Benjamin Parienti: « Chaque numéro peut basculer à tout moment et on doit s’adapter. »

Benjamin Parienti est actuellement impliqué dans un projet singulier. Après avoir écumé les scènes parisiennes et les premières parties, toutes plus prestigieuses les uns que les autres, Benjamin s’est lancé dans la composition et direction d’orchestre pour l’Ecocirque Bouglione, le premier cirque français sans animaux. Un exercice ultra singulier, qui nécessite une adaptation à chaque rebondissement. Nous avons discuté avec Benjamin Parienti pour découvrir la vie d’un cirque itinérant, la tension d’un spectacle sans filet, ainsi que l’avenir du cirque dans sa globalité.

LFB : Hello Benjamin ! Comment vas-tu ?

Benjamin : Très bien et toi ? 

LFB : Super, merci ! On va commencer par t’introduire, qui es-tu ?

Benjamin : Je suis Benjamin Parienti, chef d’orchestre, compositeur, directeur musical et guitariste de l’Ecocirque André Joseph Bouglione.

LFB : Tu as commencé la musique particulièrement jeune, d’où t’es venu cette détermination d’en faire un métier ?

Benjamin : Tu vas rire, mais à 12 ans j’as vu une vidéo de Gad Elmaleh à la télé qui chantait « Petit oiseau » avec sa guitare. Comme j’ai trouvé ça super, je me suis mis à la guitare. (rires) C’est un peu loin des légendes classiques du style « Jimmy Hendrix m’a inspiré », désolé ! (rires) 

Je suis rentrée à la Yamaha Music School, où j’ai rencontré Laurent, un professeur incroyable. J’avais des facilités, mais il a su les exploiter et me transmettre toute la base de la guitare, afin que je puisse ensuite avancer sereinement tout seul.

LFB : Tu es passé par plusieurs groupes avant l’Ecocirque, quel est ton parcours à ce niveau-là ?

Benjamin : J’ai commencé à écrire des morceaux presque immédiatement au moment où j’ai commencé à faire de la guitare. Cela faisait partie de mon apprentissage ! Je ne savais pas trop comment ça marchait, mais j’écrivais mes mélodies en m’appuyant sur ce que j’écoutais et les power chords, avant d’essayer de les reproduire. J’ai lancé un premier groupe basse/batterie/guitare, tout ce qu’il fallait. Mais ils ne voulaient pas faire les morceaux que j’avais écrit. (rires) Alors on a commencé avec des reprises. On a fait ça une semaine mais ça m’a saoulé et j’ai insisté pour qu’on fasse notre propre musique. On avait 12-13 ans mais on répétait tous les mercredis, absolument toutes les semaines, entre 2 et 4 heures à l’ancien Luna Rossa. On a fait ça pendant des années. Dès le début, on avait cette régularité et cette envie du travail bien fait ! Ça m’a donné ma première expérience de gestion de musiciens, de comprendre les problématiques de chacun, la communication… C’est ce qui m’a formé ! La H.E.T, Hautes Etudes du Terrain. (rires) 

En 2007, il y avait un groupe de 17 ans qui répétait souvent en même temps que nous et qui allait bientôt sortir un album. Ils étaient un peu connus, mais plutôt dans des soirées plus confidentielles comme les Rock n’ Roll Friday. Les BB Brunes. (rires) A force de les côtoyer, ils nous ont invités à leurs répèts, et on leur a rendu l’invitation. (rires) Après nous avoir vus, ils nous ont proposé de faire leur première partie à L’Elysée Montmartre pour leur sortie d’album ! Ca nous a ouvert beaucoup de portes, et on a véritablement commencé à organiser nos concerts. On allait dans le bureau du patron du Gibus où l’on organisait des soirées, à dealer nos factures, les ordres de passage des groupes etc… On se rendait absolument pas compte à l’époque de ce qu’on foutait. (rires) On faisait du business sans le savoir, c’était détendu et normal alors que bon, on avait que 14 ans quoi… (rires)

LFB : Tu as ensuite crée ton label, pourquoi avoir eu cette envie ?

Benjamin : J’ai eu plusieurs formations à partir de ce noyau dur. Les Shines, puis le Bang Bang, qui enfin a évolué en Edifice, et tout ça sur une période de plus de 10 ans. On a appris à tourner des clips, organiser des concerts, enregistrer en studio… Tout ce que fait une maison de disque. Quand tu fais du rock en France, il ne faut pas trop espérer avoir une maison de disque, passer son temps à leur présenter des démos… il vaut mieux vite passer le cap de tout faire tout seul. Ça ne marche plus ainsi et il faut se rendre à l’évidence… Ensuite il faut aussi savoir investir sur soi. 

Mon label est en cours de création, mais il reste encore quelques détails à régler pour le structurer. J’ai un côté un peu control freak aussi, alors j’aime bien pouvoir gérer tous les aspects d’un projet !

LFB : Aujourd’hui tu es directeur musical et chef d’orchestre de l’Ecocirque. Peux-tu nous raconter un peu l’histoire du projet de l’Ecocirque ?

Benjamin : C’est sincèrement le plus beau projet que j’ai vu ces 10 dernières années. L’Ecocirque est un cirque qui voulait être plus éthique et s’est créé sans animaux. Il y a 4 ans, André Joseph, issu de la famille Bouglione et ancien dresseur, s’est dit qu’il était impossible de continuer ainsi et que le futur du cirque serait sans animaux. Lorsqu’ils ont arrêté d’exploiter les animaux, ils se sont pris un tollé monstrueux, que ce soit du milieu du cirque ou des médias. Bouglione, ce n’est pas n’importe quelle famille du cirque… 

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LFB : Comment as-tu rencontré la famille Bouglione ?

Benjamin : J’ai pu rencontrer André Joseph ainsi que sa femme Sandrine car j’ai fait un concert à l’occasion d’un festival dans leur chapiteau sur l’Ile des impressionnistes. Nous avons tout de suite eu une attache spéciale. Je cherchais un lieu de tournage pour le clip de La Horde, et c’était l’évidence de le tourner là-bas ! Ils m’ont invité dans leur caravane, et on a commencé à lier une vraie amitié mais aussi une collaboration professionnelle. Il a pu voir comment on bossait, et nous a régulièrement rappelés pour des concerts. Lorsqu’André a décidé de lancer l’Ecocirque, il m’a appelé pour écrire la musique de son spectacle. 

LFB : Il faut le dire, tu n’as que 28 ans. Comment expliques-tu la confiance qu’ils t’ont porté dans un projet à plusieurs millions d’euros ?

Benjamin : Et bien… Je pense que leur vie, c’est de repérer des artistes dans le monde entier et de dénicher les talents. Ils marchent à la confiance, non au pedigree. De plus, ils nous avaient vu jouer avec le groupe et pour ce projet ils cherchaient vraiment du show. Et ça, c’est mon truc. (rires) Ils voulaient aussi un esprit rock en plus de quelque chose d’orchestré. Il faudrait plutôt leur demander à eux pourquoi ils m’ont fait confiance, mais bon ce sont mes éléments de réponse. (rires) Ils m’ont donné ma vraie première opportunité. J’ai mis 10-15 ans à vraiment pouvoir gagner ma vie avec la musique. C’est long. Je leur serai reconnaissant à vie pour cela. 

LFB : Quelles sont tes inspirations pour les musiques ? 

Benjamin : La base du rock : Deep Purple, AC DC, Jimmy Hendrix… J’aime beaucoup le rockabilly comme The Stray Cats et je suis un énorme fan de Brian Setzer. Je suis aussi très inspiré par des musiques de film, comme celles de Hans Zimmer ou de Danny Elfman. J’ai mélangé le tout avec du jazz manouche, que je joue beaucoup. 

LFB : Tu avais une ligne directrice ou carte blanche totale ? 

Benjamin : Carte blanche totale ! C’est encore plus fou quand on se rend compte de la confiance accordée. Carte blanche sur la musique et carte blanche sur la création de l’équipe et la direction musicale. Je me suis enfermé pendant une année pour travailler. Je voyais seulement André et Sandrine, qui venaient chaque semaine au studio pour valider. 

LFB : Comment se déroule la composition d’un spectacle musical ? A quels enjeux as-tu dû faire face ? 

Benjamin : Dès qu’un artiste était validé, je recevais la vidéo du numéro. Chaque artiste a un numéro qu’il travaille pendant des années, et est embauché pour ce numéro. On se rend ainsi compte du temps que doit faire la musique. Tout le long, ça doit être riche, alors on peut soit faire une musique très longue, ou alors, et c’est ce que je conseille : faire deux musiques qui vont s’enchainer avec une transition très travaillée pour qu’on ne sente pas le changement. Ensuite, on peut se baser sur l’atmosphère. Pour la lanceuse de couteau, elle avait déjà une musique très rock, voire métal. J’ai gardé ce côté très pêchu, amazone, mais j’ai rajouté une touche de poésie un peu musique de film. 

LFB : La famille Bouglione a décidé de créer de toutes nouvelles musiques pour le show, est-ce une pratique courante dans le cirque ? 

Benjamin : Avant, oui. Les cirques traditionnels, c’était ça ! Ils avaient des compositeurs et un orchestre qui accompagnaient les numéros ! La pratique du cirque est ancienne, et évidemment on n’a pas toujours eu des bandes sons. (rires) Ca ne se fait presque plus aujourd’hui. Seuls les très grands cirques le font, et c’est souvent les plus qualitatifs. Ça fait toute la différence pour le spectacle ! 

LFB : Vous avez aussi un Monsieur Loyal de choix, Nicolas Ullmann, l’animateur iconique du Bus Palladium. Comment avez-vous réussi à l’embarquer dans le projet ?

Benjamin : On jouait énormément au Bus Palladium il y a 5 ans. Le premier concert, c’est Nicolas Ullmann qui nous a présentés, déguisé en Monsieur Loyal ! Il est venu nous voir dans les loges, a discuté avec nous, très sympa, avec un maquillage incroyable. Une soirée rock avec un Monsieur Loyal, impossible d’oublier ça…  André voulait un Monsieur Loyal original, et je lui ai proposé Nicolas. Il peut dépoussiérer l’image du personnage ! Et nous avons maintenant le plaisir de monter sur scène avec lui, et il fait un travail incroyable !

LFB : C’est un projet définitivement rock !

Benjamin : Totalement !!! On se fait un vrai plaisir de jouer avec le public, de leur faire plaisir, chaque show est différent et on ne sait pas ce qui va arriver sur scène. 

LFB : Quelles sont les contraintes de jouer dans un spectacle vivant ?

Benjamin : On doit s’adapter constamment. Chaque numéro peut basculer à tout moment. Il peut se passer n’importe quoi, on doit continuer de jouer, baisser ou monter l’intensité. La capacité d’adaptation doit être au maximum. Ensuite, il faut avoir des musiciens en béton armé. Ils doivent pouvoir suivre, ne pas avoir peur de suivre malgré ce qui se passe sur scène, et savoir gérer la pression. Tu es 2h30 sur scène plusieurs fois par jour, constamment en tournée. Mais beaucoup d’artistes en rêvent… C’est un travail qui n’existe nulle part ailleurs. Nous avons aussi des hologrammes, et on a dû penser le spectacle comme un film en totale immersion. 

LFB : Comment se déroule ta nouvelle vie dans un cirque ? 

Benjamin : Nous, les musiciens du cirque, on est des escrocs. (rires) On habite dans des chambres d’hôtels. (rires) Pas de caravanes, désolé. Mais les artistes, eux, vivent dans des cirques de génération en génération, dans des caravanes avec un esprit de troupe très fort. On trouve cet état d’esprit nulle part ailleurs, car c’est leur vie, leur culture, leur histoire familiale. Par exemple, les trapézistes, les Flying Micheal’s, mettent littéralement leur vie en jeu à chaque show. Rien que la semaine dernière, nous avons évité un drame. Un câble de la roue de la mort s’est enroulé dans la roue. Heureusement, ce sont des professionnels entrainés pendant des années à réagir dans ces situations. Le trapéziste du numéro final ne s’attache jamais, même en répèt. Pour lui, ce serait déshonorer la profession. C’est toute sa vie, littéralement !

LFB : Et pourtant, on ne ressent pas tellement le danger quand on voit le spectacle… Cela semble si simple pour eux ! 

Benjamin : En vérité, je pense que si, le public le ressent et vient pour ça… Avant, il y avait des animaux, et est ce qu’ils ne venaient pas aussi un peu voir le dresseur prendre le risque de se faire bouffer par son lion… ? J’ai l’impression que le public vient voir la prise de risque de l’Homme. Est-ce qu’on va assister à quelque chose qui va mal tourner… ? Ils sentent cette intensité, ce frisson, mais aussi cet engagement. Le regard des gens à la fin du spectacle n’a pas de prix !! Je n’ai jamais vu autant de bonheur après un spectacle ou un concert… Seul le cirque peut procurer autant de bonheur.

Ensuite pour les dresseurs, ce n’est pas pour rien qu’ils se font attaquer… Il y a de vrais problèmes de maltraitance, et même si je connais moins bien le sujet qu’André, je ne peux pas me taire sur ce que je vois. 

LFB : Quels sont les futurs projets pour l’Ecocirque?

Benjamin : Après avoir été bloqué un an à Montpellier à cause du Covid, nous sommes en tournée partout en France ! Après trois faux départs, j’espère que tout ça est derrière nous… Dans les milieux artistiques, ça a fait beaucoup de mal. Nous travaillons à sortir un album, car on a eu beaucoup de demandes du public, qui souhaite pouvoir réécouter la musique. Nous avons même eu des gens qui sont revenus seulement pour réécouter les musiques !! Certains sont venus 4-5 fois, il faut vraiment le vouloir. (rires) Heureusement, on ne joue jamais exactement le même show. Donc nous sommes actuellement en travail de production de l’album, pour une sortie avant la fin de l’année 2022 j’espère, mais avec la tournée c’est plus compliqué… 

LFB : Que peut on vous souhaiter pour l’avenir ? 

Benjamin : Pour tous les musiciens et les artistes : pouvoir pratiquer son art et que les temps soient meilleurs pour tout le monde.

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