Barbara Carlotti : « Il y a toute une partie de moi qui ne peut pas se passer de cet espace là »

A l’occasion de la sortie de son album Corse, Île d’amour, nous avons rencontré Barbara Carlotti et évoqué son rapport au pays.

La Face B : Qui es-tu Barbara Carlotti ?  

Barbara Carlotti : C’est une drôle de question… Qui sommes-nous ? Pourquoi sommes-nous sur cette terre ? (Rires) Je dirais être un être humain qui chante et qui écrit des chansons

LFB : Le 09 octobre est sorti ton dernier album Corse, île d’amour. Est-ce que quelque chose t’as poussée à faire ce disque ? Il y a-t-il eu un déclic ?

B.C. : Un jour j’ai chanté a capella Corse, île d’amour de Tino Rossi à la Gaîté Lyrique. C’était un clin d’œil à ma famille Corse qui était dans la salle. Alors, on m’a dit de faire un album de reprises mais ça n’a pas été simple car les chansons que je connaissais étaient polyphoniques, dataient des années 1970 et appartenait au Riacquistu (mouvement de « Réappropriation » culturelle corse, qui était aussi politique et indépendantiste) Le répertoire Corse il est immense ! Il y a aussi de la variété qui se rapproche de la chanson française, par exemple Françoise Hardy. Beaucoup de chansons qu’écoutaient mes parents jeunes. J’ai pris du temps avant de revenir sur ce répertoire que j’aimais petite, en me demandant ce que je pouvais y apporter.

Extrait d’un live à La Rotonde du Botanique, à Bruxelles, aussi en a capella… en espérant se rapprocher de la soirée à la Gaîté Lyrique

LFB : C’est drôle parce que c’est aussi le titre de ton album !

B.C. : L’idée était de rendre hommage à la Corse alors c’est un peu particulier car je n’avais jamais fait d’album hommage auparavant. J’ai choisi des chansons Corses, composées par des Corses, en Corse ou qui en parle comme La ballade de chez Tao de Higelin. Je dirai que c’est un disque affectif sur mon rapport à la Corse.

LFB : Au sujet de l’album Magnétique, tu disais enregistrer les mélodies entendues dans tes rêves. Est-ce que cet album ne serait pas la même chose vis-à-vis du souvenir ?

B.C. : Oui je pense parce que depuis Magnétique, il y a quand même des chansons qui sont plus intimes, personnelles. Quoi qu’au sein de L’amour, L’argent et Le vent il y avait déjà à cette question de souvenirs. Là, il s’agit d’une réappropriation d’un répertoire différent. Revenir à des mélodies que je n’ai pas composé qui ont une identité très particulière. On peut retrouver ce que l’on entend autours de la Méditerranée, une empreinte Méditerranéenne.

LFB : Oui, c’est vrai ! Comme c’est un album de reprises on est tenté d’écouter les originaux et on ressens vraiment ce mélange : entre le fado portugais ou encore des guitares arabo-andalouses. Au sujet de la Méditerranée, je voulais te faire réagir à une citation d’Albert Camus : « Jamais un pays, sinon la Méditerranée, ne m’a porté à la fois si loin et si près de moi-même.» Est-ce qu’il en est de même pour toi avec la Corse ?

B.C. : J’ai vraiment grandi entre la Corse et le continent. Et justement j’ai l’impression d’être très proche de la terre, la nature que j’ai pu explorer en Corse. Il y a toute une partie de moi qui ne peut pas se passer de cet espace là, comme par exemple mon village. C’est une sorte de refuge pour moi, quelque chose de rassurant. Puis, plus petite, j’ai vécu pleins d’aventures en Corse à passer du temps à rien faire dans la nature. Même si rien faire c’est aussi explorer, contempler. En fait, c’est un autre rapport au temps et à l’espace. Donc oui, ça me constitue complètement autant que la vie hyper urbaine de Paris. Dont je ne pourrais pas me passer par ailleurs parce que j’aime cette effervescence de la ville, quand il y a toujours des choses à faire, à voir, des idées qui se déploient, des nouvelles œuvres, de nouveaux concerts…

LFB : Ce rapport à la nature ce retranscrit dans l’album car on peut entendre tout une palettes de bruits provenant de la nature, comme des chants d’oiseaux, d’eau. Est-ce que ce sont des sons de synthèse ou au contraire, de vrais sons enregistrés ?

B.C. : Ce sont de vrais sons des vrais endroits. Pour moi, les chansons avaient des empreintes dans des endroits précis. Par exemple, on est allés enregistrer, très précisément, la chanson Ici qui parle du Tavignagno, au bord de cette rivière. On a passé du temps là-bas et Bénédicte Schmitt – la réalisatrice de l’album – y a enregistrer les sons avec son studio sac à dos. Ou aussi, sur la chanson Corse, île d’amour ont est allés à Barcaggio, la pointe du Cap Corse, où j’ai fait mes premiers concerts dans le resto de copains. Et il y a quelque chose de très symbolique car Corse, île d’amour était une des premières chansons ayant fait connaitre Tino Rossi. C’est un miroir pour moi. Avec Charlotte Verdu Giamarchi on a réalisé une carte pour l’album car pour moi les chansons avaient un sens à de endroits précis : où les compositeurs et interprètes sont nés ou ont vécus, ou bien le lieu évoqué comme pour Solenzara. Puis, la pochette de l’album a été prise dans mon village, dans la rue où j’ai passé mon enfance. Il y a quelque chose d’extrêmement affectif dans cette album (Rires). Il y a de la transmission et de la vérité.

LFB : Est-ce que tu dirais que tes chansons sont comme des cartes postales ?

B.C. : Non, même si on s’est amusé avec l’idée de carte postale parce que ça faisait partie de ses chansons des années 1960. Elles ont un caractère très cliché de la Corse : le trait un un peu poussé, passionné. Je trouvais qu’il y avait un peu une image de film ou bien comme la représentation des cartes postales des années 1930, avec un aspect art déco. Ce sont des images idéalisées. Alors, on s’est dit qu’on jouerait sur cet imaginaire, par exemple Corse, île d’amour est une chanson carte postale… Pourtant, il y a des chansons qui sont beaucoup plus complexes. Comme Le retour qui avec ses bruits de clocher pourrait faire penser à une carte postale mais qui raconte les périodes troubles avec des guerres dans lesquelles se sont engagés; les départs du pays et les retours où certains avaient tout perdu, que la moitié des habitants sont morts. Il y a quelque chose des très dramatique, qui fait partie des histoires de la Corse. Même s’il y a parfois certains des petits clichés, j’ai l’impression que les chansons choisies vont au-delà.

LFB : Justement, les versions originales des chansons choisies sont assez fortes, comme tu le disais tout à l’heure avec des polyphonies, des chœurs d’hommes. Elles ont une âme. Alors, comment les as-tu modernisé ?

B.C. : C’est quelque chose qu’il faut affirmer. Il y a une forme de romantisme dans mon rapport aux chansons et même dans ma manière d’être. Je pense qu’on a le droit de s’enflammer, de dire les choses très fortes. Il y a cet aspect – ce caractère ! – dans les chansons et ce n’est pas tant ce qu’il faut moderniser, mais plutôt dans les grilles d’accords, les lignes mélodiques en les rendant plus pop, tout en gardant cette identité méditerranéenne qui caractérise les chansons. Alors, le travail musical se concentre sur les arrangements et le traitement du sons avec des effets, des synthés, de la programmation; même s’il y a toujours des sons très organiques. C’est comme cela que l’on a modernisé, actualisé, ces chanson. Après, pour moi, ce sont des chansons assez intemporelles, avec des textes que l’on peut continuer à raconter aujourd’hui sans que cela ne paraisse désuet. Puis, les chanter en français pour faciliter leur compréhension. Mais pour le coup, il y a certaines chansons dont leur beauté résonne dans la langue corse, O Ciucciarella qui est une chanson assez particulière. C’est une chanson à tiroir, cryptée. Car c’est une berceuse pour les enfants mais aussi l’histoire de quelqu’un qui se cache dans le maquis sous un berceau et sa femme lui raconte ce qui se passe dehors. Elle lui dit de ne pas s’inquiéter car la police en train de le chercher dans la dans la montagne. Cette chanson raconte l’histoire de la Corse très précise. Effectivement, l’idée ça serait de pouvoir raconter l’histoire de chaque chanson. Ca serait intéressant.

LFB : Parmi les autres chansons, on retrouve plusieurs duo avec Pierre Gambini et Izia. On retrouve aussi cette forme de duo dans tes précédents albums, que ce soit avec Aline, Dominique A, Bertrand Belin, Burgalat ou Philippe Katherine. Quel est ton rapport au duo ?

B.C. : Faire de la musique, c’est d’abord travailler avec les autres. Je pense que je fais de la musique pour partager avec des musiciens dont j’aime le travail. On s’enrichit toujours de l’autre car on ne chante pas et on ne travaille pas de la même manière avec les musiciens et les chanteurs. Par exemple, j’ai appris et découvert comment Philippe Katherine cherche ou pose une mélodie. C’est quelqu’un d’assez aventurier, à naviguer entrer les styles. Alors, c’était très enrichissant. Avec Izia, c’était aussi ça car elle a une façon de chanter tellement intense – il y a quelque chose presque hérité de son père – et cette sensibilité à fleur de peau. C’était super de pouvoir chanter ensemble. On en avait des frissons. Puis, on finit par épouser nos façon de chante pour entrer en empathie l’une de l’autre. C’est pour cela que j’adore travailler en duo, d’autant plus avec quelqu’un de différent.

LFB : Et en dehors des duos et des reprises, est-ce qu’il y a des chansons que tu as composé ?

B.C. : Il y a le morceau Ici que j’avais composé sur mon album L’idéal. Là, je l’ai repris et chanter avec Pierre Gambini, qui est aussi chanteur Corse aussi compositeur et auteur. C’est aussi quelqu’un d’aventurier, il peut vraiment naviguer entre le style. J’étais hyper contente de l’inviter à chanter avec moi sur cette chanson. C’est bien de revisiter ses propres chansons aussi, la première version était très classique et je m’en était un peu lassée. Maintenant, elle a un côté beaucoup plus psyché, et je trouve qu’on est parvenu à rendre grâce à la puissance de la nature. Il a quelque chose de très esthétique dans la chanson avec des mélismes (ornement vocale qui se compose de plusieurs notes chantées sur la même syllabes) que je n’arrive pas du tout à faire. C’était beau de pouvoir m’associé encore une fois à lui, parce qu’avec sa sensibilité il déclame la chanson de façon très belle.

LFB : Est-ce qu’il s’agit d’un album « retour à soi » ?

B.C. : J‘ai l’impression d’avoir rendu consciente des choses inconscientes dans mon histoire. Repasser par ces chansons, de découvrir comment elles sont faites, de voir toutes les versions… c’est un travail où a été fouillé dans les chansons que mon père chantait. Si on ne fait pas quelques choses de ces chansons c’est presque comme si on ls avait intégré sans ce poser de question. C’est réinterroger ce qui semble inné, acquis, son bagage culturelle. C’est pour cela que ce n’est pas un retour en moi mais plutôt en ce qui me constitue, ce qui m’a été transmis. Puis, j’ai même découvert des chansons entre-temps.

LFB : Je voulais te faire réagir sur une bribe de phrase tirée de ta chanson Pauvre chance : « la musique toujours me sauvera ». Est-ce que ça fait sens et encire plus aujourd’hui j’imagine ?

B.C. : Ca fait complètement sens depuis qu’on traverse des temps un peu troubles, avec pas mal de contraintes. Le fait d’être sur scène, c’est un espace génial pour pour se re-remplir d’énergie quand on en perd beaucoup ailleurs à s’inquiéter, à voir comment les choses tournent. C’est un espace protégé, hors du temps et à part. Chanter, c’est un peu sortir du monde. Puis, ça m’aide et même pendant confinement en chantant tous les jours, c’est vraiment un point d’ancrage où je ne déprime pas trop.

LFB : Est-ce que tu as des lives de prévus ?

B.C. : Les dates qui n’ont pas été annulé donc on est très contents de les faire pour un autre spectacle (66 Revolution Pop) Là, le temps de remonter quelque chose et au vu de l’instabilité des choses en ce moment, a priori on va commencer à travailler l’album sur scène au printemps. Entrer toutes les choses décalées et recalés, c’est très complexe. Avec mon tourneur, on réfléchit à retravailler courant février, mars (Rires) Ca ne nous empêchera pas de faire de la musique mais c’est vrai que les cartes sont souvent rebattues, donc c’est très compliqué de s’organiser.

LFB : Qu’est-ce que l’on peut te souhaiter pour la suite dans ce monde covidé ? (Rires)

B.C. : Pleins de concerts ! (Rires) Plus de liberté et de concerts… et le revenu universel pour tous !


Corse, île d’amour est disponible depuis le 9 Octobre sur toutes les plateformes et depuis vendredi en vinyle. (Elektra)

Crédit photo : Daguin Giamarchi