Barbagallo : « La chanson c’est mon tarot à moi, mon marc de café. C’est comme ça que j’établis le contact. »

Il y a peu, Julien Barbagallo soufflait un vent d’évasion, de voyages et de splendeur dans la beauté invisible des choses sur son EP Tarabust. Un nom un peu mystérieux qu’il a pris le temps d’expliquer, ainsi que de nous parler de la conception de l’EP et de son héritage artistique.

La Face B : Salut Julien, comment vas-tu ? 

Julien Barbagallo : Salut, ça va pas trop mal.  Et ça va toujours mieux quand j’arrête de lire les news pendant quelques heures.

LFB : Apparemment tu es en Australie, pas mal comme quarantaine ! Qu’est-ce que tu fais là-bas ? 

JB : Je vis là-bas. On a de la chance de vivre à la campagne. Le confinement ressemble plus ou moins à la vie d’avant. Je tonds beaucoup, j’élague, je retourne la terre.

LFB : Tu viens de sortir Tarabust, ton nouvel EP. Peux-tu m’expliquer comment est-il né ? 

JB : Il est né il y a un petit moment déjà, à l’été 2018, quelques mois après la sortie de Danse dans les ailleurs. Je me suis dit que j’allais écrire une chanson par jour, ou par semaine, je sais plus, avec comme sujets des trucs que je verrais ou penserais au quotidien. Je voulais inonder internet de chansons, casser le cycle éternel des albums, du physique. Ça a duré un moment et puis je me suis rendu compte que je n’étais pas R. Stevie Moore. Je voulais raccourcir les délais et nous voilà 2 ans après. 
J’avais derrière la tête des versions très dépouillées, simplement basse, guitare acoustique et batterie. Puis on m’a soufflé dans l’oreille que la guitare c’était « l’accordéon d’aujourd’hui » et que je ferais mieux d’habiller tout ça différemment. 

LFB : Pourquoi avoir préféré un format EP plutôt qu’un album ? 

JB : C’était cette idée d’accélérer le rythme, sortir des EP tous les 6 ou 8 mois mais bon, les chansons ne viennent pas si facilement, j’ai eu une petite fille, Tame Impala qui tournait… Et j’ai aussi mon label Almost Musique qui a son agenda, ses contraintes et quand on mélange tout ça les délais s’allongent. 

LFB : Tarabust fait référence à La Haine de la Musique, alors que jamais ta musique n’a été aussi riche et florissante : pourquoi t’es tu intéressé à cette contradiction ? 

JB : J’ai un rapport très simple à la musique, à la chanson. J’essaie de créer ce qui me manque, ce que je n’entends pas ailleurs. J’essaie de trouver des combinaisons de mots, d’images, qui font défaut au monde dans lequel je vis.  Dans La haine de la musique de Pascal Quignard, le concept du « tarabust » relie le son, le bruit, au monde d’avant le langage et explore comment ce jadis rejaillit dans la vie contemporaine. Je ne peux pas m’empêcher de voir de la Magie dans cette idée. C’est ce que j’évoque dans Ne me réveillez pas : « Je souris à l’appel d’éternelles mélodies. » Il faut célébrer cette Magie, notre cœur-récepteur, cette vie que l’on mène au milieu de secrets, de beautés invisibles. La chanson c’est mon tarot à moi, mon marc de café. C’est comme ça que j’établis le contact.

LFB : J’ai trouvé que sur cet EP, il y avait une exploration musicale incroyable. Par rapport à Danse dans les Ailleurs qui me paraît moins riche en couches instrumentales (nb : pas du tout une critique, j’adore tout ce que tu fais depuis le début ! :)). Quel a été ton processus créatif pour cet EP ?

JB : Comme je l’ai évoqué plus tôt, j’étais parti sur quelque chose de très acoustique, je m’imaginais sur un tabouret au fond d’un troquet où personne n’écoute. J’étais plongé dans les disques de Townes Van Zandt à l’époque. Benjamin Caschera de chez Almost Musique, pour ne pas le nommer, a commencé à faire quelques remarques, suggestions, en réponse aux chansons que je lui envoyais. D’habitude je fais semblant de ne pas entendre mais pour la première fois j’ai décidé de l’écouter, comme une expérience. C’était très intéressant comme ping pong et c’est ce qui m’a poussé à créer des arrangements inattendus. Il faisait parfois des suggestions assez cryptiques et le défi c’était d’y répondre de manière tangible.

LFB : Je trouve que Tarabust respire l’allégresse, qu’il est très solaire, plus que Dans dans les ailleurs. Dans quel état d’esprit étais-tu pendant sa création ?  

JB : Il a été enregistré et mixé à la maison. À l’époque j’habitais à Melbourne.  Do It Yourself complet avec un micro et Garage Band, crise du disque oblige. J’ai quand même fait chauffer la CB en achetant toutes les flûtes sur thomas.de, de la plus aigue à la plus grave. Je ne pouvais jouer de la batterie qu’à des horaires très particuliers avec mon épouse qui bossait de nuit, dormait le jour et la vieille voisine qui sortait jamais de chez elle, les oiseaux le matin qui faisaient un boucan pas possible. J’imagine qu’il y a une forme de décontraction dans ce manque total de moyens, un peu comme quand on chante sous la douche. 

LFB : Pour moi, cet EP sonne comme le résultat d’un road trip d’Alain Souchon à travers le monde, nourri de rencontres, de diversités culturelles et de découvertes. Qu’en penses-tu ? 

JB : Ça me va. Je voyage beaucoup que ce soit physiquement ou mentalement. Mes tournées en Amérique du Sud m’inspirent tout autant que le disque d’Erasmo Carlos que j’écoute chez moi bien calé dans mon canapé. C’est vrai que je me suis un peu plus ouvert que d’habitude à d’autres influences. J’ai commencé à élargir mon terrain de jeu. J’ai recommencé à acheter des vinyles et je me suis donné comme impératif: musique du monde seulement, obscur et si possible dans le bac à 1 euro. De cette manière j’ai mis la main sur des trucs fous comme ces chants de bergers Suédois et des chants de Noël médiévaux de Provence. Tout ça ressort toujours sous une forme ou une autre.

LFB : J’ai aussi l’impression que dans l’écriture, Tarabust s’est nourri de plus d’images, de métaphores et de personnifications que ton précédent album. Qu’en penses-tu ?  

JB : On me reproche souvent l’opacité de mes textes alors cette fois j’ai essayé de prendre des chemins un peu plus directs. J’ai même acheté un dictionnaire de rimes, un de synonymes et des bouquins d’auteurs de variété 70’s qui partageaient leurs « trucs » d’écriture. Je partais de loin donc le résultat  c’est pas tout à fait Joe Dassin mais ça m’a ouvert l’appétit pour des choses simples. 

LFB : Tu parles de l’enfance, des souvenirs, de ton héritage familial aussi. Est-ce un EP plus personnel que tes précédentes sorties ?

JB : Pas vraiment, je pense que toutes mes chansons sont très personnelles. Le truc c’est que c’est plus ou moins déguisé selon la chanson. J’essaie en général d’éviter le « moi je » trop ostentatoire. Quand je suis simple auditeur, j’ai besoin que la chanson que j’écoute me laisse de la place, de la place pour mes propres expériences et mon propre imaginaire donc naturellement j’essaie de retrouver cette formule quand j’écris mes textes. Dans Le carquois tchadien sur l’album Grand chien, je chante « papa, papa » dans le refrain, je suis à découvert.  Sur Tarabust, je veux parler de mon grand-père mais cette fois je décide de faire une reprise de Domenico Modugno sur l’immigration italienne, je me décale d’un pas. Je veux parler de ma quête d’absolu en amour et j’écris Glisse avec un texte plutôt abstrait, là je saute dans la quatrième dimension.

LFB : T’es tu entouré pour la production de l’EP ? Je trouve qu’il y a un traitement dans le son super abouti, moins linéaire que le précédent album. 

JB : J’ai tout enregistré et mixé moi-même sur Tarabust donc on a vite fait le tour de mon entourage. 

LFB : J’évoquais Alain Souchon précédemment : j’ai l’impression que ta musique est très influencée par les grands noms de la chanson française. Quels sont les artistes qui ont eu une importance dans ta naissance artistique ? 

JB : Bizarrement mes influences françaises sont plutôt des gars comme Bertrand Belin ou Mathieu Boogaerts mais quand tu mélanges ça à mes influences anglo saxonnes et mon obsession pour la mélodie, ça pousse mes chansons vers la variété. Je navigue quelque part entre l’indé et la variété. Je m’y plais.

LFB : D’une manière plus générale, qu’est-ce qui t’inspires au quotidien ? 

JB : Je sais pas trop. Je fonctionne plutôt à la réminiscence. Potentiellement toute ma journée et ce qu’elle contient pourra un jour devenir inspiration. Les rares fois où je me dis: « Tiens, ça je pourrais en parler dans une chanson », c’est assez rare que je le fasse et si je me lance c’est vraiment galère. J’ai pas du tout le don de la « photo instantanée ».

LFB : Tu as l’air d’une personne très solaire : un conseil pour garder le moral en ces temps difficiles 

JB : Construisez votre cathédrale intérieure un peu chaque jour.  Pendant la pause, prenez un bout de papier et écrivez une chose gentille sur vous-même , une chose gentille sur quelqu’un que vous aimez et une chose que vous aimeriez faire quand on se sera enfin débarrassé du néo-libéralisme.