Blackbird Hill : « Depuis que le groupe existe, il a toujours fallu s’adapter »

Vendredi 21 octobre, le duo Blackbird Hill fêtait la sortie de leur second album, Embers In The Dark, dans cette salle parisienne que l’on affectionne particulièrement, La Boule Noire. Accompagnés de Sélénite et d’Arhios, ils ont dévoilé les nouveaux titres de cet opus distingué, où la rage du stoner rencontre la délicatesse des mots. Interview avec le groupe qui occupe un peu trop nos oreilles en ce moment.

1- La Face B : Après de nombreux EP, vous sortez Razzle Dazzle le 21 février 2020. En pleine pandémie. Est-ce que vous avez des regrets ?

Maxime (guitariste, chanteur) : Non, parce qu’on a eu l’occasion d’apprendre énormément de choses à ce moment-là. Comme tout le monde, on a pu prendre du recul, sur la vie en général, mais aussi sur notre vie en tant que musiciens. On a pu retravailler tout ce qu’on voulait dans notre projet Blackbird Hill et prendre le temps d’écrire un nouveau disque. Finalement, on a tiré plein de choses positives de cette coupure nette. 

En plus, on a eu l’occasion de faire notre release party juste avant d’être bloqués à la maison. C’était le 7 mars 2020, là où le projet est né, au Krakatoa, à Bordeaux. 

Théo (batteur): Je l’ai vécu de la même façon que Max. On a eu de la chance de pouvoir tourner un peu sur les étés 2020 et 2021. C’était dans des conditions spéciales : on jouait uniquement en plein air et souvent assis.

2- LFB : J’ai la sensation que vous ne vous arrêtez jamais. Vous êtes souvent en studio pour enregistrer et vous sortez un nouvel album, Embers In The Dark, le 7 octobre 2022.

Maxime : Je n’ai pas l’impression qu’on n’arrête jamais, car il y a toujours des périodes de transition entre les disques, où, pour ma part, je ne compose pas du tout, car je ne m’imagine pas dans le processus d’écriture. Je fais d’autres choses à côté, comme par exemple travailler mon son. On fait aussi des concerts et on définit le trajet qu’on va suivre par la suite. Une fois qu’on sait à peu près où ça va, c’est comme une piste d’atterrissage ! Une fois que je la vois, je sais qu’on peut y aller, et c’est parti. Il faut la petite étincelle pour me donner envie d’écrire. Donc je suis ravi qu’on donne cette sensation, mais moi, j’ai toujours l’impression qu’on pourrait bosser plus.

3- LFB : Est-ce que vous vivez de votre musique ?

Théo : Oui !

Maxime : Oui mais pas seulement. On est aussi musiciens dans un autre groupe qui s’appelle Greyborn, et on a des activités en tant que techniciens pour boucler nos heures d’intermittence.

Théo : On essaie toujours d’aller de l’avant. Même s’il y a eu le Covid, on est vite retournés à la création. On fait aussi de la régie. Mais je ne sais pas si cette face-là est visible du public. 

Maxime : En tout cas, on pourrait faire avec grand plaisir encore plus de concerts ! Et si on avait les moyens d’enregistrer plus souvent, on le ferait aussi.  (rires)

4- LFB : Blackbird Hill a subi des remaniements. Alexis (guitare/chant) quitte le groupe en août 2018 et Maxime (avant à la batterie) passe à la guitare/chant et annonce qu’il y aura un nouveau batteur… Est-ce que vous pouvez revenir sur cette drôle de période ? 

Maxime : Je réalise qu’en effet, depuis que le groupe existe, il n’y a jamais eu de période normale. Il a toujours fallu s’adapter et apprendre. Quand Alexis est parti, je me suis rendu compte que ça faisait des années que je portais Blackbird Hill à bout de bras. Finalement, peut-être que j’en étais un peu à l’origine, et que c’était des choses que je ne voulais pas forcément voir. Je voulais le partager avec quelqu’un et avec Théo, on a joué ensemble et ça s’est tout de suite super bien passé, même si sur les premières dates, j’étais terrifié d’être guitariste. Notre public l’a bien reçu. Je ne me suis pas beaucoup posé de questions et tout s’est fait très naturellement. 

5- LFB : On sent la nécessité de se reconnecter sans cesse avec la nature. Votre premier album, Razzle Dazzle, évoque une nature à l’état brut, une passion primitive pour un retour à l’état sauvage.

Maxime : Dans les textes, on se réfère beaucoup à des paysages. J’aime essayer de transposer des émotions par des situations physiques concrètes : parler de roche pour évoquer quelque chose de difficile à encaisser, par exemple. Ça vient aussi de la lecture. Quand on a composé Razzle Dazzle, j’étais passionné par les livres de Jack London, que je lis d’ailleurs en anglais. Donc c’est aussi une inspiration purement lexicale qui me vient pour écrire des textes. 

On aime bien que ça sonne puissant et bien fait, et en même temps, il faut qu’il y ait de la rugosité et des imperfections qui subliment le tout.

Maxime

6- Vous avez une esthétique très marquée. Vous réalisez des portraits à l’aide de techniques photographiques anciennes (collodion, ambrotype) et on sent un imaginaire très tourné vers le Grand Ouest américain. Vous êtes finalement à contre-courant. 

Maxime : Merci beaucoup, c’est très cool que tu l’aies remarqué. En effet, on a réalisé plein de photos au collodion. Sarah Jekel nous a également shooté à l’argentique lors de notre passage à Petit Bain le 26 mai 2022. On aime bien cet aspect granuleux, que l’on retrouve dans les films des années 90, comme Twin Peaks. Avec Blackbird Hill, on s’imagine souvent dans ce type d’univers. Aujourd’hui, tout est très lisse, trop parfait. Ce sont des choses qu’on essaie de transposer à notre technique de prise de son quand on est en studio. On aime bien que ça sonne puissant et bien fait, et en même temps, il faut qu’il y ait de la rugosité et des imperfections qui subliment le tout.

Théo : Ça se retrouve aussi dans ton jeu de guitare, avec l’inspiration de Jack White (The White Stripes) et Dan Auerbach (The Black Keys). Ce sont des mecs qui ont un truc un peu boiteux, mais à moitié volontaire.

Maxime : Ouais ou comme Dan Philips (True Widow). C’est ce genre de son que je recherche. Les défauts font partie du son. 

7- Pour Razzle Dazzle, vous avez travaillé au mastering avec Jaime Gomez Arellano (Electric Wizard, Solstafir). Et pour Embers in the Dark, avec Alexis Bardinet du studio Globe Audio Mastering et Thomas Ceccato pour le mix. Comment se sont passées ces rencontres ?

Maxime : C’est Jon Tuffnel, du groupe Saint Agnès, qui a mixé le premier album. On l’a rencontré à un festival où on partageait l’affiche. J’étais bluffé par le concert. J’ai ré-écouté les morceaux ensuite et j’ai pu discuter avec lui. Il m’a expliqué qu’il avait mixé tous les titres sortis jusqu’à présent de ce groupe. Et il s’est proposé pour notre premier album. Puis, il nous a envoyé vers Jaime, avec qui il travaillait, pour le mastering. Et il a fait un travail exceptionnel. 

Embers In The Dark a lui été enregistré à la Nef. C’est la salle de concert à Angoulême qui nous accompagnait déjà avant le Covid. On a occupé les studios là-bas pendant 6 jours et on a confié le mix à Thomas Ceccato. C’est un ami à nous, il travaille aussi avec Sélénite. Après une crise planétaire comme celle-ci, c’est cool de bosser avec des gens proches de nous. Il a été masterisé à Bordeaux, c’est une grosse référence. 

8- LFB : Embers in the Dark est un nouvel album beaucoup plus lourd, plus sombre. Maxime, tu dis dans le dossier de presse que le confinement vous a permis d’essayer autre chose : « penser, écrire et composer différemment. Ce changement de style, de son, je ne me l’autorisais pas forcément. Mais aujourd’hui je sais que Blackbird Hill est tel que je  l’aurais toujours rêvé et c’est pourtant une liberté que l’on ressent comme très instinctive. »

Maxime : Je pense tout simplement qu’il y a du temps qui s’est écoulé entre la V2 de Blackbird Hill et maintenant. Et ce temps était nécessaire pour que je rassemble du matériel pour sonner comme ça, que j’apprenne à l’utiliser vraiment et que je sache comment faire quelque chose de personnel avec. Finalement, plus le temps passe et plus je me dis que j’écris et je joue comme je l’ai dit dans la citation. C’est-à-dire, comme j’espérais le faire au départ. L’idée de ce projet c’est d’être que deux sur scène et d’avoir le son de guitare le plus gros possible, tout simplement. Je me sens en bonne voie, même s’il y a encore énormément de travail à faire. On n’atteindra jamais la perfection. 

De manière générale, on court derrière un idéal et c’est ce qui permet de créer. Pour moi finalement, ce projet, Blackbird Hill c’est un vague souvenir. Il a 10 ans si on remonte à l’ancienne version. Je pense que mes souvenirs, à force d’aller les chercher, je les ai tellement modifiés que je sais même plus si ça veut dire quelque chose. Mais en tout cas, je sens qu’on est sur la bonne voie.

9-LFB: The Masquerade est un morceau très doux, qui diffère du reste de l’album. Vous aviez hésité à l’enlever.

Maxime : Avec le recul, je trouve qu’il a sa place, mais au tout début, c’était bizarre. Il ressemblait à un morceau de hard rock ou de rock FM. J’ai adoré l’écrire et commencer à le travailler, mais quand on écoutait l’album dans sa totalité, je me demandais si Blackbird Hill c’était ça. Et en fait, bien sûr que oui.

Théo : C’est drôle, parce que j’ai eu un peu la sensation inverse. Quand on a commencé à l’écrire, je me suis dis qu’il avait en effet ce côté un peu FM oui. Mais quand on l’a enregistré, mixé et que sa couleur s’est approchée des autres morceaux, j’ai trouvé qu’il avait sa place. C’est quelque part un bon chaînon manquant ; ce n’est pas un morceau phare de l’album, mais il fait un bon lien entre les différentes ambiances. Il n’est ni trop calme ni trop lourd, le tempo n’est pas super élevé. Il est le juste milieu.

10-LFB : Est-ce qu’on peut dire que cet album est sombre parce que vous avez aussi remis en cause votre métier par rapport à la pandémie ?

Maxime : Aujourd’hui, toute personne qui a une activité de création exprimera forcément quelque chose de plus sombre. Notre finitude à nous tous devient de plus en plus concrète, tout simplement. À différentes échelles : la vie telle qu’on la connaît et telle qu’on l’a connue. Finalement, quand on repense à des détails concrets, il y a des trucs qui se passaient avant et qui n’auront plus jamais lieu. Et il y a plein de choses qu’on va voir disparaître avec le temps. Donc, forcément, on a des histoires beaucoup plus dures et tristes à raconter.

Le quotidien nous influence. Et en dehors de la musique, il est assez ordinaire, finalement. On fait partie de la société comme tout le monde. On n’est pas des musiciens dans une villa à Los Angeles, isolés de tout, à avoir les moyens d’ignorer la situation. La vie est de plus en plus compliquée pour un certain nombre de gens. On voit bien comment ça se passe autour de nous, on est directement concernés. C’est difficile pour le public d’assister à des concerts par exemple, ça a un coût. Donc tout ça, forcément, ça vient jusque dans nos chansons.


11- LFB : En 2018, vous annoncez que votre équipe est constituée en majorité de femmes (son, plateau, booking). Alors que nous sommes sans cesse harcelées et critiquées, est-ce qu’il y a un message que vous aimeriez faire passer à celles qui veulent évoluer dans ce milieu-là ?

Théo : Il faut y aller. Là-dessus, je trouve qu’en effet depuis 4 ou 5 ans, on voit beaucoup plus de techniciennes et de musiciennes autour de nous, comme les Grandma’s Ashes par exemple. Mais je ne suis pas trop légitime pour en parler.

Maxime : Aujourd’hui, on ne travaille plus avec Marie ou Camille, mais tout simplement parce qu’après le Covid, les choses ont bougé et tout le monde est un peu passé à autre chose. On collabore toujours avec Ophélie Herraire de Lagon Noir, qui est là depuis le début. 

Concrètement, je trouve encore que ce n’est pas normal qu’il y ait plus de gars partout où on va, que ce soit dans les équipes sur place, ou surtout dans les programmations. 

Je ne suis pas sûr d’être le mieux placé non plus pour faire passer un message mais j’ai envie de dire qu’il y a des combats qu’il faut continuer à mener et d’autres sur lesquels il faut laisser tomber.  Il y a toujours une forme de cannibalisme dans l’idiotie : les connards causent eux-mêmes leur perte. Et ils le font bien. Et je pense qu’il y a des comportements qui vont disparaître dans le temps. En tout cas, je l’espère. 

Mais je trouve ça de plus en plus difficile d’apprendre tous les jours que des musiciens parmi des groupes que j’ai adoré ont des comportements horribles avec des femmes et des enfants. Avec les êtres humains en général. C’est un problème parmi tant d’autres dans notre société. Et je suis plus du genre à encaisser, fermer ma gueule et partir. Ça me permet peut-être de faire des chansons derrière, plutôt que de porter un étendard et prendre un porte-voix. Je ne me vois pas dire « faut faire comme ça », mais par contre, il y a énormément de trucs que je subis et qui me saoulent.

12-LFB : Le nom de votre premier album, Razzle Dazzle était une référence directe au premier voilier de Jack London. Qu’est-ce qui vous inspire pour écrire ? Et si vous deviez me dire une œuvre qui a changé votre vie, ou en tout cas qui vous bouleverse, laquelle ce serait ?

Maxime : Ce qui m’inspire le plus au quotidien, c’est quand je réussis à saisir une chose à côté de laquelle on pourrait totalement passer… que ce soit un geste ou une phrase qui prend un sens vraiment particulier dans la situation présente. Parfois, c’est quelque chose d’aussi simple que la couleur d’un ciel parce que l’orage est menaçant et mélangé à une odeur spécifique. 

Le troisième album de True Widow, As High as the Highest Heavens and from the Center to the Circumference of the Earth est sans doute l’œuvre qui m’a le plus marqué. Je pense que je n’entendrai plus jamais la musique de la même manière. Dans ma vie de musicien, il y a eu un avant et un après. Il est sorti en 2011 mais je l’ai découvert il y a 4 ans environ. Cette manière de jouer de la guitare, le son qu’a ce groupe, je me disais que j’adorerais faire ça un jour. C’est comme si quelqu’un m’avait piqué mon idée et l’avait mise en place avant moi. C’est génial. Ils le font parfaitement bien. Ça ne me lâchera jamais.

Il y a aussi un film que j’ai dû revoir récemment parce qu’il m’obsédait, c’est L’armée des 12 singes. Je l’ai regardé deux fois en très peu de temps. La musique m’a obnubilée pendant des jours. Je l’entendais partout. Tout le temps. En termes de scénario et d’histoire, il est fou. Cela aura peut-être un impact sur mon imagination. Ça a bien vieilli, l’esthétique. Le grain, ce côté futuriste, est tellement kitsch que c’est beau. 

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(Re)Lisez notre chronique de l’album Embers In The Dark.

Crédits photos : Titouan Massé