BAXTER DURY : bilan et renouveau

Tandis que paraît son Best-of (NDLR : décalé à juin pour raisons techniques), condensé en tension d’une carrière musicale en constant renouveau, Baxter Dury, dandy sublime qui traîne ses guêtres (ou son jogging ! ) et son timbre inimitable depuis vingt ans au gré de titres incontournables, nous a reçu dans l’antichambre de son hôtel parisien. Rencontre.

Crédits : Inès Ziouane

La Face B – Charles : Première question et peut-être la plus importante, comment vas-tu ? Heureux d’être à Paris ?

Baxter : Oui, juste, j’ai chaud ! Comme il fait froid dehors et que je porte ce truc… Mais oui, sinon c’est cool, je vais bien ! Tout est étrangement… normal ! Bon, normal avec des masques et un soupçon de paranoïa, mais normal malgré tout.

LFB – Charles : J’aimerais commencer par une question un peu bête ! Ton autobiographie vient de paraître, tu es sur le point de sortir ton EP, est-ce que 2021 est l’année de la maturité ?

Baxter : Alors en fait, pas du tout, c’est juste que j’étais assez désœuvré, que je n’avais pas grand-chose à faire… J’ai donc parlé de moi-même, c’était une façon de m’occuper.

LFB – Charles : D’accord… Revenons sur Night Chancers : ne ressens-tu pas une certaine frustration de ne pas avoir été en mesure de défendre cet album, qui à mes yeux est tout à fait incroyable ?

Baxter : J’ai juste laissé couler, j’ai laissé couler et j’ai continué, c’était la meilleure chose à faire. J’ai une certaine foi en la vie, et qui se soucie de ce genre de choses, sincèrement ? Je suis assez heureux de pouvoir avancer. Je m’ennuie facilement, donc c’était pas plus mal.

LFB – Sarah : La scène t’a-t-elle manqué ces deux dernières années ?

Baxter : Je m’ennuie facilement comme je le disais, j’ai été plutôt heureux de pouvoir me replonger dans quelque chose qui nécessite de la concentration.

Je trouve la routine plutôt douloureuse donc j’ai été heureux de faire quelque chose de nouveau.

LFB – Charles : Le Best-of que tu t’apprêtes à sortir s’appelle Mr. Maserati. Ce surnom est apparu dans Miami, probablement l’une de tes chansons les plus désespérée. Qu’est-ce qui t’a poussé à appeler cet album comme ça ? Dans quelle mesure es-tu Mr. Maserati aujourd’hui ?

Baxter : Je ne dirais pas que JE suis Mr. Maserati ! C’est une accusation ! Vous auriez du lait ? Merci mille fois. Je disais : la Maserati, au Royaume-Uni, a une dimension aspirationnelle. C’est la voiture de merde que tout le monde veut. C’est un produit immonde à mes yeux, le symbole d’ une étiquette, celle de quelqu’un qui n’a pas accompli grand-chose.

C’est un parapluie qui abrite beaucoup de personnages, en vérité. Tu es Mr. Maserati, toi, Miss Maserati et moi, je suis un peu Mr. Maserati aussi… Nous avons tous quelque chose de lui.

LFB – Charles : Pourquoi l’as-tu appelé comme ça ?

Baxter : Oh, ce n’était pas un truc très recherché. Je n’ai pas eu à réfléchir beaucoup, ça s’est imposé à moi.

LFB – Sarah : Comment as-tu organisé ce Best-of ? Y a-t-il un récit préexistant au choix de ces différentes tracks ?

Baxter : Je l’ai fait en six minutes en regardant Spotify et c’est très honnête de ma part de dire ça. C’était vraiment au cours d’une conversation de six minutes en mode « celle-ci, celle-ci, celle-ci, celle-ci ! ».

LFB – Sarah : (Rires) Ok, je vois !

LFB – Charles : Et quel regard poses-tu sur ces vingt ans de carrière ?

Baxter : Je ne regarde pas en arrière. Je sais qu’en disant ça, je ne vends pas bien le Best-of mais… disons, je ne pense pas vraiment que c’en soit un, c’est plus un objet musical qui trouve sa place entre deux albums. C’est une collection de chansons pour les personnes qui aiment acheter des vinyles. C’est une vision un peu cynique, mais qu’est-ce qui ne l’est pas ?

LFB – Charles : Et comment analyses-tu ces chansons, et les points de convergence entre les albums ?

Baxter : Je n’y réfléchis pas. Je réfléchis à… d’autres trucs. Je pense que certaines chansons sont bonnes, et d’autres ne le sont pas vraiment mais je pense que la musique change et que je reste le même – à l’exception peut-être du tout premier album.

Je ne suis pas très versatile, et j’ai une sorte de voix primitive à laquelle je reste fidèle et qui continue de m’habiter, ce qui explique peut-être que ma musique n’ait jamais changé.

LFB – Sarah : Nombre de tes chansons portent des noms de femmes : Carla’s got a boyfriend, Claire, Isabel… tandis que d’autres embrassent un point de vue féminin – comme Other men’s girls. Parfois aussi, tu laisses un alter-ego féminin chanter ta vulnérabilité (je pense à « Let your eyes / Gently wipe upon my sleeves »). Ces chansons ne laissent transparaître absolument aucun male gaze, au contraire : tu sembles te glisser dans leurs peaux, embrassant ce qu’être une femme veut dire. Comment fais-tu cela ?

Baxter : Ça sonne un peu comme une question pour serial-killer, avec cette histoire de peau. (Rires) Non, sérieusement, c’est une bonne question, un peu American Psycho, mais c’est chouette que tu ressentes ça, j’espère que c’est vrai. Il existe des chansons basées sur une dynamique reposant sur l’opposition hommes-femmes, un cliché très établi en France – je pense particulièrement à Serge Gainsbourg – relié à une dynamique historiquement sexiste, mais mon rapport au genre dans l’écriture repose tout d’abord sur le son. Ça a très peu à voir avec la sexualité, je ne cherche pas à la promouvoir par ce biais…

Quand une voix féminine chante mes textes, c’est d’abord une extension de ma voix, c’est un choix de timbre avant tout : d’avoir quelqu’un dont la voix flotte davantage sur la musique.

Ça peut devenir ambigu parce que ça donne parfois à entendre des passages à la Gainsbourg, mais ça n’occupe pas la narrativité. On n’est pas sur le cliché du vieil homme sexualisant, je n’essaye pas du tout de faire ça, ni d’exploiter ou de contrôler qui que ce soit. C’est avant tout une histoire de son.

LFB – Sarah : D’accord… Je me demandais également : après vingt ans à faire de la musique, le processus créatif a-t-il agi sur toi comme une thérapie ou un médicament, pour traiter cette vulnérabilité si présente dans ton travail ? Ou ce processus recouvre-t-il, de fait, précisément ce qu’être un chanteur veut dire : d’observer ses faiblesses, dans une constante interrogation du manque de sens de l’existence ?

Baxter : Je pense que, de base, tu cherches juste à écrire des chansons. Et si tu n’arrives pas à chanter (parce que tu abordes un sujet dont tu n’arrives pas parler, par exemple), il faut te raccrocher à une certaine forme de narration. Rechercher une structure, pour contrebalancer cette absence de chant, de voix.

C’est une exploration des courants qui s’agitent en toi et autour de toi, qui te portent naturellement et auxquels il faut te fier. Je m’intéresse à mes propres failles, pas comme un homme : comme une personne. Et elles se retrouvent imprimées dans des chansons, dans une forme très abstraite. C’est une chose vaine, mais c’est un moyen de t’inspirer toi-même.

LFB – Charles : Complètement… Ta musique est inspirée de ta vie personnelle mais j’ai toujours eu l’impression que tu écrivais également à propos de personnages. N’as-tu jamais craint de te perdre en eux ? Ou de te perdre dans l’image que le monde a de toi ?

Baxter : Non… Non, jamais vraiment. Je suis trop rationnel pour me laisser avoir. J’aime être normal, je veux être normal, m’occuper de mon fils, me préoccuper de choses comme ça… J’aime la normalité. Je ne veux pas vivre dans un fantasme.  

LFB – Charles : D’accord… Tu sais, j’ai toujours perçu ta musique comme un couché de soleil. Tu ne sais jamais si tu es dans la lumière ou dans l’ombre. Est-ce quelque chose que tu cherches à atteindre, ou avec laquelle tu es en accord ?

Baxter : Comme je l’ai dit, je me meus simplement dans une certaine direction, je n’essaye pas d’atteindre quoi que ce soit… Je fais ce qui me semble intéressant, à moi. Mais oui, je suis heureux qu’il en ressorte ça, bien que ce soit pour le moins non intentionnel.

LFB – Charles : Le visuel a toujours eu un certain impact sur ta musique, qu’il s’agisse des clips ou de la direction artistique de tes pochettes d’albums. Comment as-tu envisagé la vidéo de D.O.A. qui semble un étranger face à face avec la mort ?

LFB – Sarah : Avec beaucoup de fluidité dans le genre aussi, un aspect qui n’avait jamais été abordé…

Baxter : Tout à fait. J’avais quelques appréhensions relatives au fait que ce soit très sexuel, mais j’avais tort, tout était très naturel. Le réal avait raison, ce n’était pas un sujet sensible. Je ne voulais pas jouer, ou être en contrôle d’un sujet soumis à ma volonté, mais ce rôle très gender neutral était parfait. Et je parlais avec la mort, qui est tout à fait neutre, donc c’était intéressant, ça n’avait rien à voir avec la sexualité. C’était intéressant.

J’ai quelques vidéos de moi grimé en femme, dans un jeu de rôle, mais avec tous les événements qui se sont passés ces trois dernières années, il nous incombe, à tous, une certaine responsabilité. Je n’essaye pas de politiser mon discours, néanmoins je pense qu’il est important de considérer ces messages à l’aune de ce qu’ils sont : dépassés, inconsidérés. Des hommes dansant avec des filles… Tout cela, c’est inintéressant, même sur le plan créatif.

LFB – Charles :  Est-ce que D.O.A. ouvre du coup le chapitre des nouvelles aventures de Baxter Dury?

Baxter : Oui, potentiellement ! C’est une saveur différente ! J’injecte de nouvelles influences dans ma musique, sinon c’est emmerdant comme jamais !

LFB – Sarah : Dix ans après l’album à succès Happy Soup, avec de véritables hits comme Trellic ou Claire, comment t’es-tu détaché des immenses attentes autour de ton travail pour te replonger dans le processus créatif pour te réinventer musicalement, avec de nouvelles influences ?

Baxter : Tu dois juste continuer, parce que de base, c’est ton taf : tu fais ton pain, c’est ça que tu fais.

Chaque matin, tu fais ton pain. Et si tu ne le fais pas, tu t’effondres. Tu as besoin de travailler, et tu as besoin de jouer, de te produire en concert, c’est un cycle d’événements qui te maintient debout.

Tu dois abandonner tes fantasmes pour faire quelque chose. La praticabilité de la musique est primordiale, dans la mesure où elle normalise tout et permet aux choses de se faire. Si tu te regardes constamment en te demandant « Ciel, qui suis-je ? », tu te perds…

LFB – Charles : Depuis Happy Soup, tu entretiens une love affair particulière avec la France. Est-ce quelque chose de plaisant pour toi de rencontrer un tel succès dans le pays de Serge Gainsbourg ?

Baxter : Absolument, j’aime la France ! Je n’ai jamais été obsédé par Serge Gainsbourg, en revanche. J’aime les croissants, l’architecture, comment les gens vont et viennent… Ah ouais, vous savez ce que j’aime avec Paris ? C’est que de pouvoir boire un verre qui se révèle être plutôt petit, et sans ressentir la pression d’en boire beaucoup ! Cet instinct n’existe pas en Angleterre où tu dois enchaîner le plus de verres possible !

LFB – Charles : C’est marrant que tu aies souvent chanter avec des musiciens électro français, comme Discodeine ou Etienne De Crecy, avec qui tu as même fait un album

Baxter : Je pense que c’est parce que j’aime être à Paris, alors… L’opportunité, tu sais. C’était cool !

LFB – Charles : Ces chansons sont très différentes de ce que tu as l’habitude de faire. T’es-tu jamais vu comme un musicien électronique ?

Baxter : Honnêtement, j’aime bien, et puis c’est plus facile, de presser un bouton sur scène !

LFB – Sarah : J’ai une dernière question… Tu es tout de même un peu versatile, dans la mesure où tu viens également de publier ton autobiographie, Chaise longueQuels liens intimes tisses-tu entre musique et littérature ?

Baxter : Disons que… C’est le même process, dans les deux cas. Les deux sont aussi difficile l’un que l’autre, mais se facilitent mutuellement la tâche, dans la mesure où tu as déjà le pied à l’étrier. Il y a toute cette mythologie autour de la littérature, en mode « Oh mon dieu, un livre ! Jamais je ne pourrai écrire un livre ! » mais une fois que tu l’as fait, tu te rends compte que c’est juste un assemblage d’astuces, et que la musique est aussi un assemblage d’astuces, en ça il y a une similarité. Et une fois que tu sais faire de la musique, tu sais, sans être arrogant ou désabusé, écrire. J’aimerais en écrire d’autres, d’ailleurs.

LFB – Sarah : T’en aurais pas un à dédicacer, à tout hasard ? (rires)

Baxter : (rires) Non ! Tout s’est vendu, il est sold-out !

LFB – Charles : Dernière question avant de clore l’interview ! Je me demandais si en vingt ans de carrière, il y avait une question qu’on t’avait trop posé, et une que tu aurais aimé qu’on te pose ?

Baxter : Il n’y en a aucune que j’aimerais spécialement qu’on me pose, par contre en Angleterre, qu’est-ce qu’on peut me parler de mon père…Ah, un autre truc que je déteste, c’est quand on me demande « mon truc préféré… » Je ne hiérarchise pas : s’il vous plaît, ne me demandez jamais mon album favori !