BRNS : “On a beaucoup appris dans la composition collective”

Il y a quelques mois, à l’occasion de la sortie de leur quatrième album Celluloid Swamp, nous avons rencontrés BRNS, power trio belge composé de Timothée Philippe, Diego Leyder et d’Antoine Meersseman. Rencontre durant laquelle on y a parlé de leur déconstruction des codes de la musique pop, de leur collaboration avec l’ingé son Alexis Berthelot ou encore de la liberté créative présente au sein de ce disque.

La Face B : A quelques jours de la sortie de votre quatrième disque, Celluloïd Swamp, comment vous sentez-vous ? (interview réalisée le 19 octobre 2021, ndlr)

Timothée : On se sent bien, on est juste un peu fatigués. On est très chauds d’enfin sortir ce disque car mine de rien on l’a quand même enregistré fin 2018 et donc le temps de finir le mix, de voir passer le Covid et tout ça, eh bien fallait trouver le bon moment. Et encore, on avait prévu la sortie là mais on ne savait pas encore si on allait avoir un nouveau confinement ou ce genre de truc tu vois. On aurait été bien fins si ça s’était passé comme ça. On a hâte de faire de la date là, on a joué hier soir en première partie, une chose que l’on aime bien faire de temps en temps même si ça ne paie pas grand chose car ce sont des sets un peu plus courts, un peu plus pêchus.

LFB : En mars dernier, vous sortiez Familiar, premier single issu de votre nouvel album. Ce morceau aux allures hip-hop slash électro-psyché se démarquait beaucoup de ce que vous aviez pu faire jusqu’ici. Après presque quatre ans sans nouvelle sortie, qu’est-ce qui a motivé le choix de ce titre ? Qui est un choix que l’on pourrait quand même qualifier d’ambitieux.

Diego : Sur le choix du single, on trouvait ça marrant de revenir avec un morceau sur lequel il y a un invité, c’est le seul sur le disque. Il y a des copains qui sont venus jouer des cuivres et des bois pour habiller certains morceaux. Là il y a un vrai featuring avec notre ami Carl Roosens (Les hommes-boîtes), on l’a invité à chanter un couplet et en plus il chante en français, ce qui est assez inédit dans notre musique jusqu’à présent. On a tourné le clip assez rapidement avec Marco Zagaglia qui l’a réalisé et c’est un clip qu’on ne voulait pas tarder à sortir. C’est le pourquoi du choix du premier single, après sur le morceau en lui-même, je laisse les gars expliquer.

Timothée : C’est surtout Antoine qui avait balancé une première version du morceau très électro avec des petits boîtes à rythmes.

Antoine : Oui, du coup ça introduit un petit peu le fait qu’il y ait des éléments de boîtes à rythmes dans les morceaux. C’était un morceau un peu fucké, je chante, Tim aussi, il y a Carl qui chante, en quatre minutes il se passe beaucoup de choses. Le morceau était bonne vibes, il était marrant et donc on s’est dit que ce serait chouette d’envoyer un truc positif, assez fun, qui préfigurait d’autres morceaux un peu plus pep que par le passé. Il y avait dans ce single tout ce que l’on pouvait trouver dans le disque.

LFB : Selon vous, en quoi ce nouvel album a t-il évolué par rapport à Sugar High ?

Diego : On a l’impression qu’il y a une sorte de césure qui s’est faite dans la discographie. Ça évolue constamment, ça se voit que l’on n’a pas envie de refaire deux fois le même album mais si l’on veut distinguer les choses, il y a les deux premiers qui ont des tempos assez lents, qui sont un peu plus dark et monolithique et les deux suivants où c’est plus up-tempo, plus éclairé, joyeux par moments et nerveux avec des notes plus synthétiques, on est moins sur des grosses nappes d’orgue. Ce nouvel album se distingue du précédent dans le sens où l’on va plus dans un patchwork, on n’a peur de rien, on fait ce que l’on a envie de faire même si on l’a toujours fait mais ici il y quand même plus de choses éclatées.

Timothée : Ce que l’on peut surtout noter, c’est que sur l’album précédent il y avait une grosse patte de César Laloux qui composait à l’époque avec nous. Il y a deux morceaux sur l’album et un sur l’EP que l’on a sorti juste après, qui sont quasi composés par lui et donc là en fait on est plutôt revenu à une composition à trois, ce qui peut-être amène un peu de cohérence bien que les morceaux restent très éclatés.

LFB : Avec BRNS, vous avez toujours fait passer la musique avant les textes. Pourtant, je trouve qu’on est plutôt dans le cas inverse aujourd’hui. Quelle est la raison de ce changement ?

Timothée : Diego a écrit plus de morceaux que sur les albums précédents et j’avoue que moi, puisque je parle moins bien anglais, j’ai plutôt tendance à écrire des paroles simples. Sur les premiers albums, comme Wounded par exemple, on se faisait pas chier, on avait écrit un couplet, un refrain et sur le deuxième couplet on refaisait les mêmes paroles.

Diego : Il y avait beaucoup de répétitions où c’était souvent les mêmes mots qui revenaient.

Timothée : Et c’est vrai que tu viens de mettre le doigt sur quelque chose qu’on travaille plus aujourd’hui. Ici, je crois que l’on a essayé de faire moins de répétitions bêtes et de peut-être vraiment construire un morceau dans son entièreté.

Diego : Là on s’est autorisés un peu plus de liberté, on a même cherché à avoir des trucs qui ne rentraient pas forcément dans les mêmes cases au sein d’un même couplet ou de deux couplets différents d’un même morceau et d’avoir peut-être un truc un peu plus vivant dans la métrique. Les paroles viennent en dernier mais par contre on est peut-être de plus en plus attentifs dans le fait d’avoir quelque chose un peu moins figé.

Timothée : Puis c’est un détail mais on a quand même un peu plus travaillé la prononciation, l’accent tonique comparé aux albums précédents. Il y a quelque chose de beaucoup plus assumé sur certains morceaux comme Money ou Suffer où la voix est plus en avant, ce qui était d’ailleurs le choix du mixeur.

LFB : Au-delà de l’efficacité évidente des morceaux, il y a une certaine immédiateté commune à chacun d’eux. Cet album a t il été réalisé dans des conditions similaires ?

Diego : Il y a plein de morceaux qui ont été composés de manière très différente, certains ont été composés rapidement et d’autres pas du tout.

Antoine : Ce qui a le plus joué, c’est le fait qu’on ait tout réenregistré dans un laps de temps très court avec quelqu’un qui a justement su créer quelque chose de cohérent au niveau du son. À priori, on partait vraiment pas du tout sur une vibe de ce genre, ce n’était pas gagné en fait mais tant mieux si tu le ressens comme ça.

LFB : Vous avez souvent revendiqué aimer le fait de décortiquer et déconstruire les structures de la musique pop. Ce n’est pas trop difficile de s’obstiner à exceller dans des structures aussi complexes tout en voulant continuer à rester attaché à ce cœur de cible pop qui vous est si cher ?

Diego : C’est marrant car sur cet album-ci, il y a vraiment quelques morceaux où pour nous c’est très direct et basé autour de une ou deux idées, on essaie vraiment de ne pas complexifier là où sent que ça ne devrait pas l’être. Après c’est vrai qu’il y a quand même d’autres moments où ça reste pas mal tarabiscoté mais c’est parce que ce sont ces explorations qui nous font plaisir, chercher un peu partout pour après mettre ça dans nos morceaux. Pour nous, ce n’est pas vraiment chercher la complexité pour la complexité, c’est juste que cette idée de confronter des trucs différents nous botte, pour avoir des choses un peu surprenantes. Il y a des trucs encore plus complexes que ce que l’on fait dans l’univers de la pop, où ça va chercher des mesures asymétriques tout le temps, des trucs où il n’y a pas moyen de taper du pied etc. Alors que nous on est plutôt assez linéaires de ce côté-là je pense.

Antoine : Il y a quelques chansons qui sont très couplet-refrain et à peu près quatre titres où on se demande où est le refrain, ou même le grand classique du refrain sans paroles, sans chant. Je crois qu’on n’est pas très forts pour répondre naturellement à la structure pop, aucun d’entre nous n’a appris à écrire des morceaux juste avec sa guitare. On a beaucoup appris dans la composition collective, à être dans un local tous ensemble et faire tourner un truc, essayer de construire ensemble.

Diego : On bidouille beaucoup, on essaye des trucs, on teste.

LFB : En 2013, vous disiez dans une interview qu’il serait présomptueux selon vous d’affirmer que vous faites de la pop expérimentale. Huit ans plus tard, que répondez vous à ça ?

Diego : On a vraiment dit ça ? (rires)

Antoine : De la pop expérimentale ça veut un peu tout et rien dire. En réalité, dans le cinéma comme dans la musique, il y a des choses qui sont dites expérimentales mais qui sont tout à fait digestes, qui s’écoutent et se regardent facilement et qui ne mettent pas forcément le public à distance. Quand tu fais de l’expérimental, c’est parce que tu suis des codes qui ne sont pas les codes du mainstream. Par exemple, dans le hip-hop aujourd’hui, il y a des morceaux qui marchent mais qui pour moi sont de l’expérimental, comme Frank Ocean par exemple où tu as ces plages où il se passe des choses. On a un pied dans la pop et un pied dans d’autres trucs mais on n’a jamais vraiment choisi et je pense que c’est ça qui fait l’intérêt et le truc où les gens peuvent être un peu fatigués de cette indécision, et je ne sais pas si on le fera vraiment un jour.

LFB : Vous avez travaillé avec l’ingé son Alexis Berthelot (Moses Sumney, Frank Ocean etc). Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?

Timothée : C’est quelqu’un de super et en fait, ce qui était vraiment cool c’est que c’était une manière différente de travailler. Avec lui, on a vraiment travaillé les sons dans le studio avec les instruments qui étaient sur place, il a donc placé ses micros en fonction. On s’est posés des questions en écoutant les démos aussi, ce qui a permis de gagner du temps en post-prod. C’était une manière assez intéressante de faire car au final on vite contents du son, là où début on se disait qu’on allait le faire plus tard pour au final se casser la tête en studio à essayer de mettre tel ou tel effet ici et là. C’est donc ça qui était agréable dans le fait de travailler avec Alexis.

Antoine : C’était assez marrant aussi de se laisser aller en train de jouer sur des guitares de malade. (rires)

Timothée : On s’est vraiment fait plaisir oui. (rires)

Antoine : C’était un peu le luxe, on n’est pas trop habitués à tout ça mais ça a aussi été une expérience où l’on a économisé beaucoup de temps. Parfois, on a une idée très précise de ce que l’on veut, parfois on est un peu à côté de la plaque sans le savoir, parfois on va arriver en studio, enregistrer quelque chose puis passer des heures à essayer de rattraper un truc qui n’était pas bon à la base. Et ici, tout était bien et je crois sincèrement que c’est le disque qui sonne le mieux des quatre.

LFB : Dans la bio qui accompagne votre nouvel album, il est écrit que votre processus créatif a été ici simplifié à l’extrême. Pourquoi ?

Diego : À l’extrême c’est un peu exagéré, on avait d’ailleurs envoyé une note par rapport à cette phrase dans la bio mais ça n’a pas été changé j’ai l’impression. (rires) Ça a été simplifié dans le sens où il y a certains morceaux que l’on voulait plus directs et pas complexes.

Timothée : De temps en temps, il faut savoir se dire que ce n’est pas grave si c’est simple et si ça marche c’est cool. Et c’est peut-être un peu dans cette dynamique-là que ça a été écrit dans la bio.

LFB : Vous accordez beaucoup d’importance au graphisme et donc à l’esthétique de vos pochettes d’album. Le plasticien Monsieur Pimpant signe d’ailleurs celle de ce nouvel album. Comment est née cette collaboration ?

Diego : C’est un ami d’ami que l’on connaît depuis des années et dont on apprécie le travail. Il fait des choses très différentes les unes des autres, ces dernières années il a fait beaucoup d’animations et de sculptures 3D avec des technologies variées comme la réalité virtuelle où il sculpte littéralement avec ses mains. On ne savait pas trop vers quoi il allait aller car ça aurait très bien pu être une pochette en noir et blanc au fusain ou une pochette comme celle que l’on a finalement eue. On lui a laissé carte blanche, on lui a filé le disque et on lui a demandé si ça l’inspirait et donc il nous a envoyé ça, on était très étonnés de voir cette pochette très colorée, très pop et en même temps malsaine. Ce contraste nous a bien plu et c’était cool de pouvoir décliner cet univers dans un clip (Get Something, ndlr) qui va sortir cette semaine avec l’album. Cette prolongation est vraiment très chouette.

LFB : L’univers futuriste représenté sur cette pochette colle assez bien avec les morceaux de l’album je trouve.

Diego : On le voyait un peu comme un jeu vidéo.

Timothée : C’est ça, c’est presque rétro-futuriste je trouve. Dans l’esthétique 3D un peu foireuse aujourd’hui, on fait des trucs vraiment beaucoup trop proches du réel. Depuis cinq, dix ans il y a vraiment cette mode de faire de la moche 3D et des trucs complètement débiles, un peu foufous et les japonais et coréens sont assez forts pour ça.

LFB : Hier, vous avez débuté votre tournée. Vous qui avez très tôt prouvé être un groupe de scène, comment se sont déroulées les retrouvailles ? Bien que n’ayez joué qu’en première partie.

Diego : Ce n’était pas notre public effectivement mais bon après voilà, ça faisait longtemps que l’on n’avait pas joué, on a fait trois concerts ces derniers mois. Là c’était des festivals et des premières parties mais là on va commencer à avoir un set un peu plus long sur les prochaines dates. C’est pas encore la rencontre avec des gens qui étaient venus pour nous.

LFB : Avez-vous des coups de cœur récents à partager avec nous ?

Diego : On peut parler du groupe de notre claviériste Nele qui s’appelle Uma Chine qui est très cool et qui a sorti un album il y a six mois.

Antoine : J’ai regardé Grizzly Man, un documentaire de Werner Herzog il y a pas longtemps et j’ai adoré. C’est sur un mec qui défend les grizzlys au Canada et qui finit par se faire manger après quatorze ans.

© Crédit photos  : Non Céline