Bambara, vampires de New York

Bambara est l’un des groupes les plus brillants de ces dernières années.  A coup de post punk gothique, le groupe nous plonge dans des histoires ténébreuses, aux personnages tourmentés dans des décors aux couleurs saturées. Coupés en plein envol après la sortie de l’iconique Stray pour cause de pandémie mondiale, le groupe ne se laissa pas abattre et revient avec le mini album Love on My Mind. 22 minutes qui auraient pu nous laisser sur notre faim, mais c’était sans compter la puissance absolue de l’album. Le groupe livre ses créations les plus abouties, avec un sens de la narration comme peut s’y sont aventurés, ainsi que des pépites mélodiques qui résonneront longtemps dans nos têtes. Plongée dans le drame de Love on My Mind.

Tout d’abord, une pochette radicalement différente de celles qui ont précédé Love on My Mind. Plutôt absent de ces images et favorisant les formes floutées et mystérieuses, le chanteur du groupe Reid s’affiche ici de façon ultra frontale. Utilisant le code surexploité du contraste entre le bleu et le rouge permettant un clash visuel, le groupe réussit à s’en saisir et d’en transmettre une atmosphère très particulière. Les couleurs sont comme passées, délavées, inscrivant la photo dans une atmosphère hors du temps ou fantastique. Le teint de Reid est quant à lui blafard, les yeux rougis, l’allure oscillant entre l’animalité et l’épuisement total. De nombreuses histoires pourraient être contées par sa seule attitude… On retiendra celle de la virée New Yorkaise qui ne s’est jamais finie, ou de la tourmente amoureuse virant à l’autodestruction.

Et cela tombe bien car des histoires, Bambara en a beaucoup à nous conter. Love on My Mind est, comme le titre nous l’annonce, une histoire d’amour tumultueuse telle que les groupes de rock aiment les imaginer. Plus personnel, c’est un album beaucoup moins pudique qu’à l’accoutumée, insufflé de scènes vécues et de pensées profondes.

Dès l’introduction, on se retrouve plongé dans une atmosphère brumeuse et minimaliste. Slither in the Rain est l’évocation d’un homme trainant son désespoir, fulminant envers le monde. Alors que sa rancœur est crachée sur le trottoir sous les regards de pitié des passants, les synthés s’envolent sur des lignes mélodiques spectrales et de nombreux effets sonores qui résonnent de façon extrêmement cinématographique. Cet album nous embarque tel un film. L’introduction présente le protagoniste principal d’un point de vue extérieur, plusieurs années après que les évènements se soient produits. Il traine sa peine et sa douleur, alors que le groupe nous propose de remonter à l’origine de sa tourmente. 

Dès les premiers accords de Mythic Love on se retrouve embarqué dans une fougue juvénile, aux sonorités pleines d’espoir et de promesses. Les guitares rappelant un western conquérant n’y sont pas étrangères. Les premiers regards d’une rencontre aux détours d’une fête, deux voix qui s’unissent telle l’évidence d’une rencontre. Pourtant, entre les paroles fatalistes et le chorus poignant, les signes du drame sont déjà annoncés.

Le « je » devient « nous » avec Birds, contant les nombreux cauchemars de désastres et les visions prémonitoires du conteur alors que son amante dort sur ses genoux. On ne saura exprimer l’émerveillement que nous procurent les magnifiques arrangements du morceau. Ils sont illustrés par les synthés en suspension venant perturber notre oreille telle une vision surnaturelle, nous provoquant volontairement un malaise avec une subtilité incroyable. On se sent comme habité par les visions du personnage, tous nos sens nous hurlent de fuir alors que la catastrophe approche.

Point and Shoot nous fait revivre des souvenirs désabusés à travers les vieilles photographies prises par son amante. Il contemple tour à tour visages d’amis aujourd’hui disparus, reliques de soirées dépravées et anarchiques ou moments désenchantés. Les photos et les souvenirs sont devenus fades et mornes à mesure que le couple s’embourbe l’esprit dans la drogue et la déchéance. La chute n’en est que plus terrible, menant à la tentative de suicide sur Feelin’ Like a Funeral. En réemployant les accords western de Mythic Love, on a pourtant comme l’impression de revivre une renaissance, une nouvelle fougue guidant aux refrains les plus rock indé de cet album. Le dernier sursaut avant la fin ?

Épilogue de cette histoire, Little Wars est une replongée dans les vestiges de la passion, entre les crises, les reproches et la tendresse évanouie. Elle a refait sa vie, évolue et progresse alors que le narrateur se retrouve bloqué entre les vieilles photographies et les mots blessants. Animal meurtri, il se retrouve écrasé entre les buildings imprégnés des frasques des deux amants. Une sortie tout en écho, tels des souvenirs qui s’évaporent peu à peu. 

Coincé dans New York sans pouvoir y trainer sa peine, Reid s’est plongé dans la photographie lors du confinement. Il s’est imprégné de cette imagerie extrêmement percutante, imaginant l’histoire des regards qu’il croisait dans ses livres. Ces nombreuses photos ainsi que l’ambiance naturellement provocante de New York a profondément marqué le groupe, créant une image fantasmée des relations humaines et de cette ville. Le résultat ? Un des meilleurs albums de ce début d’année, doté d’une puissance de narration exceptionnelle. On ne peut que citer à nouveau les nombreux effets qui ponctuent le morceau, installant une ambiance aussi pesante qu’irréelle. N’étant plus l’ombre que lui-même, Reid devient un vampire moderne, trainant sa peine sur le bitume et plongé à jamais dans des souvenirs fantasmés. Only lovers left alive.