce que tu as créé ou le fait de pouvoir passer à autre chose ?

Canine : Plutôt de concrétiser. C’est un peu tôt pour passer à autre chose. Mais oui, concrétiser, revivre l’album dans un deuxième temps. Quand on est en studio, on le vit vraiment d’une façon intense. Et puis, en répétition, on le vit d’une autre façon, pour moi la plus plaisante. Ensuite, la sortie avec les promos et les concerts, c’est encore autre chose. C’est comme un tourbillon.

La Face B : Un deuxième album est souvent décrit comme le plus délicat à réaliser. Rester dans la dynamique du premier, qui a bien fonctionné, tout en prenant garde de ne pas être dans la redite. Le pari est réussi. Comment as-tu su éviter les pièges ?

Canine : Aussi bien au niveau de la forme que de la technique, j’avais envie de faire autre chose. Donc le côté « refaire la même chose » était déjà évacué. Une fois de plus, on ne réfléchit pas trop et on essaye d’être sincère. Les albums sont très en lien avec ce que je vis lorsque je suis dans la composition ou l’écriture. Comme la vie est très mouvante, ça ne se ressemble pas vraiment. Le premier parlait de quelque chose, le deuxième d’une autre, parce qu’il a été conçu sur une autre période. Du coup j’ai la sensation qu’ils ne se ressemblent pas.

La Face B : Récemment, on m’a demandé de décrire le style musical de Canine et j’ai été un peu embêté car j’ai du mal à te mettre dans une case. J’ai fini par répondre avec trois mots qui me sont venus : Electro-pop forcément, mais aussi Intense et Chœurs (ceux de tes chanteuses). Comment pourrais-tu pourrais caractériser ton projet musical ?

Canine : Il y a de cela. C’est un projet qui est très vocal, tourné vers le chant. Pour moi j’ai trouvé comme termes : « Chanson électronique et pop orchestrale ». « Chanson » parce qu’il y a dans la structure quelque chose qui relève de la chanson. Il y a des cuivres qui permettent d’englober tout cela : l’électronique, le côté chanson, le côté lyrique. Il manque le côté chœur, c’est vrai. Une journaliste avait parlé de « Gospel Cosmique ». J’avais bien aimé.

La Face B : Dans Source, les atmosphères sont plus intimes que dans Dune. Tu sembles avoir évolué vers moins d’emphase et davantage d’introspection ?

Canine : Je ne l’ai pas choisi consciemment. Cela vient davantage de la période que je traversais au moment de l’écriture, qui m’a influencée. C’est un album post-rupture. Suite à une rupture amoureuse ou à un deuil, on fait face à des périodes où on subit un grand choc. Il y a un repli sur soi, où on est obligé d’être dépouillé de tout artifice. On se retrouve de soi à soi, dans le plus simple appareil. L’album a pris des allures de journal intime. C’est ce que je traversais alors qui me venait en musique.

La Face B : On y trouve quand même un aspect cathartique. Source semble exprimer cette force de résilience qui te pousse à aller de l’avant.

Canine : C’est un album qui m’a permis de me remettre de cette rupture. Il y a des choix très concrets lorsque l’on est au fond du gouffre. Soit on se perd dedans, et pour moi ça aurait été vertigineux parce que je n’avais jamais vécu quelque chose d’aussi fort dans le mauvais sens du terme. Soit on se bat pour aller chercher la lumière. Et ainsi se dire que cette rupture, c’est la fin de quelque chose, mais aussi le début d’autre chose. L’écriture m’a permis de créer des bulles dans lesquelles je pouvais me mettre et y sentir un réconfort dans la recherche de la résilience et de la lumière. 

La face B : Musicalement, on retrouve par exemple dans FORCE un trait propre à Canine. Une mélodie forte qui amène une élévation et un rythme se rapprochant du flamenco, qui donne au morceau une assise très terrestre. Douceur et force, ce sont des oppositions avec lesquelles tu aimes bien jouer ?

Canine : J’aime beaucoup jouer sur les contrastes. Pour moi effectivement, FORCE est très terrien et c’est vrai aussi que les voix s’élèvent vers le haut. Et j’aime bien, mais c’est surtout un truc d’arrangements ou de prod, aller dans les contrastes sans trop réfléchir. Se dire j’entends ça, mais aussi ça en même temps. Ce n’est pas quelque chose qui semble très logique ou évident mais si on le ressent alors, oui, c’est intéressant de mettre ces couleurs-là. Et effectivement dans FORCE, il y a ce truc.

On est tous des êtres composés de nuances. La musique permet de mettre en lumière le fait que l’on puisse être en même temps très doux et extrêmement violent. Parfois désemparé, parfois avec une grande force. Je trouve intéressant dans un même morceau de faire état de cela.

La face B : Trois interludes rythment ton album. As-tu souhaité mettre trois temps de respiration ?

Canine : Ce sont des moments de respiration, oui, mais pas seulement. A un moment, il faut bien arrêter l’album et donc on ne peut pas y mettre tous les morceaux que l’on a composés. Or, il y avait deux morceaux que j’aimais beaucoup, Safe et Hidden Sorrow, mais qu’on n’a pas retenus. Alors j’ai décidé de les inclure en interlude. Et ce qui m’a plu, c’est de les faire figurer de façon brute, lofi. En fait, il s’agissait de mes maquettes avant toute prod. Comme l’album est très produit, je trouvais intéressant de dédramatiser la chose avec des moments un peu plus rough.

Pour le troisième interlude, 5 ans, il date de quand j’étais petite et que je m’enregistrais avec les pestacles et tout. Je ne sais plus qui m’y a fait penser. Ça me fait rire parce que petite, c’était mon rêve de faire de la musique. Et je passais toute mes journées à m’enregistrer. Je trouve intéressant de parfois dialoguer avec l’enfant qu’on a été. J’ai une tendresse pour lui. C’est comme donner un coup de main à cet enfant.

La face B : Un retour en arrière.

Canine : C’est comme si tu offrais ça pour qu’elle puisse vivre ce que je vis maintenant. C’était mon rêve.

La face B : L’eau est un élément qui est très présent dans ton album. Que représente-t-il pour toi ?

Canine : L’eau, pour moi, c’est vraiment tout. Et justement, durant cette période post-rupture, la mer a été l’élément salvateur qui m’a suivi pendant cette année-là. Même en hiver, je me suis beaucoup baignée. Mais en combinaison, je le précise parce que je suis frileuse. J’ai ressenti dans l’eau une force mystique d’aide plus grande que moi-même. Et puis, étant niçoise, c’est quelque chose que j’expérimente depuis que je suis petite. J’ai toujours beaucoup nagé ou fait de la plongée dans la Méditerranée. C’est donc quelque chose que je connais depuis l’enfance, mais durant cette période ça a été complètement fou. Cet album est aussi un hommage à la nature et à la mer, qui est pour moi mon élément.

La face B : Mais tu peux aussi te perdre comme lors à la fin de ton album avec l’ivresse des profondeurs ?

Canine : La profondeur. Là, maintenant, je me suis calmée mais il y a eu un moment où je ne recherchais que ça quand je faisais de la plongée. J’avais vraiment envie d’aller le plus profond possible. J’étais aspirée, happée. Je n’ai jamais craint la profondeur.

La face B : En apnée ou en bouteille ?

Canine : En bouteille. En apnée, je ne sais pas si j’aurais pu avoir une narcose. C’est plus quelque chose qui appelle. Il y a un mystère, une connexion.

La face B : La lumière disparaît au fur et à mesure pour laisser place à l’obscurité.

Canine : Mais c’est une obscurité qui vit en nous. Pour moi, elle est familière, elle n’a rien d’effrayant. Je sais que c’est un sport dangereux mais c’est quelque chose qui ne me dérange pas. S’il y avait un accident tout au fond, ce serait quelque chose que j’accepterais. Je me sens très aspirée par les profondeurs.

La face B : Tu te sens donc en osmose avec la mer.

Canine : En osmose avec la mer et avec tout ce qu’elle comporte de sauvage, de très coloré parfois ou de très joyeux. J’ai la chance de pouvoir plonger dans différentes mers. Je suis évidemment davantage attachée à la Méditerranée, qui est ma mer. Mais dernièrement, j’ai aussi plongé en Mer Rouge, et c’est autre chose, un monde féérique. Je trouve que c’est très rassurant de se dire que dans ce monde qui nous dépasse complètement, il y a un immense endroit tout bleu sur lequel on n’a pas encore la main mise, que l’on embête évidemment et que l’on pollue beaucoup trop, mais qui est en tout cas plus grand que nous. 

La face B : Canine se vit aussi sur scène. C’est ce qui a donné à ses débuts sa spécificité à ton projet. Est-ce toujours important aujourd’hui ?  

Canine : Pour moi, c’est toujours très important. C’est, j’allais dire un aboutissement, mais en fait c’est plus que ça. C’est aussi un moment où la solitude de la composition, du studio, est brisée. Je retrouve mes musiciennes que j’aime beaucoup et que je connais bien. C’est aussi un moment où la musique vit autrement.  Je suis très attachée à la scène parce que je fais du théâtre. L’aspect scénographie, les lumières, recréer un univers qui soit visuel, tout cela c’est très important. J’aime beaucoup cet instant où, lorsque je rentre sur le plateau, je sens que je suis dans l’espace de mon morceau. Que mon morceau est en 3D.

La face B : Tout récemment, tu as présenté ton nouvel album au Centre Pompidou. Première surprise, les masques sont tombés. Pour Dune, tu évoluais derrière un masque en plume. Le fait de le retirer signifie quoi pour toi ?

Canine : Il y a un côté : « On enlève les artifices ». J’ai aussi la sensation d’être allée au bout du masque. J’ai adoré ça parce que le masque c’est quelque chose de très fort. Ça m’a permis de me révéler, de révéler le projet, d’aller plus loin que si j’étais arrivée sans masque. Mais au bout d’un moment, j’ai l’impression que ce masque peut aussi enfermer. Et qu’au lieu de faire grandir le projet, ça l’encadre un peu trop. Je sentais que c’était le moment de l’enlever. Et maintenant, ça me fait du bien d’être sur scène sans masque.

La face B : Ton spectacle était juste incroyable, millimétré. Recherché mais en même temps sobre. Quand tes chansons naissent, les imagines-tu sur scène ?

Canine : Non pas du tout. Quand je fais mes chansons j’ai des couleurs, un paysage, un visuel abstrait. Ensuite j’ai adoré quand pour le live on a travaillé toute la scénographie et les lumières avec la personne qui s’en occupait. C’est allé très vite. Derrière chaque morceau, je disais « telle couleur, telle couleur », « telle couleur mais au refrain telle autre couleur ». Cela vient du ressenti que j’avais éprouvé lors de la composition. Mais à l’époque c’était plus abstrait.

Ensuite, le travail de remettre en concret avec la technique, c’est un truc que j’adore. Que ce soit dans la musique ou dans le montage vidéo, dans la peinture, …. J’adore vraiment quand cela passe de la forme au fond.

La face B : La scénographie et le travail sur les lumières étaient impressionnants. Souvent, les projets pêchent un peu sur ces aspects. Là, ce n’est pas le cas. En termes d’utilisation des couleurs, des profondeurs, de projections vidéo, de lasers présents pour reconstituer un espace et le cloisonner. Ce sont des choses que vous avez construites en commun ?

Canine : Oui, on l’a construit ensemble. Le pitch était assez simple : « Les profondeurs ». Et donc essayer de retravailler sur tout ce qui est en lien avec la mer. Et aussi en cherchant à lui donner de la chaleur malgré le fait qu’elle soit bleue, une couleur froide. On a donc travaillé par exemple sur le reflet du soleil. Dans Sun, il y a ces reflets du soleil qui vont d’ailleurs jusqu’à l’éblouissement. L’utilisation de lasers a aussi permis de créer une surface. « Chaleur, mer et profondeur » ont formé un cadre dans lequel on a élaboré ces effets. C’était un travail hyper intéressant.

La face B : Tu joues aussi en utilisant des estrades pour structurer la scène en différents plans.

Canine : Pour moi, sous les estrades on a cherché à retrouver quelque chose d’organique, comme des branchies de poisson. Recréer un monde, comme si tout d’un coup il y avait des concerts sous l’eau et que l’on arrivait dans ce monde-là.

La face B : Tu sembles vouloir tirer ton projet au-delà de la musique et vouloir croiser les arts. Pour preuve, ta première partie était assurée par une danseuse. C’est quelque chose que tu souhaites creuser ?

Canine : Ce que je cherche surtout, c’est de trouver des premières parties originales. Là, ce qui me plaisait, comme on était à Beaubourg, c’était d’aller vers la danse. Cela permet aussi d’offrir à quelqu’un qui n’est pas du métier et qui n’a pas forcément de réseaux une chance d’être sur scène. Ça s’est fait comme ça, sur un concours. On est très bien tombés parce que Margot  [Loizeau] a beaucoup de talent. Je ne sais pas si pour chaque première partie, ce sera de la danse, mais je trouve intéressant de mixer les arts. Pour moi, cela allait au-delà même de la danse, on était plus dans une performance, parce qu’il y avait aussi la présence d’une voix off qui expliquait le processus de création. Créer des petits objets scéniques qui ne soient pas vraiment identifiés mais qui permettent de mettre en valeur un artiste.

Margot Loizeau en ouverture de Canine au Centre Pompidou de Paris

La face B : Quelles sont tes prochaines actualités ?

Canine : Il y a un Trianon qui s’annonce. Ensuite, une tournée va se préparer à partir de cet automne et jusqu’en 2023. Il y a également un autre projet qui débute et qui me tient beaucoup à cœur. Il s’agit d’un projet de musique pour un jeu vidéo qui présenterait une sorte de concert de Canine interactif. C’est un gros travail de composition et de recherche.

Et ensuite, j’aimerais bien partir sur des performances comme celles que j’ai pu faire au Théâtre du Châtelet. Des choses qui sont musicales et avec lesquelles il existe une proximité avec le spectateur. Le Covid m’a empêché de faire cela pendant deux ans. J’espère qu’aujourd’hui, on va pouvoir repartir vers des formes d’art où il existera du contact entre nous et pas forcément derrière des masques ou des plexiglas. C’est un projet que j’ai en tête. Mais ce qui reste le plus important c’est le jeu vidéo et bien sûr la tournée.

La face B : Le jeu vidéo sera centré sur Canine ?

Canine : Oui, c’est comme si c’était Canine. En fait, ce sont des avatars qui vont jouer. Je crois qu’ils prendront la forme de petits squelettes, mais je n’en suis pas encore certaine. Les joueurs se baladeront dans le jeu, et quand ils voudront assister à un concert, ils iront dans une salle de spectacle. Pour que ce ne soit pas toujours la même musique, un algorithme adaptera la musique selon les physionomies des salles. Parfois, ce sera juste voix basse, parfois tous les instruments seront présents, ou alors que les chœurs. C’est hyper intéressant, parce que c’est une composition en puzzle, comme en 3D.

Le Studio Ankama qui s’en occupe est génial. Ils sont basés à Roubaix et travaillent aussi dans l’animation. Je suis contente de m’ouvrir à un autre univers comme celui des jeux-vidéo. J’adore le fait qu’il n’y ait plus de frontières entre les arts. J’aime beaucoup parler avec le directeur musical d’Ankama, car il est connecté à tout cela. C’est vraiment intéressant de ne pas cloisonner la musique, de pouvoir bouger.

La face B : Et pour finir, que peut-on te souhaiter ?

Canine : Je pense que l’on peut me souhaiter de belles dates dans de beaux lieux. Déjà, il y a le Trianon et c’est très chouette. Une belle tournée, de beaux festivals et des petits projets comme celui du jeu vidéo, des choses un peu étonnantes qui arrivent et qu’on n’attend pas. Je me souviens d’avoir joué dans la grande nef du Musée d’Orsay et c’était génial. C’est arrivé comme cela. Jouer dans de tels lieux, c’est complètement magique. Et quand ça arrive, on se dit que c’est pour cela qu’on a autant travaillé. Cela valait le coup. C’est bien quand un album ouvre des portes jusqu’alors insoupçonnées qui permettent de se lancer dans des expériences nouvelles.